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Les défis de l’amélioration de l’efficacité de l’aide

Numéro 1 Janvier 2011 par Poncelet

janvier 2011

À l’ins­tar des autres pays occi­den­taux, la coopé­ra­tion belge s’ef­force depuis quelques années de tra­duire les prin­cipes de l’a­gen­da de l’ef­fi­ca­ci­té dans ses dis­po­si­tifs sur le ter­rain. L’a­dop­tion de ces nou­velles manières de tra­vailler n’est pas simple : elle exige une adap­ta­tion des struc­tures de gou­ver­nance des agences d’aide et l’ap­pren­tis­sage de nou­velles com­pé­tences par leur per­son­nel. Qui plus est, le résul­tat de ces réformes demeure subor­don­né à des fac­teurs externes — capa­ci­té de ges­tion publique locale, crise éco­no­mique, dona­teurs émer­gents, etc. — peu mai­tri­sables par les acteurs belges de la coopération.

La coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment n’est pas une idée neuve ! Mais l’aide au déve­lop­pe­ment des pays occi­den­taux serait-elle en passe de chan­ger com­plè­te­ment les termes de réfé­rence à tra­vers les­quels on l’a conçue, mise en place et cri­ti­quée durant cin­quante ans ? Ces deux pro­po­si­tions reflètent une ten­sion très actuelle. Der­rière les per­for­mances chif­frées et les indi­ca­teurs, der­rière les nou­veaux concepts qui pro­li­fèrent à l’aune de l’expertise, des som­mets et rap­ports innom­brables, c’est sans doute une nou­velle gram­maire offi­cielle des rap­ports Nord-Sud qui émerge des muta­tions postcoloniales.

Dis­po­sant d’une coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment et d’une voix his­to­riques en ce domaine, « bailleur moyen » mais lea­deur dans quelques sec­teurs et quelques régions, la Bel­gique a par­ti­ci­pé plei­ne­ment à la récente muta­tion du para­digme de l’aide. Elle l’a fait sur­tout en plai­dant, dans la sphère de l’expertise inter­na­tio­nale, en faveur de cette impé­rieuse réha­bi­li­ta­tion et éga­le­ment à tra­vers son aide mul­ti­la­té­rale et les dia­logues poli­tiques sous-jacents. Jusqu’ici, la tra­duc­tion de ce nou­veau para­digme dans les dis­po­si­tifs de coopé­ra­tion sur le ter­rain est moins évi­dente pour des rai­sons liées à ces ter­rains, mais aus­si pour des rai­sons propres à son orga­ni­sa­tion en Bel­gique. Quoi qu’il en soit, cette der­nière décen­nie indique que le réfé­ren­tiel nor­ma­tif, les orien­ta­tions stra­té­giques, les options métho­do­lo­giques de la coopé­ra­tion belge tout entière (y com­pris la coopé­ra­tion indi­recte) devront trou­ver leur place dans un cadre fon­ciè­re­ment inter­na­tio­nal qui active de nou­veaux for­mats d’expertise et de pro­duc­tion de la légi­ti­mi­té. Aujourd’hui, les enjeux poli­tiques internes autour de la coopé­ra­tion belge, ses res­sorts régio­naux et com­mu­nau­taires semblent for­te­ment « pré­con­traints » par les muta­tions acquises du nou­veau para­digme trans­na­tio­nal de l’aide en gestation.

Un nouveau paradigme transnational pour la coopération belge ?

À la fin des années nonante, l’aide au déve­lop­pe­ment était sous le double feu des libé­raux (trade not aid) et de quelques sou­ve­rai­nistes du Sud qui y voyaient une tutelle insi­dieuse, voire un adju­vant com­mer­cial —, mais elle était sur­tout mise en ques­tion par divers rap­ports qui épin­glaient scan­dales, impuis­sances, com­pro­mis­sions avec des pou­voirs inac­cep­tables, mais aus­si des contre-per­for­mances mas­sives (voir, par exemple, Nau­det, 1999). Par ailleurs, l’humanitaire sem­blait devoir sup­plan­ter l’aide au déve­lop­pe­ment dans l’imaginaire de la soli­da­ri­té Nord-Sud. En Bel­gique, la coopé­ra­tion sor­tait d’une série de crises et d’échecs et met­tait alors sur pied une agence d’exécution indé­pen­dante (1998, BTC-CTB) et une nou­velle loi sur la coopé­ra­tion dite alors « inter­na­tio­nale » et non plus « au déve­lop­pe­ment » (1999). Elle fixait de nou­veaux objec­tifs et des pro­blé­ma­tiques trans­ver­sales, de nou­veaux par­te­na­riats avec les acteurs indi­rects. On était encore au seuil du réen­ga­ge­ment en Afrique centrale.

Au niveau mon­dial où se confir­maient le décol­lage des nou­veaux pays indus­tria­li­sés et à l’opposé, l’effondrement afri­cain, l’aide au déve­lop­pe­ment sera réha­bi­li­tée à l’orée du troi­sième mil­lé­naire à par­tir de conver­gences au sein de ses acteurs domi­nants, dans une nou­velle doc­trine que l’on peut dire « post­li­bé­rale ». Celle-ci, en pre­nant acte des échecs des pro­grammes d’ajustement struc­tu­rel et en incor­po­rant de nou­velles thé­ma­tiques issues de la mou­vance du New Public Manag­ment, a réus­si à impo­ser à la plu­part des acteurs de nou­veaux termes de réfé­rence de l’aide au déve­lop­pe­ment. Ceux-ci portent sur l’objectivation de la méthode de l’aide, sur la poli­tique de l’aide, mais aus­si sur le réfé­ren­tiel du déve­lop­pe­ment lui-même… soit ses fon­da­men­taux ou encore ce qu’on entend par là !

Depuis la pro­cla­ma­tion des Objec­tifs du mil­lé­naire pour le déve­lop­pe­ment (OMD) par l’ONU au tour­nant du mil­lé­naire et leur suc­cès pour sor­tir de la « fatigue de l’aide » des années nonante, cette triple dimen­sion appa­rait clai­re­ment, tout comme elle appa­rait à tra­vers la géné­ra­li­sa­tion de la pro­duc­tion des cadres stra­té­giques de lutte contre la pau­vre­té (PRSP) dans les pays moins avan­cés depuis 1999, sous contrainte des ins­ti­tu­tions de Bret­ton Woods.

C’est donc bien au centre de ses ins­ti­tu­tions domi­nantes que s’est enclen­chée à la fin des années nonante une vaste réforme du sys­tème d’aide inter­na­tio­nale. L’aide a été relan­cée déci­si­ve­ment sur la base d’un nou­veau consen­sus. Prio­ri­té à la lutte contre la pau­vre­té, à la néces­saire appro­pria­tion-res­pon­sa­bi­li­sa­tion par les pays par­te­naires, à l’engagement des bailleurs à relan­cer et amé­lio­rer la qua­li­té tech­nique et poli­tique de l’aide (le « par­te­na­riat mon­dial » étant lui-même un OMD).

La décla­ra­tion de Paris sur l’efficacité de l’aide (2005) fai­sant suite à une série de réunions orga­ni­sées par l’OCDE et réunis­sant plus d’une cen­taine de bailleurs bi- et mul­ti­la­té­raux et de pays en déve­lop­pe­ment, a été un moment essen­tiel de mise à l’épreuve des grands et moyens bailleurs. À par­tir de cette réunion, la thé­ma­tique de l’efficacité s’impose comme ques­tion clé de toute éva­lua­tion de l’aide et plus loin de sa légi­ti­ma­tion. L’aide vise à réduire la pau­vre­té, ce qui est cen­sé contri­buer au déve­lop­pe­ment ou en tout cas, à celui que l’on est prêt à sou­te­nir au Sud dans un monde glo­bal et lourd de nou­veaux périls.

Les prin­cipes de la décla­ra­tion de Paris sont l’appropriation (par les pays par­te­naires), l’harmonisation des inter­ven­tions des bailleurs, l’alignement (sur la poli­tique et les sys­tèmes du pays hôte), l’orientation vers les résul­tats et la res­pon­sa­bi­li­té mutuelle. Ces enga­ge­ments ont encore été confir­més dans le Pro­gramme d’Action d’Accra (Accra Agen­da for Action – AAA) issu du forum de haut niveau sur l’efficacité de l’aide orga­ni­sé en 2008. En pra­tique, ces prin­cipes se concré­tisent par l’appui conjoint des dona­teurs aux stra­té­gies de déve­lop­pe­ment des pays réci­pien­daires à tra­vers des pro­ces­sus coor­don­nés par ce pays lui-même, et le recours accru à des moda­li­tés de finan­ce­ment uti­li­sant les sys­tèmes de ges­tion natio­naux. Dans une note très récente, la coopé­ra­tion belge qui s’interroge sur la trop lente pro­gres­sion vers la réa­li­sa­tion des OMD, annonce qu’elle main­tient son effort qui vise prin­ci­pa­le­ment à accroitre l’effi­ca­ci­té de l’aide 1.

À l’instar de ce qui s’est pas­sé dans les uni­ver­si­tés euro­péennes à tra­vers le pro­ces­sus dit « de Bologne », de som­mets de « haut niveau » en réunions d’experts, sans oublier les exer­cices d’évaluation par les pairs [via le Comi­té d’aide au déve­lop­pe­ment (CAD) de l’OCDE], cette doc­trine s’est trou­vé un réfé­ren­tiel concep­tuel et un cadre nor­ma­tif. Elle s’est dotée d’un cer­tain degré de contrainte à laquelle échappent cepen­dant des bailleurs bila­té­raux ou pri­vés par­mi les plus puissants.

La Bel­gique, qui à cette époque voit son aide retrou­ver une crois­sance signi­fi­ca­tive, en par­ti­cu­lier en Afrique cen­trale, adhère acti­ve­ment à ces prin­cipes. Elle avait ins­crit dans une loi de 2002 l’objectif des 0,7% à atteindre au plus tard en 2010 2. Elle s’engage à davan­tage de concer­ta­tion avec les autres bailleurs actifs où elle est, à s’aligner sur les prio­ri­tés des pays par­te­naires et à recou­rir à leurs outils de pla­ni­fi­ca­tion dans un esprit d’appropriation, de péren­ni­té et de res­pon­sa­bi­li­sa­tion. Elle annonce une ges­tion axée sur les résultats.

Les pou­voirs publics du Sud : maitres d’œuvre de leurs politiques
ou cogé­rants de poli­tiques sociales globales

Certes, le nou­veau para­digme donne à pen­ser qu’une bonne aide (une aide dif­fi­ci­le­ment contes­table) serait à tout le moins une aide bien gérée, dont on peut rendre des comptes (accoun­ta­bi­li­ty) aux citoyens des pays dona­teurs mais aus­si réci­pien­daires. Mais ce serait sous-esti­mer la por­tée de ce nou­veau para­digme car la coa­les­cence des thé­ma­tiques telles que « par­ti­ci­pa­tion », « appro­pria­tion » (owner­ship) et « par­te­na­riat » for­mant désor­mais une idéo­lo­gie géné­ra­li­sée, a intro­duit en force du côté des par­te­naires du Sud de nou­velles condi­tion­na­li­tés de bonne gou­ver­nance publique, d’ouverture (rela­tive) aux orga­ni­sa­tions de la socié­té civile (OSC) locales, à la thé­ma­tique du genre et aux droits de l’homme. Cette réha­bi­li­ta­tion des pou­voirs publics des pays les plus pauvres a eu comme contre­par­tie et « garan­tie », l’imposition plus ou moins heu­reuse de réformes dans leurs admi­nis­tra­tions (ges­tion axée sur les résul­tats), leurs sys­tèmes bud­gé­taires, leurs ins­ti­tu­tions publiques (décen­tra­li­sa­tion, indé­pen­dance de la jus­tice et sys­tèmes de concer­ta­tion avec les OSC). Ces pays se sont trou­vés som­més de se doter de poli­tiques publiques antipauvreté !

Don­ner plus d’initiative et d’autonomie aux « pays cibles », aux « auto­ri­tés locales », sup­pose qu’un dia­logue poli­tique sur les objec­tifs de l’aide puisse convaincre les dona­teurs de l’existence d’une sorte d’«endossement » par le pays cible de la logique d’aide à tra­vers un effort objec­ti­vable d’engagement et de coor­di­na­tion. La coopé­ra­tion belge a insis­té sur l’importance de ce dia­logue poli­tique avec le par­te­naire. Dans maints cas afri­cains où se concentre à nou­veau l’aide belge, nombre de ces efforts ont été for­te­ment « assis­tés ». Des poli­tiques publiques y ont bien dû être « pro­duites », voire « inven­tées » sous l’empire de ce nou­veau para­digme de l’aide renais­sante (Burun­di, RDC) 3. Les outils de pla­ni­fi­ca­tion n’ont pas tou­jours sui­vi ! On admet aujourd’hui que l’appropriation de cette nou­velle exi­gence d’appropriation est loin d’avoir été active et enthou­siaste par­mi beau­coup de gou­ver­ne­ments de pays fra­giles ou ren­tiers de l’aide.

Enfin, bou­clant la logique du nou­veau para­digme, mais illus­trant peut-être aus­si ses limites, les concepts d’aide bud­gé­taire sec­to­rielle et d’aide bud­gé­taire (tout court) qui ont été lar­ge­ment dis­cu­tés comme abou­tis­se­ments du nou­veau para­digme, se sont rapi­de­ment heur­tés à de sérieuses résis­tances, en par­ti­cu­lier dans les « États fra­giles », mais aus­si par­mi les bailleurs. C’est au plus l’aide bud­gé­taire sec­to­rielle qui est à l’horizon contem­po­rain de la coopé­ra­tion belge.

En ce qui concerne les bailleurs et par­te­naires tech­niques qui se concertent effec­ti­ve­ment davan­tage, le terme « cohé­rence » est deve­nu indis­so­ciable de celui d’efficacité et sup­plante même ce der­nier dans les débats internes, dès lors qu’il s’agit par exemple de redé­fi­nir les rôles des dif­fé­rents acteurs belges. La coopé­ra­tion belge, signa­taire de la décla­ra­tion de Paris (DP) et de l’AAA, est éga­le­ment enga­gée par les orien­ta­tions éla­bo­rées par l’Union euro­péenne en matière d’aide. Afin de limi­ter le nombre de par­te­naires par sec­teur, et donc de réduire les couts de tran­sac­tion de l’aide, l’Union euro­péenne a adop­té un Code de conduite sur la divi­sion du tra­vail dans la poli­tique de déve­lop­pe­ment, qui pré­co­nise que la Com­mis­sion et les États membres se concentrent dans deux ou trois sec­teurs au plus par pays cible — ce qui implique d’«abandonner » des anciens sec­teurs de coopé­ra­tion et est mal per­çu du côté de cer­tains bailleurs, comme du côté de cer­tains « aidés ». La Direc­tion géné­rale de coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment (DGCD) a elle-même éla­bo­ré en 2007 un Plan pour l’harmonisation et l’alignement de l’aide (Plan H&A) qui ne concerne tou­te­fois que la coopé­ra­tion gou­ver­ne­men­tale bila­té­rale. Néan­moins, un accord poli­tique a été conclu entre le ministre fédé­ral de la Coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment et les uni­ver­si­tés fla­mandes et fran­co­phones pour réfor­mer la coopé­ra­tion uni­ver­si­taire au déve­lop­pe­ment dans le sens d’une cohé­rence selon les pays-cibles (qui seraient lar­ge­ment ceux de la coopé­ra­tion gou­ver­ne­men­tale). Le contrôle admi­nis­tra­tif et finan­cier de l’administration pour­rait être assou­pli sur la base de ces pro­grammes-pays pri­vi­lé­giés, en contre­par­tie d’une réfé­rence crois­sante aux prin­cipes de la décla­ra­tion de Paris et d’une limi­ta­tion des sec­teurs et pays d’intervention. Mal­gré un accord en 2009, la dis­cus­sion semble encore en cours dans les fédé­ra­tions d’ONG qui ont été ame­nées à entrer dans des logiques de pro­grammes depuis plu­sieurs années et qui s’interrogent sur leur rôle et le rôle de leurs par­te­naires dans le cadre de la DP/AAA. D’une cer­taine manière, la coopé­ra­tion gou­ver­ne­men­tale belge qui perd de fait, sur le ter­rain, une cer­taine auto­no­mie d’action du fait de ses enga­ge­ments autour de la décla­ra­tion de Paris, entend jouer de l’exigence de « cohé­rence » pour rené­go­cier les termes de réfé­rence de ses par­te­na­riats internes. On sait que le monde des ONG belges s’est concen­tré et pro­fes­sion­na­li­sé depuis vingt ans, mais il reste lar­ge­ment dépen­dant des finan­ce­ments publics, sans être le plus choyé durant ces der­nières années de relance de l’aide.

Les implications et traductions du nouveau paradigme dans la coopération belge

En signant la décla­ra­tion de Paris, les agences de coopé­ra­tion ont pris une série d’engagements qui ont des impli­ca­tions impor­tantes quant à leur façon de tra­vailler. Ces enga­ge­ments redoublent cer­taines ten­dances déjà consta­tées aupa­ra­vant. Vu le for­mat de la coopé­ra­tion belge et son his­toire poli­tique et ins­ti­tu­tion­nelle, le débat a ten­dance à s’exprimer sur des ques­tions de concen­tra­tion. Limi­ter le nombre de pays et, dans ceux-ci, limi­ter le nombre de sec­teurs (deux selon le code euro­péen de bonne conduite) sup­pose donc aus­si d’entrer dans les pro­cé­dures de délé­ga­tion à cer­taines agences de pays euro­péens. Dans l’idéal, la plus grande par­tie de la coopé­ra­tion ain­si concen­trée devrait pas­ser par les pro­grammes indi­ca­tifs de coopé­ra­tion (PIC), ce qui n’est tou­jours pas le cas et pose par­fois des pro­blèmes de pro­gram­ma­tion lorsque pré­ci­sé­ment c’est le cas ! (PIC de la RDC « qui traine » alors qu’il vise un enga­ge­ment mas­sif sur des pro­blé­ma­tiques et zones nou­velles). L’engagement pris, en outre en RDC, pour pro­gram­mer l’essentiel de la coopé­ra­tion via les PIC sur douze ans au moins donne une idée de l’importance des enjeux !

Tableau 1 : Évo­lu­tion de l’APD belge par type d’aide entre 2004 et 2008
mil­lions d’euros 2004 2005 2006 2007 2008
Total DGCD 721,24 847,16 834,55 848,00 1.089,08
Dont :
Coop. gouvernementale
150,67 198,03 206,95 214,04 269,40
Coopé­ra­tion non gouvernementale 173,92 187,37 187,04 187,72 193,25
Coopé­ra­tion multilatérale 303,27 371,10 334,66 331,10 474,71
Fonds belge de survie 20,00 20,00 27,50 30,00 33,64
SPF Affaires étran­gères (hors DGCD)  76,99 83,40 88,64 89,55 100,74
Autres sources officielles  375,64 641,16 650,44 487,80 464,43
Total APD belge 1.173,86 1.571,72 1.573,63 1.425,35 1.654,26
% APD belge/revenu natio­nal brut 0,41% 0,53% 0,50% 0,43% 0,48%

Source : Site inter­net de la DGCD

D’autres défis sont moins dis­cu­tés, mais tout aus­si impor­tants sinon davan­tage, en par­ti­cu­lier le res­pect du lea­deur­ship des pays réci­pien­daires et l’alignement sur leurs poli­tiques (sec­to­rielles et glo­bale) de déve­lop­pe­ment, l’obligation de coor­di­na­tion entre bailleurs, l’utilisation des sys­tèmes natio­naux de pro­gram­ma­tion (et donc le res­pect du calen­drier bud­gé­taire du pays par­te­naire), de finan­ce­ment (pro­cé­dures natio­nales de ges­tion des finances publiques, éven­tuel­le­ment à tra­vers des fonds com­muns ou de l’appui bud­gé­taire) et de rap­por­tage, sui­vi et éva­lua­tion (par­ti­ci­pa­tion aux mis­sions conjointes de sui­vi et aux revues sec­to­rielles, uti­li­sa­tion des indi­ca­teurs de per­for­mance et des rap­ports natio­naux, éva­lua­tions conjointes). L’ingénierie de pro­gramme s’est consi­dé­ra­ble­ment déve­lop­pée autour des exi­gences de par­te­na­riat, de pro­gram­ma­tion et de coordination.

Cette nou­velle façon de tra­vailler — qu’on appelle géné­ra­le­ment « approche pro­gramme » — n’est pas exempte de dilemmes, par exemple celui de concé­der par­fois à la qua­li­té ou à la rapi­di­té des inter­ven­tions pour res­pec­ter les pro­ces­sus natio­naux, et elle se heurte à une série de contraintes admi­nis­tra­tives et ins­ti­tu­tion­nelles liées notam­ment à la non-mai­trise des inter­ven­tions par les bailleurs et à la non-tra­ça­bi­li­té des fonds en cas d’appui bud­gé­taire. En outre, elle requiert idéa­le­ment une adap­ta­tion de la struc­ture de gou­ver­nance des agences de coopé­ra­tion qui devrait per­mettre, autant que pos­sible, la décen­tra­li­sa­tion de la prise de déci­sion, afin de pou­voir s’adapter aux pro­ces­sus et évo­lu­tions des pays par­te­naires. Cette recom­man­da­tion régu­lière du CAD/OCDE à la Bel­gique en matière de décen­tra­li­sa­tion vers les bureaux locaux de la coopé­ra­tion dans les pays cibles ne semble pas des­ti­née à ren­con­trer un grand succès.

De manière plus sub­tile, au-delà de ces impli­ca­tions « de pre­mier ordre », la mise en œuvre de l’agenda pour l’efficacité de l’aide signi­fie en fait que les agences de coopé­ra­tion doivent endos­ser un rôle nou­veau : plu­tôt que de se posi­tion­ner comme four­nis­seurs de ser­vices aux popu­la­tions des pays du Sud, elles sont désor­mais appe­lées à se reti­rer de ce genre d’intervention directe pour se réorien­ter vers le ren­for­ce­ment des capa­ci­tés ins­ti­tu­tion­nelles des États — voire de la socié­té civile et du sec­teur pri­vé — des pays par­te­naires, afin que ces der­niers puissent eux-mêmes opé­ra­tion­na­li­ser et amé­lio­rer leur offre de ser­vices publics au pro­fit de leurs popu­la­tions. L’appui au déve­lop­pe­ment des capa­ci­tés est un métier dif­fé­rent de celui de la ges­tion de pro­jets de déve­lop­pe­ment, qui néces­site des com­pé­tences nou­velles dans le chef du staff des agences de coopé­ra­tion. Celui-ci (tant au siège que sur le ter­rain) doit en effet mai­tri­ser non seule­ment des com­pé­tences thé­ma­tiques, mais aus­si des com­pé­tences plus glo­bales en termes de ges­tion bud­gé­taire, de pro­ces­sus poli­tiques et de com­pré­hen­sion des grands enjeux stra­té­giques des sec­teurs appuyés. Les assis­tants tech­niques, plus par­ti­cu­liè­re­ment, devraient désor­mais jouer davan­tage un rôle de faci­li­ta­teurs, d’agents de chan­ge­ment et de for­ma­teurs, que de ges­tion­naires de pro­jet — ce qui requiert des com­pé­tences plus « politiques ».

Bailleur hier « moyen », mais influent, la coopé­ra­tion belge reste clai­re­ment mobi­li­sée par ses prin­ci­paux enga­ge­ments récents sur les OMD, la DP/AAA et ses enga­ge­ments euro­péens. Il ne fait pas de doute cepen­dant que divers élé­ments vien­dront don­ner à leur tra­duc­tion un visage assez dif­fé­rent de celui que des­sinent les grands principes.

Par­mi ces élé­ments, et outre les incer­ti­tudes sur l’avenir des ins­ti­tu­tions publiques, il faut comp­ter des fac­teurs internes assez pesants : la contrainte que fait peser la Cour des comptes sur l’hypothèse de décen­tra­li­sa­tion des enga­ge­ments ; la coor­di­na­tion entre les enga­ge­ments poli­tiques et l’exécution de la coopé­ra­tion sur le ter­rain, en outre avec la BTC-CTB dont une par­tie impor­tante gère encore des pro­jets (voir étude Eco­rys & South Research 2006); le déca­lage assez impres­sion­nant entre les débats menés sous l’empire de ce nou­veau para­digme, d’une part, et notre culture poli­tique en matière de coopé­ra­tion ain­si que les repré­sen­ta­tions des contri­buables, d’autre part 4 ; les habi­tudes admi­nis­tra­tives de tra­vail d’un per­son­nel spé­cia­li­sé dont le nombre dimi­nue et qui est divi­sé entre cabi­net et admi­nis­tra­tion ; les nou­velles formes de contrac­tua­li­sa­tion encore en tra­vail avec les acteurs indi­rects de divers niveaux qui sup­posent un lea­deur­ship stra­té­gique plus affir­mé et clair pour tous les partenaires.

On sou­li­gne­ra enfin les prin­ci­paux fac­teurs externes : la concen­tra­tion d’une par­tie impor­tante de l’aide belge dans des pays dont les capa­ci­tés de ges­tion publique sont consi­dé­rées comme faibles ; les consé­quences de la crise qui conduisent à réaf­fir­mer des prio­ri­tés dans les sec­teurs pro­duc­tifs, et en par­ti­cu­lier agri­cole, hier fort délais­sés ; l’intervention crois­sante de nou­veaux par­te­naires comme la Chine évi­dem­ment, mais aus­si le Bré­sil, ou encore les fonds spé­cia­li­sés dont les logiques sont tout autres et offrent des alter­na­tives aux pays cibles ; last but not least, un infor­ma­teur par­ti­cu­liè­re­ment bien infor­mé nous disait per­ce­voir dans les débats euro­péens de haut niveau une « aid effec­ti­ve­ness fatigue » tant beau­coup d’agences, fussent-elles les mieux inten­tion­nées, éprouvent aujourd’hui de réelles dif­fi­cul­tés à faire fonc­tion­ner les grands prin­cipes dans leurs pro­grammes concrets de coopération !

  1. Pour une ana­lyse des insuf­fi­sances dans l’atteinte des OMD en 2015 et des limites des OMD eux-mêmes, voir A. Zacha­rie, CNCD, 2010.
  2. Objec­tif que le gou­ver­ne­ment annonce atteindre encore cette année comme aide totale de la Bel­gique. On peut mettre en dis­cus­sion cer­taines for­mules de comp­ta­bi­li­sa­tion mais la for­mule géné­rale n’est pas contes­tée par le CAD/OCDE.
  3. Ain­si le Docu­ment de stra­té­gie de la crois­sance et de la réduc­tion de la pau­vre­té (DSCRP) actuel de la RDC, dont la réa­li­sa­tion a été très cou­teuse, est lar­ge­ment consi­dé­ré dans les milieux de la coopé­ra­tion à Kin­sha­sa comme ayant eu un inté­rêt prin­ci­pa­le­ment poli­tique, mais peu utile en termes de pilo­tage des efforts de reconstruction.
  4. Voir au niveau euro­péen : http://ec.europa.eu/public_opinion/archives/ebs/ebs_352_fr.pdf

Poncelet


Auteur

Marc Poncelet est docteur en sociologie, professeur ordinaire à l'[Université de Liège->http://www.ulg.ac.be].