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Les conditions de toute solution
Les principes de la partition proposée en 1947 (reconnaissance mutuelle et coopération égalitaire entre Juifs et Arabes) entérinaient la réalité du fait binational en Palestine/Eretz-Israël. Ainsi, l’État juif proposé par l’O.N.U. comprenait 51 % de Juifs et 49 % de Palestiniens, l’État arabe n’englobant quant à lui qu’une minorité juive de 1 %. Ces principes doivent être redécouverts et réaffirmés dans la recherche d’un compromis israélo-palestinien équitable. Or, aujourd’hui, un large consensus israélien tourne désormais le dos aux principes de binationalité et de réciprocité pour leur préférer celui de la hafrada, la séparation. Ce principe ambigu est la clef de voute des accords d’Oslo signés en septembre 1993 entre le gouvernement travailliste israélien et l’O.L.P., des accords qui ne contiennent aucune référence à la résolution 181 sur le partage de la Palestine.
Dans la culture israélienne, il n’y a pas de document aussi malmené que le plan de partage des Nations unies, un plan qui fournit pourtant le fondement juridique à la création de l’État d’Israël. D’emblée, la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël du 14 mai 1948 se référait à la résolution 181 (Assemblée générale des Nations unies du 29 novembre 1947) en la présentant comme une résolution préconisant seulement la création d’un État juif en Eretz-Israël, contredisant ainsi les principes mêmes de cette résolution. Cette interprétation a permis pendant des décennies de rejeter la création d’un État palestinien et d’évacuer la mémoire palestinienne. La négation de la résolution 181 va de pair avec le rejet de ses modalités et le refus d’assumer toute responsabilité dans le sort des centaines de milliers de réfugiés palestiniens et des Palestiniens qui sont restés dans leurs foyers. Elle entretient la perception faussée selon laquelle, les Juifs ayant accepté le partage et les Palestiniens l’ayant rejeté, le sort de ces derniers serait justifié.
La séparation n’est pas le partage
À ce jour, ce schéma de pensée n’a pas sensiblement évolué et détermine également la perception des partisans du partage. En Israël, l’acceptation du partage s’inscrit toujours dans la tendance à entretenir cette perception autojustificatrice des Juifs à l’égard des Palestiniens. La philosophie des accords d’Oslo ne consiste pas à appliquer les principes originels du partage, c’est-à-dire les principes de coopération et d’égalité, mais plutôt à les désavouer. Le principe d’État palestinien, tel que défendu par les Israéliens, ne repose ni sur la réciprocité, ni sur l’égalité, ni sur le droit à l’autodétermination, encore moins sur la coopération entre Juifs et Arabes, mais bien sur le principe de la hafrada1, c’est-à-dire la relégation des Palestiniens loin de zones placées sous la souveraineté de l’État juif. En Israël, l’évocation de la résolution du partage par les Palestiniens provoque immanquablement un tollé, sous prétexte que les Palestiniens ne chercheraient pas tant un accord politique que la « destruction de l’État d’Israël ». Bref, l’évocation d’une résolution qui sert de fondement juridique à l’existence de l’État juif est perçue comme illégitime dès lors qu’elle émane des Palestiniens.
Durant la guerre du Golfe, le ministère français des Affaires étrangères avait exprimé son engagement envers un processus de paix israélopalestinien fondé sur la résolution 181 des Nations unies, c’est-à-dire le plan de partage. En Israël, le premier à désavouer cette proposition ne fut autre que le porte-parole de Shalom Akhshav (« La Paix maintenant »), une réaction qui fit la une de tous les journaux. Cet épisode étrange prouve que l’opposition au plan de partage structure également l’identité politique des Israéliens partisans d’une solution négociée, Shalom Akhshav s’étant alors déjà prononcé en faveur de négociations avec l’O.L.P. et une majorité de ses militants adhérant au principe d’un État palestinien.
L’évocation de la résolution 181 suscite la crainte de l’opinion israélienne à cause, semble-t-il, des frontières fixées par le plan de partage, des frontières qui pourtant octroyaient à la minorité juive davantage de terres qu’elle n’en possédait. Il devrait pourtant être clair que les frontières du partage de 1947 ne sont plus pertinentes dans la situation politique actuelle et que l’adhésion aux principes du partage ne signifie pas l’adhésion à des modalités d’application spécifiques à la réalité d’alors. L’ennui, c’est qu’aujourd’hui un consensus israélien s’est formé autour du rejet des frontières de 1967 comme cadre de négociation.
Cependant, l’essentiel n’est pas dans le rejet des frontières de 1947, mais bien des principes fondateurs de la résolution 181, c’est-à-dire les principes d’égalité et de coopération entre les deux peuples. Ce rejet permet à Israël, d’une part, de continuer à se référer à la résolution 181 comme à une résolution décidant la seule création d’un État juif en Eretz-Israël et, d’autre part, de fonder la création d’un État palestinien sur le seul principe de la hafrada. En d’autres termes, il ne s’agit pas de reconnaitre l’application de droits garantis mais plutôt d’éluder des questions aussi fondamentales que celles des réfugiés, de Jérusalem et des colonies de peuplement.
Décolonisation en trompe-l’oeil
Dès le départ, la résolution des Nations unies était problématique, et, dans une perspective historique, il est difficile d’imaginer en quoi elle aurait pu déboucher sur une souveraineté palestinienne, alors qu’elle se fondait sur une capitulation essentielle. Par ailleurs, la supériorité organisationnelle et militaire des Juifs faisait que, d’emblée, les questions furent traitées selon le seul point de vue juif, rendant prévisibles les développements futurs.
À la suite du vote de l’O.N.U., si une partie des dispositifs élaborés par le yishouv envisageaient la possibilité du partage, ils n’en reste pas moins qu’il considéra la résolution 181 comme la création pure et simple d’un État juif et mit tout en oeuvre pour faire échouer la création de l’autre État, d’autant plus que la résolution ne déterminait pas précisément selon quelles modalités s’opérerait la partition du pays en deux États. À ce moment, le seul État existant dans le pays était l’État mandataire colonial. Dans tout autre contexte colonial, le processus de décolonisation aurait consisté dans le transfert de l’appareil d’État aux autochtones2. Dans le cas d’Eretz-Israël/Palestine, le processus fut tout autre et consista concrètement en un transfert de l’essentiel de l’appareil d’État à une minorité juive bénéficiant d’un large soutien européen et américain. Sans oublier que, avec l’aide et l’appui de l’État colonial britannique, les Juifs s’étaient dotés d’une large assise organisationnelle et étatique bénéficiant par ailleurs de l’investissement de capitaux juifs. Les Juifs visant à hériter du seul appareil d’État existant, voire de tout le territoire, la partition de cet État en deux entités ne pouvait être dès le départ que problématique.
Savoir si les Palestiniens auraient dû, oui ou non, accepter la résolution 181 est une question historique de première importance et non exempte de polémique. Ce qui est certain, c’est qu’il est insensé d’affirmer que le refus des Palestiniens de mettre en oeuvre le partage est à la base de leur tragédie, comme s’il était sérieusement possible de supposer que la concrétisation du plan de partage allait de soi. La perspective historique montre que les Palestiniens n’avaient aucune raison valable de soutenir le plan de partage dès lors qu’il ne reposait pas sur la reconnaissance des droits nationaux palestiniens par les Juifs. À quelques exceptions près3, il n’existait aucune force sioniste considérant l’exercice des droits nationaux palestiniens comme allant de soi. La représentation factice de la lutte juive comme une lutte « anticoloniale » ne pouvait qu’estomper radicalement la référence au plan de partage considéré dans sa globalité. Même si Benny Morris se trompe lorsqu’il affirme que des projets de transfert existaient déjà bien avant la guerre d’indépendance4, il n’en reste pas moins que, dans la vision sioniste de l’époque, aucun principe pratique ne pouvait empêcher le transfert ou la mise à profit de toute occasion pour le réaliser, témoin le soulagement suscité par le sort des autochtones transformés en réfugiés. Lorsqu’il était question d’un « État juif », il n’était fait aucune référence aux ressortissants palestiniens d’un tel État. Ce d’autant plus que, après la guerre, aucun courant sioniste n’a jamais accepté le retour des réfugiés dans leurs foyers, tel qu’inscrit dans les résolutions de l’O.N.U. La présentation du refus du partage comme étant « la faute des Palestiniens » n’est en fait rien d’autre qu’une légitimation a posteriori de leur expulsion.
À l’époque, les seuls à avoir soutenu le partage en vertu d’un universalisme aveugle furent des communistes arabes qui se trouvèrent dès lors en porte-à-faux par rapport à leur propre peuple. Quant aux communistes juifs, leur soutien au plan de partage ne pouvait que les réconcilier avec leur peuple, le yishouv et ses représentations. Plus tard, ils allaient avaliser également la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël, une déclaration qui ne faisait déjà plus mention de la création d’un État palestinien, autre terme de la résolution 181. Il est encore difficile de comprendre comment Meïr Vilner a pu accepter de signer une telle déclaration, à un moment où les orientations de la diplomatie juive reniaient déjà explicitement les principes du partage. Mais il est vrai que c’est l’Union soviétique qui a assuré la victoire des Juifs en leur fournissant des armes qui allaient servir contre une population palestinienne démunie de tout moyen pour se défendre et protéger ses terres.
Dénis israéliens
Cette discussion historique n’est pas sans signification dans l’explicitation des termes actuels du débat. La critique historique n’est pas importante pour juger, mais plutôt pour réformer les représentations faussées qui imprègnent encore l’opinion israélienne. Or les principes du plan de partage gardent une valeur fondamentale. Mais pour cela, il faut en finir avec le déni actuel, étudier les diverses dimensions de la résolution 181 et aborder franchement le point de vue palestinien, un point de vue largement récusé. Tant que ce débat sera repoussé, il n’y aura aucune perspective concrète d’arriver à un accord politique fondé sur la reconnaissance mutuelle et la coopération.
Malgré tous ses défauts, sans même évoquer sa valeur historique, la résolution du partage, telle que votée à la recommandation de la majorité du Comité spécial des Nations unies sur la Palestine (U.N.S.C.O.P.), contient des dispositions centrales qui, dans la perspective de la recherche d’un compromis équitable, ont gardé toute leur valeur. On le sait, l’U.N.S.C.O.P. avait élaboré deux propositions. La proposition de la minorité reposait sur l’idée d’une fédération, idée catégoriquement rejetée par la direction sioniste, tandis que la majorité proposait le partage de la Palestine en deux États et l’internationalisation (au moins provisoire) de la région de Jérusalem. Radicalement différentes dans leurs modalités, ces deux solutions n’en étaient pas moins fondées sur le concept d’un pays binational, la reconnaissance mutuelle et la coopération. Le plan de partage était lui-même fondé sur la reconnaissance du droit à l’autodétermination des deux peuples et sur une définition binationale du pays, prévoyant en outre un cadre de coopération économique ainsi qu’une union monétaire. Enfin, il soustrayait Jérusalem au partage et écartait sa transformation en capitale d’Israël.
Il est évident que le plan fédératif était bien meilleur, que son application aurait été plus aisée et que son acceptation aurait pu éviter la tragédie de 1948. Il n’en reste pas moins que les deux plans reposaient sur des principes semblables. Ainsi, par rapport à la question des rescapés juifs d’Europe, les deux plans considéraient que seule une partie d’entre eux rejoindrait la Palestine/Eretz-Israël et que la Palestine ne pouvait pas supporter seule ce fardeau. Bien que la proposition du partage ne tenait pas compte du fait que les Palestiniens formaient la majorité absolue de la population, les deux plans définissaient explicitement les droits nationaux des Palestiniens. Quoi qu’il en soit, aucune de ces deux solutions ne fut en définitive réalisée.
Revisiter les principes de novembre 1947
Dans la situation actuelle et vu le rapport de forces existant, ces propositions revêtent une haute importance et permettent d’esquisser des modalités qui sont autant de conditions pour arriver à une solution. Contrairement à l’approche de la séparation, qui était et qui est toujours au coeur de la politique sioniste, l’orientation de ces résolutions esquisse une autre issue. Si, à l’époque, l’acceptation de la résolution signifiait la reconnaissance des droits de la minorité juive à un statut nettement plus favorable que pouvait le laisser présager sa position réelle, aujourd’hui, l’acceptation de ces principes est la condition fondamentale à toute discussion. Cela ne veut pas dire accepter le plan de partage tel quel, mais se fonder sur ses principes dans toute initiative politique actuelle.
Les principes les plus essentiels du partage sont précisément ceux qui sont récusés par Israël. Le 29 novembre étant une des dates les plus fondamentales de notre histoire collective, il faut profiter de cette commémoration pour en rappeler les principes. En les restituant dans le contexte actuel, les principes qui sous-tendent le partage demeurent les conditions de toute solution : reconnaissance mutuelle et coopération équitable entre Juifs et Arabes. Ils prennent acte de l’identité binationale de la Palestine/Eretz-Israël et proposent une solution fondée sur la mobilisation de ce caractère binational.
Aussi longtemps que les représentations israéliennes s’appuieront sur la négation de la résolution du plan de partage et de ses conséquences pratiques, la politique israélienne sera menée comme elle l’est aujourd’hui. Dans cette situation, le 29 novembre peut servir de signal pour définir les principes sur lesquels devrait être fondé tout accord diplomatique futur, que cet accord se concrétise dans le cadre d’un État unique ou dans le cadre de deux États indépendants. Quel que soit le type d’accord, il faudra prendre en compte autant le principe du droit à l’autodétermination que celui de l’égalité et des conséquences qui en découlent. La solution qui repose sur deux États ne peut être élaborée que dans la mesure où elle s’articule sur le principe de la binationalité du pays, un principe rejeté dans les faits par les accords d’Oslo de septembre 1993.
Malgré quelques évolutions, les possibilités qui s’offrent à nous ne sont toujours qu’au nombre de deux : un État unique commun ou deux États disposant de droits égaux et fondés sur la reconnaissance mutuelle. Dans cette perspective, l’appel à un retour aux principes du 29 novembre 1947 signifie que, du point de vue juif, nous acceptons que la reconnaissance des droits nationaux palestiniens est la condition sine qua non de tout processus de paix effectif et significatif.
- En hébreu, ce terme a la signification ambivalente de « séparation » et de « ségrégation ». Cette idée guide le « Document d’entente nationale » conclu entre le Parti travailliste et l’aile pragmatique du Likoud. Elle se fonde sur l’annexion à Israël de quelque 50 % de la Cisjordanie et l’octroi d’un cadre étatique aux Palestiniens sur les enclaves non annexées. Yediot Aharonot, 14 février 1997.
- D’autant plus que, selon l’article 22 du pacte de la Société des Nations, le mandat de type A appliqué à la Palestine, à l’instar de celui appliqué à la Syrie et au Liban, sous-entendait que la puissance mandataire britannique devait faire accéder la Palestine à l’indépendance selon les voeux de sa population.
- Certains cadres du Mapam (Parti ouvrier unifié, gauche sioniste), ainsi que le Maki (Parti communiste de Palestine/Eretz-Israël) et la Brit Shalom (Alliance pour la Paix) fondée par Martin Buber et le rabbin Judah Magnes.
- Benny Morris, The Birth of the Palestinian Refugee Problem, Cambridge University Press, Cambridge, 1988. Par contre, pour Ilan Halévi, le « transfert » est une idée évoquée avec récurrence dans les années trente et quarante par les dirigeants sionistes. Il propose le départ, « négocié » ou forcé, d’une majorité de Palestiniens vers les États arabes voisins. Une abondante littérature hébraïque tend à confirmer le caractère désiré, voire prémédité, des coups de force démographiques opérés durant la guerre de 1948 – 1949. Ilan Halévi, « Le transfert des Palestiniens, une obsession centenaire », Revue d’études palestiniennes, n° 14 (66), hiver 1998.