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Les Belgicaines

Numéro 5 – 2020 - appartenance Belgique poèmes par Sophie Klimis

juillet 2020

Ces poèmes sont nés d’un retour au plat pays, après dix années d’exil volon­taire en Hel­vé­tie. D’abord comme un jeu, j’ai pris des trains au hasard, débar­qué dans des villes d’enfance ou de pas­sage, pris le pouls des artères de la capi­tale, noté au retour le butin de ces jour­nées dés­œu­vrées. S’arrimer à la terre natale […]

Italique

Ces poèmes sont nés d’un retour au plat pays, après dix années d’exil volon­taire en Hel­vé­tie. D’abord comme un jeu, j’ai pris des trains au hasard, débar­qué dans des villes d’enfance ou de pas­sage, pris le pouls des artères de la capi­tale, noté au retour le butin de ces jour­nées dés­œu­vrées. S’arrimer à la terre natale pour ne plus se sen­tir étran­gère chez soi.

Peu à peu le jeu s’est fait sérieux. Avait fon­du sur moi, comme une chape de plomb, l’inquiétante étran­ge­té du plus fami­lier. Qu’est-ce donc qu’«être belge » ? Car notre pays est une créa­ture tota­le­ment arti­fi­cielle. Un golem mis au monde par un air d’opéra. Un Fran­ken­stein d’abord his­to­ri­que­ment métis­sé d’espagnol, de fran­çais, de hol­lan­dais et d’allemand. Puis mul­ti-cultu­rel­le­ment enri­chi, recréé de manière impré­vi­sible au gré des vagues d’immigrations, jusqu’à être désor­mais « en état de créo­li­sa­tion per­ma­nente », pour reprendre la belle expres­sion des poètes-pen­seurs Édouard Glis­sant et Patrick Chamoiseau.

Pour moi, dont les grands-parents ont émi­gré pour fuir la misère d’une ile grecque aride, les coups de ton­nerre de la révo­lu­tion bol­ché­vique en Ukraine et l’annexion de la Géor­gie à l’URSS, « être belge » c’est reven­di­quer la créo­li­té zin­neke comme identité.

Ritour­nelles, petites chan­sons, ces Bel­gi­caines se veulent une réplique poé­tique et poli­tique aux replis iden­ti­taires sur le « Même », le « Sol », la « Langue ». Une ten­ta­tive citoyenne d’ausculter le pays. De prendre la tem­pé­ra­ture de ses ima­gi­naires com­mu­nau­taires et régio­naux. De ten­ter entre eux d’improbables jume­lages, ancrés dans les bles­sures de guerres, les catas­trophes « natu­relles » (tou­jours pro­vo­quées par l’humaine pas­sion du lucre), mais aus­si la puis­sance de l’âme-Brel, la tru­cu­lence et la mélan­co­lie brue­ghe­liennes, l’hospitalité gour­mande, le goût de l’absurde et du jeu de mots déca­lé, les folk­lores tenaces…

Splen­deurs et misères de nos communs !

Comme j’écris à l’oreille, j’ai don­né à lire ces poèmes à mon ami le comé­dien et péda­gogue Luc De Smet, car j’ai confiance en son sens du rythme. Fla­mand de Lou­vain, Luc s’est pris au jeu et, en me lan­çant des bribes de sa langue mater­nelle que je ne parle pas, il m’a per­mis de remettre l’ouvrage sur le métier.

À l’heure où cer­tains de nos poli­tiques veulent cade­nas­ser nos fron­tières et semblent avoir oublié com­bien elles étaient chez nous dou­ble­ment arti­fi­cielles, nous le redi­sons avec fermeté :

De tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus créolisés !

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Spa Spitante

Spa ! « Tou­ché ! » des jeux d’enfants — ça gicle de sur­prise, pas vue venir, la main dans le dos ! « Spar­ta­cus ! Géro­ni­mo ! » hur­lait-on en se ruant dans les vagues et en buvant la tasse ! Spar­sa ! Mais qu’elle est douce, la jaillis­sante, Manon-des-Sources, foi de Bobe­lins buveurs d’eau !

« Cou­rez, cou­rez, vite si vous le pouvez ! »

Spit­tante, la petite a le sens de la répar­tie : pétillante comme une bulle de cham­pagne ! « De l’eau qui pique, de l’eau qui pique ! » réclament les pieds nicke­lés en jouant les durs à cuire ! À la claire fon­taine, ça bouillonne d’impatience en atten­dant la diva. Lorsque sou­dain elle sur­git : Hip Hip Hip Hourra !

« Jamais, jamais, vous ne la rattraperez ! »

À Spa, Manon ? Mais non ! Pas pour les gueuses, l’eau fer­ru­gi­neuse. À la san­té de la Reine ! Marie-Hen­riette au dix-neu­vième et avant elle, Chris­tine de Suède. Ad mini­ma, on tolère les prin­cesses : à Eli­sa­beth de Bohême, déjà, Des­cartes conseillait l’eau de Spa…

« Le dire, c’est bien, mais le faire, c’est mieux ! »

Jumelle de celle d’Ostende, une gale­rie à colon­nades. Pour faire ses pro­me­nades, don­ner ses acco­lades, chan­ter ses séré­nades, cacher ses déban­dades… Tout ce qui compte — c’est le fer de la vie ! — s’amasse à Spa : de Pierre le Grand à Napo­léon III, tsars, empe­reurs, fli­bus­tiers, voleurs, grands-ducs, hus­sards, ban­quiers, flam­beurs… tous devisent au « Café de l’Europe ».

« L’alcool, non ! Mais l’eau fer­ru­gi­neuse, oui ! »

Ça se masse, ça s’entasse, ça s’décrasse, ça s’prélasse… ça bar­bote, ça papote, ça sif­flote, ça gigote… ça bidouille, ça gar­gouille, ça s’papouille… ça se presse, ça s’caresse… ça se plonge, ça s’allonge, ça s’éponge… ça s’prolonge… ça rallonge…

« Le dire, c’est bien, mais le faire c’est mieux ! »

« Vive le ther­ma­lisme pour tous ! ». De 1914 à 1917, Spa se démo­cra­tise : par mil­liers, des sol­dats conva­les­cents sous ses doigts. Mais pas ceux du Roi ! Les pieds nicke­lés, enra­gés : « des Boches dor­lo­tés ! ». Mais le Kai­ser n’en a cure. Avant le car­nage, il faut gaver les oies. Pétrir la chair à canon, lui faire sen­tir bon. Sen­hor Oli­vei­ra de Figuei­ra ! En vrai boni­men­teur, il déballe ses bobards :

« Les crayons, les cartes pos­tales et puis, l’eau minérale ! »


Making of : Guy Béart, L’eau vive (1960); Claude Ber­ry (d’après Pagnol),

Manon des Sources (1986); René Des­cartes, Lettre à Eli­sa­beth de Bohême

de mai ou juin
(1645); Bour­vil, L’eau fer­ru­gi­neuse ou la Cau­se­rie du délégué

de la ligue anti-alcoo­lique
(1959); Her­gé, Les Cigares du Pha­raon (1959).

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Ostende plage

Sur un des­sin de James Ensor

Toile de fond, crayon­née, en sort, faune-flore du bord. Armée de mol­lusques, crabes en maillot de bain. Méduses en molle flot­tai­son — inva­sion d’algues trans­gé­niques ? Bas-fonds remon­tés en surface…

Rayé, rayonne, rou­geoie et crame, le spé­ci­men s’offre au soleil. Mais ce sont de gais lurons, pom­mettes rou­geaudes d’antique géné­ra­tion, Fla­mands far­ceurs sur la plage d’Ostende ! À marée basse, une pêche mira­cu­leuse d’enfants mali­cieux, d’amoureux bleus, de bour­geois san­guins, de com­mères fri­voles et de curés vicieux. Jambes velues, mol­lets dodus — poi­trines ten­dues, sou­rires fen­dus, ça gicle de chair dans tous les coins.

Plouf ! S’éclabousse — esbrouffe, se pousse et glousse ! Et pâle, râle, râtisse bâtisse bêtasse ! Ouille ! Mouille, fri­pouille : pes­touille pis­souille ! Et grogne — mou­tonne le rire innom­brable des vagues !

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James Ensor, Les Bains à Ostende, 1890

« Dire son entour, son pays : dire l’Autre, le monde » (Édouard Glissant)
Par l’intermédiaire de l’asbl Panem et Cir­censes, la phi­lo­sophe Sophie Kli­mis fait paraitre Les Bel­gi­caines, un recueil de poèmes qui des­sinent le por­trait des prin­ci­pales villes de Bel­gique et se veulent une réplique poé­tique et poli­tique aux replis iden­ti­taires sur le « Même », le « Sol », la « Langue ». Une invi­ta­tion au voyage et à l’ouverture des fron­tières entre nos imaginaires.
Le livre est en vente au prix de 15 euros en ver­sion stan­dard et de 45 euros en ver­sion « livre objet » avec des­sins et pliages ori­gi­naux de Guy Bel­homme et d’Elie Klimis.
Vous pou­vez vous le pro­cu­rer de deux manières :
  • À la librai­rie Le Mot Pas­sant à Jette ain­si qu’à la librai­rie Tro­pismes
  • En écri­vant un mail à : panemetcircenses@mac.com
    • Mer­ci d’indi­quer dans votre mes­sage le type de for­mat et le nombre d’exemplaires sou­hai­tés ain­si que l’adresse pos­tale à laquelle vous sou­hai­tez qu’ils vous soient envoyés.
    • Les frais de port (envois non prio­ri­taires, for­mat non nor­ma­li­sé pour l’exemplaire illus­tré + enve­loppe) sont à ajou­ter au prix des livres. Ils sont de 4 euros par exem­plaire stan­dard et de 7 euros par exem­plaire illus­tré (pour un envoi en Belgique).
    • L’envoi sera pro­gram­mé dès récep­tion de votre paie­ment sur le compte de l’asbl Panem et Cir­censes : BE87 0015 1179 3294.
    • Mer­ci d’ajouter en com­mu­ni­ca­tion de votre paie­ment : Les Bel­gi­caines, nombre et type d’exemplaires.

Tous les béné­fices de la vente seront inté­gra­le­ment rever­sés à l’association Convi­vial qui aide à l’accueil et à l’insertion des per­sonnes réfu­giées.
Toutes les per­sonnes qui ont tra­vaillé à la réa­li­sa­tion de ces deux livres l’ont fait à titre bénévole.

Sophie Klimis


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