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Les Belgicaines
Ces poèmes sont nés d’un retour au plat pays, après dix années d’exil volontaire en Helvétie. D’abord comme un jeu, j’ai pris des trains au hasard, débarqué dans des villes d’enfance ou de passage, pris le pouls des artères de la capitale, noté au retour le butin de ces journées désœuvrées. S’arrimer à la terre natale […]
Ces poèmes sont nés d’un retour au plat pays, après dix années d’exil volontaire en Helvétie. D’abord comme un jeu, j’ai pris des trains au hasard, débarqué dans des villes d’enfance ou de passage, pris le pouls des artères de la capitale, noté au retour le butin de ces journées désœuvrées. S’arrimer à la terre natale pour ne plus se sentir étrangère chez soi.
Peu à peu le jeu s’est fait sérieux. Avait fondu sur moi, comme une chape de plomb, l’inquiétante étrangeté du plus familier. Qu’est-ce donc qu’«être belge » ? Car notre pays est une créature totalement artificielle. Un golem mis au monde par un air d’opéra. Un Frankenstein d’abord historiquement métissé d’espagnol, de français, de hollandais et d’allemand. Puis multi-culturellement enrichi, recréé de manière imprévisible au gré des vagues d’immigrations, jusqu’à être désormais « en état de créolisation permanente », pour reprendre la belle expression des poètes-penseurs Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau.
Pour moi, dont les grands-parents ont émigré pour fuir la misère d’une ile grecque aride, les coups de tonnerre de la révolution bolchévique en Ukraine et l’annexion de la Géorgie à l’URSS, « être belge » c’est revendiquer la créolité zinneke comme identité.
Ritournelles, petites chansons, ces Belgicaines se veulent une réplique poétique et politique aux replis identitaires sur le « Même », le « Sol », la « Langue ». Une tentative citoyenne d’ausculter le pays. De prendre la température de ses imaginaires communautaires et régionaux. De tenter entre eux d’improbables jumelages, ancrés dans les blessures de guerres, les catastrophes « naturelles » (toujours provoquées par l’humaine passion du lucre), mais aussi la puissance de l’âme-Brel, la truculence et la mélancolie bruegheliennes, l’hospitalité gourmande, le goût de l’absurde et du jeu de mots décalé, les folklores tenaces…
Splendeurs et misères de nos communs !
Comme j’écris à l’oreille, j’ai donné à lire ces poèmes à mon ami le comédien et pédagogue Luc De Smet, car j’ai confiance en son sens du rythme. Flamand de Louvain, Luc s’est pris au jeu et, en me lançant des bribes de sa langue maternelle que je ne parle pas, il m’a permis de remettre l’ouvrage sur le métier.
À l’heure où certains de nos politiques veulent cadenasser nos frontières et semblent avoir oublié combien elles étaient chez nous doublement artificielles, nous le redisons avec fermeté :
De tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus créolisés !
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Spa Spitante
Spa ! « Touché ! » des jeux d’enfants — ça gicle de surprise, pas vue venir, la main dans le dos ! « Spartacus ! Géronimo ! » hurlait-on en se ruant dans les vagues et en buvant la tasse ! Sparsa ! Mais qu’elle est douce, la jaillissante, Manon-des-Sources, foi de Bobelins buveurs d’eau !
« Courez, courez, vite si vous le pouvez ! »
Spittante, la petite a le sens de la répartie : pétillante comme une bulle de champagne ! « De l’eau qui pique, de l’eau qui pique ! » réclament les pieds nickelés en jouant les durs à cuire ! À la claire fontaine, ça bouillonne d’impatience en attendant la diva. Lorsque soudain elle surgit : Hip Hip Hip Hourra !
« Jamais, jamais, vous ne la rattraperez ! »
À Spa, Manon ? Mais non ! Pas pour les gueuses, l’eau ferrugineuse. À la santé de la Reine ! Marie-Henriette au dix-neuvième et avant elle, Christine de Suède. Ad minima, on tolère les princesses : à Elisabeth de Bohême, déjà, Descartes conseillait l’eau de Spa…
« Le dire, c’est bien, mais le faire, c’est mieux ! »
Jumelle de celle d’Ostende, une galerie à colonnades. Pour faire ses promenades, donner ses accolades, chanter ses sérénades, cacher ses débandades… Tout ce qui compte — c’est le fer de la vie ! — s’amasse à Spa : de Pierre le Grand à Napoléon III, tsars, empereurs, flibustiers, voleurs, grands-ducs, hussards, banquiers, flambeurs… tous devisent au « Café de l’Europe ».
« L’alcool, non ! Mais l’eau ferrugineuse, oui ! »
Ça se masse, ça s’entasse, ça s’décrasse, ça s’prélasse… ça barbote, ça papote, ça sifflote, ça gigote… ça bidouille, ça gargouille, ça s’papouille… ça se presse, ça s’caresse… ça se plonge, ça s’allonge, ça s’éponge… ça s’prolonge… ça rallonge…
« Le dire, c’est bien, mais le faire c’est mieux ! »
« Vive le thermalisme pour tous ! ». De 1914 à 1917, Spa se démocratise : par milliers, des soldats convalescents sous ses doigts. Mais pas ceux du Roi ! Les pieds nickelés, enragés : « des Boches dorlotés ! ». Mais le Kaiser n’en a cure. Avant le carnage, il faut gaver les oies. Pétrir la chair à canon, lui faire sentir bon. Senhor Oliveira de Figueira ! En vrai bonimenteur, il déballe ses bobards :
« Les crayons, les cartes postales et puis, l’eau minérale ! »
Making of : Guy Béart, L’eau vive (1960); Claude Berry (d’après Pagnol),
Manon des Sources (1986); René Descartes, Lettre à Elisabeth de Bohême
de mai ou juin (1645); Bourvil, L’eau ferrugineuse ou la Causerie du délégué
de la ligue anti-alcoolique (1959); Hergé, Les Cigares du Pharaon (1959).
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Ostende plage
Sur un dessin de James Ensor
Toile de fond, crayonnée, en sort, faune-flore du bord. Armée de mollusques, crabes en maillot de bain. Méduses en molle flottaison — invasion d’algues transgéniques ? Bas-fonds remontés en surface…
Rayé, rayonne, rougeoie et crame, le spécimen s’offre au soleil. Mais ce sont de gais lurons, pommettes rougeaudes d’antique génération, Flamands farceurs sur la plage d’Ostende ! À marée basse, une pêche miraculeuse d’enfants malicieux, d’amoureux bleus, de bourgeois sanguins, de commères frivoles et de curés vicieux. Jambes velues, mollets dodus — poitrines tendues, sourires fendus, ça gicle de chair dans tous les coins.
Plouf ! S’éclabousse — esbrouffe, se pousse et glousse ! Et pâle, râle, râtisse bâtisse bêtasse ! Ouille ! Mouille, fripouille : pestouille pissouille ! Et grogne — moutonne le rire innombrable des vagues !
James Ensor, Les Bains à Ostende, 1890
« Dire son entour, son pays : dire l’Autre, le monde » (Édouard Glissant) Par l’intermédiaire de l’asbl Panem et Circenses, la philosophe Sophie Klimis fait paraitre Les Belgicaines, un recueil de poèmes qui dessinent le portrait des principales villes de Belgique et se veulent une réplique poétique et politique aux replis identitaires sur le « Même », le « Sol », la « Langue ». Une invitation au voyage et à l’ouverture des frontières entre nos imaginaires. Le livre est en vente au prix de 15 euros en version standard et de 45 euros en version « livre objet » avec dessins et pliages originaux de Guy Belhomme et d’Elie Klimis. Vous pouvez vous le procurer de deux manières :
Tous les bénéfices de la vente seront intégralement reversés à l’association Convivial qui aide à l’accueil et à l’insertion des personnes réfugiées. |