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Les baptêmes… (ça faisait longtemps)

Numéro 10 Octobre 2013 par

octobre 2013

Quand je suis entré à l’université, en 1990, les bap­têmes estu­dian­tins étaient un mar­ron­nier. Un de ces sujets bateau pour jour­na­listes cher­chant à rem­plir les pages de leur organe de presse. Vers la fin sep­tembre, appa­rais­saient les révé­la­tions fra­cas­santes sur le ter­rible uni­vers de la guin­daille, sur les abus, les dan­gers, les affres des vic­times, les pratiques […]

Quand je suis entré à l’université, en 1990, les bap­têmes estu­dian­tins étaient un mar­ron­nier. Un de ces sujets bateau pour jour­na­listes cher­chant à rem­plir les pages de leur organe de presse. Vers la fin sep­tembre, appa­rais­saient les révé­la­tions fra­cas­santes sur le ter­rible uni­vers de la guin­daille, sur les abus, les dan­gers, les affres des vic­times, les pra­tiques hor­ribles… C’était géné­ra­le­ment une col­lecte de on-dit, col­por­tés par des non-bap­ti­sés (des fos­siles) s’étant entre­te­nus avec l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours.

Je me sou­viens de la sen­sa­tion étrange de voir s’étaler les tur­pi­tudes d’un monde que je fré­quen­tais à l’époque et dans lequel, mal­gré de nom­breuses obser­va­tions par­ti­ci­pantes, je n’avais pu assis­ter au quart de la moi­tié du cin­quième de ce qui était dénoncé.

Et puis, ça s’est cal­mé. Voi­là qu’à l’occasion d’un inci­dent, le sujet res­sur­git. N’était la dis­tance tem­po­relle, je jure­rais un copier-col­ler des articles de 1992… soit.

Je n’épiloguerai bien enten­du pas sur ce qui s’est pas­sé à Liège, chez les « vétés ». Je n’y étais pas, je ne sais pas ce qui s’est pas­sé, une ins­truc­tion est en cours, res­tons-en là. Je ne ferai pas non plus part de mes concep­tions sur le bap­tême estu­dian­tin, sur ceux qui jugent ce qu’ils ne connaissent pas, sur le dan­ger d’apparaitre indé­fen­dable, sur la dif­fi­cul­té qu’a notre socié­té si tolé­rante à admettre cer­tains débor­de­ments lorsqu’ils ne sont pas suf­fi­sam­ment pho­to­gé­niques (et si c’était là une par­tie du plai­sir ?), sur l’utilité de ces fes­ti­vi­tés soi­gneu­se­ment enca­drées (mal­gré les appa­rences, ce milieu est très contrô­lé) à l’heure du binge drin­king, sur le carac­tère mino­ri­taire de ces pra­tiques pré­ten­du­ment obli­ga­toires, etc. D’autres viennent de le faire bien mieux que je ne pour­rais le faire1. Et c’est jus­te­ment leur inter­ven­tion dans le dis­cours public sur la ques­tion qui me paraît frappante.

La com­pa­rai­son entre le mar­ron­nier d’autrefois et celui d’aujourd’hui frappe par le bou­le­ver­se­ment de l’univers média­tique. Il n’est pas ques­tion ici de la presse, qui semble conti­nuer de souf­frir (plus gra­ve­ment sans doute) des défauts qu’elle avait déjà dans les années 1990. Elle conti­nue d’osciller entre rumeurs, amal­games et cartes blanches. Le degré maxi­mal d’analyse semble être la publi­ca­tion d’un avis « pour » et d’un avis « contre ». Le tour de la ques­tion est fait et Dieu recon­nai­tra les siens. Certes, les « rédac­tions web », mues par la néces­si­té de « faire le buzz » et de « sus­ci­ter des clics » (syno­nymes de recettes publi­ci­taires) ont aggra­vé la situa­tion2, mais le ver n’était-il pas dans le fruit il y a vingt ans ?

Les ana­lyses sont à cher­cher ailleurs, notam­ment dans les blogs évo­qués ci-des­sus. Car en 1992, les acteurs, les anciens bap­ti­sés, les per­sonnes qui vivaient ou avaient vécu les bap­têmes de l’intérieur devaient se conten­ter de se voir confron­ter une vision biai­sée de ce qu’ils connais­saient. Tout au plus pou­vaient-ils espé­rer pas­ser le filtre du cour­rier des lec­teurs pour obte­nir quelques mal­heu­reuses lignes en fin de paru­tion… Si le filtre média­tique ne conser­vait que les témoi­gnages apo­ca­lyp­tiques et les rumeurs tra­giques, tant pis pour eux3.

Voi­là donc que le débat se répand sur inter­net, sou­te­nu, bien enten­du, par les articles en ques­tion, mais éga­le­ment par des échanges infor­mels sur les réseaux sociaux, où cha­cun peut faire part de son expé­rience per­son­nelle (ou pas). Le dis­cours public sur la ques­tion se teinte dès lors de nom­breuses nuances, bien au-delà de ce qui cor­res­pond aux impé­ra­tifs des rédac­tions. Glo­ba­le­ment, au tra­vers de prises de posi­tion qui s’assument en tant que telles, peut se déve­lop­per une réflexion plus géné­rale, qui per­met au débat de pro­gres­ser. La presse, à elle seule, le per­met­trait-elle ? Il est per­mis d’en douter.

Il est bien enten­du mal­ai­sé de mesu­rer le nombre de per­sonnes tou­chées par ces consi­dé­ra­tions, mais il est per­mis de pen­ser que nous ne sommes qu’au début des modi­fi­ca­tions et que la situa­tion évo­lue chaque jour. Il n’est pas inter­dit d’être opti­miste et de conve­nir que l’information n’est plus exclu­si­ve­ment, voire, plus prin­ci­pa­le­ment, à trou­ver dans la presse. Ou, plu­tôt, que si la rela­tion des faits par la presse reste impor­tante, le recul, les ana­lyses, les décryp­tages ont de plus en plus sou­vent lieu loin d’elle. Fort loin. Qui a dit, en fin de compte, que le déclin de la presse était un coup ter­rible pour la démo­cra­tie ? Et si ce n’était qu’une des nom­breuses étapes dans l’histoire de l’information ? L’ouverture d’une ère nou­velle où nous serons peut-être mieux abreu­vés qu’autrefois ?

Et La Revue nou­velle ? Elle se porte bien, mer­ci pour elle. L’artisanat est un mode de pro­duc­tion qui s’accommode fort bien des décen­tra­li­sa­tions et de la polyphonie.

  1. Vous trou­ve­rez ici quelques billets de blogs qui tentent de remettre les pen­dules à l’heure à pro­pos du bap­tême estu­dian­tin : http://delicious.com/xtophemincke/baptême
  2. Par­ti­cu­liè­re­ment emblé­ma­tique est la rela­tion par la DH — sur inter­net — d’un sui­cide à l’École royale mili­taire, qui se ter­mine par : « Le sui­cide est rete­nu, et pas dans l’hypothèse d’un bap­tême d’étudiants qui aurait mal tour­né par exemple. » On ne pour­rait rêver plus opportuniste…
    www.dhnet.be/actu/faits/l‑etudiant-de-l-ecole-royale-militaire-s-est-suicide-52429ecf3570bed7db9dd223
  3. On note­ra que, à l’inverse, la ques­tion étant sor­tie de l’écran des radars de la presse pen­dant quelques années, les innom­brables vic­times de ces pra­tiques d’un autre âge auraient pu trou­ver par ce biais un autre accès au dis­cours public.