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Les attentats et le discours de la guerre
« La plupart des disputes humaines viennent de ce qu’il existe à la fois des savants et des ignorants, constitués de manière à ne jamais voir qu’un seul côté des faits ou des idées ; et chacun de prétendre que la face qu’il a vue est la seule vraie, la seule bonne. Aussi le Livre Saint a‑t‑il jeté cette prophétique […]
« La plupart des disputes humaines viennent de ce qu’il existe à la fois des savants et des ignorants, constitués de manière à ne jamais voir qu’un seul côté des faits ou des idées ; et chacun de prétendre que la face qu’il a vue est la seule vraie, la seule bonne. Aussi le Livre Saint a‑t-il jeté cette prophétique parole Dieu livra le monde aux discussions. J’avoue que ce seul passage de l’Écriture devrait engager le Saint Siège à vous donner le gouvernement des deux Chambres pour obéir à cette sentence. » Lorsqu’en 1846 Balzac conclut sa dédicace de La cousine Bette à Don Michele Angelo Cajetani, prince de Téano, il se place sur le terrain politique, alors qu’il avait annoncé s’adresser, non au prince romain, mais au commentateur de Dante grâce auquel il avait compris l’« immense énigme » de La Divine comédie.
Nous voilà aujourd’hui aux prises avec une tragédie, figure apparente d’un enfer insensé qui, au-delà des drames individuels des victimes et de leurs proches, mine notre confiance nécessaire et fragile dans le monde. L’objectif de ce dossier de La Revue nouvelle est pourtant d’en trouver le sens, de voir le plus de faces possibles de ces évènements. Mais ce sens est comme une pelote inextricablement nouée : le monde occidental, d’une part, le monde arabo-musulman, d’autre part, sans oublier le reste du « Sud » ; les dimensions politiques, géopolitiques, culturelles et symboliques ; l’irruption d’un radicalement neuf qui intervient sur fond de processus long ; la prise de conscience de l’existence d’une autre scène mettant en œuvre une autre logique qui s’est avec violence confrontée à la scène démocratique, celle des discussions.
Le tableau d’ensemble des contributions ici rassemblées ne montre pas de belle unanimité parce que, sous peine de se condamner au mutisme, l’interprétation ne saurait être univoque. Ces articles ont cependant en commun à la fois un refus et une affirmation. Le refus est celui d’une analyse manichéenne qui voudrait qu’il y ait de bons morts innocents et de mauvais morts coupables. Accepter de voir les relations internationales piégées par la lutte mythique du Bien et du Mal aboutirait justement à se placer sur le terrain que l’on refuse, celui de l’adversaire. L’affirmation répond, elle, à ce refus : penser un monde mondialisé, globalisé, revient à penser toutes les interdépendances qui lient désormais les peuples et leurs États.
Le droit fil qui conduit nos réflexions est celui de la démocratie : celle de la grande démocratie que se veut l’Amérique et celle de l’indispensable démocratisation des pays arabo-musulmans. Plus que les conditions économiques, l’absence de démocratie est responsable de la radicalisation de terroristes à la marge de l’islam. Si, comme le disait Tocqueville, la démocratie présente l’« image de la vie », notre conception de la démocratie doit être suffisamment ouverte pour la reconnaitre dans des modèles institutionnels qui diffèrent des nôtres et qui s’appuieraient sur des cultures et des organisations différentes.
Nous n’épuiserons pas en un seul dossier ni même en plusieurs le sens de ces attentats. Même en essayant de mettre au jour la trame sans rompre la chaine, de tenir rassemblés tous les brins, nous en perdrons, et peut-être même que la pelote reconstituée laissera voir un noyau dur, inépuisable, qui nous renverra à une question existentielle, celle que posent tous les crimes contre l’humanité, tous les génocides, alors même que nous aurions lu tous les livres : « Comment cela a‑t-il pu être possible ? »