Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

Les attentats et le discours de la guerre

Numéro 10 Octobre 2001 par Joëlle Kwaschin

février 2009

« La plu­part des dis­putes humaines viennent de ce qu’il existe à la fois des savants et des igno­rants, consti­tués de manière à ne jamais voir qu’un seul côté des faits ou des idées ; et cha­cun de pré­tendre que la face qu’il a vue est la seule vraie, la seule bonne. Aus­si le Livre Saint a‑t‑il jeté cette prophétique […]

« La plu­part des dis­putes humaines viennent de ce qu’il existe à la fois des savants et des igno­rants, consti­tués de manière à ne jamais voir qu’un seul côté des faits ou des idées ; et cha­cun de pré­tendre que la face qu’il a vue est la seule vraie, la seule bonne. Aus­si le Livre Saint a‑t-il jeté cette pro­phé­tique parole Dieu livra le monde aux dis­cus­sions. J’avoue que ce seul pas­sage de l’Écriture devrait enga­ger le Saint Siège à vous don­ner le gou­ver­ne­ment des deux Chambres pour obéir à cette sen­tence. » Lorsqu’en 1846 Bal­zac conclut sa dédi­cace de La cou­sine Bette à Don Michele Ange­lo Caje­ta­ni, prince de Téa­no, il se place sur le ter­rain poli­tique, alors qu’il avait annon­cé s’adresser, non au prince romain, mais au com­men­ta­teur de Dante grâce auquel il avait com­pris l’« immense énigme » de La Divine comé­die.

Nous voi­là aujourd’hui aux prises avec une tra­gé­die, figure appa­rente d’un enfer insen­sé qui, au-delà des drames indi­vi­duels des vic­times et de leurs proches, mine notre confiance néces­saire et fra­gile dans le monde. L’objectif de ce dos­sier de La Revue nou­velle est pour­tant d’en trou­ver le sens, de voir le plus de faces pos­sibles de ces évè­ne­ments. Mais ce sens est comme une pelote inex­tri­ca­ble­ment nouée : le monde occi­den­tal, d’une part, le monde ara­bo-musul­man, d’autre part, sans oublier le reste du « Sud » ; les dimen­sions poli­tiques, géo­po­li­tiques, cultu­relles et sym­bo­liques ; l’irruption d’un radi­ca­le­ment neuf qui inter­vient sur fond de pro­ces­sus long ; la prise de conscience de l’existence d’une autre scène met­tant en œuvre une autre logique qui s’est avec vio­lence confron­tée à la scène démo­cra­tique, celle des discussions. 

Le tableau d’ensemble des contri­bu­tions ici ras­sem­blées ne montre pas de belle una­ni­mi­té parce que, sous peine de se condam­ner au mutisme, l’interprétation ne sau­rait être uni­voque. Ces articles ont cepen­dant en com­mun à la fois un refus et une affir­ma­tion. Le refus est celui d’une ana­lyse mani­chéenne qui vou­drait qu’il y ait de bons morts inno­cents et de mau­vais morts cou­pables. Accep­ter de voir les rela­tions inter­na­tio­nales pié­gées par la lutte mythique du Bien et du Mal abou­ti­rait jus­te­ment à se pla­cer sur le ter­rain que l’on refuse, celui de l’adversaire. L’affirmation répond, elle, à ce refus : pen­ser un monde mon­dia­li­sé, glo­ba­li­sé, revient à pen­ser toutes les inter­dé­pen­dances qui lient désor­mais les peuples et leurs États. 

Le droit fil qui conduit nos réflexions est celui de la démo­cra­tie : celle de la grande démo­cra­tie que se veut l’Amérique et celle de l’indispensable démo­cra­ti­sa­tion des pays ara­bo-musul­mans. Plus que les condi­tions éco­no­miques, l’absence de démo­cra­tie est res­pon­sable de la radi­ca­li­sa­tion de ter­ro­ristes à la marge de l’islam. Si, comme le disait Toc­que­ville, la démo­cra­tie pré­sente l’« image de la vie », notre concep­tion de la démo­cra­tie doit être suf­fi­sam­ment ouverte pour la recon­naitre dans des modèles ins­ti­tu­tion­nels qui dif­fèrent des nôtres et qui s’appuieraient sur des cultures et des orga­ni­sa­tions différentes. 

Nous n’épuiserons pas en un seul dos­sier ni même en plu­sieurs le sens de ces atten­tats. Même en essayant de mettre au jour la trame sans rompre la chaine, de tenir ras­sem­blés tous les brins, nous en per­drons, et peut-être même que la pelote recons­ti­tuée lais­se­ra voir un noyau dur, inépui­sable, qui nous ren­ver­ra à une ques­tion exis­ten­tielle, celle que posent tous les crimes contre l’humanité, tous les géno­cides, alors même que nous aurions lu tous les livres : « Com­ment cela a‑t-il pu être possible ? »

Joëlle Kwaschin


Auteur

Licenciée en philosophie