Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

Le service citoyen : un projet bientôt concrétisé ?

Numéro 4 Avril 2011 par Alexis Van Doosselaere

avril 2011

« Les hommes ne naissent pas citoyens, mais le deviennent », a écrit Spi­no­za. Cette idée est au cœur du pro­jet de la Pla­te­forme pour le ser­vice citoyen, qui fédère de nom­breux orga­nismes autour de la créa­tion d’une loi per­met­tant à chaque jeune de s’engager, six mois durant, dans des pro­jets utiles à la socié­té. Les jeunes le réclament, par […]

« Les hommes ne naissent pas citoyens, mais le deviennent », a écrit Spi­no­za. Cette idée est au cœur du pro­jet de la Pla­te­forme pour le ser­vice citoyen, qui fédère de nom­breux orga­nismes autour de la créa­tion d’une loi per­met­tant à chaque jeune de s’engager, six mois durant, dans des pro­jets utiles à la socié­té. Les jeunes le réclament, par ailleurs ! Qui sait que sept jeunes sur dix sou­haitent par­ti­ci­per à un pro­jet citoyen1 ? Sou­vent, l’image des jeunes ne cor­res­pond pas à celle que l’on s’en fait ou que l’on nous communique.

D’un point de vue plus socio­lo­gique, le rap­port du jeune à la socié­té a chan­gé. Les ins­ti­tu­tions se voient de plus en plus remises en ques­tion par la jeu­nesse. « La perte de repères dont souffrent beau­coup de jeunes actuel­le­ment se res­sent dans la défiance et le déca­lage qui existent entre eux et les ins­ti­tu­tions, qu’elles soient fami­liales, poli­tiques, spi­ri­tuelles, etc. », explique Fran­çois Ron­veaux, le direc­teur de la Pla­te­forme pour le ser­vice citoyen. Le temps de la jeu­nesse s’allonge et laisse la place à un espace de flot­te­ment entre la sco­la­ri­té et l’entrée dans le monde du tra­vail. Pour éclai­rer les pas des jeunes dans ce pas­sage d’un monde à l’autre, celui qui mène vers l’autonomie et la vie active, cette pla­te­forme pro­pose l’organisation d’une nou­velle étape de vie au cœur de laquelle les jeunes se mettent au ser­vice de la col­lec­ti­vi­té et prennent le temps de réflé­chir à leur avenir.

Le ser­vice civil en tant qu’objection de conscience a dis­pa­ru avec le ser­vice mili­taire en 1993. « À la dif­fé­rence de la France, il n’a pas été rem­pla­cé, ni trans­mu­té dans des pro­grammes qui auraient été inté­res­sants pour les jeunes, conti­nue Fran­çois Ron­veaux. La fina­li­té de notre pla­te­forme est la créa­tion d’une loi qui ins­taure un ser­vice citoyen pour les jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans, comme il en existe dans six autres pays européens. »

Il y a trois ans et demi, sen­si­bi­li­sées par une cer­taine actua­li­té dif­fi­cile, trois asso­cia­tions — Asmae, Trans-Mis­sion et Soli­dar­ci­té — se regroupent et obtiennent le sou­tien finan­cier de la fon­da­tion Benoît. Celle-ci apporte un appui aux asso­cia­tions qui œuvrent pour l’émancipation des jeunes adultes. C’est notam­ment après l’assassinat de Joe Van Hols­beeck, alors que les médias et les poli­tiques prennent posi­tion par rap­port au ser­vice citoyen, que la pla­te­forme est fon­dée. Celle-ci com­mence d’abord par faire du lob­bying auprès de la socié­té civile et des pou­voirs poli­tiques. En Bel­gique, les jeunes ne connaissent plus le concept de ser­vice civil et beau­coup d’adultes l’ont presque oublié. « Mais lorsqu’on l’explique, les gens voient vite l’intérêt d’un tel enga­ge­ment. » Il est vrai que beau­coup de jeunes se perdent dans le choix d’une orien­ta­tion pro­fes­sion­nelle. Sur la base de ce constat, la Pla­te­forme pour le ser­vice citoyen pense qu’il serait utile d’instaurer un temps inter­mé­diaire entre l’école et la vie professionnelle.

Une nouvelle loi ?

Les poli­tiques aus­si sont sen­sibles à un tel pro­jet, qui aurait pu abou­tir si le gou­ver­ne­ment n’était pas tom­bé en avril der­nier. En effet, un séna­teur CDH, André du Bus, avait dépo­sé une pro­po­si­tion de loi en ce sens, en mars 2010, et l’association avait été audi­tion­née au Sénat. La com­mis­sion de l’Intérieur, pré­si­dée par Phi­lippe Mou­reaux, sem­blait plu­tôt convain­cue. L’absence de gou­ver­ne­ment a cepen­dant tout blo­qué. Mais les pro­mo­teurs n’ont pas capi­tu­lé. La pro­po­si­tion de loi a été redé­po­sée le 22 mars 2011, tou­jours par le séna­teur du Bus, devant la com­mis­sion des Affaires sociales cette fois. « La pro­po­si­tion de loi a été bien accueillie par les membres de la com­mis­sion autant fran­co­phone que néer­lan­do­phone », se féli­cite Fran­çois Ron­veaux. Plus sur­pre­nant, la N‑VA et l’Open VLD vou­draient même voir la loi abou­tir cette année.

Une nou­velle tranche de vie

Qu’est-ce qu’un ser­vice citoyen et com­ment serait-il mis en place ? La pla­te­forme le conçoit comme un pro­jet des­ti­né prin­ci­pa­le­ment aux jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans. D’une durée assez longue, entre six et neuf mois, cette expé­rience intense per­met­trait au jeune qui l’a choi­sie (il s’agirait, en tout cas pour les pre­mières années, d’une par­ti­ci­pa­tion volon­taire) de s’engager dans dif­fé­rents domaines tels que l’aide aux per­sonnes, la soli­da­ri­té ou l’environnement. Cet enga­ge­ment à temps plein pren­drait une place impor­tante dans la vie d’un indi­vi­du. Un des buts majeurs est de favo­ri­ser à la fois l’émancipation et la par­ti­ci­pa­tion du jeune au « vivre ensemble ». Celui-ci gar­de­rait cette expé­rience en tête toute sa vie. La durée est effec­ti­ve­ment impor­tante si l’on veut que le ser­vice citoyen devienne une tranche de vie for­ma­trice et décisive.

Fédérer les jeunes

Cepen­dant, si le par­ti­ci­pant y gagne en expé­rience et en for­ma­tion, il s’agit d’une opé­ra­tion tout aus­si béné­fique pour l’État. Le jeune serait sou­te­nu par le pou­voir fédé­ral, qui en retour ver­rait sa jeu­nesse œuvrer pour les besoins sociaux du pays. Le ser­vice citoyen doit donc s’adresser et être acces­sible à tous. Quelles que soient l’origine, la com­mu­nau­té ou les com­pé­tences. Ce serait d’ailleurs un ferment solide pour rap­pro­cher le nord et le sud de la Bel­gique, car le ser­vice citoyen est un pro­gramme fédé­ral qui per­met­trait aux jeunes des trois Com­mu­nau­tés de tra­vailler ensemble, tout en appre­nant une langue et en s’immergeant un temps de l’autre côté d’une fron­tière lin­guis­tique ; ce qui contri­bue­rait à enrayer le pro­ces­sus de dis­tan­cia­tion communautaire.

« Idéa­le­ment, nous dit Fran­çois Ron­veaux, le pro­gramme s’étendrait sur neuf mois voire une année, le tout répar­ti en trois périodes égales qui se dérou­le­raient dans des endroits dif­fé­rents. » La pre­mière par­tie aurait lieu dans la Com­mu­nau­té d’origine du jeune, la deuxième dans une autre Com­mu­nau­té et la der­nière dans un autre pays d’Europe. Plu­sieurs variantes sont évi­dem­ment pos­sibles, et le départ à l’étranger n’est pas une néces­si­té — en tout cas dans les pre­miers temps. Pour la pla­te­forme, il s’agit d’avancer pro­gres­si­ve­ment, mais elle n’a pas pour autant atten­du de déci­sion poli­tique pour mettre en pra­tique ses propositions.

Un projet pilote

Grâce à des fonds de la Région wal­lonne, une pre­mière expé­rience de ser­vice citoyen est actuel­le­ment vécue par une qua­ran­taine de jeunes en cette année euro­péenne du volon­ta­riat. Ce « test », d’une durée de cinq mois, pro­pose diverses mis­sions, telles que l’animation d’enfants dans des centres pour deman­deurs d’asile, l’accompagnement de familles dans l’adoption d’éco-gestes ou encore l’organisation d’évènements durables et équi­tables. 80% du temps est consa­cré à ces acti­vi­tés au ser­vice de la com­mu­nau­té. Une mis­sion prin­ci­pale occupe 70% du temps et une autre mis­sion com­plé­men­taire se déroule ailleurs pen­dant les 10% res­tant. De cette manière, les par­ti­ci­pants peuvent décou­vrir dif­fé­rents sec­teurs et les comparer.

Le reste du temps (20%) est des­ti­né à la for­ma­tion des volon­taires qui reçoivent des for­ma­tions géné­rales (citoyen­ne­té, dyna­mique de groupe, ges­tion des conflits…) et par­ti­cipent à des temps d’échange et de matu­ra­tion d’un pro­jet d’avenir. Il s’agit, à tra­vers ces dis­cus­sions entre les jeunes, de sus­ci­ter la réflexi­vi­té et per­mettre une prise de dis­tance. Écou­ter le vécu des autres et mettre des mots sur ses impres­sions favo­risent la com­pré­hen­sion et l’assimilation des acquis expérientiels.

La Pla­te­forme pour le ser­vice citoyen fédère une tren­taine d’associations qui sup­portent le pro­jet et accueillent les pre­miers volon­taires en leur sein. Mais com­ment insé­rer ce ser­vice citoyen dans un véri­table par­cours de for­ma­tion à la citoyen­ne­té ? Quel sta­tut et quelle recon­nais­sance pour le jeune en ser­vice citoyen ? De quel minis­tère le ser­vice citoyen devrait-il être la com­pé­tence ? Autant de ques­tions qui per­sistent et aux­quelles une étude pros­pec­tive, finan­cée par la Com­mu­nau­té fran­çaise, devra répondre.

Il fau­dra ensuite éva­luer les pro­jets pilotes suc­ces­sifs, obser­ver l’engouement des jeunes, leur moti­va­tion et leur enga­ge­ment dans une nou­velle forme d’institutionnalisation de leur par­cours de vie. Ne sen­ti­ront-ils pas ce pro­jet de citoyen­ne­té comme une nou­velle contrainte, un autre moyen de cadrer et de contrô­ler leur ave­nir ? Per­mettre un temps sup­plé­men­taire de réflexion avant de s’engouffrer dans la réa­li­té du monde pro­fes­sion­nel est une excel­lente idée si elle n’est pas consi­dé­rée comme une obli­ga­tion sup­plé­men­taire, mais bien comme une nou­velle oppor­tu­ni­té d’émancipation et d’apprentissage.

  1. Son­dage Ipsos de 2007.

Alexis Van Doosselaere


Auteur