Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

Le PS, le Zwarte Piet et Robin des Bois

Numéro 5 - 2017 - crise Gauche partis politiques par Thomas Lemaigre

juillet 2017

Les démis­sions du bourg­mestre de la Ville de Bruxelles, Yvan Mayeur, et de la pré­si­dente de son CPAS, Pas­cale Per­aï­ta, ont été annon­cées ce début juin. C’était un pre­mier élé­ment de dénoue­ment de la crise autour de la ges­tion de l’asbl Samu social de Bruxelles. La ten­sion était mon­tée depuis cinq semaines à la suite d’une […]

Éditorial

Les démis­sions du bourg­mestre de la Ville de Bruxelles, Yvan Mayeur, et de la pré­si­dente de son CPAS, Pas­cale Per­aï­ta, ont été annon­cées ce début juin. C’était un pre­mier élé­ment de dénoue­ment de la crise autour de la ges­tion de l’asbl Samu social de Bruxelles. La ten­sion était mon­tée depuis cinq semaines à la suite d’une ques­tion par­le­men­taire de rou­tine d’Écolo, qui était dans un pre­mier temps pas­sée com­plè­te­ment sous les radars.

En lâchant le duo, la tête du PS bruxel­lois se démar­quait des ater­moie­ments des états-majors du par­ti et de sa sec­tion lié­geoise pour prendre atti­tude sur les cas de Moreau, Gilles et consorts dans le cadre de l’affaire Publi­fin, qui n’en finit pas de ne pas atter­rir. Lau­rette Onke­linx impose sa marque, comme elle l’avait d’ailleurs déjà fait pour pro­pul­ser Mayeur sur le siège maïo­ral à la place de Phi­lippe Close, le dau­phin du pré­dé­ces­seur, Fred­dy Thie­le­mans. Mais ce n’est plus à du cal­cul que se réduit en l’occurrence son intel­li­gence poli­tique : c’est sous l’emprise de la panique que la déci­sion a été prise.

La com­pa­rai­son avec la ges­tion par le par­ti de l’affaire Publi­fin montre plus lar­ge­ment un PS à plu­sieurs vitesses. Le PS bruxel­lois appa­rait moins anky­lo­sé par son appa­reil. Les patrons sont un peu plus direc­te­ment connec­tés à leur base, les ins­tances semblent un tan­ti­net plus démo­cra­tiques. Mais sur­tout, son poids est moins abso­lu dans les struc­tures de ges­tion du pou­voir régio­nal et com­mu­nal. À Bruxelles, dans les conseils com­mu­naux, les asbl para­pu­bliques, etc., il faut comp­ter avec le MR, et avec les pro­tec­tions consti­tu­tion­nelles offertes à la mino­ri­té fla­mande. Le jeu est plus com­pli­qué, les rap­ports plus enche­vê­trés et le pou­voir, de fait, plus par­ta­gé. Mais pas partout.

Ce n’est pas un hasard si c’est au Samu social que les édiles socia­listes ont déra­pé. Cette asbl est en effet le pro­duit d’un accord entre libé­raux et socia­listes for­gé dans la seconde moi­tié des années 1990. L’idée était de résoudre un double pro­blème : celui de l’engorgement des urgences de Saint-Pierre, l’hôpital du CPAS alors nou­vel­le­ment régio­na­li­sé au sein d’Iris, et les écla­bous­sures média­tiques, qua­si tous les hivers, à la suite du décès d’habitants de la rue. On est dans la fou­lée de la croi­sade des sans-abris et de leur année d’occupation du châ­teau de la Soli­tude à Auder­ghem, l’opinion et les élus sont échau­dés. Le PS obtient du PRL d’alors de lui lais­ser les mains libres pour mon­ter une struc­ture ins­pi­rée de l’expérience pari­sienne lan­cée en 1993 sous la hou­lette du média­tique Dr Xavier Emmanuelli.

L’affaire s’installe et béné­fi­cie de moyens très sub­stan­tiels de la dis­crète Cocom, la Com­mis­sion com­mu­nau­taire com­mune, qui porte les matières per­son­na­li­sables bilingues de la Région bruxel­loise. Puis elle monte en puis­sance avec les plans hiver, lour­de­ment finan­cés par le fédé­ral alors que Mayeur ceint l’écharpe maïo­rale. Hor­mis quelques élus de l’opposition et de rares mili­tants du sec­teur de l’aide aux sans-abris, per­sonne ne demande de comptes. Ceux qui le font sont rabroués.

En réa­li­té, aucun acteur poli­tique ni de la socié­té civile n’a plus depuis long­temps de moyen de pres­sion sur l’asbl et ses alliés. Cer­tains s’en inquiètent de longue date même au sein du PS. À la longue, la concen­tra­tion de moyens et de pou­voir à l’abri du regard public donne ce qu’elle doit don­ner : des abus et des dérives de la part de gens capables, loyaux et conformes aux attentes de l’appareil et du pilier. On est ten­té d’écrire « à for­tio­ri » de leur part.

Si d’autres scan­dales du même type doivent encore explo­ser en Région bruxel­loise, ce sera plus que pro­ba­ble­ment dans cette sorte de cita­delles baron­ni­sées, où un par­ti mai­trise tous les leviers depuis des décen­nies, sans par­tage ni contrôle externe com­pé­tent. Une ins­ti­tu­tion éloi­gnée des feux de la rampe ? Un éche­vi­nat ? Une galaxie associative ?

La réac­tion socia­liste bruxel­loise a aus­si été plus ferme que la wal­lonne pour une rai­son de fond toute simple : les erre­ments de Mayeur sont encore plus socia­le­ment inac­cep­tables que ceux de Moreau. Il y a plus qu’une feuille de papier à ciga­rette entre se sucrer sur l’argent du contri­buable des­ti­né aux plus pauvres et détour­ner le man­dat don­né par les com­munes1. C’est ce qu’a tra­duit la presse en recou­rant à pro­pos d’Yvan Mayeur à la figure de l’anti-Robin des Bois.

Notons en pas­sant que le volon­ta­risme du PS bruxel­lois a fonc­tion­né en dents de scie. Au lieu de prendre la déci­sion de mettre Mayeur au congé­la­teur poli­tique pen­dant quelques années ou de sim­ple­ment l’exclure, on s’est contor­sion­né pen­dant presque une semaine pour lui trou­ver un rem­pla­çant avec qui il pour­rait échan­ger ses fonc­tions. Pas même un pur­ga­toire, juste une ges­tion de plans de car­rières politiques.

Mais reve­nons-en à cette dif­fé­rence de degré dans l’opprobre public et cette méta­phore du Robin des Bois. Ne sont-elles pas en réa­li­té à double tran­chant pour le PS tout entier ? Il ne serait pas bon pour lui que les obser­va­teurs se mettent à prendre ces figures au pied de la lettre. Car il ne suf­fit pas de se pré­oc­cu­per du sort des plus pauvres par­mi les pauvres pour deve­nir un Robin des Bois.

Si l’accueil et l’aide d’urgence consti­tuent de la pre­mière approche huma­ni­taire et cari­ta­tive qui est posée face à la pro­blé­ma­tique du sans-abrisme, et s’ils sont indis­pen­sables, ils ne sont qu’un maillon d’une chaine de ser­vices. Mais avec le Samu social, une part com­plè­te­ment dis­pro­por­tion­née des moyens régio­naux en la matière est consa­crée à ce seul maillon au détri­ment des autres, pri­vant de tout impact sys­té­mique la poli­tique bruxel­loise en matière de sans-abrisme. La Région a jusqu’ici lais­sé qua­si en friche l’accès aux soins de san­té (y com­pris de san­té men­tale) des habi­tants de la rue, leur héber­ge­ment tran­si­toire, leur loge­ment de tran­si­tion, voire leur relo­ge­ment direct. Un rééqui­li­brage est indis­pen­sable, pour mieux finan­cer ces for­mules de prise en charge glo­bale sur le long terme et celles qui s’inscrivent dans des dyna­miques qui endiguent les causes mêmes des formes extrêmes de pau­vre­té2. Bref, une poli­tique qui intègre dès l’urgence des aspects redistributifs[[Voir Mar­tin Wage­ner, « L’urgence sociale. Vers une poli­tique concer­tée à Bruxelles ? », La Revue nou­velle, n° 11, novembre 2012..

Autre­ment dit, il est temps que la classe poli­tique bruxel­loise sorte du com­pro­mis jadis scel­lé entre PS et MR (avec le VLD et le SPA en bons sui­veurs) sur ce sujet et qu’elle acte que cela fait vingt ans que le Samu social tire vers le bas la poli­tique d’aide aux sans-abris de la capi­tale de l’Europe.

Là où le Samu social n’a jusqu’ici res­sem­blé en rien à celui qui prend aux riches pour don­ner aux pauvres, c’est jus­te­ment, du fait de son accès confor­table aux sub­sides régio­naux et fédé­raux qui en ont fait une ins­ti­tu­tion richis­sime dans un sec­teur habi­tué, mais non rési­gné, à se conten­ter de peu. Hor­mis pour les rares afide qu’il se choi­sis­sait, jamais le Samu social n’a été le par­te­naire du tis­su d’initiatives de ter­rain dans l’aide aux sans-abris, à moins de le faire de manière hégé­mo­nique en obte­nant récem­ment le pilo­tage du Plan hiver dans la capi­tale. Au contraire, il ne par­ta­geait ses infor­ma­tions que les rares fois où il y était accu­lé, il blo­quait les pro­jets des autres tant qu’il n’obtenait pas les mêmes moyens pour lui seul, il ne par­ti­ci­pait pas aux concer­ta­tions pro­mues par les auto­ri­tés et le ter­rain, il inti­mi­dait qui s’opposait à ses inté­rêts. Bref, un posi­tion­ne­ment de suze­rain vis-à-vis de vas­saux, sans même la cour­toi­sie. On est au par­fait oppo­sé de la géné­ro­si­té espiègle du héros de la forêt de Sherwood…

Cela ne vaut pas que pour les dic­ta­tures les plus bar­bares, la jouis­sance du pou­voir mène à des formes d’autisme poli­tique. Des ins­ti­tu­tions confis­quées à la démo­cra­tie tendent ain­si à deve­nir des machines para­noïdes, qui n’ont de rap­port avec leur envi­ron­ne­ment que dans l’instrumentalisation, l’asservissement, l’humiliation et, dans d’autres contextes, la vio­lence aveugle. Les contre­pou­voirs sont éli­mi­nés, les cri­tiques et les nuances sont mises hors-champ. Mais ne plus s’y confron­ter, c’est se cou­per de res­sources indis­pen­sables à nour­rir son action et à l’adapter à un envi­ron­ne­ment tou­jours chan­geant. Le jour où l’environnement accé­lère sa manière d’évoluer, les pra­ti­ciens de cette forme d’exercice du pou­voir se retrouvent cou­pés du réel.

Long­temps il s’est dit dans le micro­cosme bruxel­lois que le bud­get de la Ville pesait plus lourd que celui de la Région. Que ce fut vrai ou pas, ce qui importe, c’est ce qui était sous-enten­du : que bourg­mestre de Bruxelles est une fonc­tion de pre­mier plan, le point culmi­nant d’une car­rière, contrai­re­ment aux stra­pon­tins du gou­ver­ne­ment régio­nal. On ne peut se dépar­tir de l’idée que Mayeur, tout empreint de son auto­suf­fi­sance poli­tique, est res­té foca­li­sé sur de telles repré­sen­ta­tions obso­lètes. Si la Cocom était jusqu’à il y a peu une enti­té fédé­rée qua­si inexis­tante, voire un pla­card, elle est deve­nue sous cette légis­la­ture une ins­ti­tu­tion de pre­mier plan puisque c’est elle qui prend en charge les allo­ca­tions fami­liales désor­mais régio­na­li­sées. Une recon­fi­gu­ra­tion du pay­sage qui lui donne plus de poids poli­tique, ain­si qu’aux autres ins­ti­tu­tions régio­nales, et par rico­chet moins aux dix-neuf enti­tés communales.

Gageons que cela se fera avec une assem­blée légis­la­tive qui conti­nue à assu­rer son rôle.

le 25 juin 2017

  1. Le Kaza­kh­gate est une affaire d’ampleur bien plus grave que ces deux-ci réunies. Le moins qu’on puisse dire est que le MR n’a pas pris le tau­reau par les cornes. Nous n’avons mal­heu­reu­se­ment pas la place ici pour com­prendre pour­quoi c’est le Samu social et non le Kaza­kh­gate qui ren­voie aux ves­tiaires les deux coa­li­tions régio­nales. La Revue nou­velle ne man­que­ra pas d’y revenir.
  2. M. De Backer, « Le gou­ver­ne­ment nuit gra­ve­ment à la san­té », La Revue nou­velle, n° 1, 2017.

Thomas Lemaigre


Auteur

Thomas Lemaigre est économiste et journaliste. Il opère depuis 2013 comme chercheur indépendant, spécialisé sur les politiques sociales et éducatives, ainsi que sur les problématiques socio-économiques régionales. Il exerce également des activités de traduction NL>FR et EN>FR. Il est co-fondateur de l'Agence Alter, éditrice, entre autres, du mensuel {Alter Echos}, qu'il a dirigée jusqu'en 2012. Il enseigne ou a enseigné dans plusieurs Hautes écoles sociales (HE2B, Helha, Henallux).