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Le prix du handicap

Numéro 3 Mars 2008 par Michel Grawez

mars 2008

Il y a peu d’é­tudes sur la ques­tion du han­di­cap d’un point de vue éco­no­mique. Il nous semble inté­res­sant d’é­tu­dier dif­fé­rents types de rela­tions entre han­di­cap et éco­no­mie, alliant des pers­pec­tives géné­rales macroé­co­no­miques et des ques­tion­ne­ments du niveau microé­co­no­mique, et alliant les ques­tions d’ef­fi­ca­ci­té à celles d’équité. Quel est l’ap­port éco­no­mique du sec­teur du han­di­cap à la société ? […]

Il y a peu d’é­tudes sur la ques­tion du han­di­cap d’un point de vue éco­no­mique. Il nous semble inté­res­sant d’é­tu­dier dif­fé­rents types de rela­tions entre han­di­cap et éco­no­mie, alliant des pers­pec­tives géné­rales macroé­co­no­miques et des ques­tion­ne­ments du niveau microé­co­no­mique, et alliant les ques­tions d’ef­fi­ca­ci­té à celles d’équité.

Quel est l’ap­port éco­no­mique du sec­teur du han­di­cap à la socié­té ? En quoi la per­sonne en situa­tion de han­di­cap par­ti­cipe-t-elle éco­no­mi­que­ment à la socié­té, et en quoi la socié­té met-elle des moyens pour com­pen­ser le handicap ?
Les repré­sen­ta­tions sociales de la per­sonne han­di­ca­pée lui confèrent une image de limi­ta­tion, de perte de capa­ci­té, de perte de pro­duc­ti­vi­té, de lour­deur admi­nis­tra­tive. De là à consi­dé­rer que la per­sonne han­di­ca­pée impose un coût impor­tant à la socié­té, il n’y a qu’un pas. En d’autres termes, le coût de la com­pen­sa­tion demande-t-il d’é­normes sacri­fices de la part des « valides » pour obte­nir une légère amé­lio­ra­tion de quelques-uns ? Ou bien le domaine du han­di­cap crée-t-il de la richesse ? En contre­point, il serait inté­res­sant d’é­va­luer le coût socio-éco­no­mique de la non-par­ti­ci­pa­tion du groupe exclu.

Il s’a­git tou­te­fois d’é­vi­ter une approche « éco­no­mi­ciste », rédui­sant la ques­tion de l’in­té­gra­tion sociale à des trans­ferts finan­ciers et à des actions sur l’offre et la demande de tra­vail pour des publics pré­ca­ri­sés. L’ap­proche éco­no­mique que nous pré­ten­dons déve­lop­per ne peut pas se pas­ser d’un dia­logue per­ma­nent avec d’autres dis­ci­plines comme la psy­cho­lo­gie sociale, la socio­lo­gie, l’his­toire, la philosophie…

Il serait oppor­tun de situer notre réflexion dans le contexte actuel de ce qu’on appelle « un nou­veau para­digme ou réfé­ren­tiel de l’É­tat social ou des poli­tiques sociales » qui met au centre de ses objec­tifs la « mar­chan­di­sa­tion » c’est-à-dire l’in­ser­tion sur le mar­ché du tra­vail. Celle-ci per­met­trait aux indi­vi­dus (et à la socié­té) de mener une vie digne c’est-à-dire la moins confron­tée aux risques de pau­vre­té. Si on consi­dère que le tra­vail a une valeur en soi (en termes de par­ti­ci­pa­tion, de res­pect de soi, etc.), l’ar­gu­ment prend encore plus de poids. Ce réfé­ren­tiel cible non seule­ment les chô­meurs mais aus­si d’autres caté­go­ries dont on vou­drait aug­men­ter le taux d’emploi : les jeunes, les femmes, les tra­vailleurs âgés mais aus­si les per­sonnes han­di­ca­pées. Aupa­ra­vant, on pré­sen­tait les chô­meurs de longue durée comme des « han­di­ca­pés sociaux » étant don­né leur inca­pa­ci­té de tra­vail pro­fonde (dans cer­tains pays, comme aux Pays-Bas, on retrouve les chô­meurs de longue durée dans les sta­tis­tiques de l’in­va­li­di­té…) tan­dis qu’au­jourd’­hui on aurait ten­dance à consi­dé­rer les per­sonnes han­di­ca­pées comme des chô­meurs ou des deman­deurs d’emploi.

Le but de ce dos­sier n’est pas de mon­trer que les dépenses réa­li­sées dans le champ du han­di­cap consti­tuent une plus-value incon­tour­nable, puisque des dépenses de mêmes mon­tants pour­raient aus­si être valo­ri­sables dans d’autres champs d’in­ves­tis­se­ment. Il ne s’a­git donc pas d’af­fir­mer que, sans le sec­teur du han­di­cap, il y aurait plus de chô­mage et moins de PIB. Mais les effets mul­ti­pli­ca­teurs de l’in­jec­tion d’argent public peuvent être dif­fé­rents et semblent plus impor­tants dans les sec­teurs à forte inten­si­té de main-d’œuvre, comme dans le champ du han­di­cap, de la petite enfance ou des seniors.

Mais il ne serait pas cor­rect d’a­me­ner les per­sonnes han­di­ca­pées à devoir se valo­ri­ser en sou­li­gnant leur apport éco­no­mique : « Je par­ti­cipe à la socié­té parce que je suis pro­duc­tif » : où pla­cer la fron­tière entre les per­sonnes han­di­ca­pées capables de s’in­té­grer dans l’ordre du tra­vail, et donc de faire-valoir cet argu­ment de res­pec­ta­bi­li­té d’eux-mêmes et de recon­nais­sance sociale, et ceux qui ne peuvent, ou ne veulent pas y entrer ?

Par contre, il est inté­res­sant d’é­tu­dier l’im­por­tance du sec­teur du han­di­cap, de mon­trer que ce sec­teur est pro­duc­tif et que les dépenses publiques ne sont pas de l’argent gas­pillé ou de la cha­ri­té. Mais au-delà des chiffres, il s’a­git de mettre en évi­dence des enjeux socioé­co­no­miques, afin de mener des débats utiles.

Michel Grawez


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