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Le potentiel érotique du masque

Numéro 6 – 2022 - 7. Italique fiction par Derek Moss

septembre 2022

Ceux qui me connaissent savent que j’ai l’habitude de mar­cher autour du lac du bois de la Cambre. J’y ai même un arbre psy­cha­na­lyste auquel je confie mes nom­breux mal­heurs. Aujourd’hui, che­min fai­sant, j’ai remar­qué la pré­sence d’une jeune femme assise sur un banc, les jambes croi­sées et pen­chée sur son télé­phone. Alors que j’arrivais […]

Italique

Ceux qui me connaissent savent que j’ai l’habitude de mar­cher autour du lac du bois de la Cambre. J’y ai même un arbre psy­cha­na­lyste auquel je confie mes nom­breux mal­heurs. Aujourd’hui, che­min fai­sant, j’ai remar­qué la pré­sence d’une jeune femme assise sur un banc, les jambes croi­sées et pen­chée sur son télé­phone. Alors que j’arrivais à sa hau­teur, elle a levé la tête. Deux petits yeux brillants mis en évi­dence par son masque anti-Covid venaient de ren­con­trer mon regard, avant de replon­ger immé­dia­te­ment dans l’écran du por­table. Je fus électrisé.

Au second tour, une cer­taine exci­ta­tion s’empara de moi. Allait-elle m’offrir un autre coup d’œil ? Cette fois-ci, quelques secondes avant mon deuxième pas­sage, bien pro­té­gé der­rière mon masque et mes Ray-Ban Avia­tor, je pris davan­tage le temps de l’observer. Elle était menue. Des che­veux bruns courts. Un tatouage en forme de chat sur la main droite. Des bas­kets Vans bleu clair. Une fois encore, elle redres­sa la tête et ses pupilles me fixèrent briè­ve­ment. Trans­por­té par ce nou­vel échange ocu­laire, je pour­sui­vis tou­te­fois ma marche cadencée.

Puis, je décré­tai qu’il fal­lait que je m’arrête et que je lui parle. Et si elle avait déci­dé de se lever et de par­tir ? Je for­çai le pas. Après quelques minutes, au détour d’une courbe du lac qui cachait le fameux banc, je fus sou­la­gé de consta­ter qu’elle y était tou­jours, absor­bée par son écran. Je vins me poser à côté d’elle, essouf­flé, mais heureux.

Sans se par­ler, on s’observa quelques ins­tants. Je la voyais sou­rire der­rière son masque. Et là, tout s’est embal­lé. On s’est rap­pro­ché. On s’est pris les mains. On s’est arra­ché nos masques, ses lèvres ont plon­gé dans les miennes. Elles étaient douces et sucrées. Alors que mon cer­veau bai­gnait dans la dopa­mine et la luli­bé­rine, je com­pris que j’étais en train d’embrasser un beau jeune homme à la barbe soyeuse.

Derek Moss


Auteur

anthropologue