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Le peuple libyen et nous

Numéro 3 Mars 2011 par La Revue nouvelle

mars 2011

Le sou­lè­ve­ment du peuple libyen contre l’a­bo­mi­nable dic­ta­ture qui l’op­prime depuis plus de qua­rante ans vient de jeter une lumière par­ti­cu­liè­re­ment crue sur la pro­blé­ma­tique de l’ex­por­ta­tion d’armes de guerre pro­duites en Wal­lo­nie. En l’es­pace de quelques jours, le motif invo­qué pour auto­ri­ser l’ex­por­ta­tion en Libye d’armes légères pro­duites par la FN de Hers­tal pour […]

Le sou­lè­ve­ment du peuple libyen contre l’a­bo­mi­nable dic­ta­ture qui l’op­prime depuis plus de qua­rante ans vient de jeter une lumière par­ti­cu­liè­re­ment crue sur la pro­blé­ma­tique de l’ex­por­ta­tion d’armes de guerre pro­duites en Wal­lo­nie. En l’es­pace de quelques jours, le motif invo­qué pour auto­ri­ser l’ex­por­ta­tion en Libye d’armes légères pro­duites par la FN de Hers­tal pour un mon­tant de 12 mil­lions d’eu­ros s’est dégon­flé comme une bau­druche. Il ne fal­lait pour­tant pas être un grand spé­cia­liste des dic­ta­tures arabes pour savoir que la pro­tec­tion d’un cou­loir huma­ni­taire en direc­tion du Dar­four n’é­tait qu’un illu­soire prétexte.

Sur ce point, la Wal­lo­nie n’a pas été moins en faute que les autres démo­cra­ties euro­péennes qui, comme la France ou l’I­ta­lie, ont non seule­ment raté le coche de la nou­velle révo­lu­tion arabe en lui appor­tant un sou­tien tar­dif, mais ont avant d’y par­ve­nir, gra­ve­ment édul­co­ré la nature exacte de la dic­ta­ture en place à Tri­po­li. Elle ne mérite donc pas d’être davan­tage blâ­mée que d’autres États ou niveaux de pou­voir. Mais elle ne peut pas pour autant échap­per à la cri­tique démocratique.

Le lun­di 8 juin 2009, au len­de­main même du scru­tin régio­nal, bien qu’en affaires cou­rantes, le gou­ver­ne­ment wal­lon, réunis­sant les socia­listes et les démo­crates huma­nistes, ava­li­sait l’oc­troi de cinq licences d’ex­por­ta­tions d’armes FN à la Libye. En juillet 2009, au moment où se négo­ciait l’ac­cord de gou­ver­ne­ment régio­nal for­mé par les socia­listes, les éco­lo­gistes et les chré­tiens-huma­nistes, ces armes étaient déjà par­ve­nues à leur destinataire.

Durant la négo­cia­tion gou­ver­ne­men­tale, Éco­lo insis­ta pour que la Décla­ra­tion de poli­tique régio­nale (DPR) s’en­gage à une réforme en pro­fon­deur de l’oc­troi des licences d’ex­por­ta­tion d’armes, afin notam­ment d’é­vi­ter que les poli­tiques ne soient encore pareille­ment mis devant le fait accompli.

En octobre 2009, la Ligue des droits de l’homme et la Coor­di­na­tion natio­nale d’ac­tion pour la paix et la démo­cra­tie obtinrent que le Conseil d’É­tat sus­pende l’oc­troi de ces licences. Le Conseil d’É­tat par­ta­geait le scep­ti­cisme des asso­cia­tions quant à l’u­sage que le régime de Kadha­fi pour­rait faire des armes en affir­mant sans aucune ambigüi­té que « la pos­si­bi­li­té qu’elles [les armes] servent à com­mettre des vio­la­tions des droits fon­da­men­taux existe au moins à l’é­tat de risque ; que ce risque suf­fit à jus­ti­fier la sus­pen­sion de l’exé­cu­tion des actes attaqués ».

Cepen­dant le ministre pré­sident wal­lon, le Hen­nuyer Rudy Demotte, exer­ça sa com­pé­tence exclu­sive et confir­ma les licences d’ex­por­ta­tion, sous la pres­sion de son ministre lié­geois de l’É­co­no­mie, Jean-Claude Mar­court, du cdh et même du mr, Phi­lippe Mon­fils n’hé­si­tant pas, le 30 octobre 2009, à accu­ser le gou­ver­ne­ment wal­lon de mena­cer quatre-cents emplois à la fn.

À la mi-février 2011, le sou­lè­ve­ment de la popu­la­tion libyenne met­tait bru­ta­le­ment un terme à ces éga­re­ments. On assis­ta alors à un véri­table cham­pion­nat d’hy­po­cri­sie, empor­té par un cdh qui, après avoir été au sein du gou­ver­ne­ment wal­lon l’un des plus ardents défen­seurs de l’oc­troi de la licence, fut le pre­mier à récla­mer un embar­go sur les expor­ta­tions d’armes et à exi­ger que l’am­bas­sade belge à Tri­po­li, se mette dere­chef en quête — dans un pays en plein sou­lè­ve­ment — de véri­fier que les armes de la FN n’é­taient pas uti­li­sées contre la popu­la­tion libyenne…

À Namur, ce sou­lè­ve­ment appor­ta de l’eau au mou­lin de ceux qui vou­laient obte­nir un ren­for­ce­ment de la légis­la­tion sur les expor­ta­tions d’armes et en par­ti­cu­lier des
éco­lo­gistes. Éco­lo peut sans doute « remer­cier » le cou­rage des insur­gés libyens car, s’il cam­pait sur ses exi­gences d’une réforme radi­cale, ce par­ti avait jus­qu’a­lors obser­vé une sur­pre­nante rete­nue média­tique, peut-être expli­cable par le spectre du « syn­drome Fran­cor­champs », voire la peur de se voir « débar­qué » du gou­ver­ne­ment wal­lon. Le 24 février, le gou­ver­ne­ment wal­lon se mit d’ac­cord pour impo­ser l’oc­troi d’un accord préa­lable du ministre pré­sident wal­lon en fonc­tion d’un ensemble de critères
rela­tifs notam­ment aux carac­té­ris­tiques des pays des­ti­na­taires et de l’a­vis d’une commission
d’a­vis indé­pen­dante dont les avis seront consi­gnés dans un rap­port adres­sé au Par­le­ment wal­lon. Le ministre pré­sident pour­ra s’é­car­ter de cet avis, mais il devra le motiver.

Le débat par­le­men­taire per­met­tra de véri­fier le posi­tion­ne­ment — et la sin­cé­ri­té — de l’en­semble des forces poli­tiques wal­lonnes sur cette réforme. Mais au-delà, il impor­te­ra d’ap­pro­fon­dir les ques­tions suivantes :

  • Est-il sain — fût-ce du point de vue d’une bonne gou­ver­nance — que ce soit l’ac­tion­naire (unique) d’une entre­prise d’ar­me­ments qui soit en même temps res­pon­sable de l’oc­troi des licences d’ex­por­ta­tion ? Cette situa­tion ne fra­gi­lise-t-elle pas encore des par­tis wal­lons pour­tant déjà sou­mis au chan­tage et aux dis­cours par­fois mena­çants des orga­ni­sa­tions syn­di­cales pré­sentes à la FN ?
  • Com­ment relan­cer le pro­jet d’une indus­trie euro­péenne de l’ar­me­ment cou­plé au déve­lop­pe­ment d’une poli­tique de défense et de rela­tions inter­na­tio­nales, menée au même niveau ?
  • Com­ment fau­dra-t-il faire par­ta­ger la convic­tion que le sou­tien aux démo­cra­ties est une mesure de « bonne ges­tion » qui est seule sus­cep­tible de garan­tir une sta­bi­li­té durable sur tout le pour­tour médi­ter­ra­néen et au-delà dans l’en­semble du monde arabe ?
  • Que faut-il faire pour que tous les par­tis et les par­te­naires sociaux wal­lons com­prennent enfin que le redé­ploie­ment éco­no­mique wal­lon ne pas­se­ra pas par le main­tien — sou­vent à coups d’im­por­tants sub­sides publics — de sec­teurs fra­gi­li­sés par l’é­vo­lu­tion des rela­tions inter­na­tio­nales, que ce soit en matière éco­lo­gique ou en matière de droits de l’homme ?

La Revue nouvelle


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