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Le niveau baisse ! L’université vue par le petit bout de la lorgnette

Numéro 11 Novembre 2013 - enseignement par

novembre 2013

Il y a peu, l’Itinera Ins­ti­tute s’est fen­du d’une étude sur l’université. L’enquête a consis­té à inter­ro­ger 1.300 ensei­gnants des uni­ver­si­tés belges. Il en res­sort, entre autres constats, que « le niveau baisse », celui des étu­diants admis, bien enten­du, pas celui des ensei­gne­ments. Résul­tat extrê­me­ment ori­gi­nal, à vrai dire : lorsqu’on demande à des ensei­gnants si le niveau de leurs étu­diants baisse, […]

Il y a peu, l’Itinera Ins­ti­tute s’est fen­du d’une étude sur l’université1. L’enquête a consis­té à inter­ro­ger 1.300 ensei­gnants des uni­ver­si­tés belges2. Il en res­sort, entre autres constats, que « le niveau baisse », celui des étu­diants admis, bien enten­du, pas celui des ensei­gne­ments. Résul­tat extrê­me­ment ori­gi­nal, à vrai dire : lorsqu’on demande à des ensei­gnants si le niveau de leurs étu­diants baisse, ils répondent qu’ils en sont convain­cus. Révolutionnaire !

Outre que l’impression des ensei­gnants ne consti­tue en aucune manière une preuve du phé­no­mène, l’on peut s’interroger sur la signi­fi­ca­tion de leur asser­tion. Sont-ils, fina­le­ment, les meilleurs juges de la situa­tion ? On peut, de prime abord, se deman­der si leur posi­tion par rap­port à l’institution n’est pas par­ti­cu­lière. Il est ain­si per­mis de faire l’hypothèse que la plu­part des ensei­gnants sont recru­tés par­mi les étu­diants qui ont adhé­ré de façon par­ti­cu­liè­re­ment forte aux valeurs et au fonc­tion­ne­ment de l’institution. Ils en ont sans doute consti­tué l’une des popu­la­tions les plus conformes et per­for­mantes. Sans même abor­der le fait, plus que pro­bable, que les ensei­gnants sont, plus mas­si­ve­ment encore que leurs étu­diants, issus de classes moyennes inves­tis­sant beau­coup dans l’enseignement, on peut sup­po­ser qu’appréciant l’université et ses ensei­gne­ments, ils s’y sont mon­trés spé­cia­le­ment assi­dus et actifs. Et qu’ils ont obte­nu des résul­tats net­te­ment supé­rieurs à la moyenne. Rien de neuf à cette clas­sique fonc­tion de repro­duc­tion sociale de l’enseignement.

Que ce fait soit inter­pré­té comme le signe d’une valeur par­ti­cu­lière des futurs ensei­gnants ou, plus sim­ple­ment, comme l’effet de leur adé­qua­tion à un milieu par­ti­cu­lier, on peut sup­po­ser que, lorsqu’ils étaient étu­diants, ces ensei­gnants n’étaient pas repré­sen­ta­tifs de la cohorte qui han­tait les cou­loirs de leur uni­ver­si­té. Et ses cercles estudiantins.

Est-il dès lors éton­nant qu’ils trouvent les étu­diants actuels plus médiocres que leurs points de com­pa­rai­son natu­rels : eux et leurs cama­rades, avec les­quels ils par­ta­geaient pro­ba­ble­ment maints traits dis­tinc­tifs ? On peut dès lors se deman­der ce qu’indique leur sen­ti­ment de déclin : la per­cep­tion d’une baisse objec­tive ou la confron­ta­tion à une popu­la­tion qui leur est rela­ti­ve­ment étrangère ?

Du reste, si devait se confir­mer l’hypothèse d’une baisse moyenne du niveau, dans le cadre d’une mas­si­fi­ca­tion de l’université, celle-ci ne serait vrai­sem­bla­ble­ment que le signe de l’accès (enfin) des classes infé­rieures à l’enseignement supé­rieur et non de la baisse du niveau des popu­la­tions issues des classes moyennes et supé­rieures fré­quen­tant l’université de longue date. Le « pro­blème » serait alors l’accès en lui-même et non une déli­ques­cence de l’enseignement.

En outre, quand les répon­dants ont à 57,80 % entre vingt et trente-cinq ans3, on peut se deman­der de quel recul tem­po­rel ils peuvent bien dis­po­ser. Que peut nous dire un assis­tant de vingt-huit ans, qui enseigne à quelques groupes de vingt étu­diants depuis quatre ans, de l’évolution du niveau des étu­diants ? Fran­che­ment ? Si on ajoute à cela le fait que 45,5 % des ensei­gnants ayant répon­du affirment don­ner moins de 4 heures de cours par semaine, on frise l’hallucination4. Faut-il que le niveau uni­ver­si­taire soit bas pour que deux uni­ver­si­taires (je pré­sume) ne com­prennent pas que leur étude ne signi­fie rien ?

Enfin, com­ment pré­tendre éva­luer « le niveau » sans défi­nir ce niveau, éta­blir des cri­tères d’évaluation, prendre en compte l’évolution des pro­grammes, inté­grer des variables socioé­co­no­miques per­met­tant de cer­ner au plus près des hypo­thèses de cau­sa­li­té ? En un mot comme en cent, cette étude ne me paraît pas valoir tri­pette. Mais elle flatte l’infini décli­nisme de notre socié­té ter­ri­fiée d’elle-même et qui trouve que c’était tel­le­ment mieux avant, dans cette uni­ver­si­té d’autrefois, si agréable que nos pères la conspuèrent d’abondance avant de prendre un mini­bus pour aller voir si l’herbe était plus odo­rante à Katmandou.

Il se fait que j’ai été étu­diant. Il se fait éga­le­ment que j’enseigne à l’université (à temps très par­tiel). Je n’ai pas reçu le ques­tion­naire d’Itinera, mais je n’en ai pas moins mes propres impres­sions. Je n’ai, moi, pas la pré­ten­tion qu’elles aient une signi­fi­ca­tion sta­tis­tique, mais je pense qu’elles peuvent fon­der une réflexion ou, à tout le moins, être ver­sées au dos­sier à titre de renseignement.

Il me semble, à moi, que le niveau monte. Le niveau de stress des étu­diants cata­pul­tés à l’université avec l’instruction, non d’y apprendre la vie, ni de s’y culti­ver, ni d’apprendre des choses utiles, mais d’être excel­lents. Il faut viser l’excellence. Dieu seul sait ce que cela signi­fie pour eux, mais il leur est régu­liè­re­ment rap­pe­lé qu’il faut réus­sir, que le chô­mage guette même les uni­ver­si­taires, qu’être bon ne suf­fit pas, qu’il faut être meilleur, que la médio­cri­té est impar­don­nable, etc.

Le niveau d’exigence monte. Un mas­ter ? C’est bien la moindre des choses ! Il faut aus­si être par­ti « en Eras­mus ». Avoir fait un BAC bilingue est un plus. Tri­lingue, c’est mieux. Et si c’est un double BAC, c’est tou­jours ça de gagné. Après, il ne fau­dra pas oublier un ou deux mas­ters com­plé­men­taires. Et on ver­ra si ça suf­fit… L’amour, la joie de vivre, les copains, la culture, la liber­té, l’émancipation, l’insouciance, le bon­heur, c’est pour plus tard, pour la pen­sion, si on ne l’a pas sup­pri­mée, pour quand il ne s’agira plus de faire la preuve per­ma­nente de son acti­vi­té, de son effi­cience, de son autonomie.

Bien enten­du, le niveau du seuil d’entrée monte aus­si. Il fau­drait des exa­mens pour sélec­tion­ner le public, des mises à niveau, des sélec­tions en cours de route, des tests, des éli­mi­na­toires. Être sélec­tif, voi­là le pre­mier devoir de l’enseignement ! Et nos étu­diants d’être atten­dus au tour­nant : seront-ils à la hau­teur ? L’étude de l’Itinera Ins­ti­tute pose ain­si clai­re­ment le débat en titrant sur la mas­si­fi­ca­tion. Pointe, dès avant l’envoi des ques­tion­naires, le pro­jet d’une plus grande sélec­ti­vi­té (sous la forme d’une meilleure orien­ta­tion, bien enten­du) et d’un relè­ve­ment du niveau (sous la forme d’un rehaus­se­ment du seuil d’entrée)… et sous le pré­texte d’une lutte contre une baisse de niveau non démon­trée. La dif­fi­cul­té pour­rait s’en trou­ver apla­nie : le retour à une exclu­sion des classes infé­rieures res­tau­re­rait la quié­tude de l’université.

Com­ment conclure, si ce n’est en disant que le niveau monte déjà et que je ne suis pas cer­tain que ce soit une bonne nouvelle ?

  1. M. De Vos et J. Gay, L’enseignement supé­rieur face à la mas­si­fi cation : les ensei­gnants sur le ter­rain tirent la son­nette d’alarme : la qua­li­té est en péril (Iti­ne­ra Ins­ti­tute, 2 octobre 2013).
  2. La seule pré­ci­sion métho­do­lo­gique est que 5.000 ques­tion­naires ont été adres­sés à des ensei­gnants et que 1 300 ont été retour­nés com­plé­tés, dont 75% par des ensei­gnants. Ibid., 2.
  3. Ibid., 10, fi g. 2.
  4. Ibid., 12, fi g. 6.