Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.
Le niveau baisse ! L’université vue par le petit bout de la lorgnette
Il y a peu, l’Itinera Institute s’est fendu d’une étude sur l’université. L’enquête a consisté à interroger 1.300 enseignants des universités belges. Il en ressort, entre autres constats, que « le niveau baisse », celui des étudiants admis, bien entendu, pas celui des enseignements. Résultat extrêmement original, à vrai dire : lorsqu’on demande à des enseignants si le niveau de leurs étudiants baisse, […]
Il y a peu, l’Itinera Institute s’est fendu d’une étude sur l’université1. L’enquête a consisté à interroger 1.300 enseignants des universités belges2. Il en ressort, entre autres constats, que « le niveau baisse », celui des étudiants admis, bien entendu, pas celui des enseignements. Résultat extrêmement original, à vrai dire : lorsqu’on demande à des enseignants si le niveau de leurs étudiants baisse, ils répondent qu’ils en sont convaincus. Révolutionnaire !
Outre que l’impression des enseignants ne constitue en aucune manière une preuve du phénomène, l’on peut s’interroger sur la signification de leur assertion. Sont-ils, finalement, les meilleurs juges de la situation ? On peut, de prime abord, se demander si leur position par rapport à l’institution n’est pas particulière. Il est ainsi permis de faire l’hypothèse que la plupart des enseignants sont recrutés parmi les étudiants qui ont adhéré de façon particulièrement forte aux valeurs et au fonctionnement de l’institution. Ils en ont sans doute constitué l’une des populations les plus conformes et performantes. Sans même aborder le fait, plus que probable, que les enseignants sont, plus massivement encore que leurs étudiants, issus de classes moyennes investissant beaucoup dans l’enseignement, on peut supposer qu’appréciant l’université et ses enseignements, ils s’y sont montrés spécialement assidus et actifs. Et qu’ils ont obtenu des résultats nettement supérieurs à la moyenne. Rien de neuf à cette classique fonction de reproduction sociale de l’enseignement.
Que ce fait soit interprété comme le signe d’une valeur particulière des futurs enseignants ou, plus simplement, comme l’effet de leur adéquation à un milieu particulier, on peut supposer que, lorsqu’ils étaient étudiants, ces enseignants n’étaient pas représentatifs de la cohorte qui hantait les couloirs de leur université. Et ses cercles estudiantins.
Est-il dès lors étonnant qu’ils trouvent les étudiants actuels plus médiocres que leurs points de comparaison naturels : eux et leurs camarades, avec lesquels ils partageaient probablement maints traits distinctifs ? On peut dès lors se demander ce qu’indique leur sentiment de déclin : la perception d’une baisse objective ou la confrontation à une population qui leur est relativement étrangère ?
Du reste, si devait se confirmer l’hypothèse d’une baisse moyenne du niveau, dans le cadre d’une massification de l’université, celle-ci ne serait vraisemblablement que le signe de l’accès (enfin) des classes inférieures à l’enseignement supérieur et non de la baisse du niveau des populations issues des classes moyennes et supérieures fréquentant l’université de longue date. Le « problème » serait alors l’accès en lui-même et non une déliquescence de l’enseignement.
En outre, quand les répondants ont à 57,80 % entre vingt et trente-cinq ans3, on peut se demander de quel recul temporel ils peuvent bien disposer. Que peut nous dire un assistant de vingt-huit ans, qui enseigne à quelques groupes de vingt étudiants depuis quatre ans, de l’évolution du niveau des étudiants ? Franchement ? Si on ajoute à cela le fait que 45,5 % des enseignants ayant répondu affirment donner moins de 4 heures de cours par semaine, on frise l’hallucination4. Faut-il que le niveau universitaire soit bas pour que deux universitaires (je présume) ne comprennent pas que leur étude ne signifie rien ?
Enfin, comment prétendre évaluer « le niveau » sans définir ce niveau, établir des critères d’évaluation, prendre en compte l’évolution des programmes, intégrer des variables socioéconomiques permettant de cerner au plus près des hypothèses de causalité ? En un mot comme en cent, cette étude ne me paraît pas valoir tripette. Mais elle flatte l’infini déclinisme de notre société terrifiée d’elle-même et qui trouve que c’était tellement mieux avant, dans cette université d’autrefois, si agréable que nos pères la conspuèrent d’abondance avant de prendre un minibus pour aller voir si l’herbe était plus odorante à Katmandou.
Il se fait que j’ai été étudiant. Il se fait également que j’enseigne à l’université (à temps très partiel). Je n’ai pas reçu le questionnaire d’Itinera, mais je n’en ai pas moins mes propres impressions. Je n’ai, moi, pas la prétention qu’elles aient une signification statistique, mais je pense qu’elles peuvent fonder une réflexion ou, à tout le moins, être versées au dossier à titre de renseignement.
Il me semble, à moi, que le niveau monte. Le niveau de stress des étudiants catapultés à l’université avec l’instruction, non d’y apprendre la vie, ni de s’y cultiver, ni d’apprendre des choses utiles, mais d’être excellents. Il faut viser l’excellence. Dieu seul sait ce que cela signifie pour eux, mais il leur est régulièrement rappelé qu’il faut réussir, que le chômage guette même les universitaires, qu’être bon ne suffit pas, qu’il faut être meilleur, que la médiocrité est impardonnable, etc.
Le niveau d’exigence monte. Un master ? C’est bien la moindre des choses ! Il faut aussi être parti « en Erasmus ». Avoir fait un BAC bilingue est un plus. Trilingue, c’est mieux. Et si c’est un double BAC, c’est toujours ça de gagné. Après, il ne faudra pas oublier un ou deux masters complémentaires. Et on verra si ça suffit… L’amour, la joie de vivre, les copains, la culture, la liberté, l’émancipation, l’insouciance, le bonheur, c’est pour plus tard, pour la pension, si on ne l’a pas supprimée, pour quand il ne s’agira plus de faire la preuve permanente de son activité, de son efficience, de son autonomie.
Bien entendu, le niveau du seuil d’entrée monte aussi. Il faudrait des examens pour sélectionner le public, des mises à niveau, des sélections en cours de route, des tests, des éliminatoires. Être sélectif, voilà le premier devoir de l’enseignement ! Et nos étudiants d’être attendus au tournant : seront-ils à la hauteur ? L’étude de l’Itinera Institute pose ainsi clairement le débat en titrant sur la massification. Pointe, dès avant l’envoi des questionnaires, le projet d’une plus grande sélectivité (sous la forme d’une meilleure orientation, bien entendu) et d’un relèvement du niveau (sous la forme d’un rehaussement du seuil d’entrée)… et sous le prétexte d’une lutte contre une baisse de niveau non démontrée. La difficulté pourrait s’en trouver aplanie : le retour à une exclusion des classes inférieures restaurerait la quiétude de l’université.
Comment conclure, si ce n’est en disant que le niveau monte déjà et que je ne suis pas certain que ce soit une bonne nouvelle ?
- M. De Vos et J. Gay, L’enseignement supérieur face à la massifi cation : les enseignants sur le terrain tirent la sonnette d’alarme : la qualité est en péril (Itinera Institute, 2 octobre 2013).
- La seule précision méthodologique est que 5.000 questionnaires ont été adressés à des enseignants et que 1 300 ont été retournés complétés, dont 75% par des enseignants. Ibid., 2.
- Ibid., 10, fi g. 2.
- Ibid., 12, fi g. 6.