Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

Le moral des journalistes et leur vision de la profession

Numéro 9 Septembre 2009 par Céline Fion

septembre 2009

Ces der­nières années, les évo­lu­tions au sein de l’u­ni­vers média­tique ont été nom­breuses. Jugées anxio­gènes, fabu­leuses, inévi­tables ou les trois à la fois, elles ont fait cou­ler l’encre des socio­logues et spé­cia­listes des médias et ont sus­ci­té des réac­tions par­fois vives du public. Mais com­ment les prin­ci­paux acteurs des médias per­çoivent-ils ce mou­ve­ment et ces nou­velles réa­li­tés ? Quelles sont les réper­cus­sions au quo­ti­dien ? Au cours de l’é­té 2008, les jour­na­listes de Bel­gique fran­co­phone affi­liés à l’As­so­cia­tion des jour­na­listes pro­fes­sion­nels (AJP) ont reçu un ques­tion­naire abor­dant ces thé­ma­tiques. 35% d’entre eux y ont répon­du. Résu­mé des prin­ci­paux résul­tats et pistes d’analyse…

Dossier

Les deux pre­mières ques­tions de l’enquête1 étaient « êtes-vous heu­reux d’être jour­na­liste ? » et « com­ment qua­li­fie­riez-vous vos condi­tions de tra­vail ? ». Il s’agit de deux inter­ro­ga­tions qui ren­voient à une notion de bien-être pro­fes­sion­nel. Les réponses issues du dépouille­ment sur­prennent par leur côté para­doxal. En effet, 81% des répon­dants se disent heu­reux d’être jour­na­listes, mais 53% des son­dés estiment tra­vailler dans des condi­tions peu satis­fai­santes (49%) voire pas satis­fai­santes du tout (4%).

D’où vient alors la satis­fac­tion si les condi­tions au quo­ti­dien sont jugées néga­ti­ve­ment ? Prin­ci­pa­le­ment de la pra­tique de ter­rain, de la richesse des ren­contres (56,5%), de la diver­si­té du métier, de l’absence de rou­tine (44%) et de la pos­si­bi­li­té d’apprendre tout au long de la car­rière (25,9%). Dans cette ques­tion ouverte, les son­dés ont éga­le­ment évo­qué la place lais­sée à la créa­ti­vi­té, la liber­té d’horaire et de mou­ve­ment ain­si que l’action d’informer. Cette der­nière s’accompagne de deux aspects récur­rents : l’information est sou­vent accom­pa­gnée de valeurs et cer­tains sou­haitent « agir sur le monde en infor­mant2 », des jour­na­listes mettent éga­le­ment en avant l’impression d’être mieux infor­més que leur public, par leurs accès pri­vi­lé­giés. Autre point mar­quant : la noto­rié­té n’est évo­quée que par deux jour­na­listes sur cent.

cfi_top10.jpg

Si de nom­breuses sources de satis­fac­tion sont men­tion­nées, sou­vent avec pas­sion, elles sont par­fois aus­si­tôt nuan­cées dans les com­men­taires. Le bon­heur du ter­rain motive, mais le jour­na­lisme assis se nor­ma­lise. Les ren­contres sont super­fi­cielles, condi­tion­nées par les rôles sociaux. La conduite des lignes édi­to­riales en fonc­tion de sujets pré­su­més « ven­deurs » réduit l’impact posi­tif de la diver­si­té des sujets et le manque de temps réduit la pos­si­bi­li­té d’apprentissage per­ma­nent en contrai­gnant à une approche super­fi­cielle des dossiers.

Une idéologie forte

« Chaque pro­fes­sion pro­duit une idéo­lo­gie pro­fes­sion­nelle, une repré­sen­ta­tion plus ou moins idéale ou mythi­fiée d’elle-même, le groupe des jour­na­listes comme tous les autres3. » Est-ce dans cette cita­tion de Bour­dieu qu’il faut cher­cher une par­tie de l’explication de ces résul­tats paradoxaux ?

La confron­ta­tion d’idéaux à une réa­li­té for­cé­ment déce­vante est source de frus­tra­tions. En étu­diant les résul­tats, l’évolution néga­tive de la satis­fac­tion et du bon­heur des jour­na­listes, en fonc­tion de l’âge, pour­rait appuyer cette théo­rie d’une « dés­illu­sion » de plus en plus pesante.

Le terme « dés­illu­sion » réclame ici des guille­mets car il n’engendre pas un aban­don des mythes, juste une confron­ta­tion plus répé­tée avec les contra­dic­tions du réel. Selon Jacques Le Bohec4 : « La repré­sen­ta­tion mythique peut coha­bi­ter avec la conscience du déca­lage avec la réa­li­té des pra­tiques : on y croit “quand même”.»

Une piste d’explication : l’auto-exploitation ?

On ne peut tota­le­ment écar­ter de l’analyse l’angoisse que peut sus­ci­ter, dans toute pro­fes­sion, le spectre de la perte d’emploi et du licen­cie­ment, mais ces résul­tats, cou­plés à la faible contes­ta­tion de la pro­fes­sion, nous ren­voient au concept d’auto-exploitation, mis en avant par Alain Accar­do. Dans son étude sur les jour­na­listes pré­caires, il déve­loppe le fait que les pro­duc­teurs de biens sym­bo­liques ont ten­dance à effec­tuer spon­ta­né­ment des tâches qui ne leur sont pas deman­dées, à accep­ter avec le sou­rire des débor­de­ments sur l’horaire pré­vu et à se sacri­fier au nom d’une cause qu’ils jugent noble. Le tout, au détri­ment, par­fois, de leur confort per­son­nel. « À la dif­fé­rence du tra­vail manuel […] le tra­vail de pro­duc­tion sym­bo­lique, qui par nature sol­li­cite davan­tage la réflexion et l’imagination des agents, est assez géné­ra­le­ment vécu comme un accom­plis­se­ment per­son­nel pro­mou­vant, épa­nouis­sant, dans une pra­tique sou­vent pas­sion­nante et qua­si ludique pour l’exercice de laquelle il paraît légi­time d’accepter des “sacri­fices5”.»

On remarque en effet que de nom­breuses réponses de jour­na­listes font coha­bi­ter dans la même phrase bon­heur, décep­tion et jus­ti­fi­ca­tion. Nous pou­vons lire des for­mules telles que « C’est le métier que j’aime, mal­gré tout » ou « Ce qui me pousse à conti­nuer, c’est…»

Une autre expli­ca­tion aux sacri­fices consen­tis est que le jour­na­lisme est sou­vent consi­dé­ré par ses acteurs comme un métier « à part », fai­sant d’eux des êtres « extra­or­di­naires » : « Ce métier est la chance unique de ren­con­trer une grande varié­té de per­sonnes dif­fé­rentes et l’opportunité d’apprendre chaque jour », « C’est le plus beau métier du monde », « L’avantage majeur : être là où le com­mun des mor­tels ne peut aller » (Accar­do).

Il est donc logique que les contraintes d’un métier « hors normes » soient tout à fait dif­fé­rentes de celles des autres métiers, puisqu’il échappe à la nor­ma­li­té. D’ailleurs, le jour­na­lisme n’est la plu­part du temps pas consi­dé­ré comme un métier au sens réduit. Pour nombre de ses acteurs, le jour­na­lisme n’a pas une fonc­tion ali­men­taire, c’est un tra­vail qui per­met de « se nour­rir intel­lec­tuel­le­ment », « Le jour­na­lisme est une pas­sion, un état plus qu’un métier…».

Chercher une herbe plus verte

Prêt à tout accep­ter ? Sûre­ment pas, et ils sont 40% à envi­sa­ger de quit­ter le jour­na­lisme avant la fin de leur acti­vi­té pro­fes­sion­nelle. La mau­vaise qua­li­té des condi­tions de tra­vail est le motif pre­mier de renon­cia­tion à la pro­fes­sion (37,1%) quels que soient l’âge ou le sexe. Ensuite les hommes met­tront en avant l’impression d’avoir « tout explo­ré » (19,6%), les femmes se plain­dront plu­tôt du carac­tère chro­no­phage du métier (25%).

Le salaire arrive en qua­trième posi­tion au niveau géné­ral (15%), appuyant la théo­rie d’Accardo : « Entre autres dis­po­si­tions de l’habitus construit par et pour le champ de la pro­duc­tion sym­bo­lique, il y a cette pro­pen­sion à la déné­ga­tion de l’intérêt maté­riel égoïste. » Notons néan­moins que pour la tranche des reve­nus infé­rieurs à 1.500 euros nets par mois, le reve­nu devient le pre­mier motif de départ (36,2%), au coude à coude avec les mau­vaises condi­tions de tra­vail (36%).

Les com­men­taires révèlent éga­le­ment une por­tion de jour­na­listes qui se disent « usés » ou qui ne voient plus d’autre solu­tion que de par­tir : « Ça sera une néces­si­té si les condi­tions ne s’améliorent pas », « Ce métier me bouffe lit­té­ra­le­ment » et « J’aimerais aller au fond des choses, sor­tir de cette obli­ga­tion de devoir pondre un œuf tous les jours » ne sont que quelques exemples des témoi­gnages recueillis.

À côté des jour­na­listes qui envi­sagent de quit­ter la pro­fes­sion, cer­tains indé­pen­dants optent pour une solu­tion de com­pro­mis consis­tant à res­ter dans la pro­fes­sion tout en exer­çant un autre emploi. Le pre­mier motif évo­qué : la recherche d’une sta­bi­li­té financière.

Les jour­na­listes qui songent à s’éloigner des rédac­tions comptent pour la plu­part conti­nuer à exer­cer un métier intel­lec­tuel. La com­mu­ni­ca­tion est le sec­teur de recon­ver­sion le plus plé­bis­ci­té (46,2%). Suivent le socio­cul­tu­rel, l’enseignement, l’humanitaire et l’édition.

En fin de clas­se­ment : la poli­tique ne séduit que 12,4% des répon­dants, prin­ci­pa­le­ment des hommes. À l’opposé, l’artisanat obtient plu­tôt les faveurs des femmes.

Des moyens inadaptés

Nous l’avons déjà men­tion­né, 53% des jour­na­listes estiment que leurs condi­tions de tra­vail ne sont pas satis­fai­santes. Ajou­tons que 79,6% estiment que celles-ci se sont dégra­dées au cours des der­nières années. Les condi­tions d’exercice et de tra­vail com­prennent à la fois l’aspect horaire, salaire, contrat…, mais éga­le­ment les moyens mis à dis­po­si­tion pour accom­plir ledit travail.

Qu’est-ce qui, selon les jour­na­listes, nuit le plus à la qua­li­té de leur pro­duc­tion ? Pour 25,2% des jour­na­listes, le fac­teur qui influence le plus néga­ti­ve­ment la qua­li­té de leur tra­vail est l’insuffisance de moyens tech­niques et humains. Dans les com­men­taires, c’est sur­tout l’insuffisance de moyens humains qui est poin­tée. Avec 20,8% des suf­frages, vient ensuite l’insuffisance de temps : « La charge de tra­vail devient énorme, le papier (plu­sieurs sujets sont deman­dés par jour), Inter­net doit être ali­men­té en per­ma­nence. On laisse de moins en moins de temps pour le tra­vail sur le terrain. »

Si une tâche doit inévi­ta­ble­ment être rem­plie dans un délai pré­cis (pro­duire un maga­zine, un JT…), le temps dis­po­nible par indi­vi­du sera pro­por­tion­nel à la taille de l’effectif. Si nous regrou­pons le manque de moyens tech­niques et humains ain­si que le manque de temps, nous consta­tons qu’il repré­sente 46% des réponses soit le pre­mier fac­teur nui­sible à la qua­li­té pour près d’un jour­na­liste sur deux.

Au cours des der­nières années, les jour­na­listes se sont vu attri­buer de nom­breuses tâches sup­plé­men­taires (prise de pho­to, mise en page, mon­tages…), mais la taille des rédac­tions n’a pas sui­vi cette courbe ascen­dante. Ces résul­tats sous-entendent que l’adaptation aux nou­velles contraintes s’est faite au détri­ment de la qua­li­té. Ce constat est poten­tiel­le­ment anxio­gène à l’heure du mul­ti­mé­dia, nous y reviendrons.

En troi­sième posi­tion, nous trou­vons le confor­misme des rédac­tions (18,4%), sui­vi par la pres­sion éco­no­mique (13,8%). La cen­sure poli­tique arrive bonne der­nière (2%), der­rière l’auto-censure (4%) et la cen­sure des supé­rieurs (2,5). Le ques­tion­naire fait éga­le­ment res­sor­tir que 87,8% des jour­na­listes ont l’impression d’exercer leur métier libre­ment. Pour les 78% des jour­na­listes qui estiment ne pas l’exercer « tout à fait libre­ment », les entraves à la liber­té sont donc per­çues majo­ri­tai­re­ment comme étant internes aux entre­prises de médias.

Une profession, des réalités

Le sexe, le reve­nu men­suel ou encore l’âge sont appa­rus comme des fac­teurs influen­çant cer­taines réponses de manière ponc­tuelle mais ils ne condi­tionnent pas un rap­port à la pro­fes­sion, du moins sous l’angle uti­li­sé pour l’analyse. À l’inverse, le sta­tut social est un fac­teur de réponses dif­fé­ren­ciées plus récurrent.

Les jour­na­listes indé­pen­dants se déclarent moins heu­reux que leurs col­lègues sala­riés. 22,5% des indé­pen­dants répondent par la néga­tive à la ques­tion « diriez-vous que vous êtes heu­reux d’être jour­na­liste ? » contre 16,6% des salariés.

Quand on aborde la posi­tion des condi­tions de tra­vail, le fos­sé se creuse. Les résul­tats mettent à jour une dif­fé­rence de douze points dans l’appréciation des condi­tions de tra­vail. 58% des sala­riés s’en disent satis­faits contre 46% des indépendants.

cfi_media.jpg

Quatre sources de malaise se dégagent des com­men­taires des indé­pen­dants : le tarif des piges jugé trop bas et entraî­nant une pré­ca­ri­té ain­si qu’une impos­si­bi­li­té de tra­vailler rigou­reu­se­ment ; un manque de recon­nais­sance et d’intégration au sein des rédac­tions ; un nombre de pos­tu­lants très éle­vé sus­ci­tant une concur­rence rude ; et enfin le sen­ti­ment de ne pas être enten­du, voire que les pro­blèmes sou­le­vés pro­fitent à d’autres.

Inquiétude

Les jour­na­listes ne sont pas mal­heu­reux, ils semblent sur­tout inquiets. Suf­fi­sam­ment pour répondre mas­si­ve­ment à cette enquête.

Bien enten­du, dans la popu­la­tion étu­diée il y a d’éternels mécon­tents et des aller­giques aux chan­ge­ments. Non, l’ensemble des jour­na­listes ne se dit pas insa­tis­fait de ses condi­tions de tra­vail. Rap­pe­lons que 53% des répon­dants estiment exer­cer leur métier dans des condi­tions satis­fai­santes. Mais lors de la mise en pers­pec­tive de ces mul­tiples chiffres, à la lec­ture des com­men­taires qui les accom­pa­gnaient : concrets, durs ; c’est un réel malaise qui se dégage.

Nous inter­ro­gions les jour­na­listes sur leur bien-être au tra­vail, ils se sont prin­ci­pa­le­ment expri­més sur la san­té de leur pro­fes­sion. Il existe des mythes, que la réa­li­té contra­rie inévi­ta­ble­ment. Il y a aus­si des valeurs, une idée de ce que doit être le jour­na­lisme qui ne peut être qua­li­fiée d’utopie sous pré­texte qu’elle est de plus en plus mise à mal. L’inertie serait une héré­sie pour une pro­fes­sion ancrée dans ce que la socié­té a de plus évo­lu­tif. Mais l’évidence d’évolutions néces­saires n’induit pas que tous les chan­ge­ments soient accep­tables. Aucune révé­la­tion ; de nom­breux cher­cheurs ont sou­le­vé l’urgence d’une réflexion et de prise de mesures appro­priées. Les jour­na­listes semblent de leur avis.

Réalités virtuelles : la question d’Internet

L’apparition du Web et la place qu’il a ensuite prise dans le quo­ti­dien de notre socié­té d’information font par­tie des évo­lu­tions les plus évi­dentes vécues par les rédac­tions. Rapide tour d’horizon des réponses liées à ce nou­veau média…

Assistant de rédaction

38,3% des jour­na­listes mettent Inter­net dans leurs deux prin­ci­pales sources d’information. Ce qui place le nou­veau média à la même hau­teur que les agences de presse, les ser­vices de presse et les autres médias.

Curio­si­té des résul­tats de l’enquête : les jour­na­listes de moins de trente ans sont ceux qui ont le moins recours au Web alors que nous les qua­li­fie­rions volon­tiers de « géné­ra­tion Inter­net », leur entrée dans la pro­fes­sion étant pos­té­rieure à l’invention du média. Une expli­ca­tion pour­rait être que les moins de trente ans étant dans un rap­port qua­si consub­stan­tiel avec Inter­net, le recours à l’outil soit moins res­sen­ti que chez leurs aînés.

Tous journalistes ?

34% des son­dés per­çoivent comme une menace la mul­ti­pli­ca­tion des appa­reils per­met­tant à tous de réa­li­ser des pho­tos et vidéos numé­riques. Ce ne sont pas les pho­tos de vacances et les vidéos de com­mu­nion qui inquiètent les pro­fes­sion­nels de l’information. La menace poten­tielle, c’est le genre hybride, de « jour­na­lisme » dit par­ti­ci­pa­tif ou encore citoyen, qui colle à la peau du Web 2.0.

À l’heure du culte de l’amateur, les jour­na­listes semblent reven­di­quer un savoir-faire lié à une connais­sance pro­fes­sion­nelle. 61% des son­dés qui se sont expri­més sur ce point réclament une meilleure dis­tinc­tion entre ce qui relève du domaine du jour­na­lisme, de l’expression libre et de la par­ti­ci­pa­tion. Il n’est pas ques­tion de reje­ter en bloc l’expression des indi­vi­dus exté­rieurs à la pro­fes­sion sur des thèmes variés ni de nier ce qu’ils pour­raient appor­ter au débat public. Mais, avec des pro­pos des plus viru­lents aux plus nuan­cés, de nom­breux jour­na­listes affirment leur « supé­rio­ri­té » dans le domaine de l’information : « Je n’ai rien contre l’apport d’infos de la part de “mon­sieur Tout-le-Monde”. Je regrette seule­ment que ces “infos” ne fassent pas l’objet de véri­fi­ca­tions sys­té­ma­tiques par des jour­na­listes dont c’est le métier. Je crains, ici, une véri­table dérive de l’information. »

Inter­net a faci­li­té l’accès aux don­nées. Le débat se déplace donc de la récolte au trai­te­ment, à la valeur que peuvent ajou­ter des indi­vi­dus à ces données.

Un nouveau métier ?

Inter­net est entré dans le quo­ti­dien des rédac­tions, les adeptes du Net veulent faire du jour­na­lisme, mais les jour­na­listes sou­haitent-ils faire du Web ? Ils sont 40,1% à décla­rer ali­men­ter régu­liè­re­ment le site Inter­net de leur média avec du conte­nu spé­ci­fique. Une évo­lu­tion signi­fi­ca­tive des pra­tiques quand on sait que les pre­miers sites de médias en Bel­gique fran­co­phone ont vu le jour il y a une dizaine d’années. Rap­pe­lons éga­le­ment que nous par­lons de conte­nu spé­ci­fique. Aujourd’hui les médias n’utilisent plus leurs pages Web comme simple vitrine, ils pro­posent un conte­nu dif­fé­rent de celui de leur média « clas­sique ». Or, on note qu’en 1998, à la suite d’une enquête ayant pour objet le jour­na­lisme sur Inter­net en culture fran­co­phone, Benoît Gre­visse6 ne dénom­brait que cinq rédac­tions offrant de nou­veaux pro­duits via leur site, sur les trente et une analysées.

Comme le montre le gra­phique, la pra­tique est plus cou­rante en presse écrite que dans l’audiovisuel.
cfi_net.jpg
Textes ? pho­tos ? vidéos ? extraits sonores ? Nous ne savons pas pré­ci­sé­ment ce que ces 40% de jour­na­listes tissent sur la Toile. Ce qui res­sort par contre de l’enquête est que le jour­na­lisme mul­ti­mé­dia — tra­vailler à la fois pour l’image, l’écrit et le son — est, avec la concen­tra­tion des médias, la seule « nou­veau­té » que plus d’un jour­na­liste sur deux per­çoit comme une menace, par­mi celles que nous leur avons sou­mises7.

Quels journalistes aujourd’hui ?

Cin­quante-cinq jour­na­listes ont décla­ré tra­vailler dans une rédac­tion Web, soit 7,3% de notre échan­tillon. Quelles sont les carac­té­ris­tiques de ces jour­na­listes en ligne ? Notons tout d’abord que le ques­tion­naire per­met­tait une réponse mul­tiple à la ques­tion du type de média et que seuls 22% de la caté­go­rie déclarent tra­vailler uni­que­ment pour le Web. Le média com­plé­men­taire le plus fré­quent est un média écrit. Soit les jour­na­listes tra­vaillant exclu­si­ve­ment pour le site Inter­net d’un média ont signa­lé le type de leur média source, soit ils tra­vaillent effec­ti­ve­ment pour plu­sieurs supports.

Les jour­na­listes en ligne sont prin­ci­pa­le­ment des hommes (72,7%). Un chiffre qui rejoint celui de la popu­la­tion totale où les femmes sont sous-repré­sen­tées. Ils sont majo­ri­tai­re­ment issus de l’enseignement supé­rieur uni­ver­si­taire (65,5%) tout comme le « jour­na­liste moyen ». Il est éga­le­ment majo­ri­tai­re­ment sala­rié mais dans une pro­por­tion moindre (60% des jour­na­listes Web contre 76,7% dans la popu­la­tion totale).

Là où le jour­na­liste web se dis­tingue vrai­ment par rap­port au « jour­na­liste moyen », c’est par son âge. À 30,9%, le jour­na­liste en ligne a moins de trente ans, un pour­cen­tage deux fois plus éle­vé que celui de la popu­la­tion géné­rale. Dans les rédac­tions Web, un jour­na­liste sur deux a moins de trente-cinq ans. Le Web serait-il en train de s’imposer comme une nou­velle porte d’entrée dans la profession ?

Ce ne sont que quelques don­nées met­tant des chiffres sur un débat vaste. Inter­net est incon­tes­ta­ble­ment un des défis essen­tiels. Dans les com­men­taires, plu­sieurs jour­na­listes pré­sentent le mul­ti­mé­dia comme un coche à ne pas rater et dénoncent par la même occa­sion la « fri­lo­si­té » de leurs col­lègues : « La fri­lo­si­té des jour­na­listes et la mécon­nais­sance glo­bale des métiers liés au numé­rique sont les prin­ci­paux freins aux chan­ge­ments pour­tant iné­luc­tables dans la manière de pra­ti­quer notre métier. »

  1. Enquête réa­li­sée par voie élec­tro­nique en juillet 2008 dans le cadre d’un mémoire uni­ver­si­taire à l’UCL, avec l’appui logis­tique de l’AJP. Ques­tion­naire basé sur une étude simi­laire menée en France à l’initiative de Jour­na­lisme et Citoyenneté.
  2. Les cita­tions ne ren­voyant pas à une réfé­rence en fin d’article sont extraites des réponses obtenues,
    trai­tées anonymement.
  3. Bour­dieu P., « Jour­na­lisme et éthique », Cahiers du jour­na­lisme, EJL, Lille, n° 1, 1996, p. 11.
  4. Le Bohec J., Les mythes pro­fes­sion­nels des jour­na­listes, L’Harmattan, Paris, 2000, p. 42.
  5. Accar­do A., Jour­na­listes pré­caires, Jour­na­listes au quo­ti­dien, Agone, Mar­seille, 2007.
  6. Gre­visse B., « Jour­na­listes sur Inter­net : repré­sen­ta­tions pro­fes­sion­nelles et modi­fi­ca­tions des pra­tiques en culture fran­co­phone », Cahiers du jour­na­lisme, EJL-Lille, n° 5, 1998, p. 100.
  7. Les autres étant les outils de mesure d’audience, les jour­naux gra­tuits, les blogs, le média à la demande et les outils de connais­sance et d’analyse des attentes du public.

Céline Fion


Auteur