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Le logement déménage

Numéro 2 Février 2008 par Bernard Nicolas

février 2008

Depuis long­temps, qu’on soit dans le sec­teur loca­tif ou acqui­si­tif, l’ha­bi­tat se décline, et mas­si­ve­ment, sur le mode indi­vi­duel. À l’heure actuelle, on achète et on loue en solo (ou en ménage) essen­tiel­le­ment. En paral­lèle, l’on assiste éga­le­ment à une pré­va­lence du schème de l’ha­bi­tat de droit com­mun : bail de rési­dence prin­ci­pale, pro­prié­té. Et pour­tant, près d’un […]

Depuis long­temps, qu’on soit dans le sec­teur loca­tif ou acqui­si­tif, l’ha­bi­tat se décline, et mas­si­ve­ment, sur le mode indi­vi­duel. À l’heure actuelle, on achète et on loue en solo (ou en ménage) essen­tiel­le­ment. En paral­lèle, l’on assiste éga­le­ment à une pré­va­lence du schème de l’ha­bi­tat de droit com­mun : bail de rési­dence prin­ci­pale, pro­prié­té. Et pour­tant, près d’un demi-siècle après le com­mu­nau­ta­risme des années soixante, on voit poindre à nou­veau et se trans­for­mer la figure du col­lec­tif dans le domaine du loge­ment. L’ha­bi­tat alter­na­tif semble être de retour. Revê­tant des contours encore dif­fus, ce phé­no­mène, ras­sem­blé sous la ban­nière dite de l’ha­bi­tat grou­pé, regroupe en tout cas en un même lieu des per­sonnes unies ou non par un pro­jet de vie ensemble. Il n’existe pas, en fait, de modèle unique d’ha­bi­tat groupé.

Bégui­nages pour per­sonnes âgées (voir la Cité Jouet-Rey ou la mai­son Entre voi­sins d’Ab­bey­field, toutes deux à Etter­beek), ate­liers d’ar­tistes de type Bateau-lavoir pari­sien (voyez les ate­liers Mom­men à Saint-Josse), squats (ex-Taga­wa sur l’a­ve­nue Louise, minis­tère de la Crise du Loge­ment à la rue Royale), habi­tat inter­gé­né­ra­tion­nel (Dar el Amal à Molen­beek), loge­ment en cam­ping per­ma­nent (Ourthe-Amblève), bourses d’a­chat col­lec­tif (Bruxelles-Ville), loge­ments pour jeunes en dif­fi­cul­té… elles sont nom­breuses, en Région bruxel­loise ou en Wal­lo­nie, les appli­ca­tions de ce thème fécond. Par ailleurs, l’ha­bi­tat grou­pé peut aus­si bien être loca­tif qu’ac­qui­si­tif, déli­bé­ré ou inci­dent, et se voir ou non flan­qué d’un accom­pa­gne­ment social. Si, enfin, cer­taines struc­tures sont impul­sées — et gérées — par un acteur ins­ti­tu­tion­nel, la majo­ri­té des habi­tats grou­pés résulte d’une ini­tia­tive pri­vée (dans une démarche bottum-up).

Si le phé­no­mène est pas­sa­ble­ment dif­frac­té, on trouve tou­jours à sa source un même constat : les occu­pants ont tous jugé que, pour véri­ta­ble­ment s’ap­pro­prier un lieu de vie et s’é­pa­nouir dans un loge­ment, le col­lec­tif repré­sen­tait à un moment don­né de leur exis­tence la meilleure voie. Quel col­lec­tif ? Nos concep­tions du loge­ment sont com­plè­te­ment irri­guées par des normes impli­cites — « la mai­son quatre façades dans son jar­di­net » — comme le droit à la pro­prié­té, l’as­cen­sion sociale indi­vi­duelle, la cel­lule fami­liale tra­di­tion­nelle, l’ap­par­te­nance iden­ti­taire à un endroit unique. Au point que les alter­na­tives qui appa­raissent fonc­tionnent comme autant d’a­na­ly­seurs des formes du col­lec­tif qui se recom­pose dans une socié­té occi­den­tale en début de XXIe siècle. Même si le dis­cours des acteurs peut prê­ter à confu­sion à pre­mière vue, on ne parle plus d’un col­lec­tif don­né et bor­né, qua­si orga­nique. Dans toutes ces formes d’ha­bi­tat alter­na­tif, on entre et on sort quand on le décide, moyen­nant le res­pect de la règle com­mune, et dans nombre de for­mules, on n’est pas là de manière durable. Plus le pou­voir est géré hori­zon­ta­le­ment, plus l’é­vo­lu­tion de la com­po­si­tion du groupe a d’im­pacts en termes d’é­vo­lu­tion des normes qu’il se donne, notam­ment sur la défi­ni­tion qu’il s’ap­plique de ses propres fron­tières. La soli­da­ri­té inter­in­di­vi­duelle existe, mais elle est limi­tée : elle s’ar­rête quand le membre du groupe ne peut plus trou­ver lui-même les moyens de sa sub­sis­tance, néces­saires à la prise en charge de la quote-part indi­vi­duelle des charges sup­por­tées ensemble. On devrait donc plu­tôt par­ler de formes d’en­traide. Le col­lec­tif appa­raît ain­si dans une lumière plus froide que roman­tique : un empi­le­ment évo­lu­tif d’ar­ran­ge­ments indi­vi­duels, ou entre l’in­di­vi­du et le groupe, qui pro­duisent une cohé­sion effective.

Des collectifs pluriels

Quoi qu’il en soit, et contrai­re­ment aux a prio­ri, si le thème concerne bien pour par­tie une popu­la­tion de jeunes ménages diplô­més et actifs, sa por­tée va bien au-delà. Il séduit aujourd’­hui aus­si bien les seniors (sou­cieux de rompre leur soli­tude), les ex-déte­nus (qui manquent de relais à leur sor­tie de pri­son et dont le par­cours car­cé­ral rebute sou­vent les pro­prié­taires), les allo­ca­taires sociaux (dési­reux de par­ta­ger cer­tains frais fixes par­ti­cu­liè­re­ment lourds : garan­tie loca­tive, abon­ne­ments de télé­phone, de gaz et d’élec­tri­ci­té, etc.), les membres de la classe moyenne supé­rieure qui dési­rent se mettre à plu­sieurs en vue d’ac­qué­rir des lofts dans le centre-ville, les tra­vailleurs en début de vie pro­fes­sion­nelle (qui, avant de fon­der une famille, sou­haitent pro­lon­ger quelque peu leur vie d’é­tu­diant et inves­tir avec des amis un quar­tier plus ou moins chic qui leur serait finan­ciè­re­ment inac­ces­sible à titre indi­vi­duel1)…

On le voit, les moti­va­tions sont diverses. Il ne semble cepen­dant pas, contrai­re­ment aux loge­ments com­mu­nau­taires des années soixante, que ces regrou­pe­ments répondent à des mobiles idéo­lo­giques. En géné­ral, on n’est plus aujourd’­hui dans une volon­té de chan­ger le monde par son mode d’ha­bi­tat. Ce sont avant tout la néces­si­té maté­rielle, le sou­hait de confort ou la recherche iden­ti­taire qui poussent désor­mais les gens à s’a­gré­ger pour habi­ter. L’heure, en pleine crise du loge­ment, est réso­lu­ment au prag­ma­tisme (ce qui n’empêche pas, une fois la situa­tion sta­bi­li­sée, des visées plus doc­tri­naires de prendre le relais des pré­oc­cu­pa­tions pro­pre­ment finan­cières de départ). En ce qui concerne spé­ci­fi­que­ment les per­sonnes en état de pré­ca­ri­té, l’ha­bi­tat grou­pé semble d’au­tant plus per­ti­nent que la pau­vre­té, contrai­re­ment à une opi­nion cou­rante, n’est pas qu’une affaire de res­sources pécu­niaires. D’a­bord et avant tout, elle pro­cède d’un déli­te­ment du lien social, d’un affai­blis­se­ment du réseau infor­mel d’en­traide et de soli­da­ri­té. Dans ce cadre, l’ha­bi­tat grou­pé contri­bue avan­ta­geu­se­ment au remaillage du tis­su social.

Des pouvoirs publics réticents

Las… Enfer­més dans des logiques caté­go­rielles qui confinent pro­gres­si­ve­ment à l’en­tê­te­ment et, en tout état de cause, à l’ob­so­les­cence, les pou­voirs publics tendent à décou­ra­ger, à sanc­tion­ner, voire à péna­li­ser ces formes de sou­tien mutuel et de soli­da­ri­té. Ain­si, les allo­ca­taires sociaux qui prennent la déci­sion de par­ta­ger un même toit pour des rai­sons finan­cières risquent fort de perdre leur sta­tut d’i­so­lé pour « tom­ber » dans le registre « coha­bi­tant » et ce, quand bien même ils ne for­me­raient en rien un ménage au sens tra­di­tion­nel du terme. Consé­quence : les inté­res­sés en sont à louer des boîtes aux lettres ou encore des son­nettes, à des tarifs pro­hi­bi­tifs natu­rel­le­ment (qui mettent en péril l’é­qui­libre de leur bud­get), dans le seul but de simu­ler une domi­ci­lia­tion ailleurs et conser­ver ain­si leur taux isolé.

Cette mou­vance de l’ha­bi­tat grou­pé, par ailleurs, est-elle cor­rec­te­ment appré­hen­dée par le sec­teur ins­ti­tu­tion­nel du loge­ment social ? Rien n’est moins sûr mal­heu­reu­se­ment. S’il existe bien l’une ou l’autre ten­ta­tive en la matière (Habi­ta­tion moderne, par exemple, dans la capi­tale), il est à regret­ter notam­ment que le Plan pour l’a­ve­nir du loge­ment à Bruxelles, visant à la construc­tion de trois mille cinq cents nou­velles uni­tés d’ha­bi­ta­tions sociales, ne dédie pas une frac­tion, même minime, de ce parc nou­veau à l’ha­bi­tat col­lec­tif. Et le pro­mo­teur pour­rait même, grâce à une dis­po­si­tion des lieux qu’il conce­vrait dépour­vue d’é­qui­voque (cui­sines auto­nomes, accès sépa­rés, etc.), par­ve­nir à ren­ver­ser la pré­somp­tion de coha­bi­ta­tion qui pèse sur les occu­pants. Il est donc temps pour les socié­tés de loge­ment, notam­ment, de prendre l’exacte mesure de cette évo­lu­tion de la socié­té afin d’of­frir des habi­ta­tions qui cor­res­pondent au mieux aux aspi­ra­tions d’une popu­la­tion elle-même en pro­fonde mutation.

S’il est encore émergent, le phé­no­mène de l’ha­bi­tat grou­pé n’a plus rien de mar­gi­nal en 2008. La matrice du loge­ment indi­vi­duel semble bel et bien écor­née, et le retour de balan­cier enta­mé. Une masse cri­tique suf­fi­sante d’ex­pé­riences en matière de loge­ment col­lec­tif a été atteinte, semble-t-il, pour que l’on puisse com­men­cer à par­ler d’une véri­table alter­na­tive. Et pour­tant, ce mode d’ha­bi­tat ne va pas sans sou­le­ver une bat­te­rie de ques­tions ; il inter­roge notre rela­tion au loge­ment et, par-delà, notre rap­port à la norme. Sou­le­vons tout d’a­bord le para­doxe sui­vant. Les per­sonnes qui prennent la déci­sion d’in­ves­tir un habi­tat grou­pé — et qui reven­diquent par là une forte auto­no­mie par rap­port aux struc­tures exis­tantes — néces­sitent en même temps un accom­pa­gne­ment social pous­sé (que ce soit sur le plan finan­cier, juri­dique ou encore rela­tion­nel), tant les embûches sont nom­breuses sur la voie du loge­ment col­lec­tif. Si, dans le même registre, l’on veut confé­rer à l’ha­bi­tat grou­pé une cer­taine péren­ni­té, il s’in­dique alors d’ar­rê­ter un « règle­ment d’ordre inté­rieur » rela­ti­ve­ment strict (ou encore une « charte » dont l’ex­pé­rience montre qu’elle a un pou­voir auto-dis­ci­pli­naire fort), ce qui, fata­le­ment, cir­cons­cri­ra la liber­té de rési­dents sou­vent per­sua­dés de pou­voir enfin vivre, là, sans contrainte.

Richesses et aléas des communautés

C’est qu’il convient de ne pas tom­ber dans l’an­gé­lisme. Le col­lec­tif, c’est aus­si du contrôle social et du pou­voir, qu’il va fal­loir gérer ensemble, sans néces­sai­re­ment être à armes égales. Et la for­ma­li­sa­tion des manières d’ha­bi­ter ensemble peut en arri­ver à mordre sur les ter­ri­toires de l’in­ti­mi­té et la vie pri­vée. Sur un autre plan, l’ha­bi­tat col­lec­tif sera éga­le­ment une manière d’ins­tru­men­ta­li­ser indi­vi­duel­le­ment la com­mu­nau­té (re)créée. Loin d’un espace de socia­li­té alter­na­tif, elle peut même deve­nir pour l’in­di­vi­du une manière d’être encore plus flexible sur les ter­rains où il négo­cie sa sub­sis­tance et son iden­ti­té : tra­vail, consom­ma­tion cultu­relle, enga­ge­ments asso­cia­tifs, vie affec­tive et autres espaces de socia­li­té, etc.

Par ailleurs, l’en­cou­ra­ge­ment de for­mules de type habi­tat grou­pé ne doit pas conduire à la mul­ti­pli­ca­tion d’i­so­lats sociaux au sein des­quels de petites col­lec­ti­vi­tés vivraient en marge. Il faut veiller à ce que le loge­ment alter­na­tif conserve la pos­si­bi­li­té de réin­té­grer, d’une manière ou d’une autre, la sphère de droit com­mun. S’il a incon­tes­ta­ble­ment pour voca­tion de ques­tion­ner la norme domi­nante, l’ha­bi­tat grou­pé doit, dans le même mou­ve­ment, pou­voir y faire retour, ce qui ne consti­tue pas le plus mince de ses défis. Les normes bonnes sont celles qui réus­sissent le tour de force de tenir compte des situa­tions carac­té­ris­tiques de pau­vre­té et, à la fois, de s’en déta­cher, de manière à pou­voir embras­ser un hori­zon plus large et plei­ne­ment éman­ci­pa­teur. Le risque en effet pour le légis­la­teur, s’il devait satis­faire entiè­re­ment ces — nom­breuses — demandes de recon­nais­sance d’ha­bi­tat grou­pé, est de perdre de vue la résorp­tion struc­tu­relle des causes de la pré­ca­ri­té et de mul­ti­plier ain­si des sous-sta­tuts dif­fé­ren­ciés incom­pa­tibles avec la pro­mo­tion d’un pro­grès social par hypo­thèse uni­fi­ca­teur. Car une démo­cra­tie authen­tique se doit de pro­po­ser un pro­jet de socié­té sus­cep­tible d’être par­ta­gé par tous les citoyens. La pos­si­bi­li­té d’être comme tout le monde, mais le droit de culti­ver sa dif­fé­rence. Dans la ligne, la puis­sance publique ne sau­rait trou­ver dans l’é­ven­tuelle ins­ti­tu­tion­na­li­sa­tion d’i­ni­tia­tives pri­vées en matière d’ha­bi­tat le moyen com­mode de se dés­in­ves­tir (finan­ciè­re­ment notam­ment) de la problématique. 

L’im­pli­ca­tion de l’É­tat ne doit pas, en d’autres termes, signer en même temps son retrait du champ du logement.
Concer­nant pré­ci­sé­ment le contexte nor­ma­tif, il convient de poin­ter l’am­bi­va­lence actuelle. Sui­vant les sujets cou­verts, l’ar­se­nal régle­men­taire appa­raît, de nos jours, soit plé­tho­rique, soit malingre. Trop étof­fé ou exa­gé­ré­ment dis­cret, le cor­pus de règles ne consti­tue en tout cas pas tou­jours un adju­vant dans la mise en œuvre d’un droit au loge­ment. On trouve, d’un côté, une véri­table pro­fu­sion de lois, tant dans le sec­teur de la construc­tion que de l’ac­qui­si­tion ou encore de la loca­tion (qu’on songe aux stan­dards — dra­co­niens — de qua­li­té du bien ou aux dis­po­si­tions qui cade­nassent le bail de réno­va­tion). Les normes peuvent alors être per­çues comme bri­mantes, voire péna­li­santes par cer­tains. D’un autre côté, dif­fé­rentes ini­tia­tives sti­mu­lantes souffrent cruel­le­ment d’un défi­cit de recon­nais­sance légale ; là, le légis­la­teur adopte un pro­fil éton­nam­ment bas. Il est temps dès lors de faire col­ler davan­tage le droit aux trans­for­ma­tions de la société.

Libérer l’habitat

En somme, l’ha­bi­tat alter­na­tif (for­cé­ment grou­pé dès lors que le modèle pré­pon­dé­rant est de nature indi­vi­duelle) rend un peu de sa liber­té à l’ha­bi­tant dans un « monde immo­bi­lier » lar­ge­ment démaî­tri­sant. Les loge­ments, tra­di­tion­nel­le­ment, sont livrés clef sur porte si l’on peut dire. Le loca­taire social, pour ne prendre que cette illus­tra­tion, n’a guère le droit de confi­gu­rer son lieu de vie à son image, en réa­li­sant lui-même des tra­vaux de réno­va­tion par exemple. Sa contri­bu­tion se limite trop sou­vent au choix de la cou­leur de la moquette. L’homo habi­tans reste actuel­le­ment un pur consom­ma­teur. Résul­tat : éla­bo­ré sans son concours, le loge­ment ne fait pas l’ob­jet d’une véri­table appro­pria­tion par son occu­pant2. Par contraste, l’ha­bi­tat grou­pé peut rendre le citoyen acteur de sa propre solu­tion de loge­ment. On valo­rise ain­si son poten­tiel créa­teur et, comme dans les cam­pings et parcs rési­den­tiels, on ren­force d’au­tant les pro­ba­bi­li­tés d’une iden­ti­fi­ca­tion à son lieu de vie, autant de vec­teurs d’es­time de soi3.

Il s’a­git donc ici de « libé­rer » d’autres formes d’ha­bi­tat, qui font indé­nia­ble­ment leurs preuves face à la crise actuelle du loge­ment. Il nous faut inno­ver, à charge alors pour la puis­sance publique, dans un sain prin­cipe de sub­si­dia­ri­té ain­si renou­ve­lé, d’en­ca­drer — juri­di­que­ment et finan­ciè­re­ment — ces ini­tia­tives avant, le cas échéant, de les sta­bi­li­ser et, in fine, de les ampli­fier ou de les démul­ti­plier. Après tout, les agences immo­bi­lières sociales, tant van­tées aujourd’­hui, ne sont pas nées autre­ment. La crise du loge­ment, qui exerce des ravages sociaux dévas­ta­teurs, ne méri­te­rait-elle pas un pareil « chan­ge­ment de para­digme » ? Poser la ques­tion, c’est déjà y répondre.

La logique du dos­sier qui s’ouvre est d’é­clai­rer ces dif­fé­rentes dimen­sions de l’ha­bi­tat alter­na­tif à par­tir d’une varié­té de situa­tions concrètes et contem­po­raines, pré­sen­tées par des per­sonnes qui les pensent et les portent dans l’es­pace public et qui, ce fai­sant, cherchent la dis­tance qui per­met de les repla­cer dans leur contexte pour en mieux com­prendre les spé­ci­fi­ci­tés et la por­tée. Nous invi­tons donc le lec­teur à une visite qui peut se faire dans n’im­porte quel ordre. Il y ver­ra des squats, des cam­pings et parcs rési­den­tiels, des mai­sons dont le pro­prié­taire âgé loue une par­tie à un jeune ménage, des habi­tats grou­pés ras­sem­blant de cinq à trois cents familles. Et nous n’ou­blions pas la forme la plus ins­ti­tu­tion­na­li­sée de loge­ment col­lec­tif : le loge­ment social public, qui s’est lui aus­si mis à se pen­ser en termes de coha­bi­ta­tion, y com­pris avec ses voisins.

  1. C’est l’ef­fet Friends, du nom de la série télé­vi­sée américaine.
  2. Ain­si, dans le loge­ment social, les Magh­ré­bines, par exemple, tendent à délais­ser la cui­sine amé­ri­caine qui leur enlève toute inti­mi­té tan­dis que la bai­gnoire — que d’au­cuns jugent redon­dante par rap­port à une douche — sert par­fois de récep­tacle de for­tune où baignent, dans l’huile, des pièces de moby­lette. De manière géné­rale, de nom­breux sans-abri pré­fèrent conti­nuer à dor­mir à la rue car les loge­ments qu’on leur pro­pose sont, à leur estime, trop régle­men­tés, asep­ti­sés, etc.
  3. Voyez N. Ber­nard, J’ha­bite donc je suis. Pour un nou­veau rap­port au loge­ment, Bruxelles, Labor, 2005.

Bernard Nicolas


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