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Le gouvernement fédéral nuit gravement à la santé
Alors que ses collègues faisaient les beaux jours des observateurs de la vie politique par la gestion chaotique de leurs dossiers (Jacqueline Galant, Marie-Christine Marghem), leurs décisions impopulaires (Daniel Bacquelaine), leur incapacité à peser sur les choix gouvernementaux (Kris Peeters) ou leurs déclarations à l’emporte-pièce (Theo Francken, Jan Jambon), la ministre fédérale de la Santé, Maggie De […]
Alors que ses collègues faisaient les beaux jours des observateurs de la vie politique par la gestion chaotique de leurs dossiers (Jacqueline Galant, Marie-Christine Marghem), leurs décisions impopulaires (Daniel Bacquelaine), leur incapacité à peser sur les choix gouvernementaux (Kris Peeters) ou leurs déclarations à l’emporte-pièce (Theo Francken, Jan Jambon), la ministre fédérale de la Santé, Maggie De Block, tirait encore récemment son épingle du jeu en caracolant en tête des sondages de popularité, tant en Flandre qu’à Bruxelles et en Wallonie, tout en réformant en profondeur le paysage des soins de santé.
Le conclave budgétaire de l’automne dernier pourrait toutefois sérieusement entamer le crédit sympathie de la libérale qui, après avoir clamé sur tous les toits que l’on ne toucherait plus au budget de l’assurance-maladie sans mettre en péril un système de soins parmi les plus performants du monde, s’est vue contrainte de demander des efforts de près d’un milliard d’euros (soit le tiers des économies à réaliser en 2017) à un secteur qui avait déjà contribué de manière importante à l’assainissement des finances publiques depuis le début de la législature. Ce faisant, elle s’est attiré les foudres non seulement des mutualités (ce qui n’était pas neuf), mais également des pharmaciens et des médecins. Résultat : alors que les premiers affichent désormais dans leurs officines leur hostilité à ces mesures d’économies, les seconds sont appelés par leurs syndicats à se déconventionner, avec le risque non négligeable d’une augmentation des tarifs de consultation, accélérant ainsi le développement d’une médecine à deux vitesses, où seuls les plus nantis pourront accéder aux soins.
Ce travail de sape du système de santé belge n’est pourtant pas neuf, et les avatars du budget 2017 ne sont que la partie visible de l’iceberg. Depuis le début de la législature, en effet, les reculs sont nombreux, y compris à l’égard de l’accord de majorité qui sert pourtant de cadre à l’action gouvernementale. Ainsi, alors que celui-ci prévoyait l’exécution « sans délai » de la loi de 2014 règlementant les professions des soins de santé mentale, reflet d’un savant équilibre entre les sensibilités du Nord et du Sud du pays, Maggie De Block a entrepris de revoir celle-ci de fond en comble, et de n’autoriser désormais l’exercice de la psychothérapie qu’aux seuls médecins, psychologues cliniciens et orthopédagogues cliniciens, au détriment d’autres approches telles que la systémique, la pratique analytique ou la psychodynamique. Surtout, alors que la loi de 2014 était issue d’une large consultation de l’ensemble des acteurs, la loi modificative de 2016 s’est faite sans aucune concertation, même pas des entités fédérées, qui sont pourtant compétentes pour l’organisation de la première ligne de soins, et dont les cadres législatifs autorisent l’exercice de la fonction psychologique par bien d’autres types de profils au sein de structures comme les services de santé mentale ou les plannings familiaux.
Ce détricotage des politiques mêlé de tensions avec les entités fédérées s’est également produit dans le dossier de la lutte contre le sida : là encore, après une importante phase de consultation des associations et prestataires de soins, un plan avait été arrêté en 2013. Contenant 58 actions organisées autour de quatre axes stratégiques (prévention, dépistage et accès à la prise en charge, prise en charge des personnes vivant avec le VIH, qualité de vie des personnes vivant avec le VIH), celui-ci devait être mis en œuvre sous la houlette d’un coordinateur national… que Maggie De Block a refusé de désigner. Pire : le projet pilote de dépistage décentralisé, permettant d’atteindre des publics rétifs à se faire tester, a purement et simplement été arrêté par la ministre.
Le fédéralisme de coopération au point mort
Autre péripétie : le nouvel échec dans l’élaboration d’un Plan Alcool. Là encore, fédéral et entités fédérées étaient autour de la table pour arrêter une série d’actions visant à s’attaquer à un problème de santé publique responsable de 6% des décès en Belgique et dont le cout social est estimé à plus de quatre milliards par an. Las ! Face aux (puissants) lobbys, notamment brassicoles, le fédéral a refusé d’adopter des mesures de bon sens comme l’interdiction de vente sur les aires d’autoroute.
L’épisode le plus marquant de ces tensions avec les Communautés, et singulièrement la Fédération Wallonie-Bruxelles, est incontestablement la saga du numerus clausus. Alors que tout le monde s’accorde à dire que les services d’urgence sont engorgés par des patients qui devraient s’adresser d’abord à un médecin généraliste, que de nombreux signaux indiquent que la pénurie est à nos portes, que le fédéral a dû lui-même se résoudre à mettre sur pied un système de primes à l’installation de médecins dans des zones critiques (Impulseo, désormais de compétence communautaire), les partis flamands s’accrochent à des quotas dépassés. Et alors que la commission de planification voulue par ces mêmes partis pointait la nécessité de revoir la répartition entre Flandre et Communauté française, Maggie De Block a dû, là encore, ravaler sa parole de respecter strictement les recommandations des experts scientifiques. Conséquence : une nouvelle fragilisation de l’accès aux soins de santé primaires qui pourtant, selon les sources, devraient idéalement absorber de 70 à 90% de la demande de soins.
Vers une véritable politique de santé publique ?
Mais le pire est peut-être encore à venir. Les réformes annoncées du paysage hospitalier, de la législation relative aux professions de la santé, de l’organisation et de l’échelonnement des soins, pourraient, sous des apparences vertueuses, cacher des desseins obscurs.
Il existe certes un large consensus pour pointer la part trop importante du curatif, du médecin et de l’hôpital dans notre système de santé : il faut davantage mettre l’accent sur la promotion de la santé et la prévention, revaloriser l’ensemble des prestataires de soins (de l’infirmier à la pharmacienne, en passant par le kinésithérapeute et la sagefemme), et réorienter massivement vers les services ambulatoires. C’est cette philosophie qui a récemment amené le fédéral à lancer des projets pilotes sur la réduction du séjour hospitalier après l’accouchement, ou sur l’approche intégrée des soins en matière de maladies chroniques. Mais la distinction qui se dessine progressivement entre des fonctions de « cure » et de « care » n’est pas sans rappeler la répartition des compétences en matière de santé entre fédéral et entités fédérées… Et l’on ne serait pas surpris, une fois le modèle arrêté, de découvrir que le fédéral n’entend plus payer pour ce qui ne relève pas de sa compétence.
Dans ce contexte, la mise en place d’une véritable politique intégrée de santé publique ne pourra donc se concrétiser sans l’introduction corolaire d’un mécanisme de « bonus-malus » : si une entité fédérée permet à la sécurité sociale (fédérale) de faire des économies en menant une politique de réduction de la pollution de l’air (et donc des pathologies respiratoires), en favorisant l’activité physique (source de diminution d’affections telles que le diabète ou les maladies cardiovasculaires), ou en investissant massivement dans l’accompagnement périnatal, elle doit pouvoir être récompensée financièrement de ces efforts.
Il est toutefois à craindre, au regard de la politique menée depuis 2014, que la seule logique qui sous-tende les réformes à venir ne soit pas celle de l’amélioration de la santé de la population, mais soit bel et bien purement comptable, et vise uniquement à ce que le fédéral se déleste de ce qui n’est vu que comme une source de dépenses, au détriment des entités fédérées, que l’on sait pourtant largement désargentées, et qui ne pourront donc renforcer leurs actions de promotion de la santé, de prévention, ni les services ambulatoires. Restera, pour finir, un perdant : le citoyen.