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Le gouvernement fédéral nuit gravement à la santé

Numéro 1 - 2017 par Mathieu De Backer

janvier 2017

Alors que ses col­lègues fai­saient les beaux jours des obser­va­teurs de la vie poli­tique par la ges­tion chao­tique de leurs dos­siers (Jac­que­line Galant, Marie-Chris­­tine Mar­ghem), leurs déci­sions impo­pu­laires (Daniel Bac­que­laine), leur inca­pa­ci­té à peser sur les choix gou­ver­ne­men­taux (Kris Pee­ters) ou leurs décla­ra­tions à l’emporte-pièce (Theo Fran­cken, Jan Jam­bon), la ministre fédé­rale de la San­té, Mag­gie De […]

Le Mois

Alors que ses col­lègues fai­saient les beaux jours des obser­va­teurs de la vie poli­tique par la ges­tion chao­tique de leurs dos­siers (Jac­que­line Galant, Marie-Chris­tine Mar­ghem), leurs déci­sions impo­pu­laires (Daniel Bac­que­laine), leur inca­pa­ci­té à peser sur les choix gou­ver­ne­men­taux (Kris Pee­ters) ou leurs décla­ra­tions à l’emporte-pièce (Theo Fran­cken, Jan Jam­bon), la ministre fédé­rale de la San­té, Mag­gie De Block, tirait encore récem­ment son épingle du jeu en cara­co­lant en tête des son­dages de popu­la­ri­té, tant en Flandre qu’à Bruxelles et en Wal­lo­nie, tout en réfor­mant en pro­fon­deur le pay­sage des soins de santé.

Le conclave bud­gé­taire de l’automne der­nier pour­rait tou­te­fois sérieu­se­ment enta­mer le cré­dit sym­pa­thie de la libé­rale qui, après avoir cla­mé sur tous les toits que l’on ne tou­che­rait plus au bud­get de l’assurance-maladie sans mettre en péril un sys­tème de soins par­mi les plus per­for­mants du monde, s’est vue contrainte de deman­der des efforts de près d’un mil­liard d’euros (soit le tiers des éco­no­mies à réa­li­ser en 2017) à un sec­teur qui avait déjà contri­bué de manière impor­tante à l’assainissement des finances publiques depuis le début de la légis­la­ture. Ce fai­sant, elle s’est atti­ré les foudres non seule­ment des mutua­li­tés (ce qui n’était pas neuf), mais éga­le­ment des phar­ma­ciens et des méde­cins. Résul­tat : alors que les pre­miers affichent désor­mais dans leurs offi­cines leur hos­ti­li­té à ces mesures d’économies, les seconds sont appe­lés par leurs syn­di­cats à se décon­ven­tion­ner, avec le risque non négli­geable d’une aug­men­ta­tion des tarifs de consul­ta­tion, accé­lé­rant ain­si le déve­lop­pe­ment d’une méde­cine à deux vitesses, où seuls les plus nan­tis pour­ront accé­der aux soins.

Ce tra­vail de sape du sys­tème de san­té belge n’est pour­tant pas neuf, et les ava­tars du bud­get 2017 ne sont que la par­tie visible de l’iceberg. Depuis le début de la légis­la­ture, en effet, les reculs sont nom­breux, y com­pris à l’égard de l’accord de majo­ri­té qui sert pour­tant de cadre à l’action gou­ver­ne­men­tale. Ain­si, alors que celui-ci pré­voyait l’exécution « sans délai » de la loi de 2014 règle­men­tant les pro­fes­sions des soins de san­té men­tale, reflet d’un savant équi­libre entre les sen­si­bi­li­tés du Nord et du Sud du pays, Mag­gie De Block a entre­pris de revoir celle-ci de fond en comble, et de n’autoriser désor­mais l’exercice de la psy­cho­thé­ra­pie qu’aux seuls méde­cins, psy­cho­logues cli­ni­ciens et ortho­pé­da­gogues cli­ni­ciens, au détri­ment d’autres approches telles que la sys­té­mique, la pra­tique ana­ly­tique ou la psy­cho­dy­na­mique. Sur­tout, alors que la loi de 2014 était issue d’une large consul­ta­tion de l’ensemble des acteurs, la loi modi­fi­ca­tive de 2016 s’est faite sans aucune concer­ta­tion, même pas des enti­tés fédé­rées, qui sont pour­tant com­pé­tentes pour l’organisation de la pre­mière ligne de soins, et dont les cadres légis­la­tifs auto­risent l’exercice de la fonc­tion psy­cho­lo­gique par bien d’autres types de pro­fils au sein de struc­tures comme les ser­vices de san­té men­tale ou les plan­nings familiaux.

Ce détri­co­tage des poli­tiques mêlé de ten­sions avec les enti­tés fédé­rées s’est éga­le­ment pro­duit dans le dos­sier de la lutte contre le sida : là encore, après une impor­tante phase de consul­ta­tion des asso­cia­tions et pres­ta­taires de soins, un plan avait été arrê­té en 2013. Conte­nant 58 actions orga­ni­sées autour de quatre axes stra­té­giques (pré­ven­tion, dépis­tage et accès à la prise en charge, prise en charge des per­sonnes vivant avec le VIH, qua­li­té de vie des per­sonnes vivant avec le VIH), celui-ci devait être mis en œuvre sous la hou­lette d’un coor­di­na­teur natio­nal… que Mag­gie De Block a refu­sé de dési­gner. Pire : le pro­jet pilote de dépis­tage décen­tra­li­sé, per­met­tant d’atteindre des publics rétifs à se faire tes­ter, a pure­ment et sim­ple­ment été arrê­té par la ministre.

Le fédéralisme de coopération au point mort

Autre péri­pé­tie : le nou­vel échec dans l’élaboration d’un Plan Alcool. Là encore, fédé­ral et enti­tés fédé­rées étaient autour de la table pour arrê­ter une série d’actions visant à s’attaquer à un pro­blème de san­té publique res­pon­sable de 6% des décès en Bel­gique et dont le cout social est esti­mé à plus de quatre mil­liards par an. Las ! Face aux (puis­sants) lob­bys, notam­ment bras­si­coles, le fédé­ral a refu­sé d’adopter des mesures de bon sens comme l’interdiction de vente sur les aires d’autoroute.

L’épisode le plus mar­quant de ces ten­sions avec les Com­mu­nau­tés, et sin­gu­liè­re­ment la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles, est incon­tes­ta­ble­ment la saga du nume­rus clau­sus. Alors que tout le monde s’accorde à dire que les ser­vices d’urgence sont engor­gés par des patients qui devraient s’adresser d’abord à un méde­cin géné­ra­liste, que de nom­breux signaux indiquent que la pénu­rie est à nos portes, que le fédé­ral a dû lui-même se résoudre à mettre sur pied un sys­tème de primes à l’installation de méde­cins dans des zones cri­tiques (Impul­seo, désor­mais de com­pé­tence com­mu­nau­taire), les par­tis fla­mands s’accrochent à des quo­tas dépas­sés. Et alors que la com­mis­sion de pla­ni­fi­ca­tion vou­lue par ces mêmes par­tis poin­tait la néces­si­té de revoir la répar­ti­tion entre Flandre et Com­mu­nau­té fran­çaise, Mag­gie De Block a dû, là encore, rava­ler sa parole de res­pec­ter stric­te­ment les recom­man­da­tions des experts scien­ti­fiques. Consé­quence : une nou­velle fra­gi­li­sa­tion de l’accès aux soins de san­té pri­maires qui pour­tant, selon les sources, devraient idéa­le­ment absor­ber de 70 à 90% de la demande de soins.

Vers une véritable politique de santé publique ?

Mais le pire est peut-être encore à venir. Les réformes annon­cées du pay­sage hos­pi­ta­lier, de la légis­la­tion rela­tive aux pro­fes­sions de la san­té, de l’organisation et de l’échelonnement des soins, pour­raient, sous des appa­rences ver­tueuses, cacher des des­seins obscurs.

Il existe certes un large consen­sus pour poin­ter la part trop impor­tante du cura­tif, du méde­cin et de l’hôpital dans notre sys­tème de san­té : il faut davan­tage mettre l’accent sur la pro­mo­tion de la san­té et la pré­ven­tion, reva­lo­ri­ser l’ensemble des pres­ta­taires de soins (de l’infirmier à la phar­ma­cienne, en pas­sant par le kiné­si­thé­ra­peute et la sage­femme), et réorien­ter mas­si­ve­ment vers les ser­vices ambu­la­toires. C’est cette phi­lo­so­phie qui a récem­ment ame­né le fédé­ral à lan­cer des pro­jets pilotes sur la réduc­tion du séjour hos­pi­ta­lier après l’accouchement, ou sur l’approche inté­grée des soins en matière de mala­dies chro­niques. Mais la dis­tinc­tion qui se des­sine pro­gres­si­ve­ment entre des fonc­tions de « cure » et de « care » n’est pas sans rap­pe­ler la répar­ti­tion des com­pé­tences en matière de san­té entre fédé­ral et enti­tés fédé­rées… Et l’on ne serait pas sur­pris, une fois le modèle arrê­té, de décou­vrir que le fédé­ral n’entend plus payer pour ce qui ne relève pas de sa compétence.

Dans ce contexte, la mise en place d’une véri­table poli­tique inté­grée de san­té publique ne pour­ra donc se concré­ti­ser sans l’introduction coro­laire d’un méca­nisme de « bonus-malus » : si une enti­té fédé­rée per­met à la sécu­ri­té sociale (fédé­rale) de faire des éco­no­mies en menant une poli­tique de réduc­tion de la pol­lu­tion de l’air (et donc des patho­lo­gies res­pi­ra­toires), en favo­ri­sant l’activité phy­sique (source de dimi­nu­tion d’affections telles que le dia­bète ou les mala­dies car­dio­vas­cu­laires), ou en inves­tis­sant mas­si­ve­ment dans l’accompagnement péri­na­tal, elle doit pou­voir être récom­pen­sée finan­ciè­re­ment de ces efforts.

Il est tou­te­fois à craindre, au regard de la poli­tique menée depuis 2014, que la seule logique qui sous-tende les réformes à venir ne soit pas celle de l’amélioration de la san­té de la popu­la­tion, mais soit bel et bien pure­ment comp­table, et vise uni­que­ment à ce que le fédé­ral se déleste de ce qui n’est vu que comme une source de dépenses, au détri­ment des enti­tés fédé­rées, que l’on sait pour­tant lar­ge­ment désar­gen­tées, et qui ne pour­ront donc ren­for­cer leurs actions de pro­mo­tion de la san­té, de pré­ven­tion, ni les ser­vices ambu­la­toires. Res­te­ra, pour finir, un per­dant : le citoyen.

Mathieu De Backer


Auteur

collaborateur parlementaire et journaliste de formation