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Le FN : combien de divisions ?

Numéro 4 Avril 2009 par Jean Faniel

avril 2009

Depuis sa fon­da­tion en 1985, l’histoire du Front natio­nal (FN) semble se répé­ter sans cesse. Béné­fi­ciant de l’aura de son homo­logue et ins­pi­ra­teur fran­çais, ce par­ti incarne l’offre poli­tique prin­ci­pale à l’extrême droite de l’échiquier poli­tique belge fran­co­phone. Qua­si­ment sans faire cam­pagne, il enre­gistre des scores élec­to­raux signi­fi­ca­tifs, sans rap­port ni avec sa faible visi­bi­li­té ni […]

Depuis sa fon­da­tion en 1985, l’histoire du Front natio­nal (FN) semble se répé­ter sans cesse. Béné­fi­ciant de l’aura de son homo­logue et ins­pi­ra­teur fran­çais, ce par­ti incarne l’offre poli­tique prin­ci­pale à l’extrême droite de l’échiquier poli­tique belge fran­co­phone. Qua­si­ment sans faire cam­pagne, il enre­gistre des scores élec­to­raux signi­fi­ca­tifs, sans rap­port ni avec sa faible visi­bi­li­té ni avec les maigres forces mili­tantes dont il dis­pose. Le FN a sur­vé­cu à plu­sieurs scis­sions et à la concur­rence d’autres par­tis d’extrême droite (AGIR, le Front nou­veau de Bel­gique, Force natio­nale, etc.). Son hégé­mo­nie sur l’extrême droite fran­co­phone s’est plu­sieurs fois confir­mée. Mais à chaque fois, les divi­sions internes reprennent le des­sus et conduisent à de nou­velles scis­sions. Davan­tage que des que­relles idéo­lo­giques, ce sont les conflits de per­sonnes et, depuis quelques années, d’argent qui ali­mentent essen­tiel­le­ment ces divisions.

Fortunes électorales diverses

Dès les élec­tions com­mu­nales de 1988, le Front natio­nal décroche un pre­mier siège. L’année sui­vante, avec 3,3% des voix, le FN envoie deux repré­sen­tants au Conseil de la Région de Bruxelles-Capi­tale. Lors du scru­tin légis­la­tif de 1991, un pre­mier dépu­té FN fait son entrée au Par­le­ment (1,1% des voix accor­dées au niveau natio­nal à la Chambre). Trois ans plus tard, D. Féret, fon­da­teur du par­ti et pré­sident à vie de celui-ci, est élu au Par­le­ment euro­péen grâce aux 7,9% récol­tés dans le col­lège élec­to­ral fran­çais. La même année, le FN décroche un nombre record d’élus locaux : 46 conseillers com­mu­naux en Région bruxel­loise, 26 en Wal­lo­nie et 10 sièges de conseiller pro­vin­cial. Enfin, il obtient deux élus au Conseil régio­nal wal­lon en 1995 (5,2%), six au Conseil de la Région de Bruxelles-Capi­tale (7,5%) et deux dépu­tés fédé­raux (2,3% des voix accor­dées au niveau natio­nal à la Chambre). En revanche, la liste dépo­sée pour l’élection du Sénat est inva­li­dée car cer­taines signa­tures de sou­tien sont jugées frau­du­leuses. Par consé­quent, le FN n’a pas accès à la dota­tion publique des par­tis poli­tiques, l’octroi de celle-ci requé­rant à l’époque une repré­sen­ta­tion au sein des deux assem­blées fédérales.

Élue dépu­tée fédé­rale sur la liste bruxel­loise du FN, M. Bas­tien est rapi­de­ment exclue du par­ti et crée, après avoir ten­té d’emporter le sigle FN et la flamme tri­co­lore, le Front nou­veau de Bel­gique (FNB). À cette époque déjà, la ges­tion du par­ti par D. Féret et la ques­tion du lea­der­ship sont au cœur des que­relles. Alors qu’AGIR, prin­ci­pal concur­rent fran­co­phone du FN jusque-là, est en train de décli­ner, l’hégémonie du FN sur l’extrême droite fran­co­phone est donc à nou­veau contes­tée. Cette divi­sion ain­si qu’un contexte poli­tique par­ti­cu­lier ont conduit le FN à une défaite élec­to­rale1. En 1999, il perd son siège au Par­le­ment euro­péen (4%), un de ses deux man­dats de dépu­té fédé­ral (1,5% des voix accor­dées au niveau natio­nal à la Chambre), un de ses deux sièges au Par­le­ment wal­lon (4%) et quatre de ses six élus régio­naux bruxel­lois (2,6%). Quoique par­ti­ci­pant cette fois à l’élection du Sénat, le FN n’y décroche pas d’élu, res­tant de ce fait écar­té de l’accès à la dota­tion publique fédé­rale. L’année sui­vante, le FN perd neuf de ses dix man­dats de conseiller pro­vin­cial et ne décroche que six élus communaux.

Poursuites et accusations de malversation

Alors qu’il conti­nue à sus­ci­ter mécon­ten­te­ment et contro­verses internes, le pré­sident D. Féret est pour­sui­vi en juillet 2002 par le par­quet de Bruxelles en rai­son des infrac­tions à la loi du 30 juillet 1981 ten­dant à répri­mer cer­tains actes ins­pi­rés par le racisme ou la xéno­pho­bie (loi Mou­reaux) que contien­draient le pro­gramme et le site inter­net de son par­ti. La Chambre décide de lever l’immunité par­le­men­taire de D. Féret.

Mal­gré les ten­sions internes, sa faible visi­bi­li­té et la concur­rence que le FNB conti­nue de lui livrer (cou­plée, à Bruxelles, à celle du Vlaams Blok), le FN redresse la tête lors du scru­tin fédé­ral de 2003. Avec 2,0% des voix accor­dées au niveau natio­nal, il conserve un siège à la Chambre. Recueillant 6% des voix au sein du col­lège élec­to­ral fran­çais, le FN par­vient sur­tout à envoyer deux élus au Sénat. Cela lui per­met d’obtenir désor­mais une dota­tion publique, d’un mon­tant non négli­geable de quelque 470.000 euros par an.

En juin 2004, le FN obtient 7,5% des voix dans le col­lège fran­çais, mais ne retrouve pas le che­min du Par­le­ment euro­péen. Par contre, il qua­druple sa repré­sen­ta­tion au Par­le­ment wal­lon en éta­blis­sant son meilleur score régio­nal (8,1%) et obtient pareille­ment quatre sièges au Par­le­ment de la Région de Bruxelles-Capi­tale (4,7%).

Quelques jours plus tard, la pro­cé­dure judi­ciaire lan­cée à l’encontre de D. Féret est ren­voyée en appel. Le par­quet requiert notam­ment la dis­so­lu­tion de l’asbl de finan­ce­ment du FN qui reçoit la dota­tion publique ver­sée par le Par­le­ment fédé­ral. Les ten­sions internes s’accroissent. À par­tir du mois de novembre, le par­ti est diri­gé par D. Féret, le dépu­té fédé­ral P. Cocria­mont, proche de ce der­nier, le séna­teur M. Dela­croix, avo­cat de D. Féret, et Ch. Petit­jean, dépu­té wallon.

L’état très lacu­naire des comptes remis par le FN à la Com­mis­sion de contrôle éta­blie au sein du Par­le­ment fédé­ral amène celle-ci à sus­pendre pour trois mois le ver­se­ment de la dota­tion au FN2, le pri­vant ain­si de sommes conséquentes.

Aux pour­suites concer­nant d’éventuelles infrac­tions à la loi Mou­reaux s’ajoutent à la fin de l’année 2005 une pro­cé­dure judi­ciaire pour mal­ver­sa­tions finan­cières ain­si que des pour­suites par le fisc. D. Féret ain­si que sa com­pagne, la dépu­tée bruxel­loise A. Rorive, sont accu­sés d’avoir détour­né à des fins pri­vées une par­tie de la dota­tion publique ver­sée au FN. Cette pro­cé­dure vau­dra ulté­rieu­re­ment au FN une nou­velle sus­pen­sion tem­po­raire du ver­se­ment de sa dotation.

Irri­tés par la situa­tion, plu­sieurs cadres, dont le séna­teur et ancien tré­so­rier du FN, F. Detraux, créent Force natio­nale en 2005, qui dépo­se­ra quelques listes aux élec­tions com­mu­nales d’octobre 2006, sans suc­cès. L’imbroglio engen­dré par cette situa­tion amène le Par­le­ment fédé­ral à pla­cer sous sur­veillance étroite le ver­se­ment men­suel de la dota­tion publique octroyée au FN.

Les pour­suites inten­tées à l’encontre de D. Féret sur la base de la loi Mou­reaux abou­tissent à sa condam­na­tion en avril 2006 à une peine de tra­vaux d’intérêt géné­ral3 et à une pri­va­tion pour dix ans de ses droits civils et poli­tiques. La Cour de cas­sa­tion confirme ce ver­dict, contrai­gnant D. Féret à aban­don­ner son man­dat parlementaire.

En mai 2006, P. Sess­ler, secré­taire géné­ral du FN, et le dépu­té wal­lon J.-P. Bor­bouse intentent une action en réfé­ré pour obte­nir la lumière sur les comptes de l’asbl de finan­ce­ment de leur par­ti. Ils sont déboutés.

Les dif­fé­rentes affaires et les démê­lés judi­ciaires qui frappent D. Féret conduisent plu­sieurs par­le­men­taires, emme­nés par M. Dela­croix, à des­ti­tuer le pré­sident fon­da­teur du FN en sep­tembre 2007. Seuls sa com­pagne et P. Cocria­mont res­tent fidèles à D. Féret et contestent sa destitution.

Bis repetita

Lors des scru­tins de 2006 et 2007 comme lors de ceux tenus en 2003 et 2004, les résul­tats élec­to­raux du FN sont assez bons, alors que ce par­ti est une fois encore déchi­ré en son sein, qu’il subit la concur­rence d’autres for­ma­tions d’extrême droite et qu’il ne fait par­ler de lui dans les médias que pour ses divi­sions et ses déboires judi­ciaires et finan­ciers. En 2006, il rem­porte 28 sièges de conseiller com­mu­nal et 4 de conseiller pro­vin­cial. L’année sui­vante, les résul­tats enre­gis­trés à la Chambre et au Sénat sont stables par rap­port à l’élection de 2003. Le FN perd cepen­dant un de ses deux sièges de séna­teur. À nou­veau, seul le Vlaams Belang oppose une concur­rence sérieuse au FN en Région bruxel­loise. Au sein de l’extrême droite fran­co­phone, le FN demeure la prin­ci­pale formation.

L’histoire du FN se répète éga­le­ment du point de vue de sa ges­tion finan­cière. À l’automne 2007, le par­ti et son asbl de finan­ce­ment sont mis sous séquestre et un admi­nis­tra­teur pro­vi­soire est dési­gné pour gérer les comptes du FN. Au début de l’année 2008, consta­tant l’absence de comptes annuels pour 2006, la Com­mis­sion de contrôle du Par­le­ment fédé­ral applique une nou­velle sanc­tion au FN, sus­pen­dant pour quatre mois (la durée maxi­male pré­vue par la loi dans ce cas) le ver­se­ment de sa dota­tion. Les comptes remis pour 2007 étant très lacu­naires, une sanc­tion iden­tique a été appli­quée en conséquence.

Enfin, les divi­sions internes resur­gissent éga­le­ment. Dans un pre­mier temps, l’écartement de D. Féret a sem­blé apai­ser le par­ti. Après une dizaine d’années de sépa­ra­tion, le FNB décide de ral­lier le FN « réno­vé ». La nou­velle équipe diri­geante affiche son inten­tion de restruc­tu­rer, une fois encore, le par­ti afin, une fois encore, d’en faire une for­ma­tion « res­pon­sable, cré­dible et juri­di­que­ment inat­ta­quable4 ». Mais à la fin de l’année 2008, la dif­fu­sion télé­vi­sée d’une vidéo pri­vée mon­trant le nou­veau pré­sident, M. Dela­croix, enton­ner une chan­son iro­nique sur les camps d’extermination contraint celui-ci à la démis­sion. Sa suc­ces­sion divise une nou­velle fois le par­ti. P. Sess­ler appuie la dési­gna­tion de D. Huy­gens, tan­dis que les col­lègues de ce der­nier au Par­le­ment wal­lon, Ch. Petit­jean, can­di­dat rival, et Ch. Pire, la contestent.

À la veille du scru­tin régio­nal, com­mu­nau­taire et euro­péen du 7 juin 2009, il est assez dif­fi­cile de cer­ner clai­re­ment ce qu’il reste du FN. Au tan­dem D. Huygens‑P. Sess­ler qui se pré­sente comme diri­geant le FN s’oppose P. Cocria­mont, sou­te­nu par D. Féret, qui se reven­dique le véri­table héri­tier du FN. Le 7 jan­vier 2009, le tri­bu­nal de Liège a reti­ré à D. Féret ses droits sur la marque « FN », le logo et l’emblème du par­ti. Par consé­quent, dif­fé­rentes ques­tions se posent. Com­bien de listes por­tant le logo du FN seront dépo­sées ? Par qui le seront-elles ? Y aura-t-il, comme ce fut le cas par le pas­sé, contes­ta­tion devant les tri­bu­naux entre listes concur­rentes dépo­sées sous le même sigle ? Le cas échéant, com­ment le ministre de l’Intérieur pour­ra-t-il tran­cher entre les dif­fé­rents pro­ta­go­nistes ? Les dif­fé­rents élus sor­tants se représenteront-ils ?

C’est donc dans tous les sens qu’on peut se deman­der : le FN, com­bien de divisions ?

  1. La crise de la dioxine a orien­té une par­tie du vote pro­tes­ta­taire vers Éco­lo et plu­sieurs cam­pagnes anti­fas­cistes d’une cer­taine ampleur ont été menées en Wal­lo­nie et à Bruxelles, en par­ti­cu­lier dans cer­taines zones où le vote d’extrême droite s’était par­ti­cu­liè­re­ment manifesté.
  2. En échange de l’octroi d’une dota­tion publique, les par­tis doivent remettre annuel­le­ment à la Com­mis­sion de contrôle le détail de leurs comptes, cer­ti­fiés par un révi­seur d’entreprise.
  3. À pres­ter, iro­nie de la Cour, dans une ins­ti­tu­tion spé­cia­li­sée dans l’intégration des étran­gers. Cela n’ira pas sans mal, D. Féret se voyant repro­cher de tout faire pour empê­cher l’application de cette peine et se retrou­vant par consé­quent en prison.
  4. Com­mu­ni­qué du FN du 1erdécembre 2008.

Jean Faniel


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