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Le film de vigilante, une tératologie sécuritaire

Numéro 5 - 2017 - Cinéma culture nanar par Christophe Davenne Christophe Mincke

juillet 2017

Quand on pense « monstre » et « ciné­ma », une mul­ti­tude d’images nous vient à l’esprit : extra­ter­restres bel­li­queux déci­dés à éra­di­quer toute trace de vie — le xéno­morphe Alien (Rid­ley Scott, 1979), le Pre­da­tor (John McTier­nan, 1987) —, créa­tures hybrides vic­times d’un des­tin qui les dépasse (la créa­ture de Fran­ken­stein, le loup-garou), ani­maux san­gui­naires ou encore morts reve­nus à la vie et autres […]

Dossier

Quand on pense « monstre » et « ciné­ma », une mul­ti­tude d’images nous vient à l’esprit : extra­ter­restres bel­li­queux déci­dés à éra­di­quer toute trace de vie — le xéno­morphe Alien (Rid­ley Scott, 1979), le Pre­da­tor (John McTier­nan, 1987) —, créa­tures hybrides vic­times d’un des­tin qui les dépasse (la créa­ture de Fran­ken­stein, le loup-garou), ani­maux san­gui­naires ou encore morts reve­nus à la vie et autres nécro­morphes semant la panique (la momie, les zom­bies). Comme cela res­sort d’autres textes de ce dos­sier1, le monstre se défi­nit par son exclu­sion de notre monde. On pour­rait y ajou­ter le fait que, si l’on exclut les monstres gen­tils (E.T., Ste­ven Spiel­berg, 1982) ou sym­pa­thiques (Toxic Aven­ger, Michael Herz et Lloyd Kauf­man, 1984), la créa­ture est mue par sa soif ins­tinc­tive de mort et de déso­la­tion. Elle mène sa mor­telle cam­pagne, pous­sée par des rai­sons qui lui sont propres et que le film ne prend que rare­ment la peine d’exposer au spec­ta­teur. Le pos­tu­lat est que s’il y a monstre, il y a for­cé­ment hécatombe.

Dans ce cadre, le monstre est tou­jours expo­sé comme tel : mal for­mé, ter­ri­fiant, gluant, armé jusqu’aux dents, sitôt qu’il appa­rait, il est iden­ti­fié. Il ne faut sou­vent même pas pous­ser la porte du ciné­ma pour le savoir car l’affiche le repré­sente la plu­part du temps. Il n’est à cet égard pas néces­saire qu’il soit convain­cant : il peut aus­si bien être gro­tesque et dia­ble­ment drôle mal­gré lui et ses géni­teurs. En un mot, il peut être nanar.

Nous vou­drions cepen­dant nous attar­der ici sur un monstre plus dis­cret, qui s’ignore et que l’on nous donne à aimer. Il est dan­ge­reux et sème les cadavres sur sa route, mais il ne bave pas sur la moquette et n’est pas tapi dans l’ombre. Il ne joue pas à cache­cache avec ses vic­times. Il peut sur­gir n’importe où, n’importe quand. Il met les pieds où il veut.

Vengeance ! Vengeance !

Lui, c’est le vigi­lante, celui que les aléas du des­tin poussent à s’improviser jus­ti­cier et à faire sa loi, celui qui net­toie les rues de la ver­mine et règle son compte à qui­conque se met en tra­vers de sa route. Il est per­sua­dé de faire le bien et, pour­tant, sème la mort tous azimuts.

Quoi de plus clas­sique comme trame que celle de ces films dans les­quels un indi­vi­du ou un groupe, vic­time de per­sonnes sans foi ni loi, prennent leur des­tin en main et décident de se ven­ger ? La thé­ma­tique est vieille comme le monde, en ciné­ma ou en lit­té­ra­ture (son­geons au Comte de Monte-Chris­to d’Alexandre Dumas). Elle a fait les beaux jours du ciné­ma des années 1970 et 1980 et a pro­duit d’excellents films à la morale ambigüe, comme Les Chiens de paille (Sam Peckin­pah, 1971), Taxi dri­ver (Mar­tin Scor­sese, 1976) ou encore, dans un contexte par­ti­cu­lier, Le Vieux Fusil (Robert Enri­co, 1975).

Au-delà de quelques chefs‑d’œuvre, la thé­ma­tique de la ven­geance a éga­le­ment engen­dré une cohorte de films d’exploitation, visant à pro­duire des métrages peu cou­teux sur­fant sur des pro­messes de vio­lence et de noir­ceur. Qu’il prenne les traits de Fran­cis Hus­ter (Le Fau­con, Paul Bou­je­nah, 1983) ou Alain Delon (Parole de flic, José Pin­hei­ro, 1985), il est une figure emblé­ma­tique de la culture bis, sec­tion nanar sécu­ri­taire. Son repré­sen­tant le plus célèbre se nomme Paul Ker­sey et est inter­pré­té par Charles Bron­son. La série des Jus­ti­cier (Death Wish en ver­sion ori­gi­nale) compte cinq épi­sodes entre 1974 et 1994, sans comp­ter les pâles copies dans les­quelles il appa­rait comme Le Jus­ti­cier de minuit ou La loi de Mur­phy, tous deux réa­li­sés par J. Lee Thomp­son, res­pec­ti­ve­ment en 1983 et 1984. Le ciné­ma d’exploitation et la nais­sance des vidéo­clubs ont ain­si per­mis des car­rières entières sous le signe du vigi­lante, sous la hou­lette de mai­sons de pro­duc­tion telles que la Can­non Inc. des légen­daires Mena­hem Golan et Yoram Glo­bus, lar­ge­ment spé­cia­li­sée dans le film sévè­re­ment bur­né2. Dans ces œuvres, on glisse de la ven­geance ciblée à la raton­nade sécu­ri­taire, les cou­pables ini­tiaux étant assi­mi­lés à l’ensemble de leur sup­po­sé groupe social.

La nanar­dise de ces œuvres tient au rire ner­veux que déclenche, chez cer­tains sujets pré­dis­po­sés, les outrances abo­mi­nables aux­quelles se livre le héros. Quand la pour­suite du méchant se mue en opé­ra­tion de déci­ma­tion, le spec­ta­teur a deux pos­si­bi­li­tés : prendre les choses au sérieux et s’offusquer de ce qui consti­tue la mise en scène d’une forme de fas­cisme de géné­ra­tion spon­ta­née ou prendre le par­ti d’en rire en s’amusant de l’horrifique pers­pec­tive d’une socié­té paci­fiée par la ven­det­ta à la grosse louche. Nous avons bien enten­du, depuis long­temps, fait le choix de la rai­son, celui du rire.

Nous nous attar­de­rons ici sur l’œuvre bron­son­nienne, ce pour deux rai­sons. D’une part, parce qu’en gros­sis­sant le trait, le nanar rend les logiques du film de vigi­lante par­ti­cu­liè­re­ment fla­grantes et, d’autre part, parce qu’il nous semble qu’une part non négli­geable de la mons­truo­si­té du ven­geur découle de l’outrance propre au nanar.

On ne nait pas monstre, on le devient

Un jus­ti­cier dans la ville (Michael Win­ner, 1974) met en scène Paul Ker­sey, ancien objec­teur de conscience pen­dant la guerre de Corée, deve­nu archi­tecte, marié à une dame très res­pec­table et père de famille aimant. Il fait ses courses à l’épicerie du coin car il aime consom­mer local, boit régu­liè­re­ment une Bud­wei­ser car il aime consom­mer amé­ri­cain et déteste les armes à feu, mais ne s’en vante pas trop car ça fait mau­vais genre. C’est un New-yor­kais juste au-des­sus de la moyenne, un self made man par­fai­te­ment fré­quen­table et bien sous tous rapports.

Puisqu’il faut hono­rer le slo­gan de l’affiche (Vigi­lante, city-style – judge, jury and exe­cu­tio­ner), Paul Ker­sey va bas­cu­ler à la suite d’un crime cra­pu­leux com­mis sur son épouse et sa fille. Jusque-là, rien que de très nor­mal. Per­sua­dé que les forces de police sont inca­pables de résoudre l’enquête, il prend les choses en main. Reniant le paci­fisme qui l’habitait, il s’arme d’un revol­ver (cadeau d’un client, on est en Amé­rique après tout) et décide de se faire jus­tice à lui-même. Il pense que c’est le seul moyen d’atténuer son cha­grin, mais compte éga­le­ment rendre ser­vice à la socié­té en la pur­geant de ses élé­ments mar­gi­naux et crypto-anarchistes.

Ron­gé par la ven­geance, le vigi­lante se trans­forme en mar­gi­nal, il rompt les contacts sociaux, s’excluant lui-même d’une socié­té dont il rêve qu’elle ne soit consti­tuée que de citoyens res­pec­tueux des lois (celle-là mêmes qu’il foule aux pieds), mar­chant droit et tra­ver­sant dans les clous. Jusque-là sym­bole de réus­site, Paul Ker­sey devient un être à part, hors norme, alliant inser­tion sociale appa­rente et bru­ta­li­té, plai­sir du tra­vail bien fait et absence totale de consi­dé­ra­tion pour ses vic­times. Au fil des épi­sodes, il s’enfonce dans cette logique, s’élevant sur l’échelle de la nanar­dise à mesure que s’émoussent les maigres sur­prises et les rares idées scénaristiques.

Dans Un jus­ti­cier dans la ville 2 (Michael Win­ner, 1982, cette fois sous la hou­lette de Golan et Glo­bus), il va faire un tour à Los Angeles, avant de reve­nir à New York pour le bien nom­mé Jus­ti­cier de New York (Michael Win­ner, 1985) puis de retour­ner à L.A. pour Le Jus­ti­cier braque les dea­lers (J. Lee Thomp­son, 1987). Il ter­mi­ne­ra sa car­rière vingt ans après ses débuts, en pro­té­geant sa fian­cée dans Le Jus­ti­cier — L’ultime com­bat (Allan A. Gold­stein, 1994).

Notons que la tra­duc­tion fran­çaise du titre du film déna­ture quelque peu le sens pre­mier de ce qui anime Ker­sey. En anglais, il n’est nul­le­ment ques­tion de jus­tice, mais bien de Death wish, d’un sou­hait de mort, d’une pul­sion qui, au mieux, peut être un mal néces­saire mais ne porte pas le nom d’une ver­tu car­di­nale, même si les slo­gans des dif­fé­rents épi­sodes y font réfé­rence3.

La parole est à la self-défense

129 morts.

5 films.

Soit une moyenne de 25,8 morts par film… Le tout de manière par­fai­te­ment décom­plexée étant don­né qu’à aucun moment, le « jus­ti­cier » n’est inquié­té. Migrant de ville en ville au fil des épi­sodes, Ker­sey se retrouve sys­té­ma­ti­que­ment face à la lie de l’humanité, ou en tout cas ce qui est pré­sen­té comme tel. Et puisqu’il est de noto­rié­té publique que dia­lo­guer n’a jamais don­né de résul­tats pro­bants, Il flingue, zigouille, détruit, explose des cra­pules de jour comme de nuit, à visage décou­vert et sans se poser de ques­tion. Il s’impose comme juge, jury et bour­reau. C’est le para­doxe du vigi­lante : il incarne les pou­voirs réga­liens, tout en refu­sant de se sou­mettre aux lois établies.

Dans Le Jus­ti­cier de New York, mena­cé d’emprisonnement parce qu’il se trouve sur le lieu d’un crime qu’il n’a pour une fois pas com­mis, Ker­sey se voit pro­po­ser la liber­té par le chef de la police à la seule condi­tion de net­toyer tout un quar­tier d’une bande de punks anxio­gènes bien déci­dés à ter­ro­ri­ser des sexa­gé­naires pré­fé­rant un quar­tier dif­fi­cile de New York à une retraite pai­sible au vert. Bref, le tueur est lâché dans la nature, avec le sou­tien des forces de l’ordre et un arse­nal de guerre, se payant le luxe de dégom­mer du voyou à coups de lance-roquette ache­té par correspondance.

Ram­bo peut aller se rha­biller, l’heure est au tueur de masse adou­bé par les auto­ri­tés… et par le nanar­deur qui compte les cadavres et se régale devant les mises à mort aus­si ridi­cu­le­ment dan­ge­reuses qu’improbables : notre psy­cho­pathe qui s’ignore tire à l’arme auto­ma­tique sur des fuyards sla­lo­mant entre les pas­sants, balance des gre­nades dans un appar­te­ment sans se sou­cier des voi­sins ou pro­jette un truand du toit d’une mai­son, l’empalant sur des grilles et trau­ma­ti­sant au pas­sage quelques promeneurs.

Le monstre qui s’ignore

« Mais où donc est le monstre que vous annon­cez ? », vous excla­me­rez-vous sans doute. Pour répondre à cette inter­pel­la­tion, il faut dérou­ler le rap­port par­ti­cu­lier au monstre qui est déve­lop­pé dans le film de vigi­lante.

Tout d’abord, il faut obser­ver que, la plu­part du temps, le film de ven­geance nous désigne des monstres, nom­breux, dan­ge­reux, tapis dans l’ombre : ceux-là mêmes que le vigi­lante déci­me­ra à tour de bras. Qu’ils soient des jeunes écou­tant de la musique à fort volume, des ama­teurs de ska­te­boards, des gangs rivaux, des toxi­co­manes ou encore des punks-à-chien, le nanar sécu­ri­taire aime à les pré­sen­ter comme des êtres tota­le­ment déshu­ma­ni­sés, ne res­pec­tant rien ni per­sonne, tota­le­ment en marge et méri­tant leur funeste des­tin, scel­lé par un Amé­ri­cain moyen, et blanc de sur­croit, lit­té­ra­le­ment applau­di par une foule de citoyens assis­tant au car­nage depuis leurs fenêtres, comme au spectacle.

Pour nous convaincre plus sur­ement de la mons­truo­si­té de ces rebuts de la socié­té, le film nous confronte d’ailleurs en son début à des viols, meurtres et autres sévices sur les plus faibles d’entre nous, les femmes et les enfants, bien enten­du. Comme dans tout film de monstre, l’attaque est d’une telle bru­ta­li­té, l’ennemi, tel­le­ment impi­toyable, la créa­ture, si éloi­gnée de toute huma­ni­té qu’il est inutile de prendre des gants. Ripley recourt-elle à un jury pour mettre fin aux ravages de l’Alien (Rid­ley Scott, 1979) qui la menace ? Quelqu’un lit-il ses droits à God­zilla (Gareth Edwards, 2014)? Jocker béné­fi­cie-t-il de l’arrêt Sal­duz dans Bat­man, le che­va­lier noir (Chris­to­pher Nolan, 2008)? Certes non ! Le monstre dési­gné est mau­vais par nature et ne mérite que l’extermination.

La logique du film de vigi­lante est donc celle du film de monstres : la ven­geance n’est qu’un pré­texte pour s’en prendre indis­tinc­te­ment à un groupe, au nom de la menace qu’il consti­tue en tant que tel, le crime ini­tial n’étant qu’un exemple par­mi d’autres et un salu­taire élec­tro­choc pour celui qui se mon­tre­ra à la hau­teur du défi. Comme tou­jours, l’œuvre nous invite à haïr le monstre et à nous iden­ti­fier au héros.

Pour­tant, der­rière les appa­rences, c’est un autre film qui se pro­file, qui raconte l’histoire d’un monstre qui s’ignore.

Il s’ignore notam­ment parce qu’on ne nait pas vigi­lante. Comme un Hulk ver­dis­sant sous les coups et détrui­sant son enne­mi, l’attaque ini­tiale trans­forme un homme ordi­naire en machine à tuer. Et, même lorsqu’il a muté, nul signe exté­rieur chez lui : il conserve sa bon­hom­mie. Qu’il se laisse pous­ser les bac­chantes pour impo­ser sa viri­li­té ou qu’il pré­fère enchai­ner les chee­se­bur­gers et les bières plu­tôt que d’entretenir son phy­sique à la salle de sport, il n’a rien de par­ti­cu­liè­re­ment remarquable.

À la dif­fé­rence d’un Han­ni­bal Lec­ter (Le Silence des agneaux, Jona­than Demme, 1991), assu­mant par­fai­te­ment d’être un monstre mis au ban de la socié­té, le vigi­lante se voit avant tout comme un jus­ti­cier de quar­tier, un héros local, une figure posi­tive, bien que bru­tale. Au ser­vice de l’humanité (qui se limite bien sou­vent à un pâté de mai­sons), il pense pal­lier les carences d’une socié­té démis­sion­naire et laxiste.

Sa mons­truo­si­té n’est donc pas ins­crite sur son visage, elle n’est pas davan­tage reven­di­quée, elle résulte avant tout de ses actes. C’est son com­por­te­ment qui le signale et le retranche de l’humanité. Cela se marque par sa soli­tude, sa mar­gi­na­li­té : il est seule­ment mû par sa mis­sion et n’a que faire d’entretenir des rap­ports sociaux équilibrés.

Un monde monstrueux

Le res­sort cen­tral du film de monstre repose sur la confron­ta­tion entre la créa­ture et le monde4 auquel il n’appartient pas. Lâché au milieux d’humains qu’il consi­dère comme une nour­ri­ture fort gou­teuse (V, Ken­neth John­son, 1984 – 85), furieux d’avoir été réveillé d’un long som­meil (God­zilla, op.cit.), dési­reux de se ven­ger d’une huma­ni­té qui l’aurait offen­sé (La Momie, Ste­phen Som­mers, 1999) ou sou­cieux de se trou­ver une nou­velle pla­nète après la des­truc­tion de la sienne, le monstre menace l’équilibre du monde et doit en être éli­mi­né sans pitié pour per­mettre à celui-ci de retrou­ver son har­mo­nie initiale.

Comme tout monstre, le vigi­lante n’est pas de notre monde. Mais ici, le film ne met pas en scène la lutte de nos socié­tés pour sur­vivre à un assaut mor­tel, mais bien l’inverse. Notre monde n’est déjà plus que l’ombre de lui-même, il est mort et l’on nous invite à lais­ser le monstre faire adve­nir une ère nou­velle. Il ne s’agit pas de l’histoire posi­tive d’une créa­ture qui trou­ve­rait un moyen de s’intégrer, de (re)gagner le giron de l’humanité, mais bien celle d’une socié­té qui aspi­re­rait à un monde mons­trueux, façon­né par le tueur. Étran­ger au monde tel qu’il est, Paul Ker­sey veut créer un bio­tope qui lui convienne, pur de tout désordre et, à vrai dire, inhu­main. Ce fai­sant, il ne mas­sacre pas moins que n’importe quel extra­ter­restre, ne fait pas montre de davan­tage de com­pas­sion pour ses vic­times et ne s’encombre pas de pré­cau­tions par­ti­cu­lières. Deve­nu monstre, il est dans sa nature de mas­sa­crer, la dif­fé­rence est que, cette fois, nous sommes invi­tés à l’applaudir.

Évi­dem­ment, là où le film de monstre clas­sique s’achève par la mort de la créa­ture (ou sa mise hors d’état de nuire tem­po­raire, pré­lude à un nou­vel épi­sode) le film de vigi­lante se clôt sur le suc­cès de l’entreprise mons­trueuse. Certes, le mal étant par­tout, il fau­dra recom­men­cer, ce qui réjouit les pro­duc­teurs, mais pour l’instant, injus­tice est faite et il y a tout lieu de s’en réjouir.

Ce que flatte le film de vigi­lante, c’est notre propre désir de mons­truo­si­té, notre envie de faire la peau à qui nous gêne. Ce res­sort habi­tuel de la peur qu’inspirent les créa­tures5 est ici uti­li­sé, non comme repous­soir, mais comme invi­ta­tion à la jouis­sance dans la mons­truo­si­té. Pour rendre l’opération pos­sible, une sub­sti­tu­tion est opé­rée, qui consiste à déshu­ma­ni­ser les vic­times du vigi­lante, de les construire, elles, en monstres, afin de faire tom­ber nos inhi­bi­tions. L’identification au monstre qu’est le vigi­lante sera d’autant plus aisée qu’il porte, nous l’avons vu, la mous­tache de l’honnête homme et nous res­semble tel­le­ment. Cette bana­li­té du mal est ce qui faci­lite l’abandon à nos mau­vais penchants.

On le voit, le film de vigi­lante est un film de monstres à tiroirs qui repose sur la déshu­ma­ni­sa­tion des vic­times pour mieux faire accep­ter notre propre inhumanité.

Le res­sort de la déshu­ma­ni­sa­tion est bien connu comme pré­lude aux mas­sacres, épu­ra­tions et autres géno­cides. Dans l’actuel contexte de dérives inhu­maines (à l’heure où nous lais­sons se noyer des mil­liers de per­sonnes à nos fron­tières), de ten­ta­tion tota­li­taire et de cris­pa­tion sécu­ri­taire, n’est-il pas logique que voie le jour un pro­jet de remake de la fran­chise, sous la hou­lette d’Eli Roth (Hos­tel 1 et 2, Green infer­no) avec Bruce Willis dans le rôle de Paul Kersey ?

  1. Chr. Mincke et Q. Ver­rey­cken, « L’émancipation par les monstres nanars », La revue nou­velle, 2017 ; Chr. Mincke et F. Gar­don, « Rire des monstres ? Aux sources de la nanar­di­tude », La Revue nou­velle, 2017.
  2. Jean-Claude Van­damme et Chuck Nor­ris lui doivent l’essentiel de leur carrière.
  3. No judge, no jury, no appeals, no deals, nous pro­met l’affiche du der­nier épisode.
  4. Nous par­lons ici de monde, mais celui-ci peut être très res­treint et ne concer­ner, par exemple, qu’un vais­seau spatial.
  5. Chr. Mincke et Q. Ver­rey­cken, « L’émancipation par les monstres nanars », La revue nou­velle, 2017, RÉFÉRENCE COMPLÈTE

Christophe Davenne


Auteur

Christophe Mincke


Auteur

Christophe Mincke est codirecteur de La Revue nouvelle, directeur du département de criminologie de l’Institut national de criminalistique et de criminologie et professeur à l’Université Saint-Louis à Bruxelles. Il a étudié le droit et la sociologie et s’est intéressé, à titre scientifique, au ministère public, à la médiation pénale et, aujourd’hui, à la mobilité et à ses rapports avec la prison. Au travers de ses travaux récents, il interroge notre rapport collectif au changement et la frénésie de notre époque.