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Le dépit amoureux ou le séparatisme francophone
Du « corridor » reliant Bruxelles et la Wallonie au « rattachement » à la France, l’actualité des dernières semaines n’a pas été avare en coups médiatiques anticipant la fin de la Belgique. Paradoxalement, ils viennent essentiellement du côté francophone. Servies à une opinion désorientée par la crise de régime sans précédent dans laquelle la Belgique s’est enfoncée depuis plus d’un […]
Du « corridor » reliant Bruxelles et la Wallonie au « rattachement » à la France, l’actualité des dernières semaines n’a pas été avare en coups médiatiques anticipant la fin de la Belgique. Paradoxalement, ils viennent essentiellement du côté francophone. Servies à une opinion désorientée par la crise de régime sans précédent dans laquelle la Belgique s’est enfoncée depuis plus d’un an, ces « pistes » renvoient à un certain mode de prise de conscience francophone d’autant plus déçue qu’elle est tardive. Ce syndrome a un nom : Bye-Bye Belgium. Il consiste à découvrir avec effroi… une évidence veille de près de quarante ans, aveuglante depuis dix ans — celle de la poursuite sans fin de la dynamique nationale flamande vers toujours plus d’autonomie.
Comme l’expliquait Philippe Dutilleul, la cheville ouvrière de ce faux « docu-fiction » : « Jamais à l’origine, en parcourant ce pays en tous sens pour nourrir le scénario du provocant et controversé Bye-bye Belgium, je n’avais imaginé qu’il soit à ce point divisé et déliquescent. […] J’en suis revenu abasourdi, mais résolu à tirer la sonnette d’alarme pour éviter de disparaître sans même m’en apercevoir… Comme dans un mauvais rêve. J’ai donc remisé mes illusions belgicaines au vestiaire pour appréhender une réalité beaucoup plus crue, c’est-à-dire un pays à l’identité réduite, pour sonder son avenir pour le moins incertain et brouillé » (Le Soir du 12 décembre 2007).
Venant d’un journaliste de la RTBF, l’aveu d’une telle méconnaissance laisse pantois. Mais c’est à cette aune que se comprend la conclusion qu’il tire : « Je ne prêterai pas ma voix à un enterrement de première classe de la Belgique ou à un rafistolage de façade qui comblera d’aise les francophones faisant toujours l’autruche dans leur bac à sable […] les néerlandophones se donnant ainsi bonne conscience de leur rutilante revanche. Je préfère la radicalité à la médiocrité. » Et d’appeler à placer la barre très haut dans les négociations à venir.
Une telle « radicalité », produite par le choc de la dissipation des « illusions belgicaines », constitue la trame du positionnement de nombre de Belges francophones. Ceux-ci se sont reconnus dans le refus de négocier des partis francophones « non demandeurs ». Le front francophone s’est cependant senti tenu de consolider cette position en exigeant l’élargissement de la Région bruxelloise si les partis flamands persistaient dans leur volonté de scission pure et simple de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde, ainsi que d’évidement quasi complet des compétences fédérales.
La barre a de ce fait effectivement été placée fort haut. En substance, le message envoyé à la Flandre est le suivant : « Nous n’accepterons pas que sous des revendications qui nous mènent dans les faits — sinon, in fine, en droit — au confédéralisme pur et simple, vous visiez le séparatisme sans devoir en payer le prix, dont notamment la perte de Bruxelles et de sa périphérie. » Il s’agit donc, pour reprendre la formule de Francis Delpérée, de refuser un confédéralisme qui soit un « fédéralisme pour les cons »… en anticipant le séparatisme ou du moins ses effets. On ne peut évidemment en théorie qu’approuver cette volonté de solder des comptes que notre futur débiteur fait mine d’ignorer, sauf qu’elle nous place dans le scénario strictement inverse de celui de Bye-bye Belgium. La Flandre n’a évidemment pas rompu unilatéralement… mais par contre, le scénario séparatiste est dorénavant avancé par des francophones, et même réclamé par certains. Comment appeler autrement la renégociation des frontières internes (voire de celles d’un de nos voisins) dans la perspective, sinon l’espoir, qu’elles dessinent les contours de deux futurs nouveaux États ? Hypnotisés par ce qu’à la fois ils refusent (la mort du pays) et espèrent (mettre un terme final au conflit communautaire), certains francophones en sont venus à développer une prophétie séparatiste autoréalisatrice.
L’élargissement de Bruxelles aux communes à facilités situées dans le Rand est un scénario qui a pour lui de nombreuses justifications rationnelles, ne fût-ce qu’en termes fiscaux. L’établissement d’une continuité territoriale entre la Wallonie et Bruxelles pourrait présenter certains avantages, bien que fort relatifs à l’heure européenne. Et même l’hypothèse d’une certaine association avec la France n’est pas, a priori, complètement absurde. Ces scénarios pourraient devenir d’actualité. Mais faut-il pour autant en discuter prioritairement plutôt que des enjeux du moment ?
En se focalisant sur la fin de la Belgique, l’opinion francophone saute — inconsciemment ou volontairement — l’étape en cours : la négociation secteur par secteur d’un nouveau système de relations institutionnelles. Des dossiers cruciaux se trouvent concrètement sur la table, comme la renégociation de la loi de financement des Communautés (et donc de l’ensemble des secteurs éducatifs) ou la régionalisation des politiques d’emploi, d’une partie de la justice, etc. C’est sur ces questions que nous aurions à faire preuve de radicalité. Celle des nouveaux convertis de Bye bye Belgium risque par contre de se résumer à une réaction épidermique de dépit amoureux et de fuite hors du réel.
Comme même la fraction ouvertement indépendantiste de la Flandre militante l’a bien compris, nul n’a intérêt sur le plan international à se positionner en demandeur de l’éclatement d’un pays constitutif de l’Union européenne. Minorité qui s’ignorait et se découvre brutalement comme telle, certains Belges francophones n’ont pas encore compris que le tout n’est pas de surenchérir, mais bien d’avoir les moyens de l’assumer. à force de méconnaître l’état du rapport de force avec la Flandre, nous ne nous donnons pas la possibilité de jouer intelligemment des cartes que nous avons en main, et nous risquons même d’aggraver notre faiblesse objective.
Ce tropisme délétère gagne du terrain en Wallonie et à Bruxelles et risque de grossir d’un malentendu croissant avec nos représentants politiques. C’est que les lignes sur lesquelles campaient les partis francophones ont bel et bien bougé. Les quatre partis démocratiques acceptent désormais de discuter d’une réforme de l’État approfondie au sein d’une conférence ad hoc. Il était légitime pour les francophones de ne pas accepter de but en blanc d’ouvrir une discussion sur la seule base des exigences flamandes. Mais la position du refus de toute négociation ne pouvait être tenue indéfiniment, ne fût-ce que parce que les défis économiques et sociaux demandent qu’un gouvernement les prenne en charge même, en service minimum. Les partis ayant placé les fameux « vrais problèmes des gens » au centre de leurs discours ne pouvaient se contredire…
Si elles ne sont pas tuées dans l’œuf par les contradictions internes du cartel CD&V/N‑VA, les négociations déboucheront nécessairement sur un nouvel équilibre en traits fédéralistes et confédéralistes au sein du système belge. Comment désormais engager dans cette perspective une opinion publique francophone dont une part significative est chauffée à blanc par la « radicalité » affichée jusqu’ici par leurs représentants et par les délires d’homogénéisation linguistique qui se multiplient en Flandre ? On espère que ce ne sera pas en leur vendant un bout de forêt faisant office de couloir…
Comme nous l’écrivions voici un an, la condition première à remplir par les francophones pour retrouver prise sur leur avenir est de mettre à plat leurs propres institutions (voir édito de La Revue nouvelle de septembre 2007). Le Groupe Wallonie-Bruxelles a commencé à le faire. Mais les travaux de cette commission manquent à ce point de méthode que les propositions de ses présidents ont été désavouées dès leur sortie. Un dialogue démocratique de qualité s’impose cependant de manière toujours plus urgente pour sortir les francophones d’un certain syndrome d’aliénation, c’est-à-dire d’incapacité à se penser, et à penser de manière autonome.