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Le dépit amoureux ou le séparatisme francophone

Numéro 9 Septembre 2008 par Lechat Benoît

septembre 2008

Du « cor­ri­dor » reliant Bruxelles et la Wal­lo­nie au « rat­ta­che­ment » à la France, l’ac­tua­li­té des der­nières semaines n’a pas été avare en coups média­tiques anti­ci­pant la fin de la Bel­gique. Para­doxa­le­ment, ils viennent essen­tiel­le­ment du côté fran­co­phone. Ser­vies à une opi­nion déso­rien­tée par la crise de régime sans pré­cé­dent dans laquelle la Bel­gique s’est enfon­cée depuis plus d’un […]

Du « cor­ri­dor » reliant Bruxelles et la Wal­lo­nie au « rat­ta­che­ment » à la France, l’ac­tua­li­té des der­nières semaines n’a pas été avare en coups média­tiques anti­ci­pant la fin de la Bel­gique. Para­doxa­le­ment, ils viennent essen­tiel­le­ment du côté fran­co­phone. Ser­vies à une opi­nion déso­rien­tée par la crise de régime sans pré­cé­dent dans laquelle la Bel­gique s’est enfon­cée depuis plus d’un an, ces « pistes » ren­voient à un cer­tain mode de prise de conscience fran­co­phone d’au­tant plus déçue qu’elle est tar­dive. Ce syn­drome a un nom : Bye-Bye Bel­gium. Il consiste à décou­vrir avec effroi… une évi­dence veille de près de qua­rante ans, aveu­glante depuis dix ans — celle de la pour­suite sans fin de la dyna­mique natio­nale fla­mande vers tou­jours plus d’autonomie.

Comme l’ex­pli­quait Phi­lippe Dutilleul, la che­ville ouvrière de ce faux « docu-fic­tion » : « Jamais à l’o­ri­gine, en par­cou­rant ce pays en tous sens pour nour­rir le scé­na­rio du pro­vo­cant et contro­ver­sé Bye-bye Bel­gium, je n’a­vais ima­gi­né qu’il soit à ce point divi­sé et déli­ques­cent. […] J’en suis reve­nu aba­sour­di, mais réso­lu à tirer la son­nette d’a­larme pour évi­ter de dis­pa­raître sans même m’en aper­ce­voir… Comme dans un mau­vais rêve. J’ai donc remi­sé mes illu­sions bel­gi­caines au ves­tiaire pour appré­hen­der une réa­li­té beau­coup plus crue, c’est-à-dire un pays à l’i­den­ti­té réduite, pour son­der son ave­nir pour le moins incer­tain et brouillé » (Le Soir du 12 décembre 2007).

Venant d’un jour­na­liste de la RTBF, l’a­veu d’une telle mécon­nais­sance laisse pan­tois. Mais c’est à cette aune que se com­prend la conclu­sion qu’il tire : « Je ne prê­te­rai pas ma voix à un enter­re­ment de pre­mière classe de la Bel­gique ou à un rafis­to­lage de façade qui com­ble­ra d’aise les fran­co­phones fai­sant tou­jours l’au­truche dans leur bac à sable […] les néer­lan­do­phones se don­nant ain­si bonne conscience de leur ruti­lante revanche. Je pré­fère la radi­ca­li­té à la médio­cri­té. » Et d’ap­pe­ler à pla­cer la barre très haut dans les négo­cia­tions à venir.
Une telle « radi­ca­li­té », pro­duite par le choc de la dis­si­pa­tion des « illu­sions bel­gi­caines », consti­tue la trame du posi­tion­ne­ment de nombre de Belges fran­co­phones. Ceux-ci se sont recon­nus dans le refus de négo­cier des par­tis fran­co­phones « non deman­deurs ». Le front fran­co­phone s’est cepen­dant sen­ti tenu de conso­li­der cette posi­tion en exi­geant l’é­lar­gis­se­ment de la Région bruxel­loise si les par­tis fla­mands per­sis­taient dans leur volon­té de scis­sion pure et simple de l’ar­ron­dis­se­ment de Bruxelles-Hal-Vil­vorde, ain­si que d’é­vi­de­ment qua­si com­plet des com­pé­tences fédérales.

La barre a de ce fait effec­ti­ve­ment été pla­cée fort haut. En sub­stance, le mes­sage envoyé à la Flandre est le sui­vant : « Nous n’ac­cep­te­rons pas que sous des reven­di­ca­tions qui nous mènent dans les faits — sinon, in fine, en droit — au confé­dé­ra­lisme pur et simple, vous visiez le sépa­ra­tisme sans devoir en payer le prix, dont notam­ment la perte de Bruxelles et de sa péri­phé­rie. » Il s’a­git donc, pour reprendre la for­mule de Fran­cis Del­pé­rée, de refu­ser un confé­dé­ra­lisme qui soit un « fédé­ra­lisme pour les cons »… en anti­ci­pant le sépa­ra­tisme ou du moins ses effets. On ne peut évi­dem­ment en théo­rie qu’ap­prou­ver cette volon­té de sol­der des comptes que notre futur débi­teur fait mine d’i­gno­rer, sauf qu’elle nous place dans le scé­na­rio stric­te­ment inverse de celui de Bye-bye Bel­gium. La Flandre n’a évi­dem­ment pas rom­pu uni­la­té­ra­le­ment… mais par contre, le scé­na­rio sépa­ra­tiste est doré­na­vant avan­cé par des fran­co­phones, et même récla­mé par cer­tains. Com­ment appe­ler autre­ment la rené­go­cia­tion des fron­tières internes (voire de celles d’un de nos voi­sins) dans la pers­pec­tive, sinon l’es­poir, qu’elles des­sinent les contours de deux futurs nou­veaux États ? Hyp­no­ti­sés par ce qu’à la fois ils refusent (la mort du pays) et espèrent (mettre un terme final au conflit com­mu­nau­taire), cer­tains fran­co­phones en sont venus à déve­lop­per une pro­phé­tie sépa­ra­tiste autoréalisatrice.

L’é­lar­gis­se­ment de Bruxelles aux com­munes à faci­li­tés situées dans le Rand est un scé­na­rio qui a pour lui de nom­breuses jus­ti­fi­ca­tions ration­nelles, ne fût-ce qu’en termes fis­caux. L’é­ta­blis­se­ment d’une conti­nui­té ter­ri­to­riale entre la Wal­lo­nie et Bruxelles pour­rait pré­sen­ter cer­tains avan­tages, bien que fort rela­tifs à l’heure euro­péenne. Et même l’hy­po­thèse d’une cer­taine asso­cia­tion avec la France n’est pas, a prio­ri, com­plè­te­ment absurde. Ces scé­na­rios pour­raient deve­nir d’ac­tua­li­té. Mais faut-il pour autant en dis­cu­ter prio­ri­tai­re­ment plu­tôt que des enjeux du moment ?

En se foca­li­sant sur la fin de la Bel­gique, l’o­pi­nion fran­co­phone saute — incons­ciem­ment ou volon­tai­re­ment — l’é­tape en cours : la négo­cia­tion sec­teur par sec­teur d’un nou­veau sys­tème de rela­tions ins­ti­tu­tion­nelles. Des dos­siers cru­ciaux se trouvent concrè­te­ment sur la table, comme la rené­go­cia­tion de la loi de finan­ce­ment des Com­mu­nau­tés (et donc de l’en­semble des sec­teurs édu­ca­tifs) ou la régio­na­li­sa­tion des poli­tiques d’emploi, d’une par­tie de la jus­tice, etc. C’est sur ces ques­tions que nous aurions à faire preuve de radi­ca­li­té. Celle des nou­veaux conver­tis de Bye bye Bel­gium risque par contre de se résu­mer à une réac­tion épi­der­mique de dépit amou­reux et de fuite hors du réel.

Comme même la frac­tion ouver­te­ment indé­pen­dan­tiste de la Flandre mili­tante l’a bien com­pris, nul n’a inté­rêt sur le plan inter­na­tio­nal à se posi­tion­ner en deman­deur de l’é­cla­te­ment d’un pays consti­tu­tif de l’U­nion euro­péenne. Mino­ri­té qui s’i­gno­rait et se découvre bru­ta­le­ment comme telle, cer­tains Belges fran­co­phones n’ont pas encore com­pris que le tout n’est pas de sur­en­ché­rir, mais bien d’a­voir les moyens de l’as­su­mer. à force de mécon­naître l’é­tat du rap­port de force avec la Flandre, nous ne nous don­nons pas la pos­si­bi­li­té de jouer intel­li­gem­ment des cartes que nous avons en main, et nous ris­quons même d’ag­gra­ver notre fai­blesse objective.

Ce tro­pisme délé­tère gagne du ter­rain en Wal­lo­nie et à Bruxelles et risque de gros­sir d’un mal­en­ten­du crois­sant avec nos repré­sen­tants poli­tiques. C’est que les lignes sur les­quelles cam­paient les par­tis fran­co­phones ont bel et bien bou­gé. Les quatre par­tis démo­cra­tiques acceptent désor­mais de dis­cu­ter d’une réforme de l’É­tat appro­fon­die au sein d’une confé­rence ad hoc. Il était légi­time pour les fran­co­phones de ne pas accep­ter de but en blanc d’ou­vrir une dis­cus­sion sur la seule base des exi­gences fla­mandes. Mais la posi­tion du refus de toute négo­cia­tion ne pou­vait être tenue indé­fi­ni­ment, ne fût-ce que parce que les défis éco­no­miques et sociaux demandent qu’un gou­ver­ne­ment les prenne en charge même, en ser­vice mini­mum. Les par­tis ayant pla­cé les fameux « vrais pro­blèmes des gens » au centre de leurs dis­cours ne pou­vaient se contredire…

Si elles ne sont pas tuées dans l’œuf par les contra­dic­tions internes du car­tel CD&V/N‑VA, les négo­cia­tions débou­che­ront néces­sai­re­ment sur un nou­vel équi­libre en traits fédé­ra­listes et confé­dé­ra­listes au sein du sys­tème belge. Com­ment désor­mais enga­ger dans cette pers­pec­tive une opi­nion publique fran­co­phone dont une part signi­fi­ca­tive est chauf­fée à blanc par la « radi­ca­li­té » affi­chée jus­qu’i­ci par leurs repré­sen­tants et par les délires d’ho­mo­gé­néi­sa­tion lin­guis­tique qui se mul­ti­plient en Flandre ? On espère que ce ne sera pas en leur ven­dant un bout de forêt fai­sant office de couloir…

Comme nous l’é­cri­vions voi­ci un an, la condi­tion pre­mière à rem­plir par les fran­co­phones pour retrou­ver prise sur leur ave­nir est de mettre à plat leurs propres ins­ti­tu­tions (voir édi­to de La Revue nou­velle de sep­tembre 2007). Le Groupe Wal­lo­nie-Bruxelles a com­men­cé à le faire. Mais les tra­vaux de cette com­mis­sion manquent à ce point de méthode que les pro­po­si­tions de ses pré­si­dents ont été désa­vouées dès leur sor­tie. Un dia­logue démo­cra­tique de qua­li­té s’im­pose cepen­dant de manière tou­jours plus urgente pour sor­tir les fran­co­phones d’un cer­tain syn­drome d’a­lié­na­tion, c’est-à-dire d’in­ca­pa­ci­té à se pen­ser, et à pen­ser de manière autonome.

Lechat Benoît


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