Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

Le Congo a voté

Numéro 9 Septembre 2006 par La rédaction

septembre 2006

Le Congo a donc fina­le­ment voté le 30 juillet, pre­mier abou­tis­se­ment d’un très long pro­ces­sus élec­to­ral, finan­cé à plus de 80 % par la « com­mu­nau­té inter­na­tio­nale » et dont on sait désor­mais qu’il dure­ra jus­qu’au début 2007. Comme pour le réfé­ren­dum consti­tu­tion­nel de décembre 2005, l’« engoue­ment » a été l’ex­pres­sion la plus usi­tée par les com­men­ta­teurs et jour­na­listes congo­lais pour […]

Le Congo a donc fina­le­ment voté le 30 juillet, pre­mier abou­tis­se­ment d’un très long pro­ces­sus élec­to­ral, finan­cé à plus de 80 % par la « com­mu­nau­té inter­na­tio­nale » et dont on sait désor­mais qu’il dure­ra jus­qu’au début 2007. Comme pour le réfé­ren­dum consti­tu­tion­nel de décembre 2005, l’« engoue­ment » a été l’ex­pres­sion la plus usi­tée par les com­men­ta­teurs et jour­na­listes congo­lais pour qua­li­fier ce pre­mier tour du scru­tin pré­si­den­tiel et les légis­la­tives. Entre 60 et 80 % des élec­teurs se sont ren­dus aux urnes, le plus sou­vent dès avant l’aube.

Sin­gu­lière prouesse tech­nique que l’on attri­bue­ra d’a­bord à une com­mis­sion élec­to­rale indé­pen­dante qui a mené ce pro­ces­sus avec beau­coup d’au­to­ri­té, de pro­fes­sion­na­lisme, d’in­tel­li­gence en même temps qu’a­vec ce pro­di­gieux esprit de débrouillar­dise et de bon sens qui carac­té­rise les habi­tants d’un pays où l’É­tat n’existe plus depuis plus d’une décen­nie et où l’hé­roïsme et la fier­té à la tâche des agents élec­to­raux ont pu sup­pléer aux condi­tions de tra­vail exces­si­ve­ment dif­fi­ciles. Il y a très clai­re­ment au sein du per­son­nel de cette Com­mis­sion élec­to­rale une pépi­nière d’in­tel­li­gences qui devraient être reprises dans la tâche de recons­truc­tion de l’É­tat congolais.

On a pu craindre le pire. La der­nière semaine de la cam­pagne élec­to­rale avait en effet été mar­quée par des mee­tings élec­to­raux où il y a eu mort d’homme, par des marches popu­laires de ceux qui consi­dé­raient que le résul­tat de ce pre­mier tour était « joué d’a­vance » (en faveur du pré­sident en exer­cice), que le Congo avait été « dépos­sé­dé » de « ses élec­tions » (au pro­fit de l’ex­té­rieur), par des affron­te­ments entre gardes rap­pro­chées de cer­tains « poids lourds », can­di­dats à la pré­si­dence, par les posi­tions contra­dic­toires de l’É­glise catho­lique qui, après avoir dénon­cé de pré­ten­dues « irré­gu­la­ri­tés », a appe­lé ses ouailles à se rendre mas­si­ve­ment aux urnes. Intox ou pas, il se disait aus­si dans cer­taines ambas­sades que le gou­ver­ne­ment avait ache­mi­né subrep­ti­ce­ment à par­tir du port de Mata­di des chars russes et des camions d’armes pour les dis­per­ser éven­tuel­le­ment dans le pays à par­tir de Kin­sha­sa. À tout hasard et pour faire impres­sion, les mili­taires de l’Eu­for, l’o­pé­ra­tion euro­péenne venue en ren­fort des casques bleus à Kin­sha­sa, firent sur­vo­ler la capi­tale par des avions de chasse à basse alti­tude, tan­dis qu’un des quatre avions sans pilote four­nis par la Bel­gique allait s’é­cra­ser, par un de ces caprices mys­té­rieux de la tech­no­lo­gie avan­cée, dans une com­mune proche du centre de la ville en ne fai­sant fort heu­reu­se­ment que six bles­sés légers.

On a pu craindre aus­si que dans les régions de l’Est du pays encore infes­tées de milices armées, les élec­tions ne pour­raient se tenir. Non seule­ment ces milices ne sont pas inter­ve­nues pour per­tur­ber le pro­ces­sus, mais, ultime cocas­se­rie, on a vu dans un ter­ri­toire du Kivu, des élé­ments rebelles rwan­dais du FDLR (Front de libé­ra­tion du Rwan­da) faire la police des bureaux de vote, ce qui sem­ble­rait indi­quer que ces milices n’ont aucun agen­da poli­tique et entendent plu­tôt « négo­cier », par la force des armes ou pas, leur sta­tut incer­tain avec les nou­veaux diri­geants du pays.

Comme tou­jours, le Congo, où le pire coexiste avec le meilleur, a sur­pris. Des actes (limi­tés) de van­da­lisme, dic­tés plus par la déses­pé­rance et la colère que par des agen­das poli­tiques, ont certes eu lieu pen­dant cette jour­née d’é­lec­tions. De bonne ou mau­vaise foi, des mil­liers de votants ont vou­lu accom­plir leur devoir élec­to­ral en allant voter dans des cir­cons­crip­tions qui n’é­taient pas les leurs. Débou­tés, cer­tains se mirent en colère et prirent en otage les res­pon­sables des bureaux de vote : on les appe­lait « les voya­geurs » ou les « vacan­ciers ». Des bandes de jeunes désoeu­vrés ont certes sac­ca­gé du maté­riel élec­to­ral au nom d’une résis­tance à des élec­tions res­sen­ties comme « impo­sées ». Il y eut en outre le cas des per­sonnes dépla­cées dont les noms ne figu­raient pas sur les listes des votants et pour les­quelles on recou­rut à des « arran­ge­ments », sans par­ler des bureaux de vote qui durent se faire iti­né­rants ou être dépla­cés en der­nière minute dans cer­tains endroits plus sécurisés.

Beau­coup de pro­blèmes tech­niques aus­si dans un pays où les routes ne sont plus qu’un sou­ve­nir : pannes ou absence d’élec­tri­ci­té, bul­le­tins de vote de six pages en for­mat A3 qu’il était dif­fi­cile de faire entrer dans des urnes mal cali­brées, erreurs dans la numé­ro­ta­tion des cartes d’é­lec­teurs, dif­fi­cul­té d’or­ga­ni­sa­tion dans l’a­che­mi­ne­ment de la paie des agents élec­to­raux… Le mot « anal­pha­bé­tisme » est sou­vent reve­nu sur les lèvres des com­men­ta­teurs congo­lais pour qua­li­fier ceux qui ne savaient pas où aller voter, ceux qui ne savaient pas très bien pour qui voter, ces dizaines de mil­liers d’é­lec­teurs que des témoins de par­tis ont cher­ché par­fois à influen­cer jusque dans l’i­so­loir et pour les­quels les pré­si­dents de bureau de vote devaient prendre de longues minutes pour expli­quer et réex­pli­quer que faire et com­ment faire…

Les élec­teurs congo­lais devront encore patien­ter plu­sieurs semaines avant de connaitre le résul­tat du geste civique qu’ils ont posé. Les innom­brables contes­ta­tions ne vont pas man­quer de sur­ve­nir de la part de can­di­dats pré­si­den­tiels et par­le­men­taires qui ont joué à quitte ou double et qui ne vou­dront pas faci­le­ment recon­naitre leur défaite. Et comme la com­mis­sion élec­to­rale indé­pen­dante, qui a tout pou­voir, a scru­pu­leu­se­ment pré­vu que toutes les contes­ta­tions aus­si futiles soient-elles devraient pas­ser par le filtre d’une cour suprême de jus­tice, les résul­tats ne seront connus que trois semaines après le scrutin.

Il n’est pas évident non plus que, pour ces élec­teurs qui ont patien­té de longues heures devant les bureaux de vote, les résul­tats mène­ront à des len­de­mains qui chantent, comme l’ont lais­sé sous-entendre des com­men­ta­teurs un peu trop enthou­siastes. Non, il n’est pas sûr que la « démo­cra­tie », que le Congo­lais de la rue désigne par­fois sous le nom de « démo­cra­ture », s’ins­tal­le­ra au Congo. N’en déplaise aux « par­rains » du Congo par­mi les­quels cer­taines excel­lences belges pour qui le Congo était aus­si un enjeu bel­go-belge en cette période pré­élec­to­rale, qui eurent sans doute des arrière-pen­sées élec­to­rales en se ren­dant en rangs ser­rés dans notre ex-colo­nie comme le relève Jean-Claude Willame qui note aus­si que ces par­rains n’ont d’ailleurs pas tou­jours adroi­te­ment « pilo­té » le pro­ces­sus démo­cra­tique dans ce pays.

Pour un « sage » de la socié­té civile, Patient Ban­gen­da, le pro­blème du Congo, où c’est toute la socié­té qui est à recons­truire, est avant tout celui de son élite poli­tique pour qui la « démo­cra­tie » rime le plus sou­vent avec « prise et acca­pa­re­ment du pou­voir » avec tous les avan­tages maté­riels qu’il sup­pose. Si les élec­tions appor­te­ront une cla­ri­fi­ca­tion for­melle d’un pay­sage poli­tique com­plexe et confus où les par­tis poli­tiques n’ont de rele­vance que par les petits ou grands barons qui les com­posent, elles n’a­bou­ti­ront pas néces­sai­re­ment non plus à la « paix » tant atten­due, car les com­bats pour le pou­voir ont tou­jours été des jeux à somme nulle, que ce soit dans les régions qui sont tou­jours tou­chées par « la guerre » que dans celles qui ne l’ont pas été. Et il fau­dra beau­coup de temps et de patientes média­tions avant que l’ap­pren­tis­sage du com­pro­mis ne devienne, dans ce pays poten­tiel­le­ment si riche mais où l’ex­trême pau­vre­té et l’ex­clu­sion règnent en maitres, un « habi­tus » durable.

Les élec­tions, qui ont été le motu pro­prio et l’ob­ses­sion pre­mière des « pays amis du Congo », les­quels ont misé plus de 450 mil­lions de dol­lars sur leur réus­site, ne sont jamais qu’un moyen. Il n’est pas sûr que les réseaux d’é­lites poli­tiques congo­laises ne les aient pas consi­dé­rées comme une fin. À cet égard, on peut avan­cer que si, comme pro­bable, le pre­mier tour de l’é­lec­tion pré­si­den­tielle ne donne pas de gagnant, il faut s’at­tendre à la pro­lon­ga­tion pen­dant trois longs mois d’une inter­mi­nable tran­si­tion tant décriée où tous les coups seront per­mis et où les places seront chères dans le chef de « per­dants » pré­vi­sibles qui se sont empres­sés de dénon­cer des « fraudes mas­sives » avant même que le dépouille­ment ne soit ter­mi­né. Au vu des réali­gne­ments, des grandes et petites manoeuvres de dés­in­for­ma­tion qui ne man­que­ront pas de se pro­duire pen­dant cette période, au vu des incer­ti­tudes quant à la ges­tion gou­ver­ne­men­tale du pays dans cette tran­si­tion qui n’a plus de légi­ti­mi­té réelle, il est donc peut-être pré­ma­tu­ré d’af­fir­mer que le Congo a eu « ren­dez-vous avec son His­toire » comme veulent le pen­ser les fai­seurs de paix au Congo. Tou­te­fois, la bonne tenue des élec­tions pour­rait bien avoir pour effet de rendre aux Congo­lais la confiance en eux-mêmes qu’ils ont per­due et de réin­sé­rer pro­gres­si­ve­ment leur pays dans un sys­tème d’É­tat de droit accep­table : ce n’est pas rien dans un sys­tème poli­tique qui a fonc­tion­né jus­qu’i­ci dans un aimable ou moins aimable arbitraire

La rédaction


Auteur