Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.
Le Congo a voté
Le Congo a donc finalement voté le 30 juillet, premier aboutissement d’un très long processus électoral, financé à plus de 80 % par la « communauté internationale » et dont on sait désormais qu’il durera jusqu’au début 2007. Comme pour le référendum constitutionnel de décembre 2005, l’« engouement » a été l’expression la plus usitée par les commentateurs et journalistes congolais pour […]
Le Congo a donc finalement voté le 30 juillet, premier aboutissement d’un très long processus électoral, financé à plus de 80 % par la « communauté internationale » et dont on sait désormais qu’il durera jusqu’au début 2007. Comme pour le référendum constitutionnel de décembre 2005, l’« engouement » a été l’expression la plus usitée par les commentateurs et journalistes congolais pour qualifier ce premier tour du scrutin présidentiel et les législatives. Entre 60 et 80 % des électeurs se sont rendus aux urnes, le plus souvent dès avant l’aube.
Singulière prouesse technique que l’on attribuera d’abord à une commission électorale indépendante qui a mené ce processus avec beaucoup d’autorité, de professionnalisme, d’intelligence en même temps qu’avec ce prodigieux esprit de débrouillardise et de bon sens qui caractérise les habitants d’un pays où l’État n’existe plus depuis plus d’une décennie et où l’héroïsme et la fierté à la tâche des agents électoraux ont pu suppléer aux conditions de travail excessivement difficiles. Il y a très clairement au sein du personnel de cette Commission électorale une pépinière d’intelligences qui devraient être reprises dans la tâche de reconstruction de l’État congolais.
On a pu craindre le pire. La dernière semaine de la campagne électorale avait en effet été marquée par des meetings électoraux où il y a eu mort d’homme, par des marches populaires de ceux qui considéraient que le résultat de ce premier tour était « joué d’avance » (en faveur du président en exercice), que le Congo avait été « dépossédé » de « ses élections » (au profit de l’extérieur), par des affrontements entre gardes rapprochées de certains « poids lourds », candidats à la présidence, par les positions contradictoires de l’Église catholique qui, après avoir dénoncé de prétendues « irrégularités », a appelé ses ouailles à se rendre massivement aux urnes. Intox ou pas, il se disait aussi dans certaines ambassades que le gouvernement avait acheminé subrepticement à partir du port de Matadi des chars russes et des camions d’armes pour les disperser éventuellement dans le pays à partir de Kinshasa. À tout hasard et pour faire impression, les militaires de l’Eufor, l’opération européenne venue en renfort des casques bleus à Kinshasa, firent survoler la capitale par des avions de chasse à basse altitude, tandis qu’un des quatre avions sans pilote fournis par la Belgique allait s’écraser, par un de ces caprices mystérieux de la technologie avancée, dans une commune proche du centre de la ville en ne faisant fort heureusement que six blessés légers.
On a pu craindre aussi que dans les régions de l’Est du pays encore infestées de milices armées, les élections ne pourraient se tenir. Non seulement ces milices ne sont pas intervenues pour perturber le processus, mais, ultime cocasserie, on a vu dans un territoire du Kivu, des éléments rebelles rwandais du FDLR (Front de libération du Rwanda) faire la police des bureaux de vote, ce qui semblerait indiquer que ces milices n’ont aucun agenda politique et entendent plutôt « négocier », par la force des armes ou pas, leur statut incertain avec les nouveaux dirigeants du pays.
Comme toujours, le Congo, où le pire coexiste avec le meilleur, a surpris. Des actes (limités) de vandalisme, dictés plus par la désespérance et la colère que par des agendas politiques, ont certes eu lieu pendant cette journée d’élections. De bonne ou mauvaise foi, des milliers de votants ont voulu accomplir leur devoir électoral en allant voter dans des circonscriptions qui n’étaient pas les leurs. Déboutés, certains se mirent en colère et prirent en otage les responsables des bureaux de vote : on les appelait « les voyageurs » ou les « vacanciers ». Des bandes de jeunes désoeuvrés ont certes saccagé du matériel électoral au nom d’une résistance à des élections ressenties comme « imposées ». Il y eut en outre le cas des personnes déplacées dont les noms ne figuraient pas sur les listes des votants et pour lesquelles on recourut à des « arrangements », sans parler des bureaux de vote qui durent se faire itinérants ou être déplacés en dernière minute dans certains endroits plus sécurisés.
Beaucoup de problèmes techniques aussi dans un pays où les routes ne sont plus qu’un souvenir : pannes ou absence d’électricité, bulletins de vote de six pages en format A3 qu’il était difficile de faire entrer dans des urnes mal calibrées, erreurs dans la numérotation des cartes d’électeurs, difficulté d’organisation dans l’acheminement de la paie des agents électoraux… Le mot « analphabétisme » est souvent revenu sur les lèvres des commentateurs congolais pour qualifier ceux qui ne savaient pas où aller voter, ceux qui ne savaient pas très bien pour qui voter, ces dizaines de milliers d’électeurs que des témoins de partis ont cherché parfois à influencer jusque dans l’isoloir et pour lesquels les présidents de bureau de vote devaient prendre de longues minutes pour expliquer et réexpliquer que faire et comment faire…
Les électeurs congolais devront encore patienter plusieurs semaines avant de connaitre le résultat du geste civique qu’ils ont posé. Les innombrables contestations ne vont pas manquer de survenir de la part de candidats présidentiels et parlementaires qui ont joué à quitte ou double et qui ne voudront pas facilement reconnaitre leur défaite. Et comme la commission électorale indépendante, qui a tout pouvoir, a scrupuleusement prévu que toutes les contestations aussi futiles soient-elles devraient passer par le filtre d’une cour suprême de justice, les résultats ne seront connus que trois semaines après le scrutin.
Il n’est pas évident non plus que, pour ces électeurs qui ont patienté de longues heures devant les bureaux de vote, les résultats mèneront à des lendemains qui chantent, comme l’ont laissé sous-entendre des commentateurs un peu trop enthousiastes. Non, il n’est pas sûr que la « démocratie », que le Congolais de la rue désigne parfois sous le nom de « démocrature », s’installera au Congo. N’en déplaise aux « parrains » du Congo parmi lesquels certaines excellences belges pour qui le Congo était aussi un enjeu belgo-belge en cette période préélectorale, qui eurent sans doute des arrière-pensées électorales en se rendant en rangs serrés dans notre ex-colonie comme le relève Jean-Claude Willame qui note aussi que ces parrains n’ont d’ailleurs pas toujours adroitement « piloté » le processus démocratique dans ce pays.
Pour un « sage » de la société civile, Patient Bangenda, le problème du Congo, où c’est toute la société qui est à reconstruire, est avant tout celui de son élite politique pour qui la « démocratie » rime le plus souvent avec « prise et accaparement du pouvoir » avec tous les avantages matériels qu’il suppose. Si les élections apporteront une clarification formelle d’un paysage politique complexe et confus où les partis politiques n’ont de relevance que par les petits ou grands barons qui les composent, elles n’aboutiront pas nécessairement non plus à la « paix » tant attendue, car les combats pour le pouvoir ont toujours été des jeux à somme nulle, que ce soit dans les régions qui sont toujours touchées par « la guerre » que dans celles qui ne l’ont pas été. Et il faudra beaucoup de temps et de patientes médiations avant que l’apprentissage du compromis ne devienne, dans ce pays potentiellement si riche mais où l’extrême pauvreté et l’exclusion règnent en maitres, un « habitus » durable.
Les élections, qui ont été le motu proprio et l’obsession première des « pays amis du Congo », lesquels ont misé plus de 450 millions de dollars sur leur réussite, ne sont jamais qu’un moyen. Il n’est pas sûr que les réseaux d’élites politiques congolaises ne les aient pas considérées comme une fin. À cet égard, on peut avancer que si, comme probable, le premier tour de l’élection présidentielle ne donne pas de gagnant, il faut s’attendre à la prolongation pendant trois longs mois d’une interminable transition tant décriée où tous les coups seront permis et où les places seront chères dans le chef de « perdants » prévisibles qui se sont empressés de dénoncer des « fraudes massives » avant même que le dépouillement ne soit terminé. Au vu des réalignements, des grandes et petites manoeuvres de désinformation qui ne manqueront pas de se produire pendant cette période, au vu des incertitudes quant à la gestion gouvernementale du pays dans cette transition qui n’a plus de légitimité réelle, il est donc peut-être prématuré d’affirmer que le Congo a eu « rendez-vous avec son Histoire » comme veulent le penser les faiseurs de paix au Congo. Toutefois, la bonne tenue des élections pourrait bien avoir pour effet de rendre aux Congolais la confiance en eux-mêmes qu’ils ont perdue et de réinsérer progressivement leur pays dans un système d’État de droit acceptable : ce n’est pas rien dans un système politique qui a fonctionné jusqu’ici dans un aimable ou moins aimable arbitraire