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Le choc des civilisations ? Non

Numéro 10 Octobre 2001 par Hazem Saghié

février 2009

Le monde entier a mal : l’ ”Orient” pâti­ra tout autant que l’Oc­ci­dent des atten­tats du 11 sep­tembre. Plu­tôt qu’op­po­ser les civi­li­sa­tions occi­den­tales et musul­manes, il faut s’at­te­ler à une com­pré­hen­sion du marasme que connaît le monde arabe.

Les États-Unis souffrent, l’Occident aus­si, le monde entier a mal. Les consé­quences néga­tives des der­niers évè­ne­ments com­mencent à se faire sen­tir : méfiance à l’égard des étran­gers entre­te­nue par cer­tains médias popu­listes, des agres­sions çà et là et des pro­pos qui n’en finissent plus sur le « clash des civi­li­sa­tions» ; ce dont se réjouissent aus­si bien la droite occi­den­tale que les isla­mistes fon­da­men­ta­listes. Ce type de réac­tion est assez pré­vi­sible dans des situa­tions de colère col­lec­tive, mais elle porte ombrage à l’Occident et à son image dans la mesure où elle concerne le racisme, un des aspects les plus contro­ver­sés de l’environnement poli­tique occidental. 

Le choc des civi­li­sa­tions ? Que cela signi­fie-t-il ? Hit­ler était-il Pakis­ta­nais ? Mus­so­li­ni était-il ori­gi­naire de la pénin­sule Ara­bique ? Timo­tee Mac Veigh était-il un jeune ori­gi­naire du sud de l’Egypte ? Et dans ce cas, qui est en droit de repré­sen­ter la « civi­li­sa­tion orien­tale » et de par­ler en son nom ? Sad­dam Hus­sein ou ses vic­times ira­kiennes ? Moham­mad Kha­te­mi ou Ali Khameneï ? 

Si Ben Laden a fait du tort à l’Occident, et il l’a incon­tes­ta­ble­ment fait, peut-on fran­che­ment dou­ter un seul ins­tant qu’il n’en ait pas encore fait plus à 1’«Orient » ? En effet, il a por­té un coup mor­tel à l’intifada et bon nombre de pays sont mena­cés par une dan­ge­reuse insta­bi­li­té. Ces atten­tats ont eu des réper­cus­sions néga­tives sur la vie quo­ti­dienne de cen­taines de mil­liers d’individus, sans par­ler des mil­lions de réfu­giés. Les « Orien­taux », et les Afghans en tête, ne sont-ils pas les per­pé­tuelles vic­times de ces ter­ro­ristes qui les dirigent ? 

Il ne s’agit donc pas de choc des civi­li­sa­tions. On peut par contre essayer de com­prendre le déclin cultu­rel et poli­tique qui s’empare d’une région à un moment don­né de son his­toire. On peut éga­le­ment com­prendre l’impasse dans laquelle se trouvent pré­ci­sé­ment les peuples de cette région. C’est exac­te­ment ce qui se passe actuel­le­ment dans le monde musul­man. Les rai­sons pro­fondes y sont d’ordre his­to­rique. Les peuples musul­mans ain­si que leurs élites devraient se pen­cher sur la ques­tion et ten­ter de com­battre ce phé­no­mène qui n’est d’ailleurs pas éternel. 

Le phé­no­mène n’est pas non plus néces­sai­re­ment en rap­port avec une situa­tion pré­ten­du­ment concrète, ni avec une reli­gion par­ti­cu­lière. En effet, dans toute reli­gion on peut trou­ver à la fois des concepts jus­ti­fiant la vio­lence en même temps que l’amour et la tolé­rance. Parce que l’Histoire consi­dé­rée comme un effort humain conscient est le début de la solu­tion, les appels aux bom­bar­de­ments et à la des­truc­tion ne sont pas, quant à eux, une solu­tion. Le dis­cours mili­ta­ro­na­tio­na­liste que l’on com­mence à entendre aux Etats-Unis n’offre ain­si aucune pers­pec­tive à long terme. Si le menaces contre l’Afghanistan doivent se tra­duire uni­que­ment par des frappes mili­taires aveugles dont l’essentiel des vic­times sera sur­tout des civils inno­cents, la situa­tion n’aura pas beau­coup évo­lué et l’on aura sur­tout péna­li­sé un peuple afghan déjà assez mar­ty­ri­sé par la bar­ba­rie des talibans. 

Il semble tou­te­fois dif­fi­cile dans le contexte actuel d’éviter des frappes mili­taires. Ces frappes cen­sées viser les ter­ro­ristes sont récla­mées avec beau­coup de fer­veur. Pour­tant, les socié­tés musul­manes, si elles n’étaient pas mar­quées par un tel marasme, auraient sans doute été les pre­mières à punir et à livrer ces der­niers. Si un tel marasme n’avait exis­té, elles auraient même pu faci­le­ment empê­cher l’émergence de ce type de phé­no­mène ter­ro­riste et auraient été les pre­mières à récla­mer la sépa­ra­tion entre le poli­tique et le droit à la vie, tout en insis­tant, comme Hen­ry Kis­sin­ger, pour frap­per sans mer­ci les struc­tures qui pro­duisent le terrorisme. 

Certes, il est vrai que le ter­ro­risme n’est pas seule­ment le résul­tat de la poli­tique et de l’économie, comme le pré­tendent cer­tains spé­cia­listes don­nant ain­si des cir­cons­tances atté­nuantes aux ter­ro­ristes. Néan­moins, la poli­tique et l’économie peuvent ser­vir à cir­cons­crire le phé­no­mène tant il est vrai que les condi­tions socioé­co­no­miques qui règnent dans le monde musul­man sont dans la plu­part des cas tout à fait dramatiques. 

Dans la mesure où nous par­lons actuel­le­ment de mon­dia­li­sa­tion dans le domaine de la sécu­ri­té, pour­quoi ne pas évo­quer aus­si la mon­dia­li­sa­tion poli­tique qui se maté­ria­li­se­rait par un sys­tème de gou­ver­nance plus juste et une plus grande atten­tion pour les pro­blèmes des peuples et des nations ? Et puisque nous par­lons de la troi­sième guerre mon­diale, pour­quoi ne pas rap­pe­ler que la Pre­mière Guerre mon­diale a don­né aus­si les prin­cipes wil­son­niens et que la Seconde a débou­ché sur le plan Mar­shall, même si cela n’occulte en rien la res­pon­sa­bi­li­té des peuples ?

Hazem Saghié


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