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Le « capitalisme sauvage » d’ArcelorMittal

Numéro 3 mars 2014 par Michel Capron

mars 2015

Au vu des évènements dramatiques qui ont, une nouvelle fois, affecté ces derniers temps le destin de 1.300 sidérurgistes, de leur famille, des fournisseurs et sous-traitants d’ArcelorMittal (AM)-Liège et des émotions fortes qu’ils ont suscitées, il est nécessaire de tenter une approche plus à distance, et ce en plusieurs étapes. Tout d’abord, un retour historique sur des revendications à préciser, qu’il s’agisse de « nationalisation » ou de « régionalisation ». Ensuite les nombreux efforts tentés par le gouvernement wallon, en particulier le ministre Marcourt, en vue de la recherche d’un consultant et d’une banque d’affaires susceptibles de découvrir un repreneur pour les outils condamnés par AM et se donner éventuellement des armes pour tenter de dynamiter le « mur » d’AM à Liège. En outre, la possible pérennité d’une sidérurgie innovante en Wallonie, les pressions à exercer au niveau des instances de l’Union européenne (UE) et, enfin, une évaluation de la stratégie européenne et mondiale poursuivie depuis 2011 par AM en vue notamment d’atteindre un désendettement significatif.

Pour bien saisir l’intention de fermeture définitive que déclare AM pour Liège, il y a lieu d’analyser son communiqué de presse du 24 janvier 2013 qui est par ailleurs très clair. Les arrêts définitifs touchent cinq lignes de la phase à froid jugées « non stratégiques » le 12 juillet 2012 : une filière de laminage à froid (Tilleur), les Galva IV et V (Flémalle), les lignes HP3 et 4 (Marchin). S’y ajoutent les deux outils restants de la phase à chaud : le laminoir à chaud à larges bandes de Chertal (le TLB) et la cokerie d’Ougrée. AM continue l’exploitation des cinq lignes « stratégiques » de la phase à froid (soit 800 emplois). Dans pas mal d’articles et de déclarations phases à froid et à chaud ont été allègrement mélangées.

Des précisions nécessaires

Il convient, par ailleurs, de s’entendre sur le sens des revendications émises, très légitimement, par les organisations syndicales des métallos liégeois, mais en les resituant dans leur contexte historique. Qu’en est-il de la « nationalisation »? Rappelons qu’à la fin des années 1970 et au début des années 1980 la prise de participations publiques, la fusion Cockerill Sambre (CS) et la mise en œuvre du plan Gandois1 ont provoqué de virulentes querelles communautaires : la CSC flamande, appuyée significativement par le CVP et les autres partis flamands, a lancé : « Plus un sou d’argent flamand pour l’acier wallon ! » Croit-on sérieusement que le gouvernement fédéral actuel se risquerait à reprendre ce brulot ? La situation à Liège est du pain bénit pour les confédéralistes de la NV‑A qui y voient confortées leurs thèses sur les perpétuelles demandes de financement côté wallon, alors que le gouvernement flamand s’avère incapable d’obliger Ford à modifier sa position par rapport à la fermeture du site de Genk.

Il faut aussi retracer l’historique de la « régionalisation ». Lors de la régionalisation des secteurs nationaux, dont la sidérurgie, dès 1984, les participations publiques détenues par la Région wallonne dans Cockerill Sambre (CS), avoisinant les 88 %, ont été transférées à la SWS (Société wallonne pour la sidérurgie) créée en juillet 1991 comme filiale de la Société régionale d’investissement de Wallonie. Les parts publiques seront ensuite transmises en juin 1999 à la Sogepa, le bras financier de la Région wallonne dans ce secteur. L’intervention des pouvoirs publics ne concerne ni la gestion quotidienne (laissée aux mains du binôme Gandois-Delaunois) ni les orientations internes de CS, mais se manifeste dès que l’avenir de l’entreprise est en jeu. C’est précisément de cet avenir qu’il sera question en 1990, J. Gandois étant convaincu que, pour des entreprises de la taille de CS, seule l’option d’une alliance internationale avec un groupe européen plus puissant pourra lui garantir un avenir à terme du fait des « ruptures technologiques » qui, selon lui, se font jour dans les processus de production de l’acier. Il réfute en fait la possibilité du « stand alone », comme c’est le cas actuellement de sidérurgistes allemands comme Salzgitter, Saarstahl ou Dillinger Hütte, cités en exemple dans le plan syndical de juin 2012.

En 1990, J. Gandois plaide dès lors pour une alliance avec Arbed-Sidmar, qui lui sera refusée par le gouvernement wallon. En février 1996, la Table ronde sur l’acier wallon regroupant les Forges de Clabecq, les usines G. Boël et leur filiale la Fafer ainsi que CS, et réunie à l’initiative du gouvernement régional, se clôt sur un échec. Le groupe Boël refuse en fait toute immixtion, financière ou autre, des pouvoirs publics dans sa gestion. C’est, comme le déplore M. Genet (Laplace Conseil)2, la fin de toute possibilité de constituer encore une sidérurgie wallonne. En effet, dès 1997, le groupe italo-suisse Duferco met la main sur les Forges de Clabecq et, la même année, le groupe néérlandais Hoogovens prend le contrôle des usines G. Boël avant de céder le relai en 1999 à Duferco. Fin 1997, CS refuse de reprendre la Fafer, une filiale de produits de « niches » très performante des usines G. Boël, pour un motif de recentrage sur son « core business ». La porte de la Fafer est ouverte à la filiale Aster du groupe français Usinor — présidé par Fr. Mer, un vieil ami de J. Gandois — qui en reprend la totalité en mars 1998. Dès lors, quand J. Gandois obtient le feu vert pour son projet d’alliance internationale, c’est Usinor qui reste seul en lice après le retrait de l’Arbed et de ThyssenKruppStahl : son offre est officialisée en février 1999 avec l’aval de la Commission européenne3. Moyennant la promesse d’un certain nombre d’investissements, Usinor détient la majorité du capital de CS, la Région wallonne gardant 25 % des actions plus une, de quoi disposer d’une minorité de blocage.

En 2002, Usinor fusionne avec Arbed et Aceralia pour former le groupe Arcelor ; la participation régionale est réduite à 4,29% du capital d’Arcelor. En outre, en 2006, avant l’absorption d’Arcelor par Mittal Steel pour former ArcelorMittal, le gouvernement wallon (avec y compris l’appui du MR) s’accorde pour vendre à hauteur de 180 millions d’euros d’actions en vue de financer le plan Marshall. Finalement, en 2013, la Région wallonne ne dispose plus que de 0,7 % du capital d’AM, d’où un potentiel de négociation particulièrement faible. Ajoutons deux éléments. Au plan fédéral, le jeu d’AM — parfaitement légal — avec les intérêts notionnels a permis, selon les calculs du PTB, à sa filiale banque interne AM Services and Finance Belgium de déduire en 2011 1,597 milliard d’euros pour une déclaration à l’impôt des sociétés de zéro euro… Or dès octobre 2012, cette même filiale bancaire retire plus de 35 milliards d’euros de notre pays pour un transfert vers Luxembourg ou Londres. Enfin, au niveau régional, AM intente une procédure judiciaire contre la Région pour refus d’octroi de quotas CO2 pour 2012.

L’évolution de l’influence des pouvoirs publics régionaux depuis l’ère de CS jusqu’au groupe AM devrait faire réfléchir les partisans de la régionalisation, d‘autant plus que l’on se rend compte de l’insignifiance de la part régionale wallonne dans le mastodonte AM et des éventuels moyens financiers qui lui font défaut, en supposant même que la Commission européenne ne s’oppose pas à des interventions publiques régionales. Si le gouvernement français n’a pu réussir à infléchir la décision d’AM à propos de Florange (comme à Liège, la fermeture de la phase à chaud et des investissements dans la phase à froid), je vois mal la Région wallonne obtenir un quelconque résultat. Mais ce n’est pas faute d’essayer d’ébranler le « mur » d’AM à Liège.

Le « mur » d’ArcelorMittal

Depuis octobre 2011, AM répète que son intention de fermer définitivement la phase à chaud à Liège n’inclut nullement sa cession à qui que ce soit 4. De quelles armes dispose alors le gouvernement wallon pour dynamiter ce « mur » d’AM ? Une participation minime au capital, la non-attribution de quotas CO2 (dont AM peut se passer sauf pour les lignes stratégiques du froid à Liège et chez AM Industeel), les frais de dépollution de la phase à chaud (auxquels AM a dit consentir), une promesse de 138 millions d’euros d’investissements dans les lignes à froid stratégiques et l’énergie, dont 60 millions directement pour la ligne de revêtement sous vide d’Arceo à Kessales. À condition que les syndicats signent d’abord le plan social (le plan complémentaire pour les 314 prépensionnés de la première procédure Renault), ce que les syndicats refusent faute d’obtenir un plan industriel au-delà des 138 millions d’euros. L’actualité proche a occulté ce blocage.

Sous la pression légitime et compréhensible des sidérurgistes d’AM-Liège, le ministre Marcourt se met en quête d’un consultant et d’une banque d’affaires5 susceptibles d’ouvrir la voie vers un repreneur potentiel. Le 1er février 2013, il annonce avoir choisi le bureau de consultant international Roland Berger et la banque d’affaire Degroof pour s’attacher à trouver le repreneur industriel en question. Le bureau Roland Berger est connu comme « consultant stratégique » en matière d’analyse des stratégies industrielles. Outre ses activités de gestion de patrimoine, la banque Degroof remplit une activité de banque d’affaires, notamment en matière de fusions et acquisitions et est à cette occasion consultée par les pouvoirs publics. Le consultant et la banque d’affaires sont aidés dès le 4 février par une « task force » (un groupe de travail) régionale ; pour 1 million d’euros, leur tâche ne comporte aucune obligation de résultat. Il s’agit d’une mission en trois étapes : trouver un repreneur ; présenter et défendre le projet de reprise industrielle ; convaincre AM d’accepter de négocier l’offre de reprise. Ce repreneur devrait être intéressé à reprendre, dans le marasme économique et sidérurgique actuel, des activités qui ne peuvent, à court et moyen terme, que générer des pertes6. C’est que l’offre de reprise ne porte en fait que sur les outils de la phase à chaud et sur les lignes non stratégiques de la phase à froid qu’AM a décidé de fermer définitivement, autrement dit les outils les moins rentables. Quant aux lignes stratégiques de la phase à froid, AM n’envisage en aucune manière de s’en défaire, d’autant qu’il en a toujours reconnu le caractère de très haute valeur ajoutée. D’ailleurs on voit mal AM tolérer un concurrent à proximité. En outre, il est indispensable que soit constituée une nouvelle société commerciale pour restaurer le réseau de la phase à froid, mais aussi que l’on puisse obtenir une garantie d’avenir financier pour le centre de recherche CRM Group, au Sart-Tilman, en partie financé par AM.

Si l’opération « repreneur » échoue, restent les procédures judiciaires — par exemple pour abus de position dominante — à l’issue sans doute très tardive et incertaine, raison pour laquelle le plan syndical de juin 2012 estime peu utilisable la voie juridique, même devant les instances européennes. Enfin, les moyens financiers de la Région s’avèrent nettement insuffisants pour appuyer ses démarches de manière crédible, d’autant que la Commission européenne peut qualifier leur apport d’aides publiques et les refuser. Il reste cependant des pistes d’avenir pour l’activité sidérurgique en Wallonie.

Un avenir sidérurgique en Wallonie

D’aucuns7 estiment que la sidérurgie a fait son temps, n’est plus structurante et qu’il faut en finir rapidement, une vision fausse. Plusieurs secteurs industriels (fabrications métalliques et mécaniques notamment) ont besoin de cet acier (et notamment des centres de distribution acier) car s’approvisionner hors Wallonie pourrait leur couter fort cher. La sidérurgie produisant des aciers d’avenir (chez AM-Liège les tôles fines et revêtues pour l’automobile et le revêtement sous vide d’Arceo, chez AM Industeel et NLMK Clabecq des tôles fortes) de très haute technologie pour des marchés spécifiques (les « niches ») confère à ces sociétés des avantages par rapport aux sidérurgies émergentes8. La clientèle spécifique pour ces produits dits « de niche », comprend, pour Industeel et Clabecq par exemple, des constructeurs de plateformes off­shore, de cuves de transport et de stockage de gaz, de tankers, de cuves pour pâte à papier, de certains pipelines, de blindages militaires. L’avenir de ces produits sophistiqués est réel, mais conditionné à la reprise conjoncturelle et aux modalités de l’approvisionnement : le transport de brames et/ou de bobines laminées à chaud à partir d’AM Dunkerque vers la phase à froid de Liège par exemple a donné lieu à de nombreux problèmes (retards, qualité d’acier etc.) susceptibles de fragiliser la qualité des produits laminés à froid et revêtus. L’on peut ajouter aux produits pérennes les produits longs de Thy-Marcinelle, filiale du groupe italien Riva, qui produit des ronds à béton, du treillis et du fil machine de qualité à partir d’une aciérie électrique n’opérant que la nuit et les weekends avec un prix d’électricité réduit. Ces sites fonctionnent malgré la crise à quelque 70% de leurs capacités. À l’heure actuelle, je serais plus réservé quant au sort des produits plats de NLMK La Louvière qui dispose cependant d’une verticalisation vers ses filiales françaises de revêtement et de peinture, la question étant ici de savoir dans quelle mesure il lui sera possible de fonctionner adéquatement avec moitié moins de personnel après sa restructuration. La sidérurgie en Wallonie n’est donc pas moribonde, des aciéries électriques remplacent les hauts-fournaux, mais ce sont les travailleurs de la sidérurgie qui trinquent. Si l’on considère comme acquis (ce qui n’est pas encore le cas) les intentions annoncées de pertes d’emplois récentes, l’ensemble de l’emploi sidérurgique direct en Wallonie en février 2013 se réduit à quelque 4.940 personnes9.

Des revendications au niveau de l’Union européenne

Il apparait de plus en plus clairement et de manière d’autant plus urgente qu’aucun pays de l’UE ne sortira seul vainqueur d’un mano a mano avec AM et d’autres puissantes multinationales s’il n’y a pas, au niveau des instances européennes, au moins une double démarche. D’une part, en vue de recadrer le comportement de ces puissantes sociétés (y compris par le biais de sanctions financières qui peuvent s’avérer lourdes, la Commission ayant des pouvoirs certains en ce domaine); d’autre part, en vue d’organiser des rencontres des ministres de l’industrie des différents pays où opèrent des filiales d’AM, en commençant par se limiter à la division plats carbone Europe d’AM (Flat Carbon Europe), mais le même processus devrait être adopté par rapport aux produits longs. Le syndicat européen des métallurgistes, IndustriAll a appelé le 29 janvier la Commission européenne à enquêter sur les raisons et les conditions de l’intention d’AM Europe de fermer définitivement des outils de la phase à froid à Liège. B. Samyn, secrétaire général d’IndustriAll accuse AM de rayer délibérément de la carte européenne des capacités de production à haute valeur ajoutée qui pourraient s’avérer manquantes en cas de reprise conjoncturelle. Il ajoute qu’à défaut d’une réaction commune urgente, l’Europe serait condamnée à devenir un simple importateur d’acier10. Les pressions commencent à s’exercer au niveau de l’UE, qu’il s’agisse du commissaire à l’industrie Tajani, du Parlement européen ou des ministres de l’Industrie. Il s’agit de s’orienter résolument vers des politiques de réindustrialisation : un soutien effectif (via des fonds structurels européens) aux sidérurgistes innovants et vers une politique volontariste d’emploi et de reconversion pour toutes les victimes des restructurations massives qui ont affecté l’ensemble du secteur industriel. Le 6 février, les sidérurgistes des sites français, belges et luxembourgeois manifestent devant le Parlement européen à Strasbourg ; le 12 février plusieurs ministres de l’Industrie rencontrent le commissaire Tajani. On ne peut qu’espérer qu’il en sortira des mesures concrètes montrant qu’au-delà des politiques d’austérité, on a enfin compris qu’il fallait promouvoir sans délai des politiques de relance industrielle.

Les stratégies du groupe ArcelorMittal

La question qui se pose finalement consiste à se demander quelle est l’orientation stratégique mondiale prise par le groupe AM pour résister à la crise sidérurgique actuelle, conséquence à distance des affaires Lehmann Brothers et autres dès 2009 qui, avec un décalage certain, ont touché fortement les secteurs clients d’AM, par exemple pour l’Europe les géants industriels de l’automobile, le secteur de la construction, l’électroménager etc. L’obsession d’AM FCE (pour en rester à cette division des aciers plats et des tôles fines revêtues) est essentiellement financière : comment à la fois limiter les pertes de prix essuyées sur un volume trop faible de commandes11, satisfaire ses actionnaires, réduire son endettement et faire face aux exigences croissantes des grands groupes miniers internationaux tels Rio Tinto ou BHP Billiton ?

Pour ce qui est d’AM FCE, le groupe avait décidé dès 2011 d’un milliard d’euros d’économies, ce qui s’est ressenti à Liège à la fois par les premières décisions d’octobre 2011 (fermeture des éléments de la phase à chaud puis réduction du personnel dans les fonctions de « support » — le plan Leap — soit 795 pertes d’emplois). Vient s’y ajouter l’intention de fermer les cinq lignes non stratégiques de la phase à froid plus la cokerie et le TLB de Chertal (1.300 pertes d’emplois). La stratégie est chaque fois la même : mise sous cocon de haut-fourneau (HF) puis, si nécessaire, leur fermeture définitive (comme à Liège et à Florange), avec des promesses d’investissements dans les phases à froid stratégiques, de manière à adapter l’offre d’AM à la demande : c’est le cas actuellement pour un certain nombre de HF dans l‘UE. Parallèlement AM FCE prévoit des investissements dans ses sites maritimes censés être les plus performants : Brême, Sidmar, Dunkerque, Fos-sur-Mer, Avilès, qu’il s’agit de préparer en vue d’une éventuelle reprise conjoncturelle.

La deuxième grande option au niveau mondial, c’est une poursuite forcenée de tout élément de désendettement : A. Mittal, le fils, s’est lancé un défi. Pour le second semestre de 2013, l’endettement global du groupe doit descendre en deçà de 17 milliards de dollars, alors qu’il est actuellement à hauteur de 22 milliards, notamment pour éviter une deuxiè­me note de dégradation de la part de certaines agences de notation. En avant donc pour de grandes manœuvres : revente pour 1,1 milliard de dollars d’une participation dans des mines de fer au Canada, placement d’une augmentation de capital de 4 milliards de dollars en actions et obligations, mais aussi la recherche de « bonnes » occasions12. L’année 2011, une lutte a en outre été engagée par les principaux groupes sidérurgiques mondiaux à l’encontre des hausses excessives exigées par les grands groupes miniers, hausse qu’AM, comme les autres, n’a pu que répercuter partiellement dans ses prix de vente.

En fait, AM a cherché depuis plusieurs années à s’étendre en termes d’acquisition de mines de charbon, de fer, de chrome, nickel etc. et de rachat d’un certain nombre de sites sidérurgiques en UE, mais aussi en Europe de l’Est, au Kazakhstan, en Afrique, au Brésil, en Inde et en Chine, avec là plus ou moins de succès. Les plantureux bénéfices récoltés au cours de la haute conjoncture, en particulier en 2008, lui ont permis d’effectuer ces rachats. L’objectif était d’atteindre un degré d’autarcie suffisant pour dépendre de moins en moins des cours des minerais et d’organiser au sein du groupe une autonomie verticale allant des mines aux produits revêtus. Cette stratégie est mise en cause par l’actuelle crise et Mittal tente de se mettre à l’abri, tout en veillant, en réduisant sa dette, à être prêt à rebondir le jour où l’on assistera à la reconstitution des stocks et donc à un accroissement de la demande. Mais pour le moment personne n’est en mesure d’estimer à quel moment s’effectuera cette reprise, d’autant qu’elle dépend d’abord de la reprise économique chez les principaux clients d’AM.

Conclusion provisoire

La conclusion peut être brève et je l’articule autour de trois thèmes : après le lancement de revendications sous le coup d’une émotion et d’une colère bien compréhensibles, il faut réfléchir aux implications de ces revendications, à la fois à court terme (comment lutter efficacement, et avec quelles armes, contre les restructurations et fermetures décidées par AM?) et à plus long terme (est-il possible, si rien ne convainc AM, d’utiliser des arguments forts, judiciaires par exemple, qui puissent tout de même faire bouger ce groupe?). En deuxième lieu, que peuvent les gouvernements de l’UE sauf à revendiquer des mesures strictes de la part de la Commission européenne à l’encontre des pratiques de ce « capitalisme sauvage » des grandes multinationales ? Enfin, pour ce qui est de la sidérurgie en Wallonie, il faut à la fois attendre les résultats de la recherche opérée par le consultant, la banque d’affaires et le groupe de travail, mais aussi se dire qu’il existe des braises d’une pérennité certaine pour la sidérurgie en Wallonie. Aux responsables politiques et syndicaux de les activer correctement pour que le « grand feu » sidérurgique puisse continuer à y briller.

4 février 2013

  1. M. Capron, « Cockerill Sambre, de la fusion à la « privatisation », Courrier hebdomadaire, Crisp, 1253 – 1254, 1989, p. 18 – 23.
  2. « Le refus apparent de Boël de participer à une vraie solution sur l’ensemble de l’acier wallon, s’il se confirmait, serait une catastrophe parce que les producteurs et les emplois associés passeraient à l’étranger alors que nous avons encore une chance de fédérer la sidérurgie du sud du pays », interview dans La Libre Belgique, 13 juin 1996.
  3. Après signature d’une convention de partenariat stratégique entre Usinor et la SWS en décembre 1998, convention dotée d’un avenant en décembre 2001. Cf. M. Capron, « La sidérurgie en Wallonie entre Usinor, Duferco et Arcelor », Courrier hebdomadaire, Crisp, n° 1786 – 1787, 2003, p. 23 – 26 et 55 – 58.
  4. « Nous n’avons pas l’intention de vendre quoi que ce soit, pas même aux autorités », citation dans L’Écho, reprise du Standaard du 28 janvier 2013.
  5. Il semble qu’AM ait tenté de dissuader des consultants potentiels.
  6. G. Dollé, l’ancien CEO d’Arcelor, interviewé in L’Écho (30 janvier 2013), ne voit que le russe Novolipetsk Steel (NLMK), connu chez Carsid, à La Louvière et Clabecq. NLMK restructure à La Louvière à la suite d’une perte attendue de 100 millions d’euros pour 2012 et après avoir couvert pour 700 millions d’investissements et de pertes depuis 2007. NLMK dispose d’un excès de brames à écouler vers l’UE du fait notamment de l’ouverture de son sixième haut-fourneau à Lipetsk.
  7. Notamment P. De Grauwe, sans doute très compétent dans son secteur de l’économie publique. Malheureusement pour lui, dans le secteur sidérurgique il est loin d’être omniscient. Voir sa chronique « Weg met de staalfabrieken, en snel », De Morgen, 28 janvier 2013.
  8. M. Capron, « Il reste un avenir pour des produits de niche », interview dans Le Soir, 30 mars 2012. En octobre 2011, NLMK investit 105 millions d’euros à Clabecq dans une nouvelle ligne de trempe et de revêtement ; en novembre 2011, AM investit chez Industeel à Marchienne 30 millions d’euros pour des outils sophistiqués de planage et de grenaillage des tôles. La production porte sur des tôles de 20 à 120 millimètres, à haute résistance, plus légères et plus flexibles et découpées sur mesure. Ces types d’aciers, ainsi que les possibilités du revêtement sous vide chez Arceo mériteraient une présentation plus détaillée qui pourrait en montrer toutes les potentialités.
  9. À savoir : AM-Liège (800), AM Industeel (1.000), Aperam (640), NLMK La Louvière (475), NLMK Clabecq (630), Duferco La Louvière (280), Thy-Marcinelle (350), Tata/Segal (130), ESB (175) et les Laminoirs de Longtain (110, sans certitude). Fin 2012, le volume de l’emploi atteignait encore 6.240 sidérurgistes : la rationalisation est sévère… Il convient évidemment d’ajouter à ces données les multiples fournisseurs et sous-traitants des différents sites, qui interviennent sans doute pour plus de 10.000 à 15.000 emplois. C’est là que réside le caractère « structurant » de l’industrie de l’acier, ce que méconnaissent les détracteurs de l’avenir d’une sidérurgie en Wallonie.
  10. « IndustriAll calls on EC to act on ArcelorMittal Liège shutdowns », Metal Bulletin, 4 février 2013.
  11. On peut estimer que la plupart des usines intégrées d’AM, à part peut-être les sites maritimes, tournent autour de 60% de leurs capacités de production. L’année 2013 risque au mieux de voir se stabiliser la situation actuelle dans l’UE : « Steel industry in CEE region faces another year of struggle », Metal Bulletin, 7 janvier 2013.
  12. AM s’est porté candidat pour le rachat d’une nouvelle aciérie en Alabama que ThyssenKrupp (TKS) n’a pas réussi à finaliser. Le site de très grande qualité serait bradé pour 4 milliards de dollars par TKS, une occasion unique pour AM de s’étendre encore davantage aux États-Unis où un début de reprise semble se dessiner. Cf. Le Monde, 11 janvier 2013.

Michel Capron


Auteur

Michel Capron était économiste et professeur émérite de la Faculté ouverte de politique économique et sociale ([FOPES) à l'Université catholique de Louvain.