Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

La Wallonie tire son plan

Numéro 05/6 Mai-Juin 2009 par Pierre Reman

mai 2009

Le plan Mar­shall est-il le signe d’une authen­tique trans­for­ma­tion de la poli­tique éco­no­mique régio­nale et si oui de quelle trans­for­ma­tion s’a­git-il ? Simple adap­ta­tion légère des poli­tiques exis­tantes, chan­ge­ment plus impor­tant par la mise en œuvre de dis­po­si­tifs nova­teurs ou trans­for­ma­tion plus pro­fonde qui touche à la concep­tion même du déve­lop­pe­ment régio­nal ? Sans tran­cher la ques­tion de […]

Le plan Mar­shall est-il le signe d’une authen­tique trans­for­ma­tion de la poli­tique éco­no­mique régio­nale et si oui de quelle trans­for­ma­tion s’a­git-il ? Simple adap­ta­tion légère des poli­tiques exis­tantes, chan­ge­ment plus impor­tant par la mise en œuvre de dis­po­si­tifs nova­teurs ou trans­for­ma­tion plus pro­fonde qui touche à la concep­tion même du déve­lop­pe­ment régional ?

Sans tran­cher la ques­tion de façon défi­ni­tive — le peu de recul ne le per­met­tant pas -, les dif­fé­rents auteurs de ce numé­ro pro­posent de faire le point quatre ans après que La Revue nou­velle ait mis en débat non seule­ment la déno­mi­na­tion de ce plan, mais aus­si ses fina­li­tés1.

Mal­gré sa tech­ni­ci­té, le pro­pos devrait réjouir ceux qui sont fati­gués et désa­bu­sés de voir que le puzzle de l’ac­tua­li­té régio­nale consti­tué presque exclu­si­ve­ment de pièces pre­nant la forme de cartes de cré­dit de toutes sortes qui, emboî­tées les unes les autres, révèlent un tableau où les faits divers prennent mal­heu­reu­se­ment toute la place et colorent tris­te­ment une situa­tion éco­no­mique et sociale mar­quée par des taux de chô­mage et de pau­vre­té inacceptables.

Qui dit trans­for­ma­tions dit acteurs. À l’i­ni­tia­tive du plan Mar­shall, on retrouve bien enten­du les deux par­tis de la coa­li­tion actuelle, le PS et le CDH, mais ils ne sont pas les seuls, la genèse de ce plan remon­tant bien avant la pré­sente coa­li­tion à tel point que, d’une façon ou d’une autre, les quatre par­tis démo­cra­tiques fran­co­phones se sont mouillés dans une aven­ture dont les ori­gines remontent à plus de dix ans. Cela explique que, mal­gré les ten­sions entre les par­tis et à l’in­té­rieur des par­tis por­tant sur dif­fé­rentes carac­té­ris­tiques du pro­jet, c’est à un qua­si-consen­sus que l’on assiste. La prise de conscience du coût direct du non-redres­se­ment impu­té à la popu­la­tion wal­lonne fait l’u­na­ni­mi­té et le recours de plus en plus fré­quent aux indi­ca­teurs issus des poli­tiques com­pa­rées est là pour acti­ver le sen­ti­ment que des réformes s’im­posent. Et cela même sans prendre en consi­dé­ra­tion des coûts indi­rects que pour­raient entraî­ner des auto­no­mies fis­cales et sociales sans cesse élar­gies par des chan­ge­ments ins­ti­tu­tion­nels pré­sents et à venir. Certes, on peut regret­ter que la dimen­sion éco­no­mique ait pri­mé dans cette ten­ta­tive de mobi­li­sa­tion, mais c’est sans doute inévi­table en regard des per­for­mances macroé­co­no­miques wallonnes.

Les inter­lo­cu­teurs sociaux ne furent pas absents de la construc­tion du plan Mar­shall, mais leurs rela­tions avec les par­tis se sont davan­tage ins­crites dans le registre de la consul­ta­tion que de la concer­ta­tion ou de la négo­cia­tion. Les véri­tables acteurs de la négo­cia­tion avec le poli­tique ont été sans conteste quelques grandes entre­prises impli­quées dans les pôles de com­pé­ti­ti­vi­té et sans doute aus­si les centres uni­ver­si­taires. C’est à ces acteurs que le pou­voir poli­tique délègue la res­pon­sa­bi­li­té pre­mière du redres­se­ment, même si des opé­ra­teurs publics accom­pagnent le mouvement.

La place manque pour éta­blir une com­pa­rai­son entre deux pro­jets qui, sur un espace de qua­rante ans, ont par­ta­gé la même ambi­tion de déve­lop­pe­ment régio­nal. Nous pen­sons à la loi Ter­wagne de 1970 qui a mis en place les conseils éco­no­miques régio­naux, la créa­tion des socié­tés de déve­lop­pe­ment régio­nal, le Bureau du plan et l’Of­fice de pro­mo­tion indus­trielle. Certes, le contexte his­to­rique, ins­ti­tu­tion­nel et éco­no­mique est tout autre, mais la véri­table dif­fé­rence entre les deux pro­jets porte sur la place et la nature de l’i­ni­tia­tive et des opé­ra­teurs publics dans les réformes. En 1970, le devant de la scène était occu­pé par les par­tis, les inter­lo­cu­teurs sociaux et les ins­ti­tu­tions publiques, véri­tables moteurs des réformes de struc­ture dans une éco­no­mie réso­lu­ment mixte. Aujourd’­hui, on est dans une confi­gu­ra­tion ins­ti­tu­tion­nelle où les pou­voirs publics délèguent et créent des condi­tions (finan­cières, ins­ti­tu­tion­nelles et spa­tiales) pro­pices non plus à l’i­ni­tia­tive indus­trielle publique comme telle, mais à l’i­ni­tia­tive éco­no­mique pri­vée. C’est dans ce sens qu’il faut com­prendre le concept de nou­velle gou­ver­nance et le mettre à l’é­preuve des faits.

Sans doute, le jeu de mots est facile, mais dans toute trans­for­ma­tion, le « pas­sé » reste pré­sent — les rela­tions res­tent tou­jours com­plexes entre l’ad­mi­nis­tra­tion et les entre­prises et les rap­ports de conni­vence cou­pable entre le monde des affaires et des man­da­taires publics dans une série de dos­siers poli­ti­co-judi­ciaires ont fait la une des jour­naux pen­dant les quatre ans du plan -, mais mal­gré cela le plan Mar­shall a gar­dé sa force de consen­sus. En tout cas il ne consti­tue pas un cli­vage fort entre les acteurs puisque lors­qu’il y a cri­tiques, elles le sont à la marge et sou­vent pré­texte à affir­mer des spé­ci­fi­ci­tés ou des iden­ti­tés propres. Le MR se limite à en faire un débat sur la pater­ni­té du plan, sur son uti­li­sa­tion par­ti­sane dans la cam­pagne élec­to­rale et sur la néces­si­té d’u­ti­li­ser davan­tage le volet fis­cal tan­dis qu’É­co­lo dénonce le peu de réfé­rence au déve­lop­pe­ment durable dans la ver­sion actuelle tout en se réjouis­sant de consta­ter que la suite du plan sera mar­quée par le sceau du déve­lop­pe­ment durable. Quelle que soit la com­po­si­tion du nou­veau gou­ver­ne­ment wal­lon, le plan Mar­shall res­te­ra donc une référence.

Cela le sera d’au­tant plus que les éva­lua­tions réa­li­sées entre autre par l’I­weps indiquent qu’une dyna­mique de chan­ge­ment se met en place appuyée par une adhé­sion des acteurs impli­qués et de ceux qui se réjouissent de consta­ter que la com­mis­sion Zénobe2 pro­pose à l’a­ve­nir d’ac­cor­der une plus grande place à la culture, l’en­sei­gne­ment et la for­ma­tion ain­si qu’aux ques­tions éner­gé­tiques et cli­ma­tiques. Sera-ce suf­fi­sant ? Dif­fi­cile à dire d’au­tant plus que la crise pro­fonde consti­tue à elle seule le ter­reau de trans­for­ma­tions plus pro­fondes qu’un plan pen­sé et déve­lop­pé dans un contexte tout autre que celui qui s’annonce.

Pour en reve­nir à la ques­tion ini­tiale, le plan Mar­shall consti­tue plus qu’un épi­phé­no­mène ou qu’un simple outil de com­mu­ni­ca­tion poli­tique. Il s’a­git d’une ten­ta­tive de créa­tion d’un consen­sus jugé néces­saire à la réa­li­sa­tion de réformes indis­pen­sables. Cette ten­ta­tive explique sans doute la flexi­bi­li­té du dis­po­si­tif et les pos­si­bi­li­tés qu’on lui attri­bue dans le plan Mar­shall 2.0 de tenir compte des cri­tiques émises à son égard pour pour­suivre et ampli­fier son action3. Cepen­dant, il ne concentre pas à lui seul suf­fi­sam­ment de res­sources pour impo­ser un pro­ces­sus de trans­for­ma­tion pro­fonde, mais le contexte éco­no­mique, social, envi­ron­ne­men­tal et ins­ti­tu­tion­nel dans lequel il va pour­suivre sa route pour­ra le conduire à en être un élé­ment consti­tu­tif. L’his­toire nous le dira.-

  1. La Revue nou­velle, novembre 2005, n° 11.
  2. La com­mis­sion Zénobe en réfé­rence à Zénobe Gramme a été mise sur pied par le ministre wal­lon de l’É­co­no­mie et de l’Em­ploi de novembre 2008 à mars 2009. Com­po­sée de trente repré­sen­tants des entre­prises, des inter­lo­cu­teurs sociaux, du monde asso­cia­tif et de la culture, elle a remis un rap­port visant à iden­ti­fier une série d’ac­tions concrètes sus­cep­tibles de favo­ri­ser la dyna­mique du plan Mar­shall. Ce rap­port a sou­li­gné les arti­cu­la­tions néces­saires entre le déve­lop­pe­ment éco­no­mique et les enjeux cultu­rels et environnementaux.
  3. Le plan Mar­shall 2.0 est un ensemble de lignes de forces éla­bo­rées par le gou­ver­ne­ment actuel (PS-CDH) en vue de pour­suivre, ampli­fier et réorien­ter le plan Marshall.

Pierre Reman


Auteur

Pierre Reman est économiste et licencié en sciences du Travail. Il a été directeur de la faculté ouverte de politique économique et sociale et titulaire de la Chaire Max Bastin à l’UCL. Il a consacré son enseignement et ses travaux de recherche à la sécurité sociale, les politiques sociales et les politiques de l’emploi. Il est également administrateur au CRISP et membre du Groupe d’analyse des conflits sociaux (GRACOS). Parmi ces récentes publications, citons « La sécurité sociale inachevée », entretien avec Philippe Defeyt, Daniel Dumont et François Perl, Revue Politique, octobre 2020, « L’Avenir, un journal au futur suspendu », in Grèves et conflictualités sociale en 2018, Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 2024-2025, 1999 (en collaboration avec Gérard Lambert), « Le paysage syndical : un pluralisme dépilarisé », in Piliers, dépilarisation et clivage philosophique en Belgique, CRISP, 2019 (en collaboration avec Jean Faniel). « Entre construction et déconstruction de l’Etat social : la place de l’aide alimentaire », in Aide alimentaire : les protections sociales en jeu, Académia, 2017 (en collaboration avec Philippe Defeyt) et « Analyse scientifique et jugement de valeurs. Une expérience singulière de partenariat entre le monde universitaire et le monde ouvrier », in Former des adultes à l’université, Presse universitaires de Louvain, 2017 en collaboration avec Pierre de Saint-Georges et Georges Liénard).