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La tête du héros (récit)

Numéro 1 janvier 2014 par Boris Korkmazov

janvier 2014

Le mois de novembre 1943 tou­chait à sa fin. Le train dans lequel se trou­vait Kana­mat appro­chait d’Armavir. Il sor­tit fumer dans le cou­loir. Tenir une ciga­rette dans la main gauche était un geste dont il n’avait pas l’habitude si bien qu’il déga­gea son bras droit bles­sé de l’écharpe qui le sou­te­nait. C’était plus com­mode pour […]

Le mois de novembre 1943 tou­chait à sa fin. Le train dans lequel se trou­vait Kana­mat appro­chait d’Armavir. Il sor­tit fumer dans le cou­loir. Tenir une ciga­rette dans la main gauche était un geste dont il n’avait pas l’habitude si bien qu’il déga­gea son bras droit bles­sé de l’écharpe qui le sou­te­nait. C’était plus com­mode pour fumer bien qu’il sen­tît immé­dia­te­ment un lan­ci­ne­ment dans le bras. Il por­ta la ciga­rette à ses lèvres en s’efforçant de ne pas faire de mou­ve­ments brusques et se délec­ta de la fumée aro­ma­tique. Son
voi­sin de chambre à l’hôpital lui avait remis un paquet de Kaz­bek1 en guise de cadeau d’adieu.

Kana­mat avait été gra­ve­ment bles­sé sur la rive droite du Soj. Son régi­ment était un des pre­miers par­mi ceux qui avaient tra­ver­sé le fleuve sur de fra­giles embar­ca­tions et débar­qué sur la rive oppo­sée pour s’emparer de la place forte des fas­cistes2. Les tirs en rafale des mitrailleuses enne­mies empê­chaient ses com­bat­tants de pro­gres­ser. Le capi­taine lui-même était plus près des posi­tions enne­mies et aurait pu faci­le­ment leur lan­cer une gre­nade, mais pour cela, il fal­lait se sou­le­ver, et il aurait été atteint par les dizaines de balles qui pas­saient à quelques cen­ti­mètres de sa tête. Il se ravi­sa donc.

Bouillant de rage et d’impuissance, il enfon­ça furieu­se­ment ses ongles dans la terre mouillée. Chez lui, dans son vil­lage natal de Khour­zouk, il était de loin le meilleur par­mi ses cama­rades au lan­cer dukol-tache. Le lan­cer de cette lourde pierre ronde cor­res­pon­dait à un jeu ancien trans­mis au peuple karat­chaï par ses ancêtres mythiques, les Nartes.

« Je vais ten­ter de lan­cer une gre­nade en res­tant cou­ché, d’un seul mou­ve­ment de l’épaule, comme pour le lan­cer du kol­tache, déci­da Kanamat.

Le capi­taine atten­dit le moment où les tirs chan­geaient de direc­tion et, afin que l’ennemi ne se rende compte de rien, se retour­na très len­te­ment sur le dos. Il dégou­pilla la gre­nade tout aus­si len­te­ment, dépla­ça sa main vers l’arrière en direc­tion de son épaule, puis se tour­na brus­que­ment sur le côté gauche et lan­ça la gre­nade de toutes ses forces. Pen­dant que la gre­nade volait en direc­tion de l’ennemi, Kana­mat en pré­pa­ra deux autres. Dès qu’il enten­dit l’explosion de la pre­mière limon­ka3, il lan­ça la deuxième, puis la troi­sième. Au même moment, un coup violent à l’épaule le fit tom­ber en arrière. Ses com­bat­tants lui racon­tèrent plus tard que la pre­mière gre­nade n’avait pas atteint son but, mais les fas­cistes alle­mands apeu­rés ces­sèrent le feu un ins­tant, ce qui lui per­mit de lan­cer les deux autres qui attei­gnirent leur cible. Le mitrailleur alle­mand réus­sit quand même à tirer une courte rafale, et les quatre balles attei­gnirent le capi­taine. Une balle frô­la sa hanche, la seconde déra­pa sur une côte, la troi­sième l’atteint au biceps et la qua­trième le tra­ver­sa de part en part sous la clavicule.

Ce com­bat valut à Kana­mat une déco­ra­tion de plus. Il en avait déjà une bonne dizaine : quatre rosettes et sept médailles. Par­ti au front comme volon­taire le cin­quième jour de la guerre, après deux ans et quatre mois, il était pas­sé du rang de simple sol­dat à celui de capi­taine. Son audace inouïe et son cou­rage avaient impres­sion­né non seule­ment ses cama­rades de com­bat, mais aus­si l’ennemi. Il aurait pu être nom­mé à un grade supé­rieur, mais ce n’était pas son but. Ses sol­dats l’adoraient pour sa folle bra­voure et sa volon­té constante de fon­cer tête bais­sée dans n’importe quelle situa­tion infer­nale. Quant à ses supé­rieurs, ils le res­pec­taient et ne se pri­vaient pas de lui décer­ner des décorations.

Kana­mat pas­sa presque un mois à l’hôpital et on faillit lui ampu­ter le bras. Heu­reu­se­ment pour lui, le méde­cin de garde eut pitié du jeune héros, et son bras fut pré­ser­vé. Au bout de deux semaines, il par­vint à bou­ger les doigts. Mais une mobi­li­té totale de la main s’avérait impos­sible car un nerf avait été sectionné.

– Tu ne pour­ras plus lever le bras au-des­sus de l’épaule, lui expli­qua le méde­cin avant la sor­tie de l’hôpital.

– Ah ! C’est bien, dit Kana­mat avec le sou­rire. Comme ça, je ne suis plus en mesure de me rendre à l’ennemi.

– Arrête ce genre de plai­san­te­ries, capi­taine, dit le méde­cin, et il jeta un regard crain­tif sur le côté même si per­sonne ne se trou­vait dans la pièce.

– Mais de quoi donc avez-vous peur, Niko­laï Iva­no­vitch ? s’étonna Kanamat.

– J’ai vu un autre far­ceur dans ton genre l’année der­nière. Il a lâché — l’air de rien — que s’il n’y avait pas d’autre issue, il valait mieux se rendre vivant, puis s’échapper. Mani­fes­te­ment, quelqu’un l’a dénon­cé. Le len­de­main, les hommes de la Tché­ka l’ont emme­né4. À ce jour, per­sonne ne sait ce qu’il est deve­nu. On l’a mis dans un camp de redres­se­ment où on l’a tué tout de suite pour esprit défaitiste.

– Les mon­ta­gnards ne se rendent pas, dit Kana­mat en sou­riant, et il quit­ta le cabi­net du médecin.

– Tu n’en auras pas l’occasion, cria le méde­cin dans son dos. Avec un bras dans cet état, ils ne vont pas t’envoyer au front.

« On ver­ra », pen­sa Kanamat.

Comme on lui avait don­né deux semaines de congé, il déci­da de ren­trer chez lui, en terre karat­chaïe5. Depuis deux ans et demi, il n’avait pas revu ses parents ni ses frères et sœurs plus jeunes. Il savait que le ter­ri­toire karat­chaï avait été occu­pé par les fas­cistes alle­mands puis libé­ré après quelques mois, en jan­vier 1943. Grâce aux lettres de ses proches, il savait que tous étaient vivants et en bonne san­té, et que les Alle­mands ne leur avaient fait aucun mal.

Il des­cen­dit du train à Nevin­no­mysk et se mit à la recherche d’un moyen de trans­port pour se rendre à Tcher­kessk afin de rejoindre ensuite Mikoïan-Cha­khar, la nou­velle capi­tale du ter­ri­toire karat­chaï fon­dée en 1927 et ain­si nom­mée en l’honneur du célèbre acti­viste révo­lu­tion­naire Anas­tase Mikoïan, qui en avait posé la pre­mière pierre.

À la gare, une patrouille mili­taire s’approcha de Kana­mat. Le plus âgé du groupe arbo­rait le grade de lieu­te­nant et s’approcha de lui. Il le salua et lui deman­da ses papiers, les étu­dia lon­gue­ment et, fina­le­ment, posant sur Kana­mat un regard étrange, lui demanda :

– Excu­sez-moi, cama­rade capi­taine, si je com­prends bien, vous vous ren­dez dans votre patrie ?

– Pré­ci­sé­ment, cama­rade lieutenant.

Kana­mat était un peu éton­né par l’expression qui se lisait sur le visage du chef de patrouille.

– Ce n’est pas la peine pour vous d’aller là-bas, dit sou­dain le lieutenant.

– Com­ment ça ? s’étonna Kanamat.

– Il m’est pénible de devoir vous dire ça, cama­rade capi­taine, mais je pense que vous ne trou­ve­rez plus per­sonne là-bas.

Un sombre pres­sen­ti­ment enva­hit sou­dain Kana­mat, lorsqu’il enten­dit les mots du lieutenant.

– Il y a déjà trois semaines qu’ils les ont tous emme­nés, ajou­ta ce der­nier qui, pour une rai­son ou l’autre, bais­sa les yeux et prit un air coupable.

À ce moment pré­cis, Kana­mat remar­qua que son inter­lo­cu­teur avait per­du sa main droite.

– C’est arri­vé à Sta­lin­grad, expli­qua le lieutenant.

– Qui a‑t-on emme­né ? Et où ? s’interrogeait Kana­mat. Quelque chose m’échappe dans ce que tu dis, lieutenant …

Dans le cœur du capi­taine, ce cœur qui n’avait jamais été gagné par la peur, s’insinuait une angoisse incon­nue, lourde comme du plomb.

– Allez‑y, je vous rat­tra­pe­rai plus tard, dit sou­dain le chef de patrouille à ses soldats.

Quand ces der­niers se furent éloi­gnés d’une ving­taine de mètres, le lieu­te­nant se hâta d’expliquer à voix basse, presque en murmurant :

– Écoute, capi­taine, ton peuple tout entier a été dépor­té en Asie cen­trale. En puni­tion pour col­la­bo­ra­tion avec les fas­cistes. Je ne sais pas ce qu’il en est au juste, mais je peux te dire que nous avons reçu l’ordre de repé­rer les Karat­chaïs qui seraient res­tés dans la mon­tagne et ceux qui reviennent du front pour les envoyer rejoindre les autres en Asie. Je vois bien que tu es un chef et un com­bat­tant. Je fais bien la dif­fé­rence entre un vrai com­bat­tant du front et un rat de l’arrière-garde, mais tu ferais mieux de te rendre tout de suite au poste de com­man­de­ment de Tcher­kessk et deman­der qu’ils te trans­fèrent là où ton peuple se trouve main­te­nant. Ou encore mieux, pars d’ici au plus vite et rejoins ton uni­té. Peut-être que là, en pleine guerre, ils te lais­se­ront tran­quille. Main­te­nant, je risque gros : si un de mes sol­dats me dénonce en disant que j’ai lais­sé échap­per un Karat­chaï, ça ira mal pour moi, ils peuvent m’assigner en jus­tice. Mais tu vois, à Sta­lin­grad, un de tes com­pa­triotes m’a sau­vé la vie. J’ai oublié son nom de famille, mais on l’appelait Dal­khat. Il m’a sor­ti de la zone de com­bat quand j’ai eu la main arra­chée et a réus­si à m’amener aux bran­car­diers avant que je ne me vide de mon sang. Sans lui, je ne serais pas ici devant toi. Je ne sais vrai­ment pas pour quelle rai­son ils ont dépor­té ton peuple car s’il y a des traitres dans tous les peuples, il est impos­sible que tout un peuple soit cou­pable ; seule­ment, je te conseille vive­ment de par­tir d’ici au plus vite.

Le lieu­te­nant se retour­na brus­que­ment et rejoi­gnit ses soldats.

Kana­mat aurait vou­lu dire quelque chose au chef de patrouille qui s’éloignait, mais il ne pou­vait arti­cu­ler le moindre mot. Il res­tait sans voix et dans ses oreilles réson­naient les mots : «… Ton peuple tout entier a été dépor­té en Asie cen­trale. Pour col­la­bo­ra­tion avec les fascistes. »

– Qu’est-ce qui se passe, mon gar­çon ? Tu es tout pâle, ta bles­sure te fait mal ? lui deman­da, pleine de com­pas­sion, une femme âgée qui pas­sait près de lui.

Comme Kana­mat ne répon­dait pas, elle le prit par la main qui n’était pas bles­sée, et l’emmena avec elle.

– Allons, je vais te don­ner quelque chose à man­ger. Peut-être que ça te fera du bien. Mon mari est aus­si au front, avec mes fils. Cela fait déjà plus d’un an que je n’ai pas la moindre nou­velle. Ils ont peut-être été tués, ou bien …— la femme regar­da crain­ti­ve­ment autour d’elle — ou peut-être… … Mon Dieu ! Je pré­fère ne pas y pen­ser ! Peut-être sont-ils pri­son­niers ? C’est dif­fi­cile, mon gar­çon, très dif­fi­cile. C’est ter­rible : je suis en vie et je ne sais pas où sont les miens.

Encore tout bou­le­ver­sé par ce que lui avait dit le lieu­te­nant, Kana­mat ne disait mot. Sans oppo­ser de résis­tance, il se lais­sa entrai­ner par la femme. Ils arri­vèrent bien­tôt à une mai­son en bois de taille modeste, dont les murs avaient dû être peints en bleu ciel. Au fil des années, ils avaient viré au brun sale. Sa com­pagne de route ouvrit le por­tillon, ils tra­ver­sèrent la cour, puis péné­trèrent dans la mai­son. La femme le fit assoir à une table rec­tan­gu­laire cou­verte d’une nappe fleu­rie et s’en fut vers la cuisine.

Elle revint bien­tôt avec un grand bol.

– Voi­là, mon gar­çon, bois, c’est de l’aryan6, c’est bon. C’est la recette des Karat­chaïs. Un peuple qui vit là-haut, dans les mon­tagnes. Mon amie Kha­li­mat m’a expli­qué com­ment le pré­pa­rer. Je l’appelle Galia — à l’ukrainienne —, mais c’est une Karat­chaïe. Nous avons fait connais­sance il y a long­temps ici, au mar­ché. Elle était venue avec son mari pour vendre un mou­ton. Une fois, ils ont pas­sé la nuit chez moi puis je les ai invi­tés à plu­sieurs reprises. Des gens si gen­tils, si bons. Galia m’a appor­té du ferment pour l’aryan et elle m’a mon­tré com­ment le pré­pa­rer. Mais main­te­nant, ils ne sont plus ici les Karat­chaïs, on les a emme­nés quelque part, loin d’ici ; on raconte qu’ils ont col­la­bo­ré avec les fas­cistes, qu’il y avait beau­coup de ban­dits par­mi eux. Voi­là, c’est comme ça, mon gar­çon, il y avait tout un peuple ici, et main­te­nant il ne reste plus per­sonne. On dit que leurs mai­sons et leurs terres ont été dis­tri­buées. Tiens, je peux te dire, on a même pro­po­sé à mon voi­sin une mai­son karat­chaïe, avec du bétail et de très bonnes terres, mais il a refu­sé. Silan­titch, mon voi­sin — les voyous avaient beau l’insulter au pas­sage et dire que c’était un bâtard de kou­lak — il m’a dit : com­ment pour­rais-je vivre dans la mai­son d’un autre, qui a mis tout son cœur à la construire ? Com­ment pour­rais-je tra­vailler la terre d’un autre et prendre son bétail ? C’est pas humain tout ça : Dieu qui voit tout ça les puni­ra … C’est ce qu’il m’a dit à moi Silan­titch, mais au pré­sident du kol­khoze, il a dit qu’il se sen­tait trop vieux et n’avait pas la force de s’occuper d’une ferme en plus…

– Et toi mon gar­çon, d’où viens-tu ? Tu es d’ici ou tu es venu en mis­sion ? deman­da la femme.

Kana­mat regar­dait d’un air déta­ché le bol d’aryan, appe­lé pour on ne sait quelle rai­son aryan par les Russes et les Kazaks mal­gré de nom­breuses années vécues aux côtés des Karat­chaïs. Il repen­sait à l’étrange dis­cours du lieu­te­nant. Puis voi­là que cette Ukrai­nienne lui offrait l’hospitalité à lui, un Karat­chaï, et lui ser­vait la bois­son tra­di­tion­nelle de son peuple, tout en lui expli­quant, elle aus­si, que ses com­pa­triotes avaient été déportés.

Bien­tôt son hôtesse appor­ta une assiette avec une pomme de terre fumante et une cuiller en bois.

– Mange mon gar­çon, et bois de l’aryan. Après ça, je n’ai plus rien à t’offrir aujourd’hui. Je n’ai pas cuit de pain, il y a long­temps que je n’ai plus de farine.

Kana­mat plon­gea la cuiller dans le bol et ava­la avec dif­fi­cul­té une gor­gée d’aryan odo­rant et bien fer­men­té. Mais il n’avait pas le moindre appé­tit. Il se leva, remer­cia cha­leu­reu­se­ment son hôtesse tout à fait décon­cer­tée de le voir renon­cer à la nour­ri­ture, fit ses adieux et sortit.

Il retrou­va l’étreinte grise et humide d’une jour­née de novembre. Cela le sou­la­gea quelque peu et il res­pi­ra pro­fon­dé­ment cet air froid et moite, com­pa­gnon immuable des der­niers jours d’automne. Même si les paroles de cette femme com­pa­tis­sante confir­maient les dires du lieu­te­nant, Kana­mat avait du mal à croire que son peuple ait été dépor­té et de sur­croit pour col­la­bo­ra­tion avec les fas­cistes. « Il y a quelque chose qui cloche », pen­sait-il. « Il faut que j’aille à Tcher­kessk, que je passe chez une de mes connais­sances, que je m’informe. »

Le voi­là bien­tôt secoué à l’arrière d’un gros camion avec quelques com­pa­gnons de voyage qui l’interrogeaient sur ce qui se pas­sait au front ; lui leur répon­dait par mono­syl­labes. Puisqu’il par­lait russe sans accent et qu’il res­sem­blait à n’importe quel habi­tant d’une ville de Rus­sie cen­trale, per­sonne ne pen­sa qu’il était karat­chaï. Après une bonne heure de route, il mar­chait dans les rues de Tcher­kessk et se diri­geait vers la mai­son de son vieil ami Dja­ni­bek. C’était presque l’hiver. Un vent froid et impé­tueux bru­lait le visage du capi­taine, mais il y était insen­sible et conti­nuait à se deman­der ce qui était arri­vé à son peuple et à sa famille. De rares pas­sants le regar­daient avec curio­si­té. Kana­mat remar­qua que par­mi les per­sonnes ren­con­trées tout au long de son che­min, il ne se trou­vait pas un seul ami ou un seul Karat­chaï à qui il eût pu deman­der ce qui s’était réel­le­ment pas­sé dans sa patrie. Il atteint la mai­son de Dja­ni­bek, entra dans la cour, grim­pa les marches de bois grin­çantes et frap­pa à la porte. Il enten­dit le bruit fami­lier des béquilles (Dja­ni­bek était inva­lide depuis son enfance). La porte s’ouvrit toute grande et Kana­mat vit la figure incroya­ble­ment pâle de son ami. Ce der­nier, après avoir lon­gue­ment cli­gné des yeux et obser­vé à tra­vers sa myo­pie ce mili­taire incon­nu, pous­sa un cri et ten­dit avec hési­ta­tion la main droite. La béquille tom­ba sur le seuil avec fra­cas. Kana­mat la ramas­sa, puis ser­ra la main ten­due de son ami et lui fit une acco­lade. Dja­ni­bek le regar­dait inten­sé­ment, mais gar­dait le silence.

– Qu’est-ce qui te prend ? deman­da Kana­mat qui ne pou­vait s’empêcher de sou­rire en posant la ques­tion. On dirait que tu as devant toi un émé­gène7 à cinq têtes, et non un vieil ami !

Dja­ni­bek reprit sa béquille machi­na­le­ment, res­pi­ra dif­fi­ci­le­ment et bal­bu­tia d’une voix à peine audible :

– Kana­mat, d’où viens-tu ?

– Je suis en per­mis­sion, après ma sor­tie de l’hôpital. Je veux rendre visite à ma famille, mais les gens d’ici me racontent des his­toires bizarres : on me dit que tous les Karat­chaïs ont été dépor­tés en Asie centrale.

– Tu veux vrai­ment dire que tu n’es au cou­rant de rien ? deman­da Dja­ni­bek tou­jours à voix basse.

– La der­nière lettre que j’ai reçue date d’il y a deux mois, c’était avant que je ne sois bles­sé. Mon père écri­vait que tout allait bien, ils étaient en train de répa­rer le sov­khoze, il allait y avoir du travail…

– Tous les tiens ont effec­ti­ve­ment été dépor­tés, l’interrompit sou­dain Dja­ni­bek et il se mit à par­ler très vite, comme s’il crai­gnait de ne pou­voir tout racon­ter. Ils ont pro­cla­mé que c’étaient des ban­dits, qu’ils avaient col­la­bo­ré avec les fas­cistes et ils les ont presque tous dépor­tés8. Ceux qui res­taient ici dans les bois ont été décla­rés hors-la-loi. Ils donnent de l’argent à toute per­sonne qui amè­ne­rait la tête d’un Karat­chaï au bureau local du NKVD9 : il paraît qu’ils paient cin­quante mille roubles par tête rap­por­tée. Le NKVD et des volon­taires d’autres natio­na­li­tés cherchent dans la mon­tagne ceux des tiens qu’ils n’ont pas pu emme­ner lors de la pre­mière dépor­ta­tion. Il y en a beau­coup qui sont prêts à faire ce tra­vail. J’en ai vu un ici, il habite dans la rue d’à côté : il se van­tait d’avoir déjà rap­por­té cinq têtes au NKVD et de bien gagner sa vie avec ça. Quand je lui ai deman­dé où il trou­vait ces têtes, il m’a dit que trois d’entre elles étaient celles de ber­gers qui fai­saient paitre leurs bre­bis en haute mon­tagne et que les hommes du NKVD n’avaient tout sim­ple­ment pas trou­vés au moment de la dépor­ta­tion. Mais moi, m’a‑t-il dit, je connais­sais ce kochar10 depuis longtemps.

Un jour, des amis karat­chaïs avaient pro­po­sé à cette cra­pule d’aller chas­ser avec eux. Et là, dans ce kochar, ils l’avaient invi­té à par­ta­ger un mou­ton et lui avaient offert de l’aryan. Alors, il s’est sou­ve­nu que là-bas, au-delà du col, se trou­vait ce kochar. Il s’est dit que les hommes du NKVD n’étaient sans doute pas allés jusque-là. Il a emme­né des copains, des voyous dans son genre et ils sont par­tis là-bas.(Ces ber­gers ne savaient même pas que tous les autres habi­tants de leur vil­lage avaient déjà été embar­qués dans des Stu­de­ba­ker11 et expé­diés à la gare. Ils étaient tout contents quand ils nous ont vus arri­ver, racon­tait ce vau­rien… Donc, ils s’apprêtaient à nous invi­ter, mais nous les avons butés sur place.) Ils ont cou­pé leurs têtes et sont redes­cen­dus par le col en pous­sant les che­vaux et les mou­tons, puis ont ven­du les bêtes à des Ossètes12. Ces ber­gers étaient de ton vil­lage, Kanamat.

Dja­ni­bek se tut, reprit son souffle, puis racon­ta encore très vite :

– Il a encore cou­pé la tête de deux inva­lides qui reve­naient du front avec l’espoir de revoir leur famille, sans savoir que tous les Karat­chaïs avaient déjà été dépor­tés. Tu te rends compte, des com­bat­tants comme toi. Il les a sui­vis, les a tués et leur a cou­pé la tête. Et en plus, il me l’a racon­té, ce salopard…

Dja­ni­bek san­glo­tait comme un enfant, de grosses larmes rou­laient sur ses joues. Kana­mat avait l’impression de faire un cau­che­mar. Ils res­taient sur le seuil et de toute évi­dence, Dja­ni­bek n’avait pas l’intention de l’inviter chez lui, comme avant, au bon temps d’avant la guerre.

– Les gens main­te­nant n’ont plus de conscience, ils n’ont plus honte de rien. Il y en a beau­coup qui vont marau­der dans vos vil­lages, pour­sui­vit Dja­ni­bek. Tu ne te rends pas compte, Kana­mat, tout ce qu’ils ont déjà été prendre dans les vil­lages karat­chaïs, enfin, ceux qui le vou­laient. On a don­né vingt minutes aux vôtres pour ras­sem­bler leurs affaires. Et donc, tout le reste est demeu­ré sur place. Le bétail est res­té dans les granges. Jamais je n’aurais pen­sé que des gens qui avaient vécu tant d’années avec vous, en bon voi­si­nage, pour­raient se conduire comme ça. Mais ils ont tous per­du la tête. Beau­coup d’entre eux se sont mis à piller tout de suite. Ils fau­chaient tout ce qui leur tom­bait sous la main. J’ai enten­du dire qu’ils ont même démo­li les enceintes autour des mai­sons et qu’ils les char­geaient sur leurs chars. Il paraît que main­te­nant, ce sont des Svanes13 et des Min­gré­liens qui vont occu­per vos vil­lages. On les a fait venir. Et le ter­ri­toire a déjà été attri­bué à la Géor­gie. Ils ont par­ta­gé les terres karat­chaïes entre le kraï de Sta­vro­pol et celui de Tcher­kes­sie. Donc, ton peuple n’est plus ici, et vous n’avez plus de terres……

Dja­ni­bek regar­dait tris­te­ment le visage bou­le­ver­sé de son ami et Kana­mat mar­chait de long en large, lit­té­ra­le­ment saou­lé par tout ce qu’il avait enten­du. Son cœur bat­tait si fort qu’il lui sem­blait qu’on devait entendre ce bat­te­ment à des lieues à la ronde. La colère, la dou­leur, l’impuissance se suc­cé­daient en lui, secouant son corps. Sa tête était prête à écla­ter, comme enva­hie par un oura­gan dément de pen­sées tourbillonnantes.

– Excuse-moi Kana­mat, je ne peux pas t’inviter à la mai­son main­te­nant. Ils pour­raient me dénon­cer, dire que j’ai caché chez moi un ban­dit karat­chaï. Ce n’est pas pour moi que j’ai peur, mais je m’inquiète pour mes parents. Déjà qu’ils ont pen­sé toute leur vie que Dieu les avait punis en leur don­nant un fils inva­lide. Ils dorment : je ne veux pas qu’ils se réveillent et te voient. Tu sais bien, l’hospitalité pour eux, c’est sacré, ils vou­dront t’inviter. Je pré­fère prendre ce péché sur moi et déro­ger à cette cou­tume…… Je vais ren­trer et te pré­pa­rer un peu de nour­ri­ture pour la route, et toi, va dans la grange et attends-moi, que les voi­sins ne te voient pas, sinon ils vont poser des questions…

Dja­ni­bek ouvrit la porte et s’appuyant lour­de­ment sur ses béquilles s’enfonça dans le cor­ri­dor de la mai­son. Kana­mat n’alla pas dans la grange, il n’attendit pas son ami. Il sor­tit rapi­de­ment par le por­tillon et s’éloigna de cette mai­son dans laquelle il ne pou­vait plus être invi­té. Il erra long­temps dans les rues de Tcher­kessk jusqu’à ce qu’il tombe sur une patrouille du NKVD.

– Cama­rade capi­taine, vos papiers ? lui deman­da d’une voix de faus­set un indi­vi­du ron­douillard qui por­tait des épau­lettes de sous-lieutenant.

Sans mot dire, Kana­mat ten­dit son livret d’officier et le reste de ses papiers. L’autre les exa­mi­na atten­ti­ve­ment et dévo­ra Kana­mat des yeux.

– Donc, tu es karat­chaï ? Bien, bien… Il va fal­loir aller au poste de com­man­de­ment et expli­quer com­ment tu t’es retrou­vé ici. On en a vu beau­coup ici par­mi les vôtres qui ont joué les com­bat­tants. Alors qu’en fait, c’étaient des ban­dits qui avaient col­la­bo­ré avec les fascistes…

Il ne put en dire davan­tage. Le capi­taine lui appli­qua une telle raclée qu’il tom­ba sur les subor­don­nés qui le sui­vaient. Les sol­dats essayèrent bien de rat­tra­per leur supé­rieur, mais en vain : tout cela était trop inat­ten­du. Le corps s’écroula comme une masse sur le sol. Les sol­dats effrayés regar­daient éba­his tan­tôt le capi­taine qui cares­sait son men­ton de la main gauche, tan­tôt leur supé­rieur allon­gé incons­cient sur le sol.

– Le poste de com­man­de­ment est loin d’ici ? s’enquit cal­me­ment Kanamat.

– Non, pas vrai­ment, deux cents mètres d’ici, dans cette direc­tion, répon­dit un des sol­dats en indi­quant de la main un endroit der­rière lui.

Kana­mat ramas­sa ses docu­ments et s’engagea sans hâte dans la direc­tion indiquée.

– Cama­rade capi­taine, et nous, que devons-nous faire ? cria dans son dos le second soldat.

– Rame­nez le lieu­te­nant à lui et conti­nuez à patrouiller, répon­dit Kana­mat sans se retourner.

Au poste de com­man­de­ment, un major à lunettes exa­mi­na très atten­ti­ve­ment ses papiers. Puis il télé­pho­na lon­gue­ment et regar­da de nou­veau les papiers. Au bout de deux heures, il les lui ren­dit et déclara :

– Tu vas dor­mir ici, capi­taine, et demain, nous déci­de­rons ce qu’il faut faire de toi. Nous allons le plus pro­ba­ble­ment t’envoyer vers le Sud, rejoindre les tiens.

– En fait, j’avais l’intention de retour­ner au front après mon congé, fit remar­quer Kanamat.

– Ah, je com­prends … mais non, capi­taine, tu as fait ton temps. Il est indi­qué dans ces papiers que tu n’es plus apte au ser­vice mili­taire. Alors, il vaut mieux que tu rejoignes les tiens, les Karat­chaïs. On a besoin de gens comme toi là-bas, conscients des réa­li­tés et capables de faire entendre rai­son à leurs congé­nères. Parce qu’ils pensent qu’on les a trai­tés injus­te­ment, mais tu com­prends bien que le cama­rade Sta­line et notre par­ti ne font rien injus­te­ment. S’il n’y avait pas eu tant de traitres par­mi tes com­pa­triotes, on ne les aurait pas dépor­tés. Et il ne faut pas me regar­der comme ça…

– Écoute, major, ça fait plus de deux ans que je suis par­ti au front et je ne sais pas ce qui s’est pas­sé ici, mais mon peuple ne peut pas avoir tra­hi en bloc. La plu­part des hommes d’ici sont par­tis au front au tout début de la guerre… Toi-même, major, as-tu pas­sé un seul jour au front ?

– Pour moi, le front est ici, capi­taine, je suis char­gé de démas­quer les enne­mis cachés de notre État et c’est bien plus com­pli­qué qu’au front. Là, l’ennemi est en face de toi mais ici, tu ne sais jamais qui va te tirer dans le dos…

– C’est inté­res­sant ce que tu dis là, major. Peux-tu me dire qui, par­mi les vieillards, les femmes et les enfants res­tés ici, a essayé de t’attaquer ? Veux-tu me faire entendre peut-être que les nour­ris­sons, depuis leurs ber­ceaux, ont aus­si com­plo­té pour te tirer dans le dos ?

– Allons, allons ! N’essaie pas de m’avoir par la pitié. Ces der­niers temps, j’ai vu pas­ser pas mal des tiens dans mon bureau. Au début, de vrais agneaux de Dieu, tes com­pa­triotes, puis on s’aperçoit que l’un a fri­co­té avec les fas­cistes, un autre a offert un che­val blanc à Hit­ler, un troi­sième a ven­du des com­mu­nistes à la Ges­ta­po. Tu sais, capi­taine, je connais un peu l’histoire : vous, les mon­ta­gnards, vous serez tou­jours des loups. Déjà, sous les tsars, vous étiez inca­pables de vivre tran­quille­ment, et dès qu’on vous laisse la bride sur le cou, vous com­men­cez à décon­ner. Sois plu­tôt recon­nais­sant qu’on n’ait pas fusillé tous vos traitres, tous ces faux-frères, mais qu’on leur ait don­né un autre lieu où habi­ter. Là-bas, vous allez peut-être vous cal­mer. Et sinon, on fera ce qu’il faut pour. Quant à toi, d’ailleurs, tu as eu l’honneur de pou­voir te battre pour notre Patrie sovié­tique. Sois-en recon­nais­sant au cama­rade Sta­line et au Par­ti com­mu­niste, et arrête de me bour­rer le crâne avec tes his­toires de nour­ris­sons. De toute façon, il n’en sor­ti­ra que des loups…

– Je t’emmerde major, espèce d’enfoiré, au front, c’était l’ennemi qui nous tuait, dit Kana­mat d’une voix sourde et suf­fo­cante de colère.

– Là, tu as dépas­sé les bornes, capi­taine, je ne te le par­don­ne­rai pas, — le major regar­da Kana­mat d’un air mau­vais, enle­va ses lunettes embuées et se mit à les essuyer avec un mouchoir.

Kana­mat contem­plait le crâne chauve et lui­sant de l’agent du NKVD et se dit qu’il y loge­rait volon­tiers quelques balles de son propre pistolet.

– À pro­pos, il fau­dra que tu me remettes ton arme, dit le major, comme s’il avait lu dans ses pensées.

Lorsque Kana­mat eut remis son pis­to­let, on l’emmena dans une grande pièce mal éclai­rée où se trou­vaient envi­ron vingt per­sonnes, hommes et femmes. Quelques hommes por­taient l’uniforme mili­taire. Quand Kana­mat entra dans la pièce, tous se levèrent. Selon l’usage, il salua cha­cun à son tour et leur ser­ra la main.

– Tu es karat­chaï ? lui deman­da un homme qui sem­blait plus âgé que les autres et qui por­tait un uni­forme mili­taire, mais sans épau­lettes. Uni­jam­biste, il s’appuyait sur des béquilles.

Kana­mat acquies­ça, et ils se mirent immé­dia­te­ment à par­ler leur langue natale. Tous étaient ses com­pa­triotes et venaient de dif­fé­rentes loca­li­tés karat­chaïes. On avait ras­sem­blé là tous ceux qui, pour une rai­son ou une autre, n’étaient pas chez eux le jour où la dépor­ta­tion avait com­men­cé. L’un était en voyage d’affaires, un autre était chez des amis, un troi­sième fai­sait paitre ses trou­peaux dans la mon­tagne. Main­te­nant, on les avait tous réunis là et on se pré­pa­rait à les envoyer en Asie cen­trale. Il y avait là éga­le­ment quelques inva­lides, des com­bat­tants reve­nus du front. Mal­heu­reu­se­ment, aucun d’eux n’était ori­gi­naire du vil­lage natal de Kana­mat et per­sonne ne pou­vait lui don­ner de nou­velles de ses proches.

L’unijambiste qui s’était adres­sé à Kana­mat en pre­mier lieu s’appelait Sos­lan­bek. Il était reve­nu au pays six mois plus tôt, après un séjour à l’hôpital. Il était ori­gi­naire de Tach­ko­piour, un vil­lage situé non loin de Mikoïan-Cha­khar. Sos­lan­bek était par­ti régler des affaires à Ros­tov-sur-le-Don au moment où la dépor­ta­tion avait eu lieu. Sur le che­min du retour, il avait été inter­cep­té par une patrouille : ça fai­sait deux semaines qu’on l’avait par­qué là. Peu impor­tait qu’il fût inva­lide de guerre et membre du Par­ti communiste.

– Ils m’ont nom­mé le « doyen » de la pièce et m’ont don­né pour mis­sion d’expliquer la situa­tion aux Karat­chaïs ici pré­sents afin qu’ils com­prennent leurs fautes vis-à-vis du cama­rade Sta­line et du Par­ti com­mu­niste. Je dois les exhor­ter à ne pas se plaindre, à ne pas récla­mer jus­tice, racon­ta Soslanbek.

– Ah oui ! Le major m’a aus­si tenu un dis­cours de ce genre, dit Kana­mat avec un sou­rire scep­tique. Il parai­trait que tout ce qui arrive à notre peuple n’est que jus­tice. C’est inté­res­sant. Alors dans quel cas pour­rait-on par­ler d’injustice ? De quoi nos com­bat­tants se sont-ils ren­dus cou­pables ? Com­ment ont-ils pu col­la­bo­rer avec les fascistes ?

– Tu sais, il vaut mieux ne pas cher­cher de réponse à ce genre de ques­tions, répon­dit Sos­lan­bek à voix basse. On n’en tire­ra rien de bon. La direc­tion du Par­ti est omnisciente…

– Qu’est-ce que tu racontes là, Sos­lan­bek ? l’interrompit Kana­mat. Pour­quoi nous accuse-t-on de trai­trise et de col­la­bo­ra­tion avec les fas­cistes ? En temps de guerre, il y a tou­jours des traitres par­tout, mais com­ment tout un peuple pour­rait-il tra­hir ? Tout un pan de l’armée russe — sous la conduite du géné­ral Vlas­sov — col­la­bore avec les fas­cistes. Mais per­sonne ne déclare pour autant que le peuple russe en entier a tra­hi ! Et d’ailleurs, com­ment peut-on par­ler d’un peuple traitre ? Non, Sos­lan­bek, il s’agit ici d’autre chose : il s’agit de tra­hi­son, certes, mais d’une tra­hi­son d’un autre genre. Je vois ici une tra­hi­son à l’égard de notre peuple, mais d’où vient cette tra­hi­son ? C’est ça que je n’arrive pas à com­prendre. Je peux seule­ment affir­mer qu’il n’est pas pos­sible que tout mon peuple soit traitre. Des gens iso­lés ou des groupes de gens peuvent tra­hir, il peut arri­ver que des gens au pou­voir vendent leur peuple, mais le peuple en tant que tel n’est pas traitre, c’est insensé…

Sos­lan­bek por­ta sou­dain un doigt à ses lèvres et murmura :

– Dou­ce­ment, capi­taine, s’ils t’entendent, ils vont te livrer au tri­bu­nal. Notre peuple n’est plus pro­té­gé par la loi, et s’il t’arrive quelque chose, ton grade et tes récom­penses ne te seront d’aucun secours. Ce major me l’a tout de suite expli­qué quand j’ai ten­té de me révol­ter. On raconte que les têtes des Karat­chaïs res­tés dans la mon­tagne sont mises à prix : l’État récom­pense tous ceux qui ramè­ne­raient les têtes de ces com­plices des fas­cistes. Et on peut affu­bler qui on veut de cette qualification…

– Il semble que ce ne sont pas des racon­tars, mais la vérité.

Kana­mat racon­ta — cette fois à voix basse — ce qu’il avait appris par Djanibek.

Une des femmes pré­sentes se mit à pleurer.

Peut-être que le cama­rade Sta­line n’est pas vrai­ment au cou­rant de la situa­tion, dit Sos­lan­bek avec hésitation.

– J’ai déjà pen­sé à ça, acquies­ça Kana­mat. Bon, si c’est ça, on a encore une chance que fina­le­ment ils réta­blissent la véri­té, ne fût-ce qu’après la guerre.

– Tu viens de par­ler de tra­hi­son envers notre peuple, mur­mu­ra Sos­lan­bek, et moi, je me sou­viens de ce que m’a racon­té une de mes connais­sances ori­gi­naire de Sta­vro­pol. C’est aus­si un com­mu­niste. Il ne peut pas sen­tir Sou­slov 14 qui, d’après lui, est un lâche. Il m’a dit qu’il avait été ques­tion d’arrêter Sou­slov et de le juger parce qu’il n’avait pas été capable d’organiser un mou­ve­ment de résis­tance dans notre région. Et on raconte, tou­jours selon ce que m’a expli­qué cet homme, que pour se blan­chir de cette accu­sa­tion, Sou­slov a repor­té toute la faute sur les Karat­chaïs en disant qu’ils col­la­bo­raient tous avec les fas­cistes et entra­vaient l’établissement d’unités de résis­tants dans la région. Et donc, je me dis qu’on l’a peut-être cru à Mos­cou, et c’est comme ça que la déci­sion est tom­bée de nous déporter…

Kana­mat et Sos­lan­bek pour­sui­virent leurs conver­sa­tions jusqu’à l’aube. Le capi­taine igno­rait que ce serait la der­nière nuit de sa vie.

Le major du NKVD était furieux de ce que lui avait dit Kana­mat, mais il s’était bien gar­dé de le faire paraitre. Il res­ta long­temps assis dans son bureau à se deman­der com­ment il pour­rait se ven­ger de cet inso­lent com­bat­tant karat­chaï. Fina­le­ment, il se déci­da à faire venir Djam­bot, un natif de la région qui offi­ciait pour le NKVD. C’était un vau­rien de la pire espèce. Même ses parents ne vou­laient plus entendre par­ler de lui, avait-on dit au major. Quand la région avait été déli­vrée des fas­cistes, il avait accu­sé ses voi­sins de col­la­bo­ra­tion avec l’ennemi. Puis, quand on les avait fait dis­pa­raitre, il s’était ins­tal­lé dans leur mai­son. Tout le monde était convain­cu qu’en fait, Djam­bot avait des vues sur la mai­son. Quelqu’un avait même ajou­té qu’il s’agissait d’une ven­geance parce que ces voi­sins lui avaient refu­sé la main de leur fille. Il n’y avait aucune preuve de ce que les membres de cette famille — dont cer­tains étaient de jeunes enfants — aient col­la­bo­ré en quoi que ce soit avec les Alle­mands pen­dant l’occupation, mais qui aurait pu prou­ver le contraire ? Toute la famille — com­po­sée de sept per­sonnes — avait disparu.

Il était une heure du matin quand Djam­bot péné­tra dans le bureau du major. De petite taille, basa­né, affli­gé d’une cal­vi­tie par­se­mée de taches de vin, il avait un visage dans lequel des yeux de cou­leur maré­ca­geuse s’agitaient sans cesse, et une grande bouche aux lèvres minces, qui sou­li­gnait de manière dis­pro­por­tion­née le petit nez qui la sur­mon­tait ; cet homme ne pou­vait qu’inspirer un sen­ti­ment immé­diat d’antipathie et de dégout.

– Où étais-tu pas­sé ? Ça fait deux heures que je t’attends, grom­me­la le major.

– J’avais du bou­lot, cama­rade major, vous savez bien. J’enquête pour démas­quer les enne­mis du peuple, je suis à votre service …

– Ce n’est pas moi que tu dois ser­vir, idiot, mais notre par­ti et l’État, cor­ri­gea le major en mor­dillant l’ongle de son pouce. Quoique, selon ce qu’il me semble, tu sers davan­tage tes propres inté­rêts que ceux du NKVD.

– Mais com­ment pou­vez-vous dire une chose pareille, major ? s’indigna sin­cè­re­ment Djam­bot. Je peux vous dire que je ne dors pas la nuit, je travaille…

Le major inter­rom­pit son subor­don­né de façon abrupte :

– Écoute-moi, lieu­te­nant. Dans la pièce d’à côté, se trouvent des traitres karat­chaïs. Il y a par­mi eux un capi­taine rétif. Donc, demain, je t’envoie avec lui à Mikoïan-Cha­khar. Là, au poste de com­man­de­ment, se trouvent quelques hommes qu’il faut rame­ner ici. Ce capi­taine est ori­gi­naire de Khour­zouk. Je mets une voi­ture à votre dis­po­si­tion pour la jour­née. Quand vous serez à Mikoïan-Cha­khar, tu pro­po­se­ras au capi­taine — comme ça, l’air de rien — d’aller jusqu’à son vil­lage natal. Il est peu pro­bable qu’il résiste à une telle pro­po­si­tion. Je pense que ce capi­taine ne fera pas le che­min du retour.

Djam­bot incli­na son crâne chauve sur le côté et lan­ça un regard oblique au major.

– Donc, si je vous com­prends bien…, com­men­ça-t-il, mais le major l’interrompit aus­si sec.

– Il n’y a rien à com­prendre. Tu exé­cutes l’ordre, un point c’est tout. Tu arrives ici à 7heures du matin, tu prends deux sol­dats et le capi­taine, et vous par­tez à Mikoïan-Chakhar.

Après le départ de Djam­bot, le major pas­sa toute la nuit au bureau, far­fouillant dans ses papiers et s’agitant dans son vieux fau­teuil. Ça fai­sait quelques années qu’il souf­frait d’insomnies. Le len­de­main matin, il convo­qua Kanamat.

– Tu sais, capi­taine, je ne t’en veux pas pour hier. Les temps sont durs, nous sommes tous à bout de nerfs. Je pro­pose d’oublier notre dis­pute d’hier, d’autant plus que j’ai une pro­po­si­tion à te faire.

Kana­mat se tai­sait. Il avait de la peine à se conte­nir. Il com­men­çait à com­prendre qu’il avait ici affaire à un enne­mi bien plus dan­ge­reux que les Alle­mands du front. Comme tout ça était loin main­te­nant : le front, les amis du front, les attaques, les offen­sives, le « trompe-la-mort » à chaque seconde… Ici, dans sa patrie, tout était bien plus ter­rible. Tout ce qui se pas­sait ici tou­chait aux confins des notions humaines du bien et du mal. Kana­mat se ren­dait compte que cet ignoble major en face de lui incar­nait le mal abso­lu : ce même mal évo­qué par les croyants et les pro­phètes dont sa grand-mère lui avait par­lé dans son enfance. Le capi­taine était né en URSS, il consi­dé­rait donc la reli­gion comme un éga­re­ment de l’esprit, une croyance indis­pen­sable aux simples d’esprit. Mais après ces quelques jours pas­sés dans sa patrie pro­fa­née, il lui sem­bla sou­dain évident que sa grand-mère avait rai­son. D’ailleurs, on ne pou­vait pas la qua­li­fier d’ignorante puisqu’elle par­lait plu­sieurs langues.

– Voi­là de quoi il s’agit, capi­taine, pour­sui­vit le major. On a ras­sem­blé une dizaine de tes com­pa­triotes au poste de com­man­de­ment de Mikoïan-Cha­khar. Il faut les trans­fé­rer ici, à Tcher­kessk. Je crois que ce sera plus agréable pour eux si c’est toi qui vas les cher­cher. Pour les trans­por­ter, je mets à ta dis­po­si­tion quelques hommes et un véhi­cule. Bien­tôt, on vous embar­que­ra tous dans des trains et on vous enver­ra rejoindre les vôtres en Asie cen­trale. Je te fais confiance, tu es quand même un com­bat­tant du front, tu sais ce qu’est la dis­ci­pline, tu peux donc y aller. Les hommes qui vont t’aider dans cette mis­sion t’attendent dans le camion ici devant.

Kana­mat se diri­gea vers la porte sans un mot.

« Cette fri­pouille ne m’a même pas salué », pen­sa le major.

– Ah ! capi­taine ! On m’a racon­té ici qu’un sous-lieu­te­nant est arri­vé à l’hôpital avec une frac­ture de la mâchoire. Il patrouillait et a vou­lu véri­fier les papiers d’un Karat­chaï en uni­forme de capi­taine. Alors, celui-là l’a frap­pé. Il ne s’agirait pas de toi par hasard ?

– Demande-le lui toi-même, major, rétor­qua Kana­mat imper­tur­bable. Et il sor­tit du bureau.

Dehors, Kana­mat aper­çut un sol­dat et Djam­bot en uni­forme de lieu­te­nant du NKVD. Ce der­nier lui sem­bla encore plus détes­table que le major. Le capi­taine s’assit à l’arrière avec les sol­dats car il répu­gnait à s’assoir dans la cabine avant avec Djam­bot. Ce der­nier com­prit par­fai­te­ment pour­quoi Kana­mat ne vou­lait pas s’installer à côté de lui et rit jaune.

Le camion démar­ra et Kana­mat regar­da tris­te­ment la route, se deman­dant où était main­te­nant sa famille, où était son peuple, dans quel pays loin­tain et incon­nu vivaient ses parents et ses connais­sances. Étaient-ils seule­ment vivants ? …

– Cama­rade capi­taine ! Un des sol­dats inter­rom­pit le cours de ses tristes pen­sées. Vous venez du front ?

Kana­mat acquiesça.

– Et com­ment ça se passe là-bas ?

Kana­mat regar­da le sol­dat : c’était un très jeune homme. À peine dix-neuf ans. Lui-même n’avait que vingt-quatre ans, mais il avait déjà l’apparence d’un homme mûr, d’un homme qui a vécu. On vieillit vite à la guerre. Lorsqu’un homme se retrouve contraint à tuer ses sem­blables, son âge n’est plus déter­mi­né par le nombre des années. « C’est en ajou­tant à ton âge les années de vie de chaque homme que tu as tué que tu connai­tras ton âge véri­table », avait dit à Kana­mat un com­man­dant de bataillon, pro­fes­seur de phi­lo­so­phie avant la guerre.

– Tout va bien, nous vain­crons, répon­dit Kana­mat au soldat.

– Cama­rade capi­taine, vous aus­si vous êtes kara… karatchaï ?

– Oui, moi aus­si, répon­dit Kana­mat en souriant.

Le sol­dat pous­sa un pro­fond sou­pir. Pourquoi ?

Kana­mat regar­da le jeune homme avec étonnement.

– Ca fait deux mois que je suis ici, dans vos mon­tagnes. Je n’ai rien vu d’aussi beau dans ma vie.

– Et toi-même, d’où viens-tu ? deman­da Kanamat.

– D’Orenbourg15.

Kana­mat eut l’impression que le sol­dat vou­lait poser une ques­tion, mais qu’il n’arrivait pas à se lancer.

– Nous sommes ici depuis un mois, dit-il à brûle-pour­point, nous sommes arri­vés avant qu’on ne com­mence à dépor­ter vos compatriotes.

Kana­mat remar­qua que le deuxième sol­dat don­nait un coup de coude au premier.

– Vos com­pa­triotes nous ont bien reçus, ils nous ont offert du mou­ton, ils nous ont fait boire de l’ara…, de l’aï-ran — le sol­dat s’appliquait à déta­cher les syl­labes et ne prê­tait pas atten­tion aux bour­rades de son camarade.

– Et notre chef, éga­le­ment capi­taine, a été très bien accueilli dans une famille. Ils ont mis à sa dis­po­si­tion une chambre sépa­rée. Dans un vil­lage qui s’appelle Khour­zouk, je crois…

C’était le coup de grâce pour Kana­mat. Il sai­sit le sol­dat à l’épaule.

– Khour­zouk ?

– Oui, Khour­zouk. Vous connaissez ?

– Pas qu’un peu ! C’est de là qu’ je viens ! Kana­mat criait presque. Raconte, raconte, dis-moi tout ce que tu sais…

Kana­mat exer­çait une telle pres­sion sur son épaule que le sol­dat eut un cri de douleur.

– Excuse-moi mon ami, je ne vou­lais pas te faire mal. Kana­mat relâ­cha son emprise.

– Que vou­lez-vous que j’vous raconte ? Pen­dant un mois, nous avons vécu sous la tente et nos chefs dans les mai­sons de vos com­pa­triotes. Puis, on nous a don­né l’ordre d’aller délo­ger tous ces gens et de les embar­quer dans des camions. On disait que sous l’occupation, beau­coup d’entre eux avaient tra­hi, que par­mi eux il y avait des ban­dits. Mais moi, quand j’étais allé voir mon chef, j’avais bien vu qu’au mur de sa chambre, il y avait des pho­tos de sol­dats au front. J’avais enten­du ce que le maitre de mai­son racon­tait, qu’il avait quatre ou cinq fils dont deux avaient déjà péri tan­dis que deux autres com­bat­taient encore au front. J’ai vu mon chef pleu­rer quand on a emme­né le pro­prié­taire de la mai­son. Le pauvre vieux pleu­rait aus­si. Il criait qu’on le chas­sait de chez lui alors que ses fils se bat­taient au front. Depuis lors, notre chef erre comme une âme en peine. Tous les jours, il écrit des rap­ports et demande qu’on l’envoie au front. Et moi non plus, je ne com­prends pas : pour­quoi les a‑t-on tous dépor­tés sans excep­tion ? On aurait quand même pu épar­gner ce vieux dont les fils étaient au front……

– Arrête, Serio­ja, s’écria le sol­dat à l’adresse de son cama­rade qui lui don­nait des coups de coude en le regar­dant sour­noi­se­ment. Tu ne vois pas que le capi­taine est un homme bien, un sol­dat du front ? Rien à voir avec cette cra­pule à l’avant. Si celui-là s’était assis avec nous, je me serais tu pen­dant tout le voyage, mais le capi­taine n’a rien à voir avec cette racaille. On voit ça tout de suite.

– Raconte encore, c’était main­te­nant Kana­mat qui bous­cu­lait le sol­dat, est-ce que tu te sou­viens si c’était une grande mai­son avec un toit plat, à l’extrémité du village ?

– Non, là où mon chef habi­tait, c’était au centre du vil­lage et je ne me sou­viens pas bien du nom du pro­prié­taire, quelque chose comme Khaïs­sa ou Kheïssa……

– Khyis­sa, Kana­mat cor­ri­gea son inter­lo­cu­teur, com­pre­nant immé­dia­te­ment de qui il s’agissait. Raconte, raconte encore, dis-moi tout ce que tu sais.

Le capi­taine espé­rait que le sol­dat pour­rait extraire de ses sou­ve­nirs ne fût-ce qu’un petit quelque chose sur sa famille, mais en vain. Pen­dant toute l’heure et demie que dura le voyage vers Mikoïan-Cha­khar, il ne par­vint pas à obte­nir la moindre infor­ma­tion concer­nant les siens. Il finit par s’énerver sur ce mal­heu­reux gar­çon. Com­ment peut-on être si peu obser­va­teur ? pen­sait-il. Habi­ter un mois dans un vil­lage si petit et ne pas se sou­ve­nir de tous ses habitants ?

Lorsqu’ils péné­trèrent dans la cour du poste de com­man­de­ment de Mikoïan-Cha­khar, Kana­mat sau­ta le pre­mier du camion et s’avança rapi­de­ment vers le bâti­ment qui abri­tait la sec­tion locale du NKVD. Il espé­rait ren­con­trer quelque connais­sance ou un parent. Mais par­mi les neuf per­sonnes qui se trou­vaient là, six étaient des locaux et trois venaient de Teber­da16.

Pen­dant ce temps, Djam­bot était en pour­par­lers avec ses col­lègues pos­tés là. Il s’approcha de Kanamat.

– Cama­rade capi­taine, vous n’avez pas envie de faire un tour par votre vil­lage natal ? Le temps qu’ils pré­parent les papiers ici, ça va prendre quatre ou cinq heures. Ce qui nous laisse le temps de faire l’aller-retour. Mais vous com­pren­drez qu’il n’y a plus per­sonne là-bas…

Kana­mat était éton­né de cette pro­po­si­tion inat­ten­due. Il regar­da atten­ti­ve­ment le sou­rire mali­cieux sur le visage de l’agent du NKVD.

« Qu’est-ce qui se cache der­rière cette pro­po­si­tion ? Quelle salo­pe­rie peut-on attendre d’un homme de ce genre ? », pen­sa-t-il, mais le désir de revoir son vil­lage et sa mai­son natale eut rai­son de ses doutes et il hocha la tête en signe de consentement.

Ils se diri­gèrent vers le camion.

– Cama­rade capi­taine, puis-je aus­si vous accom­pa­gner ? deman­da le sol­dat qui n’avait pas pu répondre clai­re­ment aux ques­tions de Kanamat.

– Vas‑y, monte à l’arrière, je sup­pose que le lieu­te­nant ne ver­ra pas d’inconvénient à ce que tu viennes, répon­dit Kana­mat en jetant un regard scru­ta­teur vers Djambot.

– Ce der­nier ne voyait certes pas d’un bon œil l’arrivée d’un autre pas­sa­ger et donc d’un témoin sup­plé­men­taire, mais pour ne pas éveiller les soup­çons de Kana­mat, il fut bien obli­gé d’accepter.

« Imbé­cile ! De quoi y s’mêle, connard, fils de pute ». L’agent du NKVD râlait inté­rieu­re­ment, mais il n’avait d’autre choix que d’accepter.

Kana­mat s’assit de nou­veau à l’arrière avec le sol­dat. Djam­bot prit le volant et les voi­là en route vers l’amont du fleuve Kou­ban en direc­tion du vieux vil­lage karat­chaï de Khour­zouk. Il y a bien long­temps, trois vil­lages s’étaient consti­tués en amont du fleuve Kou­ban. Le pre­mier d’entre eux était Kart-Djourt, ce qui signi­fie « Patrie antique ». Ce vil­lage, fon­dé en des temps immé­mo­riaux, fut res­tau­ré il y a quelques cen­taines d’années par Kart­cha, célèbre chef karat­chaï à son retour au pays, après les inva­sions de Tamer­lan au Cau­case. Un peu plus loin, après le pas­sage du col, se trou­vait le vil­lage d’Outchkoulan, et enfin, celui de Khour­zouk. Le vil­lage natal de Kana­mat était tout près des deux têtes du mont Elbrouz.

Les mon­tagnes aux alen­tours étaient déjà entiè­re­ment cou­vertes de leur man­teau hiver­nal tra­di­tion­nel, mais au pied du col, là où cou­lait le Kou­ban et où ser­pen­tait un che­min de pier­railles, il n’y avait pas de neige. Djam­bot rou­lait à un train d’enfer, ne ména­geant pas les pas­sa­gers à l’arrière. Ceux-ci étaient pro­je­tés d’un côté à l’autre de la benne, au gré des pierres tom­bées sur le che­min. Après une heure et demie de route, étant pas­sés par Kart-Djourt et Out­ch­kou­lan, ils arri­vèrent à Khour­zouk. Le camion ralen­tit et s’arrêta. Kana­mat sau­ta sur le che­min et s’avança len­te­ment dans la rue prin­ci­pale du vil­lage vide et dévas­té. Il était bou­le­ver­sé par tout ce qu’il voyait. Lorsqu’il atteint sa mai­son natale, il aper­çut un homme qui s’échappait des portes grandes ouvertes puis sau­tait au-des­sus de la clô­ture. Le cœur lourd, il par­cou­rut len­te­ment les pièces de la mai­son, les recon­nais­sant à peine. En cher­chant à piller des objets de valeur, les marau­deurs avaient tout mis sens des­sus des­sous. Par­tout, des papiers déchi­rés, des mor­ceaux de vais­selle et autres débris.

Pen­dant ce temps, Djam­bot réflé­chis­sait à la meilleure manière d’accomplir la mis­sion que lui avait confiée le major. La pré­sence du sol­dat qui les accom­pa­gnait com­pli­quait pas mal la situa­tion. « Il va fal­loir l’éliminer aus­si », se dit l’agent du NKVD. Il se sou­vint qu’à tout hasard le major lui avait remis le pis­to­let de Kana­mat, et que ceci allait s’avérer utile.

Le sol­dat se tenait devant la mai­son. Il hési­tait à entrer. Sans réflé­chir davan­tage, avec l’arme de Kana­mat, Djam­bot tira trois fois sur le sol­dat puis alla se cacher der­rière le coin de la mai­son. Kana­mat sur­git sur le seuil, aper­çut le sol­dat tom­bé à la ren­verse et cou­rut vers lui. Djam­bot atten­dit un peu, puis il sur­git de der­rière la maison.

Kana­mat qui était en train d’examiner le sol­dat, se retour­na vive­ment en enten­dant des pas.

– Ils ont tiré de là-bas. Djam­bot indi­quait la forêt der­rière la maison.

Pen­dant que Kana­mat se pen­chait à nou­veau sur le sol­dat, Djam­bot reti­ra son propre pis­to­let de son étui et en vida tout le char­geur dans le dos du capitaine.

– Et voi­là, capi­taine, sou­rit Djam­bot. La fin sans gloire d’une guerre glo­rieuse… Ça ne t’aura pas ser­vi à grand-chose de reve­nir ici.

Un bruit se fit entendre der­rière lui. Djam­bot fit un saut de côté. Il reti­ra de la poche de son man­teau le pis­to­let de Kana­mat dans lequel il res­tait quelques balles et tira au-des­sus des buis­sons où s’était caché l’homme qu’il avait vu sor­tir de la maison.

– Et chef, pas la peine de tirer, s’écria une voix sor­tie des buissons.

– Sors les mains en l’air, ordon­na Djambot.

L’homme qui s’était réfu­gié dans les buis­sons sor­tit de sa cachette et s’approcha de Djam­bot, les mains en l’air.

– Et tu es qui toi, putain ? deman­da l’agent du NKVD.

– J’habite ici, je suis svane, on nous a dit de venir nous ins­tal­ler ici, répon­dit l’homme. Je suis venu recon­naitre les lieux, dans un pre­mier temps. Je n’ai pas encore emme­né ma femme et mes enfants.

Il par­lait russe avec un fort accent.

– Vous ins­tal­ler ici, donc, répé­ta Djam­bot avec un rire mauvais.

– Et pour­quoi vous les avez tués, chef ? L’homme mon­trait les deux corps sans vie allon­gés devant l’agent du NKVD.

– L’un d’eux était un enne­mi du peuple, un ban­dit, un traitre. En plus, c’était un des anciens pro­prié­taires de la mai­son dans laquelle tu habites… C’est celui-ci, au-des­sus : Djam­bot pous­sa du pied le cadavre du capitaine.

L’homme recu­la.

– Pour­quoi tu as peur ? Il est mort, il ne peut plus rien te faire. En outre, j’aurai besoin de ton aide. Tu as un cou­teau ? Un grand cou­teau bien aiguisé ?

L’homme regar­da Djam­bot d’un air inter­ro­ga­teur, vou­lut poser une ques­tion, mais se ravi­sa. Il por­ta son regard vers les cadavres du sol­dat et du capi­taine, puis de nou­veau vers l’agent du NKVD et ses yeux se rem­plirent de frayeur.

– Tu vas lui cou­per la tête ? deman­da-t-il d’une voix rauque.

– C’est toi qui vas lui cou­per la tête, Djam­bot regar­da le Svane. Et sou­viens-toi, c’est ce ban­dit qui a tué le sol­dat. Il est mort en héros en défen­dant son chef, c’est-à-dire moi.

– Tu es du NKVD ? deman­da-t-il en ava­lant convul­si­ve­ment sa salive. Tu vas me tuer ?

– J’ai besoin de toi, imbé­cile ! On vous a envoyés vivre ici, donc, vis ! Si tu com­prends tout comme il faut, tu vivras long­temps. Sinon, tu ne feras pas long feu, dit Djam­bot avec un large sou­rire décou­vrant ses dents jaunes et mal ali­gnées. Allez, trêve de bavar­dages, tu me l’apportes ce couteau ?

– Pas besoin de l’apporter, je suis svane, j’ai tou­jours un cou­teau sur moi. L’homme fit appa­raitre le poi­gnard qu’il cachait sous le revers de sa veste.

Avec des mou­ve­ments rapides, il tran­cha le cou de Kana­mat, main­tint sa tête en l’air quelques ins­tants pour que s’en écoule le sang refroi­di et la ten­dit à Djam­bot. Le visage hâlé du Svane était pâle comme la neige et ses mains tremblaient.

– Là, dans le camion, il y a un sac, mets sa tête dedans, dit Djam­bot d’un air dégouté.

Ils char­gèrent ensuite le cadavre du sol­dat à l’arrière du camion et Djam­bot se mit en route.

Le Svane revint vers le corps déca­pi­té, le regar­da lon­gue­ment, ter­ro­ri­sé. Ensuite, il se diri­gea vers la grange et revint avec une pelle.

Il enter­ra Kana­mat dans le jar­din, puis sor­tit de sa tou­loupe une petite bou­teille qu’il vida d’un trait avant de la jeter à terre. Ensuite, il tom­ba à genoux et se mit à prier. Son visage était tour­né vers l’Elbrouz, il implo­rait lit­té­ra­le­ment le par­don de la mon­tagne à deux têtes pour le crime san­glant auquel il avait été contraint de prendre part.

Le soir du même jour, Djam­bot vint voir le major et dépo­sa sur son bureau le sac conte­nant la tête tran­chée. Le major jeta un regard dans le sac et sou­rit avec satis­fac­tion. Ensuite, il se diri­gea vers le coffre-fort qui se trou­vait dans le coin de la pièce. Djam­bot appo­sa sa signa­ture dans le grand-livre des quit­tances, prit l’argent, salua sans un mot et sortit.

« Quel sale type ! », pen­sa le major après le départ de son subor­don­né. « Il égor­ge­rait sa propre mère s’il le fal­lait, et sans sourciller…»

À la fin des années trente, le major avait lui-même par­ti­ci­pé pen­dant quelques années aux com­man­dos d’exécution de son uni­té. Depuis cette époque, il lui arri­vait régu­liè­re­ment de rêver des gens qu’il avait tués. Rai­son pour laquelle il crai­gnait le som­meil et souf­frait d’insomnies. C’est pour la même rai­son qu’il crai­gnait la mort, puisqu’elle signi­fiait la fin de la vie, et qu’il était han­té par la pen­sée d’une autre vie après la mort, autre vie au cours de laquelle il pour­rait ren­con­trer les âmes de ceux qu’il avait tués.

*****

Quinze années pas­sèrent 17. De la grande famille de Kana­mat, trois seule­ment avaient sur­vé­cu. Le père, la mère, deux sœurs et le frère cadet repo­saient en terre kaza­khe. Ils étaient morts de faim et de mala­die six mois après leur trans­fert dans les steppes d’Asie cen­trale. Ne revinrent donc au pays que la plus jeune sœur et deux frères. Ils eurent la chance de retrou­ver leur mai­son natale car appre­nant le retour des Karat­chaïs, les Svanes qui habi­taient Khour­zouk s’étaient ras­sem­blés en hâte et avaient déci­dé de retour­ner dans leur patrie. Avant de les auto­ri­ser au retour, on avait obli­gé les Karat­chaïs à signer des docu­ments éta­blis­sant qu’ils ne récla­me­raient pas leur mai­son et leurs biens, en sorte que cer­tains ne par­vinrent même pas à revoir leur habi­ta­tion : ils en furent chas­sés par les nou­veaux occu­pants. Cer­tains purent négo­cier et rache­ter leur mai­son à ceux qui en avaient pris pos­ses­sion. Mais la majo­ri­té se mit tout sim­ple­ment à construire sur des terres que les auto­ri­tés leur avaient allouées.

Les frères et la sœur de Kana­mat se mirent à répa­rer et à réno­ver la mai­son fami­liale. Mal­gré les nom­breuses recherches qu’ils avaient entre­prises, ils igno­raient tout du sort de leur frère ainé. Un jour, la jeune fille deman­da à ses frères de creu­ser un trou pour amé­na­ger une cave dans laquelle elle pour­rait conser­ver les fruits et les légumes. Vint un moment où les frères vou­lurent faire une pause. Ils entrèrent dans la mai­son et Aïchat — ain­si s’appelait la jeune fille — s’empara de la pelle pour les relayer. Bien­tôt le tran­chant de la pelle buta sur quelque chose de mou et rigide en même temps. Aïchat pal­pa de ses doigts les contours de l’objet : un sac d’officier datant de la guerre. En s’aidant alors seule­ment de ses mains, Aïchat conti­nua pru­dem­ment à grat­ter la terre. Des lam­beaux de tis­sus appa­rurent. Ensuite des osse­ments humains. Aïchat avait pas­sé son enfance en exil. La mort et tout ce qui s’y rap­por­tait étaient alors une expé­rience ordi­naire, elle ne s’effraya donc pas et conti­nua à creu­ser pour déga­ger les osse­ments de cet homme qu’on avait enter­ré dans leur jar­din. Elle s’étonna seule­ment de ce que le crâne fut absent. Fina­le­ment, elle déci­da de véri­fier le conte­nu du sac mili­taire. Le pre­mier objet qui lui tom­ba dans les mains fut le frag­ment d’une pho­to­gra­phie. En exa­mi­nant les visages à demi-effa­cés, elle com­prit sou­dain que ceux-ci lui étaient fami­liers. Un trouble étrange s’empara d’elle. Quelque part dans les tré­fonds de sa conscience nais­sait un ter­rible soup­çon, mais elle n’arrivait pas à for­mu­ler sa pen­sée. « Maman ! Mais c’est Maman!, com­prit alors la jeune fille. Mais à côté d’elle, qui est-ce ? Il res­semble à Papa, mais en plus jeune…»

Le cri per­çant de la jeune fille trou­bla le repos de ses frères. Ils se pré­ci­pi­tèrent au jar­din et aper­çurent Aïchat debout dans le trou qu’ils avaient creu­sé. Seul son buste dépas­sait et elle tenait quelque chose à la main. Ils cou­rurent vers elle qui les regar­dait de ses grands yeux gris. Alors elle pous­sa encore un cri et s’écroula dans la fosse, là où repo­saient les restes de ce frère ainé dont ils avaient cher­ché la trace pen­dant tant d’années.

Aïchat ne se remit jamais du ter­rible choc éprou­vé ce jour-là. Sa conscience s’isola en quelque sorte du monde exté­rieur. Elle ne recon­nais­sait plus per­sonne et pas­sa les vingt-trois années que dura encore sa vie dans un état que le méde­cin qua­li­fiait de folie douce.

Bruxelles, mars 2011

Tra­duc­tion du russe Marianne Stasse

  1. Marque popu­laire de ciga­rettes soviétiques.
  2. C’est le terme « fas­ciste » qui est le plus fré­quem­ment uti­li­sé dans le voca­bu­laire russe pour dési­gner les nazis. La Deuxième Guerre mon­diale est plus connue sous l’expression de Grande Guerre patrio­tique (1941 – 1945).
  3. Nom argo­tique don­né en russe aux gre­nades, pro­ba­ble­ment à cause de leur forme qui rap­pelle celle d’un citron.
  4. La Tché­ka, acro­nyme de tchrez­vyt­chai­naïa kom­mis­sia (com­mis­sion extra­or­di­naire) désigne la police poli­tique durant les pre­mières décen­nies du régime soviétique.
  5. Déno­mi­na­tion du pays de haute mon­tagne situé dans l’ouest du Cau­case du Nord, près de la plus haute mon­tagne d’Europe : l’Elbrouz, et du peuple tur­co­phone, les Karat­chaïs, habi­tant ce ter­ri­toire aujourd’hui inté­gré dans la Répu­blique de Karat­chaié­vo-Tcher­kes­sie, au sein de la Fédé­ra­tion de Russie.
  6. Défor­ma­tion du mot ayran, bois­son tra­di­tion­nelle du peuple karat­chaï, à base de lait fermenté.
  7. Colosse à forme humaine, per­son­nage de l’épopée karat­chaïe Les Nartes. Les émé­gènes avaient un œil et une ou plu­sieurs têtes.
  8. Les Karat­chaïs, peuple tur­co­phone du Cau­case du Nord, ont été dépor­tés dans leur ensemble en Asie cen­trale, en novembre1943. Les Ingouches, les Tchét­chènes, les Bal­kars seront dépor­tés éga­le­ment, en février et mars1944, accu­sés de façon fal­la­cieuse par Sta­line de col­la­bo­ra­tion mas­sive avec les nazis. Le tra­vail pré­cis et rigou­reux des his­to­riens ne peut en aucun cas conclure à des actes de col­la­bo­ra­tion mas­sive, même s’il y eut quelques actes de col­la­bo­ra­tion iso­lés. Dans le même temps, des dizaines de mil­liers d’hommes res­sor­tis­sants de ces peuples punis se bat­taient pré­ci­sé­ment contre l’envahisseur nazi. 

    Voir en par­ti­cu­lier Auré­lie Cam­pa­na, Gré­go­ry Dufaud, Sophie Tour­non (dir.), Les dépor­ta­tions en héri­tage. Les peuples répri­més du Cau­case et de Cri­mée, hier et aujourd’hui, Presses uni­ver­si­taires de Rennes, 2009. Voir aus­si N. Werth, « Les dépor­ta­tions eth­niques totales de “peuples punis” durant la Grande Guerre patrio­tique : une exci­sion eth­no-his­to­rique », dans La ter­reur et le désar­roi, Sta­line et son sys­tème, Per­rin, 2007.

    La dépor­ta­tion est res­tée un trau­ma­tisme col­lec­tif déter­mi­nant dans l’histoire de ces « peuples punis », et leur réha­bi­li­ta­tion reste à ce jour incom­plète, même si des actes de réha­bi­li­ta­tion ont eu lieu dans un pre­mier temps sous Khroucht­chev qui les auto­ri­sa à ren­trer sur leur terre d’origine, puis sous Gor­bat­chev et Elt­sine lorsque cer­tains héros de la Grande Guerre patrio­tique contre le fas­cisme alle­mand furent déco­rés et recon­nus, par­fois de façon post­hume, pour leurs actes de bravoure.

  9. Le NKVD est le com­mis­sa­riat du peuple aux Affaires inté­rieures. Il s’agit donc du minis­tère de l’Intérieur sovié­tique aug­men­té de la police poli­tique. Le NKVD était en charge des dépor­ta­tions des « peuples punis » pen­dant la Deuxième Guerre mondiale.
  10. Kochar (du karat­chaïkoch, cabane): le mot, pas­sé en russe, désigne une construc­tion en bois de plain-pied, située à proxi­mi­té des pâtu­rages et ser­vant de refuge aux ber­gers et d’abri pour le bétail en cas d’intempéries.
  11. Camions amé­ri­cains que les États-Unis avaient prê­tés à l’Union soviétique.
  12. À la fin du XIXe siècle, une par­tie du peuple ossète a été dépla­cée en ter­ri­toire karatchaï.
  13. Les Svanes et les Min­gré­liens vivent au sud de la chaine du Cau­case, dans la par­tie nord-ouest de la Géor­gie. En 1943, lors de la dépor­ta­tion des Karat­chaïs, une par­tie du ter­ri­toire karat­chaï a été attri­bué à la répu­blique socia­liste sovié­tique de Géor­gie. C’est ain­si que des popu­la­tions de Géor­gie ont été ins­tal­lées dans les dis­tricts d’où les Karat­chaïs avaient été déportés.
  14. Pre­mier secré­taire du comi­té régio­nal du Par­ti com­mu­niste pen­dant la guerre, effec­ti­ve­ment hos­tile aux Karat­chaïs, il fut un des ini­tia­teurs de leur déportation.
  15. Ville russe située au sud de l’Oural.
  16. Vil­lage karat­chaï en haute montagne.
  17. Après la mort de Sta­line en 1953, les peuples dépor­tés com­mencent à ren­trer dans leur terre natale. Dans le sillage de la désta­li­ni­sa­tion, le nou­veau pre­mier secré­taire du Par­ti com­mu­niste d’Union sovié­tique Niki­ta Khroucht­chev auto­rise offi­ciel­le­ment le retour et amorce une poli­tique de réha­bi­li­ta­tion des peuples punis.

Boris Korkmazov


Auteur

écrivain karatchaï