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La sidérurgie en Wallonie entre craintes et espoirs

Numéro 07/8 Juillet-Août 2010 par Michel Capron

juillet 2010

À la mi-2010, l’industrie sidé­rur­gique en Wal­lo­nie connait une situa­tion plu­tôt miti­gée. C’est que, d’une part, après le redé­mar­rage du lami­noir de Cher­tal, la relance du haut-four­­neau B d’Ougrée per­met de recons­ti­tuer le lien entre sidé­rur­gie à chaud et sidé­rur­gie à froid, même si le haut-four­­neau 6 de Seraing n’est pas ral­lu­mé. D’autre part, l’avenir de la joint-ven­­ture SIF […]

À la mi-2010, l’industrie sidé­rur­gique en Wal­lo­nie connait une situa­tion plu­tôt miti­gée. C’est que, d’une part, après le redé­mar­rage du lami­noir de Cher­tal, la relance du haut-four­neau B d’Ougrée per­met de recons­ti­tuer le lien entre sidé­rur­gie à chaud et sidé­rur­gie à froid, même si le haut-four­neau 6 de Seraing n’est pas ral­lu­mé. D’autre part, l’avenir de la joint-ven­ture SIF (Steel Invest and Finance), asso­ciant à pari­té Dufer­co et le sidé­rur­giste russe NLMK (Novo­li­petsk Steel) pour gérer notam­ment les usines wal­lonnes du groupe, ins­pire des craintes à Char­le­roi, La Lou­vière et Manage. L’activité des prin­ci­paux sites sidé­rur­giques wal­lons est évi­dem­ment tri­bu­taire des pers­pec­tives de pro­duc­tion et de demande en Europe et dans le monde, où la reprise s’avère inégale et confron­tée à plu­sieurs problèmes.

Une reprise progressive non dénuée de problèmes

Glo­ba­le­ment, on s’attend à une hausse de la consom­ma­tion d’acier de 10,7% en 2010 et à une pro­duc­tion avoi­si­nant 1,23 mil­liard de tonnes. La demande reste néan­moins faible en Europe, les sec­teurs de l’automobile et de la construc­tion n’étant guère à la hausse pour le moment. La situa­tion se com­plique, notam­ment pour les sidé­rur­gistes euro­péens, du fait de la conjonc­tion de trois fac­teurs. D’une part, les hausses ver­ti­gi­neuses des prix du mine­rai de fer et de l’acier. Les prin­ci­paux pro­duc­teurs mon­diaux, les groupes aus­tra­liens (BHP Billi­ton et Rio Tin­to) et bré­si­lien (Vale), déte­nant 70% du mar­ché, ont déci­dé de rem­pla­cer les contrats annuels avec leurs clients indus­triels par des contrats tri­mes­triels pour mieux s’adapter aux varia­tions de la demande. Ils ont ain­si aug­men­té, en avril 2010, de 100% le prix de la tonne de mine­rai de fer et de 35% celui de la tonne de char­bon, avant une nou­velle hausse, début juillet, de res­pec­ti­ve­ment 30% et 10%. Si ces hausses énormes touchent rela­ti­ve­ment moins les groupes sidé­rur­giques inté­grés (dont Arce­lor­Mit­tal (AM) et NLMK) qui couvrent au moins une par­tie de leurs besoins grâce à leurs filiales minières, les autres se voient contraints de réper­cu­ter ces hausses auprès de leurs clients de l’automobile et de la construc­tion notamment.

Deuxième pro­blème : la sur­pro­duc­tion chi­noise face à une demande inté­rieure qui a fai­bli depuis avril, d’où l’accumulation de stocks que les pro­duc­teurs chi­nois exportent, notam­ment vers l’Europe. Enfin, si la baisse rela­tive de l’euro face au dol­lar favo­rise les expor­ta­tions euro­péennes, les chiffres d’affaires des groupes, libel­lés en dol­lars amé­ri­cains, en subissent l’impact.

La sidérurgie dans l’économie wallonne

Publié en novembre 2009, le rap­port du consul­tant Laplace Conseil1 sou­li­gnait l’importance de l’acier dans l’économie wal­lonne. Ain­si, en 2007, la métal­lur­gie repré­sen­tait 3% du PIB wal­lon et, en 2008, sidé­rur­gie et tra­vail des métaux inter­ve­naient pour 23% dans les expor­ta­tions wal­lonnes. Le rap­port met en exergue les pro­grès de pro­duc­ti­vi­té dans la sidé­rur­gie wal­lonne, ce qui rela­ti­vise l’impact des couts sala­riaux face aux atouts que sont cen­sées consti­tuer la flexi­bi­li­té, la poly­va­lence et l’assiduité des sidé­rur­gistes au tra­vail. Les pro­blèmes éner­gé­tiques et envi­ron­ne­men­taux res­tent néan­moins un point faible. En termes d’emplois, la filière métal­lur­gique (sidé­rur­gie, pre­mière trans­for­ma­tion et tra­vail des métaux) com­pre­nait quelque 30000 emplois directs et autant d’emplois indi­rects (sous-trai­tance et logis­tique notam­ment). À l’heure actuelle, la sidé­rur­gie en Wal­lo­nie occupe quelque 9000 tra­vailleurs, dont 4700 pour AM (3000 à Liège, 600 chez Cari­nox et 1100 chez Indus­treel à Char­le­roi), 3400 pour SIF (1100 chez Car­sid, 1500 à La Lou­vière, 600 à Cla­becq, 200 à Manage et Jemappes), S’y ajoutent 450 sidé­rur­gistes chez Thy-Mar­ci­nelle (300) et au Ruau (150) à Char­le­roi et autant à Liège (300 chez Tata-Corus Segal et 150 chez ESB).

Les espoirs du bassin liégeois

La relance de la phase à chaud chez Arce­lor­Mit­tal Liège s’est effec­tuée en deux phases. À la mi-novembre, le lami­noir de Cher­tal a démar­ré par­tiel­le­ment (concer­nant 153 emplois) pour lami­ner des brames (demi-pro­duits qui, lami­nés, four­nissent des tôles à chaud) en pro­ve­nance d’AM Dun­kerque. Le 12 avril 2010, le HFB d’Ougrée est ral­lu­mé pour ali­men­ter Cher­tal. C’est la recons­ti­tu­tion d’une sidé­rur­gie inté­grée alliant phase à chaud et outils de la sidé­rur­gie à froid (les pro­duits plats revê­tus). À l’issue d’un accord conclu en février 2010, les orga­ni­sa­tions syn­di­cales ont, en contre­par­tie de la remise au tra­vail de 363 sidé­rur­gistes (dont une majo­ri­té en pro­ve­nance de la sidé­rur­gie à froid) et de 223 per­sonnes en sous-trai­tance, dû accep­ter davan­tage de flexi­bi­li­té, moins de per­son­nel au HFB et un cer­tain nombre de contrats à durée déter­mi­née. À cela s’ajoutent les efforts à accom­plir pour réa­li­ser le plan Speed Up visant une éco­no­mie annuelle de 250 mil­lions d’euros d’ici 2011, en vue notam­ment de réduire de 100 euros le cout de pro­duc­tion à la tonne. Pour sa part, AM inves­ti­ra 110 mil­lions d’euros dans la phase à chaud, sans tou­te­fois pré­ci­ser la durée d’activité pré­vue pour le HFB.

Les sidé­rur­gistes lié­geois peuvent se réjouir de cette remise en acti­vi­té mais, outre la contrainte d’une cer­taine modé­ra­tion sala­riale et d’exigences accrues de flexi­bi­li­té, ils n’ont pas obte­nu le redé­mar­rage du HF6 de Seraing. Notons en outre que, pour obte­nir ce redé­mar­rage, la Région wal­lonne a dû octroyer 12 mil­lions de tonnes de quo­tas CO2 (pour un cout de quelque 50 mil­lions d’euros) cor­res­pon­dant au fonc­tion­ne­ment nor­mal des deux hauts four­neaux du bas­sin, soit une prime non négli­geable accor­dée à AM Liège2. On peut se deman­der pour­quoi, dans une conjonc­ture de reprise plu­tôt faible, AM a ral­lu­mé ce HFB, pour­tant répu­té trop peu ren­table. Cette déci­sion peut s’expliquer par le fait que la relance du HFB, plus rapide que celle du troi­sième haut-four­neau de Dun­kerque, per­met un appro­vi­sion­ne­ment mieux régu­lé de la sidé­rur­gie à froid à Liège. En outre, au vu des contraintes mises en place, c’est l’occasion four­nie à AM Liège de prou­ver sa capa­ci­té à résor­ber son retard de com­pé­ti­ti­vi­té. Rien n’est cepen­dant acquis à moyen terme pour la phase à chaud lié­geoise. En novembre der­nier, le direc­teur du site lié­geois esti­mait que, souf­frant d’une trop grande dis­per­sion de ses outils, la phase à chaud pour­rait être fer­mée à moyen terme, l’avenir de la sidé­rur­gie lié­geoise se trou­vant dans ses outils de lami­nage à froid et de revê­te­ment3. Quant aux sites d’AM à Char­le­roi, Cari­nox (acier inox) et Indus­teel (aciers spé­ciaux et tôles fortes), ils fonc­tionnent à quelque 70% de leurs capacités.

Les craintes chez Duferco (SIF)

Les sites wal­lons dépen­dant du hol­ding de droit luxem­bour­geois SIF asso­ciant depuis décembre 2006 Dufer­co et NLMK connaissent une situa­tion moins enga­geante qu’à Liège. À Char­le­roi, les tra­vailleurs sont inquiets quant à l’avenir du haut-four­neau de Car­sid mis à l’arrêt, après réno­va­tion, depuis le 11 novembre 2008 et que la direc­tion ne compte redé­mar­rer, au plus tôt, que fin octobre 2010, si les condi­tions du mar­ché le per­mettent4. Par ailleurs, en jan­vier 2008, SIF a déci­dé de fer­mer la coke­rie de Mar­chienne au vu de son ancien­ne­té et de sa pol­lu­tion exces­sive. Depuis ce moment, Car­sid était ali­men­té en coke russe d’assez piètre qua­li­té. Les syn­di­ca­listes caro­los jugent la sur­vie de Car­sid liée à un pro­jet de coke­rie moderne et l’ont fait savoir clai­re­ment à la direc­tion et à la Région wal­lonne. Or, pour SIF, le cout d’une nou­velle coke­rie (400 mil­lions d’euros) s’avère pro­hi­bi­tif ; le groupe dit étu­dier une réno­va­tion par­tielle de l’ancienne coke­rie (dont cout 170 mil­lions d’euros). L’absence de déci­sion sur ce point et le refus de ral­lu­mer actuel­le­ment Car­sid (dont les tra­vailleurs sont sou­mis à un chô­mage éco­no­mique éprou­vant) ravivent les inquié­tudes des sidé­rur­gistes quant à l’avenir du haut-four­neau et ce à double titre : non seule­ment NLMK four­nit à bon prix des brames à La Lou­vière et Cla­becq, mais le groupe russe envi­sage de créer, d’ici 2012, en Rus­sie, un sixième haut-four­neau capable de rem­pla­cer celui de Car­sid. Par ailleurs, confor­mé­ment aux accords conclus, NLMK a l’opportunité de rache­ter, en décembre 2010, la par­ti­ci­pa­tion de Dufer­co dans SIF et donc de deve­nir seul maitre à bord pour gérer les sites wal­lons. Cette pers­pec­tive pour­rait conve­nir à Dufer­co enclin à diver­si­fier ses acti­vi­tés hors SIF, via sa filiale Car­sid Déve­lop­pe­ment, dans l’énergie, l’environnement et l’immobilier.

La reprise en main de SIF par NLMK ne signi­fie­rait tou­te­fois pas son retrait de Wal­lo­nie. NLMK a tout inté­rêt, du moins pour le moment, à s’offrir un débou­ché pour ses brames en ali­men­tant — à hau­teur de 1,9 mil­lion de tonnes pour 2010 — les lami­noirs de La Lou­vière et de Cla­becq. L’inquiétude se fait tou­te­fois sen­tir à La Lou­vière : le 26 mai, une grève et une mani­fes­ta­tion ont mar­qué la volon­té des tra­vailleurs de voir concré­ti­ser les inves­tis­se­ments des­ti­nés à conso­li­der la filière des pro­duits longs et assu­rer le main­tien du centre de dis­tri­bu­tion de Manage au sein de SIF. Si, à cet égard, les inten­tions de la direc­tion ne sont pas encore connues, l’approvisionnement de La Lou­vière pour ses pro­duits plats (des tôles pour l’automobile affi­nées dans les filiales fran­çaises) est assu­ré. Enfin, en ce qui concerne le site de Cla­becq, un inves­tis­se­ment de 100 mil­lions d’euros per­met­tra d’y lami­ner dès avril 2011, des tôles minces à haute élas­ti­ci­té et résis­tantes à l’abrasion, ouvrant ain­si à l’entreprise un mar­ché prometteur.

Quel avenir à moyen terme ?

Si la sidé­rur­gie a un ave­nir en Wal­lo­nie, c’est sans doute dans la pro­duc­tion de tôles à froid à haute valeur ajou­tée, revê­tues et pré­la­quées, à déve­lop­per par AM à Liège (le pro­jet Arceo de revê­te­ment sous vide) et SIF à Cla­becq sans oublier les pro­duits de qua­li­té de La Lou­vière. D’une manière ou d’une autre, la Région wal­lonne sera sol­li­ci­tée pour, à défaut de sub­sides, accor­der des prêts et d’autres avan­tages à AM et SIF. C’est que les par­te­naires y ont inté­rêt, que ce soit dans l’aval de la sidé­rur­gie à froid pour les deux groupes ou dans le main­tien d’un emploi impor­tant dans les bas­sins de Liège et du Hai­naut pour le gou­ver­ne­ment wal­lon. Quant aux outils de la phase à chaud (et notam­ment les hauts four­neaux et les lami­noirs à chaud), même à cout de pro­duc­tion réduit, leur acti­vi­té à moyen terme n’est indis­pen­sable ni à AM ni à SIF pour conso­li­der la pro­duc­tion de tôles à froid. Les deux groupes dis­posent, en Europe, de suf­fi­sam­ment de hauts four­neaux et de lami­noirs capables d’assurer cet objec­tif. Donc, s’il y a des espoirs à Liège, il faut recon­naitre que, pour la phase à chaud, ils res­tent fra­giles et limi­tés dans le temps. Quant à l’avenir de Car­sid à Char­le­roi, il paraît de plus en plus condi­tion­né par une réno­va­tion de la coke­rie et par une réduc­tion des couts de pro­duc­tion, mais sans cer­ti­tude que cela convien­drait à NLMK. Les syn­di­ca­listes sont bien conscients de ces pro­blèmes. Il leur revient, et ce n’est pas une mince affaire, d’œuvrer pour que l’effort d’innovation à déve­lop­per par les deux mul­ti­na­tio­nales débouche sur de nou­veaux pro­duits créa­teurs d’emplois dans le res­pect accru des normes envi­ron­ne­men­tales européennes.

  1. « Atouts et défis de l’acier wal­lon au XXIe siècle », Laplace Conseil-Soge­pa, 18 novembre 2009. Les don­nées de ce rap­port devraient sans doute être actua­li­sées compte tenu des effets de la réces­sion en 2009.
  2. Au niveau euro­péen, le groupe AM a bien tiré pro­fit des quo­tas CO2 octroyés en 2009, du fait de leur sous-uti­li­sa­tion et d’une revente sur le mar­ché qui lui aurait rap­por­té, au bas mot, quelque 80 mil­lions d’euros.
  3. Fr. Degée, inter­view dans Le Soir, 21 – 22 novembre 2009.
  4. SIF estime qu’à l’heure actuelle le cout de pro­duc­tion de Car­sid dépasse de 80 euros la brame le prix des brames four­nies par NLMK.

Michel Capron


Auteur

Michel Capron était économiste et professeur émérite de la Faculté ouverte de politique économique et sociale ([FOPES) à l'Université catholique de Louvain.