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La sidérurgie en Hainaut laminée par la crise

Numéro 12 Décembre 2012 par Michel Capron

décembre 2012

En l’espace de quelques mois, l’industrie sidé­rur­gique en Hai­naut vient d’encaisser de nou­veaux chocs très éprou­vants. Outre la fer­me­ture défi­ni­tive de Car­sid à Mar­ci­nelle (début 2013) actée début aout 2012, ce sont les sites conjoints de NLMK et Dufer­co à La Lou­vière qui viennent d’être secoués par une restruc­tu­ra­tion sans pré­cé­dent : les deux groupes ont annon­cé le […]

En l’espace de quelques mois, l’industrie sidé­rur­gique en Hai­naut vient d’encaisser de nou­veaux chocs très éprou­vants. Outre la fer­me­ture défi­ni­tive de Car­sid à Mar­ci­nelle (début 2013) actée début aout 2012, ce sont les sites conjoints de NLMK et Dufer­co à La Lou­vière qui viennent d’être secoués par une restruc­tu­ra­tion sans pré­cé­dent : les deux groupes ont annon­cé le 25 octobre la perte de 601 emplois sur 1357 (NLMK occu­pait 904 per­sonnes pour les pro­duits plats et Dufer­co pro­duits longs — Dufer­co Long Pro­ducts — en occu­pait 453). On observe, ces temps-ci, que les dégâts sociaux de la réces­sion se pro­pagent dans tous les sec­teurs, les plus fortes pertes d’emplois concer­nant cepen­dant l’industrie lourde, sidé­rur­gie ou construc­tion auto­mo­bile. Pour le Hai­naut, Car­sid et La Lou­vière témoignent des stra­té­gies mises en œuvre par deux groupes sidé­rur­giques mul­ti­na­tio­naux pour mini­mi­ser les effets néfastes de la réces­sion. Sans sur­prise ce sont, une fois de plus, les tra­vailleurs de la sidé­rur­gie qui sont très lour­de­ment touchés.

La fin de Carsid

C’est le 28 mars 2012 qu’A. Goz­zi, le patron de Car­sid, a annon­cé l’intention du groupe Dufer­co de fer­mer ce haut-four­neau, son agglo­mé­ra­tion et sa cou­lée conti­nue, faute d’avoir pu trou­ver un repre­neur indus­triel1. Au cours de la pre­mière phase de la pro­cé­dure Renault, les syn­di­cats n’ont pas ména­gé leur peine, à tra­vers de mul­tiples démarches2 et la recherche de solu­tions alter­na­tives, notam­ment via des hypo­thèses d’éventuelles syner­gies avec Ape­ram (pour satu­rer le train à large bande de Car­lam) ou AM-Indus­teel ou d’implantation sur le site d’une nou­velle acié­rie élec­trique. Aucune de ces pro­po­si­tions n’a abou­ti, si bien que, début juillet, la direc­tion de Car­sid accen­tue la pres­sion sur les orga­ni­sa­tions syn­di­cales afin de clore la phase 1 de la pro­cé­dure Renault. Elle agite la menace de la mise en faillite de Car­sid si l’on ne passe pas rapi­de­ment à la phase 2, c’est-à-dire au plan social.

En contre­par­tie, la direc­tion de Car­sid fait état d’un mini-plan indus­triel sus­cep­tible de concer­ner quelque 250 emplois, mais sans relance du haut-four­neau ni implan­ta­tion d’une acié­rie élec­trique3. Il s’agirait en fait de trans­fé­rer sur le site de Car­sid le lami­noir de Giam­mo­ro (à Mes­sine), conçu pour lami­ner des pro­duits longs de grande sec­tion, mais se trou­vant en situa­tion de sous-uti­li­sa­tion chro­nique. Le trans­fert pour­rait s’effectuer dans un délai de deux à trois ans, l’objectif étant de satu­rer le four élec­trique de La Lou­vière et d’étendre la gamme des pro­duits longs à haute valeur ajou­tée offerts par Dufer­co La Lou­vière. Cette « solu­tion » a ren­con­tré une nette méfiance chez les syn­di­cats dans la mesure où elle ne répon­dait que très par­tiel­le­ment et à moyen terme à leur exi­gence de main­tien immé­diat d’une acti­vi­té sidé­rur­gique signi­fi­ca­tive sur le site. La récente restruc­tu­ra­tion opé­rée en pro­fon­deur chez Dufer­co La Lou­vière fin octobre a défi­ni­ti­ve­ment réduit ce pro­jet à néant.

À la suite des pres­sions exer­cées par la direc­tion de Car­sid (en l’occurrence la mise en liqui­da­tion), les négo­cia­tions rela­tives au volet social n’ont pas trai­né et, le 2 aout 2012, les assem­blées des tra­vailleurs ont adop­té le volet social auquel Dufer­co consa­cre­ra 80 mil­lions d’euros et qui enté­rine le licen­cie­ment défi­ni­tif de tous les tra­vailleurs le 1er jan­vier 2013.

Les res­pon­sables syn­di­caux de Car­sid se sont tou­te­fois trou­vés expo­sés à une double pres­sion : outre celle de la direc­tion, c’est aus­si, d’abord des rangs des employés, puis des ouvriers, qu’est venue la reven­di­ca­tion de plus en plus pres­sante d’en finir et d’obtenir des condi­tions de pré­pen­sion et de primes de départ cor­rectes. Cela peut se com­prendre : il ne faut pas oublier que, depuis la mi-novembre 2008, les tra­vailleurs de Car­sid sont sou­mis à un régime de chô­mage éco­no­mique qui pèse à la fois sur leurs reve­nus et sur leur com­ba­ti­vi­té. Ce sont d’abord les employés qui ont accep­té le volet social qui leur garan­tit les avan­tages liés à la grille Claeys, avan­tages qu’ils auraient per­dus en cas de mise en liqui­da­tion. Les ouvriers ont sui­vi, adop­tant à 75% un volet social qui garan­tit la pré­pen­sion à cin­quante-deux ans pour 440 per­sonnes. Les plus jeunes quit­te­ront Car­sid avec une prime de départ variant de 10.000 euros à 23.000 euros nets en fonc­tion de l’ancienneté. Les pré­avis ne seront envoyés que fin décembre et, d’ici là, le com­plé­ment patro­nal de chô­mage sera majo­ré de quelque 35 euros par jour et les tra­vailleurs rece­vront une demi-prime de fin d’année.

Qu’en est-il des pos­si­bi­li­tés de reclas­se­ment ? Des pistes ont été évo­quées, mais appa­rem­ment sans guère de suite pour le moment, chez AM-Indus­teel ou Thy-Mar­ci­nelle, voire chez Dufer­co-Diver­si­fi­ca­tion, la filiale dédiée à l’environnement. Les pré­pen­sion­nés devront d’abord pas­ser six mois dans les cel­lules de recon­ver­sion4 avant de pou­voir effec­ti­ve­ment béné­fi­cier de leur pré­pen­sion (deve­nue (« chô­mage avec com­plé­ment »); les plus jeunes seront aidés dans ces mêmes cel­lules de recon­ver­sion (au nombre de huit) dès début jan­vier 2013, en béné­fi­ciant d’aides à la recon­ver­sion ou de for­ma­tions adap­tées à leurs éven­tuels futurs pro­jets professionnels.

La fin de Car­sid laisse un gout amer aux tra­vailleurs et aux syn­di­ca­listes. Ces der­niers estiment notam­ment que les pou­voirs publics wal­lons sont loin d’avoir fait, comme pour Arce­lor­Mit­tal (AM)-Liège, le maxi­mum pour ten­ter de déga­ger des solu­tions alter­na­tives. Alors que les pertes d’emplois directes chez Car­sid (pour rap­pel : 1.004 emplois per­dus) attei­gnaient presque le double des pertes ini­tiales dans la phase à chaud d’AM-Liège, les sidé­rur­gistes caro­los estiment avoir été trai­tés en parents pauvres, et ce sen­ti­ment de dis­cri­mi­na­tion leur res­te­ra encore long­temps en tra­vers de la gorge.

De lourdes restructurations à La Louvière

L’entité sidé­rur­gique de La Lou­vière offre la par­ti­cu­la­ri­té de regrou­per sur un même site des outils appar­te­nant à deux groupes mul­ti­na­tio­naux : le russe Novo­li­petsk Steel (NLMK) et l’italo-suisse Dufer­co qui pro­duisent, le pre­mier des aciers plats pour revê­te­ment dans deux filiales en France (Beau­tor pour l’électrozingage et Stras­bourg pour la pein­ture) et le second des aciers longs (essen­tiel­le­ment du fil machine) dont la filiale Dufer­co Tre­bos consti­tue le pôle tré­fi­le­rie. Pour com­prendre cette situa­tion un peu inédite, il faut remon­ter quelques années en arrière. En décembre 2006 est conclue une alliance (une joint ven­ture) à pari­té entre Dufer­co et NLMK : c’est le hol­ding SIF (Steel Invest and Finance) basé à Luxem­bourg, qui contrôle notam­ment, outre les filiales belges de Dufer­co (La Lou­vière, Car­sid et Cla­becq), ses deux filiales fran­çaises et une filiale ita­lienne (Vero­na Steel). Cette alliance a per­mis à Dufer­co de béné­fi­cier d’apports finan­ciers de NLMK en vue de réa­li­ser son pro­gramme d’investissements pour les années à venir.

Tou­te­fois, une clause du contrat sti­pu­lait qu’à par­tir de fin 2010 NLMK pou­vait reprendre les avoirs déte­nus par SIF. Face aux pertes récur­rentes de Car­sid et de La Lou­vière, NLMK exé­cute cette clause en avril 2011 en repre­nant, à l’issue de la dis­so­lu­tion de SIF, Cla­becq et les pro­duits plats de La Lou­vière ain­si que les deux centres de ser­vices acier de Manage et Jemappes. Pour sa part, Dufer­co garde Car­sid, les pro­duits longs de La Lou­vière5 et la tré­fi­le­rie de Tre­bos. On connait la suite : Dufer­co trans­fère Car­sid vers sa filiale Dufer­co Diver­si­fi­ca­tion et inves­tit pour 100 mil­lions d’euros dans la moder­ni­sa­tion des outils de la branche pro­duits longs qui souf­frait de sous-inves­tis­se­ment chro­nique. Il s’ensuit éga­le­ment une sépa­ra­tion d’avec les outils déte­nus par NLMK, ain­si que de mul­tiples pro­blèmes liés aux sta­tuts des tra­vailleurs des deux enti­tés. Fina­le­ment, NLMK et Dufer­co main­tiennent une uni­té com­mune de ges­tion des res­sources humaines. Tou­te­fois, mal­gré les inves­tis­se­ments de part et d’autre, la dépres­sion du mar­ché de l’acier en Europe de l’Ouest engendre rapi­de­ment de nou­velles pertes finan­cières. Si bien que, le 12 sep­tembre, les syn­di­cats obtiennent des conseils d’entreprise où les direc­tions des deux groupes confirment les craintes des tra­vailleurs. Invo­quant la mau­vaise conjonc­ture éco­no­mique, A. Goz­zi confirme qu’un plan de réor­ga­ni­sa­tion de Dufer­co Long Pro­ducts est en ges­ta­tion et NLMK annonce sa volon­té de réduire les couts. Les deux direc­tions pré­fèrent tou­te­fois tem­po­ri­ser et attendre les der­niers mois de l’année où la réduc­tion des com­mandes engen­dre­ra du chô­mage éco­no­mique et dimi­nue­ra d’autant les marges d’action des syn­di­cats une fois les restruc­tu­ra­tions annon­cées. À ce moment, Dufer­co occupe 453 tra­vailleurs et NLMK, 904.

L’inquiétude gran­dit par­mi les tra­vailleurs quand, le 18 octobre, NLMK et Dufer­co annoncent des plans sévères d’économies. C’est que NLMK estime à 100 mil­lions d’euros les pertes à La Lou­vière pour 20126, du fait de la crise du sec­teur auto­mo­bile. Chez Dufer­co Long Pro­ducts, la perte annuelle est esti­mée pour 2012 à quelque 35 mil­lions d’euros, l’aciérie élec­trique et le train à fil fonc­tion­nant à moins de 50% de leurs capa­ci­tés. Le 25 octobre, deux conseils d’entreprise extra­or­di­naires sont convo­qués. Les syn­di­cats estiment qu’existe déjà un pro­gramme de pré­pen­sion en cours et que l’on peut trou­ver des alter­na­tives : exter­na­li­sa­tion de cer­tains ser­vices, pro­po­si­tion de départs volon­taires avec prime, voire ins­tau­ra­tion d’un chô­mage éco­no­mique de longue durée. Ils ne semblent donc pas redou­ter de licen­cie­ments collectifs.

Puis c’est la douche froide bru­tale : la direc­tion des res­sources humaines annonce des chiffres de pertes d’emplois catas­tro­phiques, même si les deux groupes n’ont pas encore enclen­ché de pro­cé­dure Renault. Chez NLMK, les effec­tifs seront rame­nés à 475 tra­vailleurs, soit 429 pertes d’emplois ; chez Dufer­co, on pas­se­ra à 281 per­sonnes, soit une perte de 172 emplois. C’est donc près de la moi­tié des emplois qui vont dis­pa­raitre. Les délé­gués syn­di­caux ont immé­dia­te­ment inter­rom­pu les conseils d’entreprise et rom­pu les dis­cus­sions pour infor­mer les tra­vailleurs, pro­vo­quant un arrêt de tra­vail immé­diat chez NLMK et blo­quant l’accès aux deux sites7, tan­dis que le per­son­nel de Dufer­co est en chô­mage éco­no­mique jusqu’au 5 novembre. Les direc­tions des deux entre­prises ont deman­dé une entre­vue urgente à Elio Di Rupo et Rudy Demotte pour les infor­mer de la gra­vi­té de la crise. Cela étant, le tra­vail a repris le 26 octobre chez NLMK. Les négo­cia­tions devraient démar­rer dans les pro­chains jours, les deux direc­tions se don­nant jusque fin novembre pour mettre au point un plan sus­cep­tible d’assurer leur sur­vie, au moins à court terme. Côté syn­di­cal, après la vive sur­prise et la colère, ouvriers FGTB et employés Set­ca reven­diquent un plan indus­triel à cinq ans et des enga­ge­ments finan­ciers des deux groupes pour conso­li­der les acti­vi­tés exis­tantes. Les syn­di­cats refusent tout licen­cie­ment, leur pré­fé­rence allant, comme annon­cé, vers les solu­tions alter­na­tives qu’ils ont préconisées.

Dans le cas de NLMK La Lou­vière et de Dufer­co Long Pro­ducts, l’on se trouve au point de départ de négo­cia­tions qui s’annoncent très dif­fi­ciles, une des ques­tions étant notam­ment de savoir si les diri­geants des deux entre­prises sont prêts à finan­cer les alter­na­tives pro­po­sées par les syn­di­cats ou s’ils optent pour un licen­cie­ment col­lec­tif sec. Une fois de plus, il y a urgence pour ten­ter de sau­ver ce qui peut encore l’être et d’éviter que, à court terme, on ne se dirige vers une fer­me­ture, par­tielle ou totale, des deux entre­prises. Il est en effet assez évident que l’on voit mal fonc­tion­ner celles-ci effi­ca­ce­ment avec un per­son­nel ampu­té de moi­tié, même si les coupes sombres dans le per­son­nel « sou­lagent » d’autant les couts de Dufer­co et NLMK. Il reste à espé­rer qu’une concer­ta­tion sociale cor­recte et l’éventuelle inter­ven­tion de cel­lules de recon­ver­sion puissent venir limi­ter quelque peu les effets néfastes de cette double restruc­tu­ra­tion. Aux syn­di­cats de lut­ter pour obte­nir effec­ti­ve­ment un plan indus­triel valable, mais aus­si, si néces­saire, un plan social au moins équi­valent à celui qu’ont obte­nu leurs cama­rades de Carsid.

28 octobre 2012 

  1. Cf. M. Capron, « Car­sid Char­le­roi : nou­veau coup dur pour la sidé­rur­gie en Wal­lo­nie », La Revue nou­velle, mai-juin 2012, p. 12 – 15. Début mai, un der­nier can­di­dat repre­neur, le groupe indien Jin­dal Steel & Power, a lui aus­si renon­cé : son inten­tion était mani­fes­te­ment de déman­te­ler le haut-four­neau pour le recons­truire sous des cieux émergents.
  2. Une énu­mé­ra­tion des démarches effec­tuées entre mars et fin mai 2012 est pré­sen­tée par la CSC-Metea régio­nale dans sa bro­chure « Car­sid », col­loque du 22 mai 2012, p. 7. 
  3. Le Soir, 9 juillet 2012.
  4. Ces cel­lules ont été mises en place par l’intermédiaire de l’organisme Tech­no­fu­tur loca­li­sé sur l’aéropôle de Gos­se­lies, avec accom­pa­gne­ment des tra­vailleurs par le bureau d’outplacement Ascento.
  5. En fait, le four élec­trique de Dufer­co pro­duit à la fois, via deux cou­lées conti­nues, d’une part des billettes (demi-pro­duits longs) lami­nées en fil machine par le train à fil, et des pal­planches (pro­duits longs légers); en outre, en ver­tu d’un contrat avec NLMK, il peut éga­le­ment pro­duire d’autre part pour 300.000 tonnes de brames (demi-pro­duits plats) jusqu’en 2014. La pro­duc­tion totale du four est cepen­dant en dimi­nu­tion de 15 % par rap­port à l’année précédente.
  6. Avec une pro­duc­tion de tôles lami­nées (à par­tir des brames four­nies à bon compte par NLMK) réduite à 1,2 mil­lion de tonnes pour une capa­ci­té de 2,6 mil­lions de tonnes.
  7. Un arrêt de tra­vail de soli­da­ri­té a été obser­vé chez NLMK Clabecq.

Michel Capron


Auteur

Michel Capron était économiste et professeur émérite de la Faculté ouverte de politique économique et sociale ([FOPES) à l'Université catholique de Louvain.