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La saison du burkini est compromise

Numéro 4 – 2020 - Burkini Covid-19 crise par Anathème

juin 2020

On ne compte plus les moments forts que la pan­dé­mie de Covid-19 nous aura fait man­quer. Le concert que vous atten­diez depuis des mois. La fête sco­laire de votre petit der­nier. Le car­na­val de votre vil­lage (il s’en tient jusqu’au mois de juin) ou la pro­ces­sion de votre paroisse. Le 1er mai du MR. Même […]

Billet d’humeur

On ne compte plus les moments forts que la pan­dé­mie de Covid-19 nous aura fait man­quer. Le concert que vous atten­diez depuis des mois. La fête sco­laire de votre petit der­nier. Le car­na­val de votre vil­lage (il s’en tient jusqu’au mois de juin) ou la pro­ces­sion de votre paroisse. Le 1er mai du MR. Même votre mariage ou vos éven­tuelles funé­railles sont menacés.

C’est tout un rythme social qui se trouve ain­si bou­le­ver­sé, avec de cruelles réper­cus­sions pour un large panel de pro­fes­sions. Que vont faire ces jour­na­listes de leur dos­sier annuel sur les francs-maçons ou sur le prix de l’immobilier dans le Bra­bant wal­lon ? Et que dire de ces chro­ni­queuses beau­té qui s’apprêtaient à jouer sur les com­plexes de leurs lec­trices pour leur vendre leurs conseils en vue de pré­pa­rer leur beach body ? Et com­ment ne pas com­pa­tir avec ces poli­tiques qui pré­pa­raient déjà la sai­son du bur­ki­ni, four­bis­sant leurs pro­fondes réflexions sur les tenues appro­priées pour se bai­gner et sur la lon­gueur maxi­male de la tenue d’une femme libre et épa­nouie ? Et com­ment ne pas s’inquiéter du désar­roi des Cas­sandre du Grand Rem­pla­ce­ment, aujourd’hui pri­vés de toute audience quand ils nous affirment que les cir­cu­la­tions qui nous menacent sont celles de misé­rables hères en quête de paix ou d’un peu de pain ? Sans par­ler de la tris­tesse des mili­taires errant dans des gares vides, pour faire sem­blant de nous pro­té­ger du ter­ro­risme, sans plus le moindre spectateur.

Quelle angoisse de prendre conscience de l’imprévisibilité totale de l’avenir. Qui peut jurer que le dos­sier « ren­trée sco­laire » n’est pas mena­cé, lui aus­si ? Qui ose­rait affir­mer qu’il sera pos­sible d’aller dans les classes inter­ro­ger des enfants de six ans pour savoir s’ils aiment déjà leur Madame ou s’ils n’ont pas trop peur dans la cour des grands ? Qui peut pré­voir s’il fau­dra écrire sur la lutte contre les bour­re­lets gagnés au cours du confi­ne­ment ou sur le maquillage des traces occa­sion­nées au bron­zage par le port du masque ? Qui sait s’il sera pos­sible d’accuser les musul­mans de pro­pa­ger le virus en se réunis­sant secrè­te­ment pour fêter la rup­ture du jeûne du Rama­dan au mépris de toute dis­tan­cia­tion sociale ? Qui pour­rait nous assu­rer que l’invasion par les Jaunes et leurs virus syn­thé­tiques fera autant recette que la fin de notre civi­li­sa­tion, ter­ras­sée par quelques mil­liers de Syriens ? Qui ose­rait parier sur le suc­cès média­tique de rondes mili­taires pour dis­tri­buer des masques FFP2 non conformes ?

C’est toute une éco­no­mie du mar­ron­nier qui est mena­cée, tout un four­bi de rodo­mon­tades, tout un écha­fau­dage de faux-sem­blants qui menacent de s’effondrer… Et, avec eux, vacillent les repères de notre socié­té : l’audience sur les réseaux sociaux, l’accès pri­vi­lé­gié aux mati­nales des radios, les stra­té­gies fon­dées sur les coups de com’, la hié­rar­chie des cou­leurs et des dou­leurs, la pano­plie des sauveurs…

Que devien­drons-nous si, à jamais, les vieilles dames, dans le tram, fré­mis­saient plus à la vue d’un qua­ran­te­naire en cos­tume ne por­tant pas de masque buc­cal qu’à celle d’une femme emmi­tou­flée d’un voile ? Une fois la pan­dé­mie pas­sée, si tant est qu’elle passe, qu’adviendra-t-il de notre modèle de socié­té si nous ne reve­nons pas à la nor­ma­li­té, si nous ne retrou­vons pas la ras­su­rante cha­leur de nos névroses, obses­sions, fausses nou­velles et burn-out ? Qu’adviendra-t-il de nous ?

Nous met­trons-nous à nous pré­oc­cu­per sérieu­se­ment du dérè­gle­ment cli­ma­tique, de la chute de la bio­di­ver­si­té, de l’avenir d’une éco­no­mie fon­dée sur la sur­con­som­ma­tion ? La popu­la­tion se tour­ne­ra-t-elle vers le savoir ? Exi­ge­ra-t-elle une gou­ver­nance fon­dée sur l’anticipation des risques, voire une socié­té fon­dée sur la mesure et la pru­dence ? Qu’adviendrait-il alors de tous les star­tu­peurs, hommes pro­vi­den­tiels cumu­lards, stars des réseaux sociaux, édi­to­ria­listes en vue et experts média­tiques en tout ?

Il faut prendre la mesure de la gra­vi­té de la situa­tion : c’est tout un modèle social, éco­no­mique et média­tique qui est mis en dan­ger par la pan­dé­mie. Plus que jamais, nos valeurs fon­da­men­tales sont mena­cées par la rela­ti­vi­sa­tion des risques mor­tels pour nos valeurs que nous avions mis si long­temps à écha­fau­der. Une civi­li­sa­tion est-elle sur le point de disparaitre ?

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s'est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd'hui le regard lucide d'un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes. Son expérience du pouvoir l'incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d'ordre dans ce monde qui va à vau-l'eau.