Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

La Revue nouvelle, bientôt la fin ?

Numéro 3 mai 2023 par Christophe Mincke

mai 2023

La Revue nou­velle fut fon­dée alors que la deuxième guerre mon­diale n’était pas ter­mi­née. On se bat­tait encore et la Bel­gique était à peine libé­rée, le papier était sévè­re­ment ration­né, les plaies étaient béantes, et pour­tant, quelques intel­lec­tuels ont eu la convic­tion qu’un des besoins les plus pres­sants à satis­faire était de pen­ser. L’Europe serait encore long­temps confron­tée aux tota­li­ta­rismes, à l’Est, bien sûr, mais aus­si à l’Ouest, en Espagne et au Por­tu­gal, et puis au Sud, dans les empires colo­niaux… Il fal­lait penser !

Éditorial

La Revue nou­velle fut fon­dée alors que la deuxième guerre mon­diale n’était pas ter­mi­née. On se bat­tait encore et la Bel­gique était à peine libé­rée, le papier était sévè­re­ment ration­né, les plaies étaient béantes, et pour­tant, quelques intel­lec­tuels ont eu la convic­tion qu’un des besoins les plus pres­sants à satis­faire était de pen­ser. L’Europe serait encore long­temps confron­tée aux tota­li­ta­rismes, à l’Est, bien sûr, mais aus­si à l’Ouest, en Espagne et au Por­tu­gal, et puis au Sud, dans les empires colo­niaux… Il fal­lait penser !

Que pen­ser ? Telle n’était sans doute pas la ques­tion, tant c’était le fait même de pen­ser qui signa­lait le retour aux valeurs fon­da­men­tales de la démo­cra­tie. La Revue nou­velle est née sous ces aus­pices. Depuis 1945, elle n’a ces­sé de paraitre. Elle a été le témoin des bou­le­ver­se­ments de la deuxième moi­tié du XXe, puis du XXIe siècle nais­sant : déco­lo­ni­sa­tions, dés­in­dus­tria­li­sa­tion, mou­ve­ments d’émancipation (des femmes, des mino­ri­tés sexuelles, des per­sonnes raci­sées, etc.), révo­lu­tion sexuelle, fédé­ra­li­sa­tion, émer­gence de la pen­sée envi­ron­ne­men­ta­liste, etc.

Depuis 1945, la Revue est un chan­tier. Des cen­taines d’intellectuel·les s’y sont croisé·es et suc­cé­dé, débat­tant, s’opposant, se confor­tant, évo­luant… La Revue d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier, encore moins celle d’avant-hier, c’est parce qu’elle vit ! Le monde a chan­gé, nos ques­tions ont évo­lué, les défis aux­quels nous fai­sons face aus­si. La Revue a su évo­luer, se diver­si­fier, se fémi­ni­ser, écou­ter de nou­veaux publics. Une seule chose n’a pas varié : son exi­gence vis-à-vis des auteur·ices, mais aus­si des lecteur·ices. Le pari de la faci­li­té n’est pas le sien.

Pour­quoi ? Parce que nous croyons en l’intelligence humaine, en sa capa­ci­té à sor­tir par le haut des ornières dans les­quelles nous ne ces­sons de tom­ber. C’est un tra­vail de Sisyphe, certes, mais c’est aus­si le signe de la condi­tion humaine. Nous ne par­lons jamais de nous, nous ne sommes pas là pour ça… Mais aujourd’hui, il nous faut peut-être le faire.

La Revue nou­velle, ce sont deux salarié·es sans qui rien ne serait pos­sible : Marie-Sophie du Mon­tant (rédac­trice en chef) et Ollie Raher (secré­taire de rédac­tion). Iels sont les che­villes ouvrières de la Revue. Autour d’elleux, gra­vitent des dizaines d’auteur·ices, de membres du comi­té de rédac­tion… et deux codi­rec­teurs. Pour elleux, aucune autre rému­né­ra­tion que le plai­sir de faire la Revue, la satis­fac­tion de main­te­nir le pro­jet en vie, la conscience aigüe de la néces­si­té, pour une socié­té, de se réflé­chir. Certain·es écrivent depuis des décen­nies, d’autres nous ont rejoint il y a quelques mois.

Le prix de la Revue, c’est celui-là : énor­mé­ment de tra­vail béné­vole, des couts sala­riaux et le prix de fabri­ca­tion de l’objet que vous tenez en main (ou du site que vous consul­tez). Mais les choses sont telles, dans notre petite terre fran­co­phone aux limites du monde ger­ma­nique, que nous ne pour­rions sup­por­ter ces très modestes couts sans sou­tien public.

Or, deux élé­ments sont venus per­tur­ber le cours des choses. D’une part, 2022 a été mar­quée par une très bru­tale hausse des couts, du fait d’une infla­tion galo­pante. D’autre part, le sou­tien que nous rece­vons de la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles n’a, lui, pas été adap­té. Nous voi­là donc en dif­fi­cul­tés financières.

Mais une pro­messe nous fai­sait espé­rer : celle de la ministre Linard (Eco­lo) de veiller à l’adoption d’un décret sta­bi­li­sant notre finan­ce­ment. Après une longue attente, l’avant-projet nous est par­ve­nu. Quelle décep­tion ! Si l’on nous affran­chis­sait bien d’un pla­fond impo­sé par l’Union euro­péenne aux revues com­mer­ciales – enfin ! – rien n’était pré­vu pour adap­ter notre finan­ce­ment à l’évolution des couts de la vie ! En effet, l’enveloppe consa­crée aux pério­diques non com­mer­ciaux ne devrait être indexée qu’à par­tir de 2024… Cela signi­fie que la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles réduit de fac­to notre dota­tion de plus de 20 % ! Or, nous ne pou­vons sur­vivre sans la prise en compte, au mini­mum, de l’inflation des années 2022 et 2023. Il s’agit d’un mon­tant d’environ 100 000 €, ce qui, à l’échelle du bud­get de la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles est une paille ! Mais cette paille est essen­tielle pour nous qui vivons de peu… Pour être clair, si la pro­po­si­tion actuelle est adop­tée, la Revue ces­se­ra de paraitre dans deux ans…

En outre, le sys­tème de l’enveloppe fer­mée est main­te­nu, avec pour consé­quence que tout nou­vel arri­vant dans le sys­tème d’aide devrait se sol­der par l’éviction d’un autre média… même si aucun reproche ne peut lui être fait… Bref, le sou­tien aux revues com­mer­ciales est par­ci­mo­nieux et intro­duit une concur­rence entre les titres de presse soutenus.

Les dis­cus­sions avec le cabi­net Linard sont enta­mées et nous avons déjà pu obte­nir des avan­cées signi­fi­ca­tives, mais ces ver­rous demeurent. Nous vou­lons croire que les lignes bou­ge­ront encore et que la ministre Linard accep­te­ra de plai­der la cause des revues non com­mer­ciales au gou­ver­ne­ment, pour que l’enveloppe bud­gé­taire soit rééva­luée du mon­tant déri­soire qui nous per­met­tra de conti­nuer de paraitre. Des obs­tacles poli­tiques ? À notre connais­sance, aucun des par­tis de la majo­ri­té ne sou­haite la fin de titres tels que la Revue nou­velle… Même dans l’opposition, Les Enga­gés et le PTB nous ont déjà témoi­gné leur sou­tien… On ne voit pas ce qui pour­rait empê­cher la ministre de tenir sa pro­messe d’assurer notre avenir.

Ces lignes, nous les écri­vons la mort dans l’âme, nous qui tra­vaillons tous les jours, la plu­part béné­vo­le­ment, pour que paraisse la Revue… Notre publi­ca­tion n’a pas pour but de gagner de l’argent, mais d’enrichir notre socié­té démo­cra­tique de débats et de réflexions. Notre plus cher désir est de pou­voir main­te­nir notre enga­ge­ment et, en 2025, de pou­voir fêter les 80 ans d’une Revue tou­jours nouvelle.

Et vous, vous deman­dez-vous peut-être, que pou­vez-vous faire ? Tout d’abord, vous pou­vez conti­nuer de nous lire… vous abon­ner… vous réabon­ner… offrir la Revue, en par­ler autour de vous, l’utiliser comme sup­port de cours, en dis­cu­ter dans votre asso­cia­tion. Chaque nou­vel abon­ne­ment est un pas vers une indé­pen­dance accrue.

Vous pou­vez aus­si par­ta­ger nos com­mu­ni­ca­tions sur les réseaux sociaux. Ils ne sont pas, à notre sens, un des hauts lieux du débat démo­cra­tique, mais ils n’ont pas leur pareil pour faire cir­cu­ler l’information… Or, nous avons besoin de visi­bi­li­té, notam­ment sur notre situation.
Bien enten­du, vous pou­vez éga­le­ment vous adres­ser au monde poli­tique, aux par­tis, à vos représentant·es, pour leur deman­der com­ment on peut étouf­fer len­te­ment un pro­jet plein de vita­li­té, qui ne demande rien que le main­tien d’un sou­tien, somme toute fort modeste.

Déjà, vous nous avez lu·es jusqu’au bout, c’est un bon début. Soyez-en remercié·es !

Christophe Mincke


Auteur

Christophe Mincke est codirecteur de La Revue nouvelle, directeur du département de criminologie de l’Institut national de criminalistique et de criminologie et professeur à l’Université Saint-Louis à Bruxelles. Il a étudié le droit et la sociologie et s’est intéressé, à titre scientifique, au ministère public, à la médiation pénale et, aujourd’hui, à la mobilité et à ses rapports avec la prison. Au travers de ses travaux récents, il interroge notre rapport collectif au changement et la frénésie de notre époque.