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La quête identitaire des socialistes flamands

Numéro 05/6 Mai-Juin 2009 par Lechat Benoît

mai 2009

L’année 2007 res­te­ra long­temps dans la mémoire des socia­listes fla­mands comme celle d’une débâcle élec­to­rale sans pré­cé­dent dans l’histoire de leur par­ti, le SP.A. Quoique déjà enta­mée en 2004 lors des élec­tions régio­nales, son ampleur n’a pas man­qué de sur­prendre. Alors que le par­ti frère fran­co­phone limi­tait la casse à une perte de cinq dépu­tés, le […]

L’année 2007 res­te­ra long­temps dans la mémoire des socia­listes fla­mands comme celle d’une débâcle élec­to­rale sans pré­cé­dent dans l’histoire de leur par­ti, le SP.A. Quoique déjà enta­mée en 2004 lors des élec­tions régio­nales, son ampleur n’a pas man­qué de sur­prendre. Alors que le par­ti frère fran­co­phone limi­tait la casse à une perte de cinq dépu­tés, le par­ti socia­liste fla­mand encais­sait une perte de neuf sièges, décou­lant d’un recul de 25,4% en 2003 à 18,2%. La déroute était sur­tout visible au Sénat où l’absence du lea­der cha­ris­ma­tique Steve Ste­vaert qui avait récol­té pas moins de 600.000 voix en 2003, n’était pas com­pen­sée par un Johan Van de Lanotte qui devait se conten­ter d’un modeste 306.000 voix, loin, très loin des 800.000 voix d’Yves Leterme, la figure de proue de l’époque pour le car­tel CD&V. L’enquête IPSO-KUL réa­li­sée après les élec­tions sur les migra­tions de voix a per­mis d’établir que les trans­ferts de voix du SP.A s’étaient suc­ces­si­ve­ment orien­tés vers le CD&V (87.000 voix), les éco­lo­gistes de Groen ! (68.000 voix), la LDD de Jean-Marie De Decker (62.000 voix) et le par­ti d’extrême droite Vlaams Belang (43.000 voix). L’enquête éta­blis­sait éga­le­ment que le SP.A n’était par­ve­nu qu’à pro­vo­quer l’adhésion de seule­ment 7 à 10% des jeunes élec­teurs de Flandre.

Éphémères télétubbies

Com­ment expli­quer une telle dége­lée ? La même enquête éta­blis­sait en tous les cas que le posi­tion­ne­ment com­mu­nau­taire du SP.A — par­fois jugé trop modé­ré — ne pou­vait réel­le­ment être mis en cause, dans la mesure où seuls 5,4% des élec­teurs ont fait de l’enjeu com­mu­nau­taire la moti­va­tion prio­ri­taire de leur vote. Il fal­lait donc cher­cher ailleurs et notam­ment dans le tra­vail de réflexion enta­mé au len­de­main d’une autre défaite du SP.A, en l’occurrence celle qu’il avait déjà enre­gis­trée lors des élec­tions de 1999 où il avait dû se conten­ter de 15% des voix au Par­le­ment fla­mand. Le pré­sident de l’époque Patrick Jans­sens, par ailleurs ancien publi­ci­taire, avait alors mis en cause le manque de pro­fil clair et son image par trop « gou­ver­ne­men­tale ». Il s’ensuivit une série d’opérations de tra­vail sur l’image du par­ti, en com­men­çant par la conclu­sion d’un accord de car­tel avec la for­ma­tion Spi­rit qui héber­geait une série de trans­fuges de l’ex-Volksunie, ancrée plu­tôt à gauche. Les années du gou­ver­ne­ment arc-en-ciel furent alors mar­quées par une mon­tée de la popu­la­ri­té média­tique du par­ti, avec l’ère de ce qu’on appe­la en Flandre les « télé­tub­bies », au pre­mier rang des­quels émer­gea la figure du Lim­bour­geois Steve Ste­vaert, domi­nant de son aura média­tique les pla­teaux de télé­vi­sion fla­mands, sui­vie par Frank Van­den­broucke, Patrick Jans­sens et Johan Van de Lanotte. Ce fut la période où Steve Ste­vaert par­vint à impo­ser à l’agenda média­tique fla­mand son célèbre dis­cours sur la gra­tui­té, une forme de redis­tri­bu­tion aus­si com­pa­tible avec la poli­tique de baisse des impôts menée au même moment par les ministres libé­raux de la coa­li­tion que simple à com­prendre par les télé­spec­ta­teurs. Cette domi­na­tion média­tique jointe à la sévère défaite des éco­lo­gistes valut au SP.A de se his­ser à la pre­mière place des par­tis fla­mands et le quo­ti­dien de gauche De Mor­gen put titrer « Steve is God » au len­de­main des élec­tions du 18 mai 2003.

Un imperceptible éloignement de la base syndicale

Mais le 25 mai 2005, Steve Ste­vaert annonce sa démis­sion, se reti­rant dans le Lim­bourg, dont il devient gou­ver­neur de pro­vince. Il est alors rem­pla­cé par Johan Vande Lanotte qui doit céder son poste de ministre du Bud­get à la peu expé­ri­men­tée Freya Van den Bossche. Le nou­veau pré­sident se lance alors dans une nou­velle opé­ra­tion de refon­da­tion du par­ti. Il est même ques­tion d’un nou­veau nom (« PRO ») qui rem­pla­ce­rait la réfé­rence au socia­lisme par celle de « pro­gres­sisme ». Le repo­si­tion­ne­ment se mani­feste aus­si sur le ter­rain ins­ti­tu­tion­nel où le SP.A déve­loppe sa reven­di­ca­tion de régio­na­li­sa­tion du mar­ché de l’emploi. Cela n’est pas fait pour plaire au syn­di­cat socia­liste (ABVV/FGTB) qui a éga­le­ment beau­coup de mal à digé­rer le sou­tien appor­té par le par­ti au pacte des géné­ra­tions par Johan Vande Lanotte et sin­gu­liè­re­ment à la remise en cause d’une série de dis­po­si­tions en matière de pré­pen­sions. En 2006, les bons résul­tats des élec­tions com­mu­nales et pro­vin­ciales font un moment illusion.

Mais le tour­nant déci­sif semble inter­ve­nir au cours de ce même automne lorsque le pro­jet « PRO » capote. Car il ne s’agirait pas seule­ment de chan­ger encore l’appellation du par­ti socia­liste, mais éga­le­ment de le réor­ga­ni­ser en trois piliers dans la pers­pec­tive des pro­chaines élec­tions, le pre­mier pilier étant com­po­sé du car­tel SP.A/Spirit, le second d’un cer­tain nombre de can­di­dats d’ouverture, en l’occurrence de « Bekende Vla­min­gen », le troi­sième devant être struc­tu­ré autour du sou­tien d’associations et d’organisations de la socié­té civile sur des points spé­ci­fiques de pro­gramme. Les noms de Green­peace, du Bond Beter Lee­fe­mi­lieu et d’Amnesty Inter­na­tio­nal sont évo­qués, mais très rapi­de­ment le pro­jet échoue, appa­rem­ment, en rai­son de la défec­tion d’une série de grosses poin­tures qui auraient dû pro­ve­nir de ces deux der­niers piliers.

Johan n’est pas Steve

La suite est bien connue. Lors de la cam­pagne pour les élec­tions légis­la­tives de 2007, Van de Lanotte, ne par­vient pas à émer­ger du duel des titans auquel se livrent le VLD et le CD&V. Le fait que le Pre­mier ministre de l’époque Guy Verhof­stadt agite la crainte d’un retour d’une coa­li­tion rouge-romaine et en l’occurrence d’une alliance entre le CD&V et le PS fran­co­phone dont l’image est exé­crable en Flandre, ne joue cer­tai­ne­ment pas en faveur du SP.A. D’autant que sur les bancs de l’opposition fla­mande, les éco­lo­gistes ne se privent pas de cri­ti­quer un SP.A dont le pro­fil social n’est plus suf­fi­sam­ment mar­qué. En effet, c’est même le CD&V qui prend le des­sus sur ce plan en fai­sant une cam­pagne très appuyée sur un ren­for­ce­ment de l’État pro­vi­dence. L’usure du pou­voir d’un par­ti qui est au gou­ver­ne­ment sans dis­con­ti­nuer depuis vingt ans fait le reste. Le 11 juin 2007 au len­de­main de la défaite, Johan Vande Lanotte assume ses res­pon­sa­bi­li­tés et donne sa démis­sion. Il est rem­pla­cé par la jeune Caro­line Gennez.

En plein débat identitaire

Les débats qui ont accom­pa­gné l’élection de la nou­velle pré­si­dente montrent à quel point la ques­tion iden­ti­taire fra­gi­lise le SP.A. Caro­line Gen­nez doit en effet se conten­ter de 66,4% des voix face à un out­si­der Erik De Bruyn qui fait une cam­pagne interne basée sur la défense d’un socia­lisme authen­tique et sur le rejet de l’establishment du par­ti. Depuis sa dési­gna­tion, la nou­velle pré­si­dente a eu fort à faire pour impo­ser son auto­ri­té, sin­gu­liè­re­ment par rap­port au ministre fla­mand de l’Emploi Frank Van den Broucke sou­hai­tant que son par­ti par­ti­cipe à la négo­cia­tion ins­ti­tu­tion­nelle fédé­rale. En outre, elle a été confron­tée à un début de fronde de la part de figures tuté­laires comme celle de Louis Tob­back lorsqu’il a été ques­tion de chan­ger encore une fois le nom du par­ti en « Socia­lis­ten en pro­gres­si­ven anders » pour répondre à la demande de Bert Anciaux, le ministre fla­mand de la Culture, figure encore popu­laire en Flandre. En effet, la défaite de 2007 a entraî­né l’implosion pro­gres­sive de Spi­rit, qui sera suc­ces­si­ve­ment rebap­ti­sé en Vl.Pro puis en SLP (Sociaal-Libe­rale Par­tij) et ver­ra la plu­part de ses figures de proue le déserter.

En ce prin­temps 2009, les son­dages ne sont guère brillants pour le SP.A qui est géné­ra­le­ment tout juste poin­té autour de 14%. Le par­ti ne par­vient pas vrai­ment à se faire entendre dans un pay­sage poli­tique mar­qué par la mon­tée du popu­lisme, qu’il a par­fois un peu ali­men­té dans les années des télé­tub­bies, avec des slo­gans creux du genre « le socia­lisme est ce qui est bon pour les gens ». La seule reven­di­ca­tion mar­quante qu’il soit par­ve­nu à faire entendre est celle de l’organisation d’élections fédé­rales le 7 juin 2009, ce qui pour­rait contri­buer à ren­for­cer une image de par­ti « qui veut être au pou­voir ». Glo­ba­le­ment, le SP.A est confron­té aux mêmes inter­ro­ga­tions exis­ten­tielles que la plu­part des par­tis socia­listes et sociaux-démo­crates d’Europe. Il est éga­le­ment mena­cé sur sa gauche par le PVDA/PTB au dis­cours réso­lu­ment anti­ca­pi­ta­liste. Mais com­ment renouer avec une base popu­laire qui l’a lar­ge­ment délais­sé sans suc­com­ber au fan­tasme d’un retour aux sources d’un socia­lisme que la mon­dia­li­sa­tion et la mon­tée de la thé­ma­tique éco­lo­gique ont ren­du quelque peu obso­lète ? Com­ment aus­si se situer dans l’évolution ins­ti­tu­tion­nelle de la Bel­gique ? Cette ques­tion ne concerne pas le seul SP.A. Elle est cru­ciale pour toute la gauche fla­mande et au-delà pour toute la gauche belge.

Lechat Benoît


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