Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.
La question du « genre » dans les travaux du Pacte pour un enseignement d’excellence
Depuis le traumatisme causé par les résultats des enquêtes Pisa qui ont révélé l’inefficacité du système scolaire de la Fédération Wallonie-Bruxelles en ce qui concerne les performances et l’injustice qui le caractérise en termes de reproduction des inégalités sociales, les responsables politiques se doivent d’intervenir pour améliorer la place de notre Communauté au classement des […]
Depuis le traumatisme causé par les résultats des enquêtes Pisa qui ont révélé l’inefficacité du système scolaire de la Fédération Wallonie-Bruxelles en ce qui concerne les performances et l’injustice qui le caractérise en termes de reproduction des inégalités sociales, les responsables politiques se doivent d’intervenir pour améliorer la place de notre Communauté au classement des pays étudiés à travers le monde. D’où le Pacte d’excellence qui a pour mission d’«identifier les moyens d’atteindre les objectifs d’amélioration des performances de notre système éducatif et de réduction des inégalités qui impactent la réussite1 ». Excellence rime donc avec performance et si les inégalités sont mentionnées dans cet énoncé, seules les inégalités sociales dont l’effet négatif sur les performances est avéré sont prises en compte dans les rapports des groupes de travail pour le Pacte d’excellence.
Les autres inégalités produites à l’école, celles qui sont fondées sur divers motifs de discrimination comme le sexe, l’origine ethnique et culturelle, l’orientation sexuelle, le handicap, reçoivent bien peu d’attention. De là sans doute l’absence parmi les évolutions sociétales relevées dans les textes, de phénomènes marquants comme l’entrée massive et discriminatoire des femmes sur le marché du travail ou les transformations de l’institution familiale dues aux parentalités homosexuelles. Mais le plus grave, c’est que cette cécité aux inégalités empêche d’analyser et de comprendre les subtils mécanismes de discrimination à l’œuvre dans l’école et par conséquent compromet la réalisation des objectifs fixés par le décret Mission de 19972.
Les indicateurs classiques des inégalités scolaires échouent à mesurer les inégalités sexuées si bien que le rapport McKinsey, dont seules deux pages sur trois-cent-cinquante proposent des tableaux ventilés par sexe, peut conclure en toute bonne foi à propos de l’«iniquité de genre » : « Les filles souffrent moins du retard scolaire que les garçons et obtiennent de meilleurs résultats aux évaluations externes3. » Par contre, aucun des quatre groupes de travail ne fournit les données quantitatives pourtant existantes, relatives à la ségrégation horizontale en fonction du sexe dans les orientations et options du secondaire et en particulier dans l’enseignement professionnel où une bonne partie des orientations sont quasi non mixtes.
Cette occultation du sexe dans l’appareil statistique empêche de s’interroger sur les mécanismes de ségrégation qui ont une influence sur les trajectoires des élèves et ultimement sur leur insertion dans le marché du travail. On la retrouve ensuite dans les discours politiques, les médias, les débats publics qui vont in fine conforter l’idée qu’il ne s’agit pas là d’un système discriminatoire, mais d’un problème individuel. Les filles réussissent mieux, mais « elles ne semblent pas “convertir” leur avantage scolaire sur le marché de l’emploi et dans la société4 », conclut le groupe de travail 1 (GT1) dans les deux pages sur deux-cent-vingt-quatre qu’il consacre au genre, attribuant ainsi la responsabilité de la situation aux filles elles-mêmes.
Personnel de terrain et élite techno-pédagogique
Un étrange silence plane sur la féminisation de la profession enseignante. Alors que l’âge est retenu comme variable, les rapports des GT font le choix de ne pas donner la répartition sexuée des enseignants et futurs enseignants aux divers niveaux d’enseignement et aux postes de direction et de promotion. Il eût été utile d’avoir des chiffres récents et d’examiner l’évolution de la répartition sexuée dans la pyramide enseignante (pour rappel on compte plus de 90% de femmes au niveau préscolaire et à peine plus de 10% de femmes professeurs ordinaires dans les universités). En effet, la question de la surreprésentation des femmes aux niveaux ou aux postes moins valorisés se pose avec une acuité nouvelle depuis que les travaux pour le Pacte ont révélé l’«accroissement de la division verticale du travail éducatif entre différents segments professionnels » dans le contexte du passage d’une logique de régulation de type « bureaucratico-professionnelle » à une logique « de pilotage et d’évaluation externe5 ». Il y aurait, d’une part, le personnel enseignant de terrain dont l’autonomie professionnelle serait réduite et, d’autre part, une élite administrative et techno-pédagogique qui aurait en charge la conception, l’encadrement, la gestion et l’évaluation du travail enseignant. Sachant que les enseignantes sont plus nombreuses que les enseignants sur le terrain et que les élites sont majoritairement masculines, nous avons toutes les raisons de nous préoccuper des effets de ces évolutions sur les rapports sociaux de sexe. De toute évidence, le risque est grand que l’écart de salaire et de statut entre les femmes et les hommes ne s’accroisse dans le secteur de l’enseignement.
Pour traiter rigoureusement des inégalités sexuées à l’école, et c’est vrai de toutes les inégalités, il faut tenir compte des conditions concrètes dans lesquelles les acteurs évoluent au sein du système, conditions de travail pour le personnel enseignant et conditions d’apprentissage pour les élèves. Or, de nombreuses recherches dont certaines mentionnées dans les deux pages consacrées au genre du rapport GT1 ont fait apparaitre l’existence d’un traitement différencié des élèves : punitions et attention données à l’élève, attentes, évaluations et jugements des professeurs varient en fonction du sexe, du milieu social et de l’origine ethnique des élèves. À quoi s’ajoute l’enseignement de savoirs biaisés dont les stéréotypes sexistes et racistes ont été critiqués dans les travaux inspirés de théories de genre ou post-coloniales. Le monde de l’enseignement n’a pas suffisamment pris conscience de l’existence de ces processus institutionnels de différenciation sociale et sexuée qui dévalorisent certaines catégories d’élèves et pèsent sur les décisions d’orientation et de relégation. Ce sont là des conditions discriminantes d’apprentissage qui fragilisent nombre de jeunes ou les poussent à des « choix » socialement assignés menant le plus souvent à une position subalterne sur le marché scolaire et du travail. En ne combattant pas ces mécanismes discriminatoires, l’école donne aux élèves une illusion d’égalité qui les empêche de voir dans leur échec ou leur position inférieure au sein du système scolaire autre chose que la preuve de leur incompétence.
Une catégorie d’analyse essentielle
Enfin, la question cruciale pour le futur, dans la perspective d’un Pacte réellement soucieux de réduire les inégalités même si elles n’affectent pas les performances, est celle du traitement du genre. Le genre n’est pas une question secondaire que l’on peut penser à part et reléguer dans un paragraphe ou un chapitre comme l’ont fait les GT. C’est une catégorie d’analyse qui permet de mieux comprendre les phénomènes sociaux et une perspective critique à intégrer dans la démarche de recherche qui doit guider l’ensemble des travaux. Or les lacunes constatées dans les rapports pour le Pacte démontrent que cette perspective est absente, ce qui pose la question de l’expertise en genre au sein des GT et en particulier celle des chercheurs en sciences de l’éducation dont le rôle a évolué6, « passant d’un travail de description et d’analyse dans les années 1960, à un support à la mise en œuvre à partir de la fin des années 1990 pour ensuite s’orienter vers l’aide à la décision et la prospective dans les années 2000 ». On ne peut dès lors que recommander fortement à ces experts d’au minimum s’informer des travaux en genre dans les sciences de l’éducation réalisés dans les États membres de l’Union européenne7 afin d’assumer leur nouveau rôle avec la rigueur scientifique qui s’impose.
- 2014 – 2019, Fédérer pour réussir, FWB, p. 22.
- Quatre objectifs : promouvoir la confiance en soi des élèves ; les amener à s’approprier des savoirs et à acquérir des compétences ; les préparer à être des citoyens responsables ; leur assurer des chances égales d’émancipation sociale.
- McKinsey & Company, Contribuer au diagnostic du système scolaire en FWB, Pacte enseignement excellence, 2015, p. 59 – 60.
- Pacte enseignement excellence. État des lieux, GT1, juin 2015, FWB, p. 67 (je souligne).
- Pacte enseignement excellence. État des lieux, GT1, juin 2015, FWB, p. 111 – 112.
- Pacte enseignement excellence. État des lieux, GT1, juin 2015, FWB, p. 203.
- Une banque de données a été réalisée — mais n’est pas encore en accès libre sur internet — dans le cadre des travaux du Pacte. Elle contient des références à la question genre et enseignement/éducation.