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La posture et le courage

Numéro 2 Février 2012 par Lechat Benoît

février 2012

« La Bel­gique de la défiance », titrions-nous cette chro­nique poli­tique belge parue en jan­vier der­nier. Cer­tains ont vou­lu voir dans le suc­cès impres­sion­nant des bons d’État belges — 5,7 mil­liards récol­tés en quelques jours — une sorte de démen­ti à ce type d’analyses qui seraient exa­gé­ré­ment pes­si­mistes. Le Belge aurait vou­lu affir­mer ain­si publi­que­ment sa confiance retrou­vée dans l’État belge et […]

« La Bel­gique de la défiance », titrions-nous cette chro­nique poli­tique belge parue en jan­vier der­nier. Cer­tains ont vou­lu voir dans le suc­cès impres­sion­nant des bons d’État belges — 5,7 mil­liards récol­tés en quelques jours — une sorte de démen­ti à ce type d’analyses qui seraient exa­gé­ré­ment pes­si­mistes. Le Belge aurait vou­lu affir­mer ain­si publi­que­ment sa confiance retrou­vée dans l’État belge et son gou­ver­ne­ment. Ce serait en réa­li­té allè­gre­ment confondre l’opportunisme de l’épargnant et un bien aléa­toire « patrio­tisme » du citoyen (du moins du citoyen qui a des éco­no­mies). Il est évi­dem­ment tou­jours pré­fé­rable pour un État d’emprunter auprès de sa propre popu­la­tion que sur les mar­chés inter­na­tio­naux, d’autant plus si ceux-ci en viennent à pra­ti­quer des taux usu­riers sans plus de rap­port avec la situa­tion éco­no­mique et finan­cière réelle des pays concer­nés. Mais la défiance démo­cra­tique qui s’est ins­tal­lée à la jonc­tion des crises belge et euro­péenne est d’un niveau bien plus pro­fond. Et elle ne se lais­se­ra pas démen­tir par des mou­ve­ments de capi­taux, fort limi­tés au demeu­rant ; rap­pe­lons en effet que les seuls comptes d’épargne des Belges étaient pour­vus de plus de 218 mil­liards avant cet engoue­ment pour l’emprunt lan­cé par le gou­ver­ne­ment en affaires courantes.

Postures symboliques

Si, en cette mi-jan­vier 2012, les rangs de ceux qui craignent — ou espèrent — la dis­so­lu­tion de la zone euro par le nau­frage de la mon­naie unique enflent comme jamais, ce n’est plus tant à cause des mar­chés finan­ciers à l’origine de la crise ou des agences de nota­tion qui conti­nuent à jeter de l’huile sur le feu par seaux entiers, mais c’est bien essen­tiel­le­ment en rai­son de l’indigence des réponses poli­tiques appor­tées depuis la crise de 2008. Comme le montrent Mathias El Berhou­mi et Lio­nel Van Leeuw dans le numé­ro de jan­vier de La Revue nou­velle, l’inscription de la règle d’or bud­gé­taire dans les Consti­tu­tions, à laquelle les États euro­péens se sont enga­gés en plus d’une série de mesures de plus en plus contrai­gnantes en termes bud­gé­taires, est à la fois inef­fi­cace éco­no­mi­que­ment, mais éga­le­ment démo­cra­ti­que­ment dan­ge­reuse1. La capa­ci­té d’action poli­tique et donc la mai­trise col­lec­tive que les socié­tés peuvent avoir sur leur deve­nir se voient entra­vées par des mesures qui tiennent avant tout d’une pos­ture sym­bo­lique et sim­pliste cen­sée conju­rer la crise par le retour de la « confiance » des mar­chés dans les pou­voirs publics. Comme décla­rer sur tous les tons et dans toutes les langues que les États euro­péens sont res­pon­sables et solides finan­ciè­re­ment ne suf­fit plus, pour­quoi ne pas l’inscrire dans les Consti­tu­tions en espé­rant être plus convain­cants ? Le pro­blème, c’est que le pro­ces­sus de conver­gence — et de soli­da­ri­té — avait déjà reçu des sanc­tions juri­diques depuis le trai­té de Maas­tricht, mais que de nom­breux États — dont la France et l’Allemagne — s’en étaient déliés à la pre­mière occa­sion. Règle d’or ou pas, les diri­geants euro­péens risquent non seule­ment de n’être guère plus cré­dibles, mais vont de sur­croit se retrou­ver pris au piège de leur propre pos­ture en s’imposant des règles contrai­gnantes et des méca­nismes rigides char­gés de les faire res­pec­ter, alors que nos éco­no­mies et nos finances publiques ont un besoin urgent de bien d’autres mesures alternatives…

Une austérité déjà obsolète

Les cri­tiques du ministre Paul Magnette envers une Com­mis­sion qui applique les règles — certes inadé­quates — que viennent de déci­der les États membres tiennent éga­le­ment de la pos­ture si elles font abs­trac­tion du fait que ces règles ont reçu l’appui des diri­geants socia­listes euro­péens. Une pos­ture dan­ge­reuse pour l’idée même d’Europe : ce n’est pas tant la Com­mis­sion qu’il y a à cri­ti­quer que le défi­cit démo­cra­tique géné­ra­li­sé dans l’Union euro­péenne, une rup­ture pro­fonde entre des citoyens et leurs res­pon­sables poli­tiques, qui — et c’est symp­to­ma­tique — n’est jamais réel­le­ment mise en débat.

Cette pos­ture du ministre socia­liste est pro­ba­ble­ment des­ti­née à jus­ti­fier une poli­tique d’austérité qui va s’aggraver et répond à celle de l’aile libé­rale du gou­ver­ne­ment mani­pu­lant la dure­té pour lut­ter contre la N‑VA. Le bud­get 2012 n’est en effet pas encore approu­vé par le Par­le­ment que le gou­ver­ne­ment le remet déjà en cause en gelant des dépenses sous la pres­sion de la Com­mis­sion euro­péenne. On parle de 1 à 2 mil­liards sup­plé­men­taires à trou­ver au vu de pré­vi­sions de crois­sance plus faibles… que l’on connais­sait pour­tant déjà dans les grandes lignes fin novembre. Les débuts de ce nou­veau gou­ver­ne­ment sont déci­dé­ment mar­qués par une poli­tique de défiance envers les citoyens : des mesures prises à la hus­sarde par le ministre des Pen­sions, Vincent Van Qui­cken­borne, à ce bud­get que l’on savait trop « opti­miste », tout est fait pour figer les pos­tures des uns et des autres. Les syn­di­cats aiguillon­nés par leurs bases et pri­vés des moda­li­tés habi­tuelles de concer­ta­tion s’enfermeront d’autant plus dans une stra­té­gie de grèves à répé­ti­tion qui semblent, au-delà de l’exutoire, avoir peu d’issue et de répondant.

Quels projets politiques ?

Sor­tir de ce cercle vicieux de la défiance réci­proque exige avant toute chose de par­ler « cor­rec­te­ment poli­tique » plu­tôt que « poli­ti­que­ment cor­rect », comme le pro­pose Luc Van Cam­pen­houdt dans l’éditorial de ce numé­ro. C’est bien d’un réel débat appe­lant les choses par leur nom dont nous avons besoin ; et cela demande de retrou­ver le cou­rage poli­tique auquel appelle Michel Moli­tor à la lec­ture de la bio­gra­phie d’Hubert Pier­lot écrite par Pierre Van den Dun­gen2. Le cou­rage ne réside pas dans des choix impo­pu­laires réa­li­sés dans l’impasse et l’urgence, le tout enro­bé de « nov­langue », pour ne pas dire de men­songe. Une fois de plus cette atti­tude ren­voie plus à des pos­tures qu’à une réelle vision et ne mène qu’à la défiance. Le cou­rage réside dans la capa­ci­té d’anticiper, de poser des choix d’avenir, de nouer de nou­veaux com­pro­mis sociaux justes, forts et effi­caces. Il est au moins tout aus­si néces­saire en période d’embellie bud­gé­taire que de crise profonde.

Le modèle belge souffre par­ti­cu­liè­re­ment de cette absence de pro­jet et de capa­ci­té de renou­vè­le­ment d’une cohé­sion, dépas­sant l’art du com­pro­mis ban­cal et fra­gile que l’actuel gou­ver­ne­ment incarne plus encore que ses pré­dé­ces­seurs. La série « Chro­nique d’un État cri­tique » du Soir et du Stan­daard sur les cou­lisses des der­nières négo­cia­tions le montre bien. Mais elle illustre aus­si la ten­dance d’un cer­tain jour­na­lisme poli­tique qui pré­fère la « peo­pli­sa­tion » aux grilles de lec­ture et aux ana­lyses de fond. Cette série démontre éga­le­ment com­bien le secret des négo­cia­tions poli­tiques ne peut plus se reven­di­quer d’une réelle effi­ca­ci­té face au manque de publi­ci­té des débats.

S’il y a en tout cas un débat que les Wal­lons et les Bruxel­lois ont la res­pon­sa­bi­li­té his­to­rique de reprendre, c’est celui de l’adéquation entre leurs struc­tures de déci­sions et les pro­jets de relance qu’ils entendent mener. La Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles à peine née est aujourd’hui déjà contes­tée par cer­tains déci­deurs côté wal­lon (en ce com­pris un de ses ministres) et par de nom­breux Bruxel­lois qui estiment qu’elle ne répond pas à leurs besoins. Les recours fla­mands contre les poli­tiques régio­nales bruxel­loises en matière de crèches — déjà rem­por­té — et d’écoles —en passe de l’être — ne peuvent que venir ren­for­cer cette mise en cause et rendre plus écla­tante cette réa­li­té : les struc­tures publiques des Wal­lons et des Bruxel­lois ne sont tou­jours pas aujourd’hui en ordre de marche face à la crise et à la pro­chaine réforme de l’État…

  1. Voir « La règle d’or, et la sou­ve­rai­ne­té cau­che­marde », jan­vier 2012.
  2. Michel Moli­tor, « Hubert Pier­lot, 1883 – 1963, de Pierre Van den Dun­gen », La Revue nou­velle, jan­vier 2012.

Lechat Benoît


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