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La politique internationale du climat à l’aube de la présidence belge de l’UE

Numéro 07/8 Juillet-Août 2010 par Benjamin Denis

juillet 2010

Six mois après le som­met de Copen­hague de décembre 2009, les négo­cia­tions inter­na­tio­nales rela­tives au cli­mat flottent dans un cli­mat de rela­tive incer­ti­tude. À l’époque, faute d’un déno­mi­na­teur com­mun suf­fi­sant, les par­ties ont été inca­pables de s’accorder sur un nou­veau trai­té accé­lé­rant et ampli­fiant la réponse inter­na­tio­nale au chan­ge­ment cli­ma­tique. Si les sources de dis­corde ne […]

Six mois après le som­met de Copen­hague de décembre 2009, les négo­cia­tions inter­na­tio­nales rela­tives au cli­mat flottent dans un cli­mat de rela­tive incer­ti­tude. À l’époque, faute d’un déno­mi­na­teur com­mun suf­fi­sant, les par­ties ont été inca­pables de s’accorder sur un nou­veau trai­té accé­lé­rant et ampli­fiant la réponse inter­na­tio­nale au chan­ge­ment cli­ma­tique. Si les sources de dis­corde ne man­quèrent pas, c’est cer­tai­ne­ment la dif­fi­cul­té d’intégrer les prin­ci­pales éco­no­mies de la pla­nète dans un seul régime de normes qui a consti­tué le prin­ci­pal obs­tacle à la conclu­sion de cet accord glo­bal juri­di­que­ment contrai­gnant que l’Union euro­péenne appe­lait de ses vœux.

Un ersatz a tou­te­fois été pro­duit : l’accord de Copen­hague. Rédi­gé par une ving­taine de chefs d’État et de gou­ver­ne­ments en marge des enceintes offi­cielles de négo­cia­tion, ce texte d’un peu plus de deux pages et de douze para­graphes trace les linéa­ments d’une poli­tique cli­ma­tique inter­na­tio­nale en mode mineur. Les chantres de l’espérance diront que jamais un accord inter­na­tio­nal n’aura cou­vert autant de pays émet­teurs et qu’il s’agit là d’un pre­mier pas tout à fait signi­fi­ca­tif, les réa­listes à sang froid ver­ront dans cette logique induc­tive la seule voie prag­ma­ti­que­ment exploi­table pour l’avenir de la diplo­ma­tie du cli­mat, et les férus de modé­li­sa­tion déplo­re­ront que ce pro­ces­sus au rabais place l’humanité sur la voie d’un réchauf­fe­ment qui pour­rait atteindre les 4 °C.

Avec quelques mois de recul, une ques­tion majeure reste en sus­pens : quel est l’avenir du pro­ces­sus mul­ti­la­té­ral de négo­cia­tion qui découle de la Conven­tion-cadre des Nations unies sur les chan­ge­ments cli­ma­tiques (CCNUCC) adop­tée à Rio en 1992 ? Outre la fai­blesse de son conte­nu, l’accord de Copen­hague a pu inquié­ter par les ques­tions poli­tiques et ins­ti­tu­tion­nelles fon­da­men­tales qu’il a sou­le­vées. Rap­pe­lons qu’il n’a pas été approu­vé par la Confé­rence des par­ties à la CCNUCC (COP), en rai­son d’un véri­table tir de bar­rage de cer­taines par­ties, prin­ci­pa­le­ment issues du groupe de l’Alba (Alliance boli­va­rienne pour les peuples de notre Amérique).

Non­obs­tant cette absence d’entérinement par la COP, les pays indus­tria­li­sés signa­taires de l’accord ont d’emblée annon­cé leur volon­té de le mettre en œuvre. Lors des diverses réunions qui ont ras­sem­blé les pays indus­tria­li­sés sur la ques­tion du cli­mat au pre­mier semestre 2010, l’accord de Copen­hague était deve­nu le réfé­rent prin­ci­pal des posi­tions sans que l’articulation avec le pro­ces­sus CCNUCC ne soit clai­re­ment défi­nie. Éri­ger un accord poli­tique de cette nature en étoile polaire des négo­cia­tions cli­ma­tiques induit la menace d’une mar­gi­na­li­sa­tion pro­gres­sive du pro­ces­sus onusien.

Ensuite, le fos­sé creu­sé entre cer­taines par­ties à Copen­hague fut si pro­fond qu’on pou­vait craindre un écla­te­ment du pro­ces­sus mul­ti­la­té­ral en rai­son d’antagonismes idéo­lo­giques rédhi­bitoires. Fasse au libé­ra­lisme réfor­miste des pays indus­tria­li­sés, une coa­li­tion d’États s’est for­mée pour dénon­cer le lien entre le modèle éco­no­mique domi­nant et la crise cli­ma­tique. Orga­ni­sée en Boli­vie en avril 2010, la confé­rence de Cocha­bam­ba1 a ain­si accou­ché d’une décla­ra­tion à la tona­li­té anti­ca­pi­ta­liste très mar­quée, fai­sant du sys­tème éco­no­mique actuel et du sys­tème de domi­na­tion qu’il induit la cause unique du réchauf­fe­ment de la pla­nète. Bien qu’il soit pré­ma­tu­ré de tirer quelque conclu­sion que ce soit quant aux déve­lop­pe­ments que cette ini­tia­tive per­met­tra de fécon­der, elle sou­ligne l’existence d’une forte oppo­si­tion sociale et poli­tique au para­digme qui sous-tend les pro­po­si­tions des prin­ci­paux pays par­ties aux négociations.

L’après-Copenhague

Ces élé­ments nour­rissent par­fois un cer­tain scep­ti­cisme quant à la capa­ci­té du pro­ces­sus onu­sien à atteindre les objec­tifs pour les­quels il a été mis sur pied. En sim­pli­fiant, on peut dire que depuis près de dix ans, le pro­ces­sus CCNUCC tourne autour de la gageüre de com­bi­ner uni­ver­sa­li­té et consis­tance dans la défi­ni­tion des enga­ge­ments à réduire les émis­sions de gaz à effet de serre. Mal­gré la mobi­li­sa­tion de mil­liers d’experts et l’implication des chefs d’État et de gou­ver­ne­ments, l’organisation de mul­tiples réunions inter­na­tio­nales, le pro­ces­sus n’est pas par­ve­nu à cou­ler une telle com­bi­nai­son dans le bronze d’un ins­tru­ment juri­dique mul­ti­la­té­ral. Toute la ques­tion est de savoir si Copen­hague consti­tuait le pro­drome de la sté­ri­li­té défi­ni­tive de ce pro­ces­sus ou s’il n’était que la mani­fes­ta­tion d’une cris­pa­tion pas­sa­gère par­ti­cu­liè­re­ment aigüe.

La ses­sion de négo­cia­tion orga­ni­sée à Bonn au mois de juin der­nier offrait l’opportunité de four­nir des élé­ments de réponse à cette ques­tion. En plus de la réunion semes­trielle des organes sub­si­diaires de la conven­tion, cette ses­sion accueillait la dixième réunion du groupe de tra­vail ad hoc char­gé de trai­ter de la coopé­ra­tion à long terme sous la conven­tion (AWG-LCA)2 et la dou­zième ren­contre du groupe de tra­vail ad hoc char­gé de la ques­tion des enga­ge­ments des pays indus­tria­li­sés dans le cadre du pro­to­cole de Kyo­to (AWG-KP)3. Der­rière ces deux inti­tu­lés indi­gestes, se dis­si­mulent les deux voies qui struc­turent les négo­cia­tions depuis le plan d’action de Bali adop­té en 2007. Du côté AWG-KP, on traite des enga­ge­ments des pays indus­tria­li­sés et des moda­li­tés tech­niques cor­ré­la­tives telles que les règles métho­do­lo­giques enca­drant l’utilisation des acti­vi­tés de fores­te­rie, les méca­nismes de flexi­bi­li­té ou encore la pos­si­bi­li­té de conser­ver pour les périodes d’engagement ulté­rieures les quo­tas d’émissions excé­den­taires attri­bués durant la pre­mière période d’engagement du pro­to­cole de Kyo­to. Du côté AWG-LCA, le spectre des dis­cus­sions est beau­coup plus large dans la mesure où, outre la ques­tion des réduc­tions d’émissions tant pour les pays déve­lop­pés que pour ceux en voie de déve­lop­pe­ment, on traite éga­le­ment notam­ment le dos­sier du finan­ce­ment, celui de l’adaptation, ou encore celui des trans­ferts de technologie.

Face à un ordre du jour aus­si diver­si­fié et consis­tant, il serait périlleux de for­mu­ler des conclu­sions péremp­toires quant à l’état d’avancement géné­ral des dis­cus­sions. Néan­moins, le pre­mier élé­ment d’appréciation que l’on a retrou­vé sur la plu­part des lèvres pré­sentes était que l’atmosphère géné­rale était beau­coup plus construc­tive et posi­tive qu’elle ne l’était à Copen­hague. Bien que des élé­ments très tri­viaux tels que la météo ou l’enthousiasme de potache lié à la coupe du monde de foot­ball puissent contri­buer à créer davan­tage de proxi­mi­té entre les négo­cia­teurs, la prin­ci­pale expli­ca­tion de cette ambiance favo­rable réside dans le fait que la réunion ras­sem­blait essen­tiel­le­ment des experts autour de dis­cus­sions plus tech­niques que direc­te­ment politiques.

Si l’on veut ten­ter de péné­trer plus avant dans le conte­nu des négo­cia­tions, le bilan de ces dis­cus­sions sera néces­sai­re­ment pru­dent et nuan­cé. Tout d’abord, il y a un déca­lage entre le conte­nu des inter­ven­tions for­mu­lées par les par­ties au terme de la ses­sion et leur per­cep­tion réelle du pro­duit des négo­cia­tions. Une plé­nière tem­pé­tueuse occulte par exemple par­fois des avan­cées signi­fi­ca­tives dans la cou­lisse des négo­cia­tions. Ain­si, si les réac­tions au texte pro­po­sé par la pré­si­dence du AWG-LCA durant la plé­nière de clô­ture ont été pour le moins acerbes, cela ne signi­fie pas que le texte était mau­vais, ni que les pro­po­si­tions qu’il conte­nait devaient être décla­rées défi­ni­ti­ve­ment mori­bondes. Un accord repose sur un com­pro­mis qui est obli­ga­toi­re­ment le fruit de conces­sions dou­lou­reuses pour cha­cune des par­ties. Un accord fait néces­sai­re­ment mal, tous les négo­cia­teurs le savent, mais feignent géné­ra­le­ment de l’oublier en cam­pant le rôle de la vic­time outra­gée jusqu’à l’ultime seconde des négo­cia­tions de manière à engran­ger le plus de conces­sions des autres protagonistes.

En outre, la com­plexi­té de l’ordre du jour oblige à opé­rer des diag­nos­tics dif­fé­ren­ciés. Les dis­cus­sions por­tant direc­te­ment sur les enga­ge­ments de réduc­tion d’émissions ont tour­né en eau de bou­din, mais les dis­cus­sions rela­tives à l’architecture finan­cière ont été mar­quées par des pro­grès signi­fi­ca­tifs. En l’occurrence, les États-Unis ont évo­qué très concrè­te­ment la pos­si­bi­li­té de créer un nou­veau fonds qui serait res­pon­sable devant la COP, ce qui a sub­stan­tiel­le­ment rap­pro­ché la posi­tion des pays indus­tria­li­sés de celle des pays en développement.

Enfin, les pro­grès sur des matières d’apparence tech­nique pro­duisent des effets cohé­sifs dif­fus dont l’importance poli­tique est trop sou­vent négli­gée. Ain­si, la pra­tique du rap­por­tage, même si elle donne lieu à d’âpres négo­cia­tions poli­tiques autour des obli­ga­tions incom­bant aux dif­fé­rentes caté­go­ries de pays, favo­rise la dif­fu­sion de normes tech­niques, de pra­tiques et de méthodes stan­dar­di­sées qui œuvrent à la créa­tion d’une dyna­mique d’apprentissage col­lec­tif qui peut rap­pro­cher les concep­tions des enjeux. L’état de la poli­tique cli­ma­tique se joue éga­le­ment autour de ce méca­nisme d’engrenage qui crée de la cohé­sion par la pro­li­fé­ra­tion de coopé­ra­tions techniques.

La ses­sion de Bonn, même si elle n’a pas appor­té de réponse satis­fai­sante aux inter­ro­ga­tions que Copen­hague a sus­ci­tées, a néan­moins ino­cu­lé un brin d’optimisme dans le pro­ces­sus des négo­cia­tions inter­na­tio­nales sur le chan­ge­ment cli­ma­tique. La ses­sion de négo­cia­tion orga­ni­sée à Cancún en décembre 2010 ne consti­tue­ra pas l’aboutissement de cette dyna­mique de négo­cia­tion inau­gu­rée à Bali en 2007, mais elle en mar­que­ra une étape impor­tante et il appar­tien­dra à la Bel­gique, à la tête de la pré­si­dence tour­nante de l’Union euro­péenne durant le second semestre de cette année, d’œuvrer à trans­for­mer les avan­cées de Bonn en une série d’accords dont ce pro­ces­sus tou­jours conva­les­cent a gran­de­ment besoin. 

L’au­teur s’ex­prime ici uni­que­ment en tant que membre de La Revue nouvelle

  1. World People’s Confe­rence on Cli­mate Change and the Rights of Mother Earth.
  2. L’acronyme AWG-LCA désigne l’Ad Hoc Wor­king Group on Long-term Coope­ra­tive Action under the Convention.
  3. AWG-KP signi­fie Ad Hoc Wor­king Group on fur­ther com­mit­ments by annex 1 Par­ties under the Kyo­to Protocol.

Benjamin Denis


Auteur

Benjamin Denis est spécialiste de la politique internationale du climat.