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La politique étrangère d’Obama : le changement dans la continuité

Numéro 01/2 Janvier-Février 2013 par Sebastian Santander

février 2013

L’oc­ca­sion de la recon­duite de Barack Oba­ma à la tête des États-Unis per­met de dres­ser un bilan de la poli­tique étran­gère de sa pre­mière admi­nis­tra­tion. Ana­ly­sé à la lumière de celui de l’ad­mi­nis­tra­tion Bush, il est d’au­tant plus inté­res­sant que le pré­sident Oba­ma et son équipe ont dès le départ cher­ché à se dis­so­cier de leur pré­dé­ces­seur en indi­quant clai­re­ment leur sou­hait de rompre avec le pas­sé. L’ad­mi­nis­tra­tion démo­crate a insis­té sur sa volon­té de recou­rir à une poli­tique étran­gère ani­mée par le dia­logue, la concer­ta­tion, la diplo­ma­tie ain­si que par le res­pect du droit inter­na­tio­nal et des ins­ti­tu­tions mul­ti­la­té­rales. Plu­tôt que consti­tuer une véri­table rup­ture avec le pas­sé, la poli­tique étran­gère d’O­ba­ma se dis­tingue par le pro­lon­ge­ment, voire l’ac­cen­tua­tion des poli­tiques antérieures.

La pre­mière par­tie de cet article revien­dra sur la notion de smart power éri­gée par Oba­ma en nou­velle matrice de la poli­tique étran­gère des États-Unis. Ensuite, nous revien­drons sur la poli­tique de lutte contre le ter­ro­risme. Il s’agira de voir dans quelle mesure cette stra­té­gie est menée en res­pect avec le droit inter­na­tio­nal. La der­nière par­tie se pro­pose de faire un tour d’horizon des rela­tions que les États-Unis entre­tiennent avec le reste du monde tout en déployant une démarche com­pa­ra­tive. Ain­si après avoir ana­ly­sé les rela­tions avec le Proche-Orient (dos­sier israé­lo-pales­ti­nien, Iran), cette contri­bu­tion se pen­che­ra sur les rap­ports avec les puis­sances émer­gentes (Rus­sie, Asie), l’Europe, l’Amérique latine et l’Afrique.

Le smart power : stratagème
pour redres­ser l’image des EU

L’élection de Barack Oba­ma à la tête des États-Unis s’est faite, en 2009, sur la base d’un dis­cours de rup­ture avec le pou­voir pré­cé­dent. M. Oba­ma se disait conscient des impli­ca­tions néga­tives de huit années de légis­la­ture Bush pour l’image des États-Unis dans le monde. Les ten­ta­tives de res­tau­rer par la force la supré­ma­tie amé­ri­caine dans le monde au len­de­main des atten­tats du 11 sep­tembre 2001 com­bi­nées à des inter­ven­tions mili­taires sans man­dat onu­sien et aux exac­tions (tor­tures et sévices) rela­tives aux droits humains com­mises par les forces mili­taires amé­ri­caines tant dans les pri­sons d’Abou Ghraib qu’à Guan­ta­na­mo que sur les ter­rains de com­bat ont eu pour effet d’écorner consi­dé­ra­ble­ment l’image des États-Unis dans le monde, entre­te­nant la méfiance à leur encontre, voire le rejet. Leur lea­deur­ship intel­lec­tuel et moral s’en est trou­vé affai­bli, affec­tant la forme de domi­na­tion par­tiel­le­ment consen­tie dont ils jouis­saient jusqu’à l’orée de la décen­nie 2000. Un son­dage réa­li­sé en 2007 par la BBC World Ser­vice auprès de 26000 per­sonnes à tra­vers vingt-cinq nations issues des cinq conti­nents de la pla­nète confir­mait ce sen­ti­ment puisqu’il concluait à une influence néga­tive de l’action inter­na­tio­nale des États-Unis1.

En fai­sant du mot change le slo­gan de sa cam­pagne de 2008, Oba­ma sus­ci­ta en Europe et au Proche-Orient ain­si qu’en Asie, en Amé­rique latine ou en Afrique un immense espoir de chan­ge­ment. Il avait sus­ci­té l’illusion de voir émer­ger une diplo­ma­tie amé­ri­caine ani­mée par le res­pect du droit inter­na­tio­nal et les pra­tiques de concer­ta­tion et de négo­cia­tion. D’autant que lors de la conven­tion du par­ti démo­crate d’aout 2008 à Den­ver, Oba­ma n’hésita pas à décla­rer que la poli­tique étran­gère de l’administration Bush avait « gas­pillé l’héritage que plu­sieurs géné­ra­tions d’Américains avaient construit » et qu’il lui reve­nait de « réta­blir cet héri­tage ». Par­tant, dès son arri­vée au pou­voir, son admi­nis­tra­tion s’engagea dans une « opé­ra­tion de séduc­tion » consis­tant à mobi­li­ser un dis­cours de conci­lia­tion avec le reste du monde afin de réta­blir le pres­tige mon­dial des États-Unis. En effet, le pré­sident Oba­ma et son équipe se dirent favo­rables au dia­logue y com­pris avec les plus anta­go­nistes des pays tiers (Iran, Vene­zue­la) et aux ins­tances mul­ti­la­té­rales de concer­ta­tion. Dès lors, son acces­sion au pou­voir fut saluée à l’extérieur ain­si que dans le camp le plus hos­tile à la puis­sance américaine.

La démarche pour­sui­vie par cette admi­nis­tra­tion visait à rendre les États-Unis à nou­veau attrayants afin de s’affirmer à l’extérieur comme une réfé­rence et par­tant convaincre, moins par la force que par la per­sua­sion, le reste du monde de coopé­rer avec Washing­ton. Pour ce faire, Mme Clin­ton, secré­taire d’État aux Affaires exté­rieures de la pre­mière légis­la­ture de l’administration Oba­ma, cher­cha à éri­ger la notion de « smart power » en nou­velle doc­trine de la diplo­ma­tie amé­ri­caine. Ce pou­voir de l’intelligence fut défi­ni comme le résul­tat du mariage pro­duc­tif entre le hard et le soft power amé­ri­cain2. Alors que le pre­mier type de pou­voir est incar­né par celui de la coer­ci­tion phy­sique du Penta­gone, le deuxième ren­voie au pou­voir d’attraction que peut exer­cer la culture amé­ri­caine au tra­vers de la ciné­ma­to­gra­phie hol­ly­woo­dienne, des centres uni­ver­si­taires d’excellence (Ivy League), des inno­va­tions tech­no­lo­giques ou l’alimentation du fast­food. Le concept de smart power exprime la volon­té des États-Unis d’amener le reste du monde à par­ta­ger leur point de vue, en recou­rant d’abord à la carotte et de manière secon­daire au bâton.

Intensification de la guerre contre le terrorisme

Dès sa prise de fonc­tion, Oba­ma cher­cha donc à se dis­so­cier de son pré­dé­ces­seur et à rompre avec son héri­tage. C’est la rai­son pour laquelle il indi­qua très rapi­de­ment que tout n’était pas per­mis dans la lutte contre le ter­ro­risme et affir­ma que les « États-Unis ne tor­tu­re­ront plus ». Pour don­ner des gages de sa volon­té de rompre avec le pas­sé, il signa un décret visant à fer­mer la pri­son de Guan­ta­na­mo ouverte en 2002 par M. Bush sur une base navale cubaine et prit l’engagement de reti­rer les États-Unis de l’Irak.

Tou­te­fois, mal­gré les inten­tions de bonne volon­té du gou­ver­ne­ment démo­crate, la pri­son de Guan­ta­na­mo, sym­bole du pou­voir de l’administration pré­cé­dente, ne fer­me­ra pas ses portes. En outre, si le retrait amé­ri­cain de l’Irak a été ren­du effec­tif par l’équipe d’Obama, il ne reste pas moins qu’il avait été pré­vu par le gou­ver­ne­ment Bush. D’ailleurs, ce retrait a été réa­li­sé pour per­mettre aux États-Unis de concen­trer leurs efforts sur l’Afghanistan et le Pakis­tan consi­dé­rés, par le pou­voir mili­taire amé­ri­cain, comme les lieux où se joue la bataille contre le ter­ro­risme et comme l’épicentre des insta­bi­li­tés du sys­tème international.

Dans la lutte contre le ter­ro­risme, les États-Unis ont, sous la pré­si­dence Oba­ma, inten­si­fié le recours aux drones pour bom­bar­der les régions tri­bales fron­ta­lières pakis­ta­no-afghanes consi­dé­rées comme la base arrière d’Al-Qaïda et élar­gi ces pra­tiques à d’autres pays comme le Yémen ou la Soma­lie3. Dans cer­taines de ces guerres « secrètes », ces attaques aériennes ciblées ne reposent sur aucune base légale de droit inter­na­tio­nal4 comme l’illustre le cas pakis­ta­nais5. À l’instar du gou­ver­ne­ment pré­cé­dent, l’administration Oba­ma consi­dère légi­time de recou­rir uni­la­té­ra­le­ment et sans base juri­dique à la force pour tra­quer ses enne­mis en ter­rain étran­ger. L’opération amé­ri­caine qui a été menée au Pakis­tan et qui a débou­ché sur l’exécution du ter­ro­riste Ben Laden s’est faite en marge du droit inter­na­tio­nal dans le sens où la sou­ve­rai­ne­té et l’intégrité ter­ri­to­riale pakis­ta­naises ain­si que les prin­cipes juri­diques garan­tis­sant l’interdiction de la tor­ture6 et le droit à la vie n’ont pas été res­pec­tés­Bé­ligh Nabli et Car­lo San­tul­li, « Mort de Ben Laden : “jus­tice a été faite”?», Le Monde, 13 mai 2011, www.lemonde.fr.. Cette opé­ra­tion n’est pas un acte iso­lé ; elle s’inscrit dans la poli­tique de la « kill list » de l’administration Oba­ma dévoi­lée par la presse amé­ri­caine et consis­tant à iden­ti­fier de par le monde les pré­su­més ter­ro­ristes à cap­tu­rer ou à exé­cu­ter­Da­vid E. San­ger, Confront and Conceal : Obama’s Secret Wars and Sur­pri­sing Use of Ame­ri­can Power, États-Unis, Crown, 2012..

Quelles relations avec le reste du monde ?

Le Proche-Orient : le dossier israélo-palestinien et la question iranienne

La répu­ta­tion que l’administration Bush s’est faite au Proche-Orient est loin d’être posi­tive. L’image qu’elle s’est bâtie est celle d’un pays ayant atti­sé les ten­sions et ayant été inca­pable d’assumer un rôle de pro­mo­teur de la paix entre Israël et la Pales­tine. L’arrivée d’Obama a, par contre, été inter­pré­tée comme un fac­teur favo­rable à l’apaisement du cli­mat poli­tique au Proche-Orient. Le pré­sident démo­crate a cher­ché à mon­trer au monde sa capa­ci­té à se mettre au-des­sus de la mêlée et de jouer un rôle de conci­lia­teur impar­tial en ce qui concerne le conflit israé­lo-pales­ti­nien. Pour ce faire, il a confié le dos­sier à George Mit­chell, un vété­ran de la diplo­ma­tie qui a, notam­ment, contri­bué à résoudre paci­fi­que­ment la ques­tion irlan­daise, et appe­lé Israël à sus­pendre ses pro­jets de colo­nies en Cis­jor­da­nie et à Jérusalem-Est.

Par ailleurs, en ce qui concerne la ques­tion ira­nienne, le pré­sident amé­ri­cain a décla­ré vou­loir adop­ter une « poli­tique de la main ten­due » à l’égard de Téhé­ran. Cette stra­té­gie a été pré­sen­tée par les États-Unis comme une preuve de leur volon­té d’apporter des solu­tions négo­ciées aux dif­fé­rends inter­na­tio­naux aus­si aigus soient-ils. L’équipe Oba­ma a dans un pre­mier temps pro­po­sé de négo­cier avec l’Iran sur la sus­pen­sion des acti­vi­tés d’enrichissement d’uranium sans préconditions.

Tou­te­fois, les actions menées sur le ter­rain n’ont pas cor­res­pon­du aux inten­tions ini­tiales de vou­loir réha­bi­li­ter la négo­cia­tion comme outil de réso­lu­tion des contro­verses. En ce qui concerne le dos­sier ira­nien, les États-Unis sont pas­sés de la carotte au bâton dans le sens qu’ils ont rapi­de­ment aban­don­né le dia­logue et la voie diplo­ma­tique au pro­fit d’une stra­té­gie de sanc­tions mal­gré le fait que le Bré­sil et la Tur­quie étaient par­ve­nus à obte­nir un accord négo­cié avec Téhé­ran afin qu’une par­tie de l’uranium ira­nien soit sto­ckée à l’étranger en échange de com­bus­tible enri­chi des­ti­né uni­que­ment à des fins civiles.

La dis­con­ti­nui­té par rap­port au pas­sé n’a pas non plus eu lieu en ce qui concerne le dos­sier israé­lo-pales­ti­nien vu que non seule­ment les trac­ta­tions ont rapi­de­ment stag­né, mais qu’en outre l’administration Oba­ma n’a pas obte­nu une sus­pen­sion durable de la colo­ni­sa­tion de la Cis­jor­da­nie et de Jéru­sa­lem-Est, et n’est pas par­ve­nue à se his­ser en média­teur impar­tial comme l’illustre la ques­tion de la créa­tion de l’État pales­ti­nien. Afin de faire pro­gres­ser ce dos­sier, l’Autorité pales­ti­nienne a cher­ché à engran­ger un maxi­mum de sou­tiens. Pour ce faire, elle a misé sur le dépôt de sa can­di­da­ture à dif­fé­rentes ins­ti­tu­tions inter­na­tio­nales. Son adhé­sion à l’Unesco, en 2011, et l’obtention de son sta­tut d’observateur non membre de l’ONU, en 2012, se sont faites avec le sou­tien de la majo­ri­té des membres des ins­ti­tu­tions concer­nées7. Les États-Unis ont à chaque fois voté contre argüant que la démarche pales­ti­nienne est un « acte uni­la­té­ral » et que la créa­tion de l’État pales­ti­nien ne peut sur­ve­nir que par la voie des trac­ta­tions directes entre Pales­ti­niens et Israé­liens. En ce fai­sant, l’administration Oba­ma s’est ali­gnée, comme le fai­sait le gou­ver­ne­ment Bush, sur l’argumentaire israé­lien. Par ailleurs, ces dif­fé­rentes recon­nais­sances inter­na­tio­nales engran­gées par l’Autorité pales­ti­nienne ont, à chaque fois, don­né lieu à une accé­lé­ra­tion de la construc­tion de loge­ments pour familles juives en Cis­jor­da­nie et à Jéru­sa­lem-Est ain­si qu’à la sus­pen­sion de la res­ti­tu­tion de taxes col­lec­tées au nom de l’Autorité pales­ti­nienne. La posi­tion du gou­ver­ne­ment amé­ri­cain a consis­té jusqu’à pré­sent à ser­mon­ner le gou­ver­ne­ment israé­lien pour sa poli­tique de colo­ni­sa­tion tout en évi­tant de la qua­li­fier d’unilatérale, ain­si qu’à sanc­tion­ner les orga­ni­sa­tions qui appuient les reven­di­ca­tions pales­ti­niennes à l’instar de l’Unesco qui s’est vu reti­rer la coti­sa­tion amé­ri­caine à son bud­get8.

Relations avec les puissances émergentes

Dans ses inten­tions, l’administration Oba­ma a cher­ché à apai­ser les rela­tions des États-Unis avec la Rus­sie ima­gi­nant une stra­té­gie de remise à zéro plus connue comme la « poli­tique du reset ». À l’époque de la pré­si­dence Bush, les rela­tions rus­so-amé­ri­caines tra­ver­saient une période de crise due, notam­ment, à l’élargissement de l’Otan aux pays d’Europe bal­tique et orien­tale (2004), au sou­tien amé­ri­cain appor­té aux révo­lu­tions des roses en Géor­gie (2003), orange en Ukraine (2004) ou des tulipes au Kir­ghizs­tan (2005), à l’appel de Washing­ton à recon­naitre l’indépendance du Koso­vo (2007) ou aux pro­jets d’instauration sur les ter­ri­toires polo­nais et tchèque d’un bou­clier anti­mis­siles. L’ensemble de ces poli­tiques a sus­ci­té la sus­pi­cion et la méfiance de la part de Mos­cou qui, quand l’occasion lui a été don­née, n’a pas hési­té à réagir fer­me­ment, comme l’a mon­tré la riposte de l’armée russe à la ten­ta­tive du gou­ver­ne­ment géor­gien de reprendre par la force le contrôle de sa région sépa­ra­tiste de l’Ossétie du Sud dont la grande majo­ri­té de la popu­la­tion détient un pas­se­port russe (2008).

La poli­tique dite du « reset » a ame­né l’administration Oba­ma à adop­ter une approche plus conci­liante avec la Rus­sie : les pro­jets d’élargissements futurs de l’Otan ont été dif­fé­rés sine die, le bou­clier anti­mis­siles ima­gi­né par Bush a été gelé et l’adhésion russe à l’Organisation mon­diale du com­merce (OMC) a été appuyée par Washing­ton. Toutes ces ini­tia­tives ont per­mis de détendre les rela­tions rus­so-amé­ri­caines. Tou­te­fois le dos­sier syrien et la réélec­tion de Pou­tine à la tête de la Rus­sie ont à nou­veau ten­du les rela­tions sans pour autant reve­nir à la période de la poli­tique de confron­ta­tion de l’administration Bush. D’ailleurs, l’un des objec­tifs d’Obama pour son second man­dat est de pour­suivre sa poli­tique du reset.

En réa­li­té, l’intérêt d’Obama pour le main­tien de rela­tions avec la Rus­sie est à situer dans le contexte plus large de l’évolution récente des rap­ports de forces inter­na­tio­naux et du décen­trage que connait le monde suite à la mon­tée en puis­sance des pays dits « émer­gents9 ». Les États-Unis sont conscients que le tas­se­ment rela­tif de leur puis­sance se fait au pro­fit, notam­ment, de pays comme la Chine. C’est la rai­son pour laquelle l’équipe Oba­ma a annon­cé lors de la pré­sen­ta­tion de sa nou­velle stra­té­gie de défense vou­loir orien­ter sa poli­tique étran­gère vers l’Asie-Pacifique10. Cette stra­té­gie dite du « pivot11 » doit, selon les auto­ri­tés amé­ri­caines, per­mettre aux États-Unis de faire face à l’expansion inter­na­tio­nale de la Chine et assoir leur pré­sence éco­no­mique, poli­tique et mili­taire dans une région du monde en plein essor. L’Asie-Pacifique occupe, en effet, une place impor­tante dans la poli­tique étran­gère d’Obama. D’ailleurs, dès sa réélec­tion, le pré­sident Amé­ri­cain et sa secré­taire d’État ont réser­vé leur pre­mière tour­née inter­na­tio­nale à cette région du monde (Thaï­lande, Bir­ma­nie, Cambodge).

Tou­te­fois, ce pivot pré­sen­té comme une modi­fi­ca­tion stra­té­gique de pre­mier ordre n’est pas inédit. Ce des­sein ne fait que ren­for­cer le maillage d’alliances que les suc­ces­sives admi­nis­tra­tions amé­ri­caines ont mis en place depuis une ving­taine d’années avec des États situés dans le péri­mètre de la Chine, tels que l’Inde, le Japon, la Corée du Sud ou les pays de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (Phi­lip­pines, Viet­nam, Indo­né­sie). Par ailleurs, la pré­sence mili­taire amé­ri­caine en Asie n’est pas nou­velle. Le sta­tion­ne­ment de 320.000 hommes dans la région est bien anté­rieur à l’arrivée d’Obama. Ce der­nier s’est par contre enga­gé à déployer 2.500 marines sup­plé­men­taires et à les sta­tion­ner en Australie.

En revanche, c’est la poli­tique du pivot qui a connu des chan­ge­ments en cours de route. En effet, les auto­ri­tés amé­ri­caines ont com­men­cé à mettre une sour­dine aux bruits des bottes mili­taires émis par ce recen­trage pour insis­ter davan­tage sur les aspects éco­no­miques et com­mer­ciaux de cette poli­tique. Washing­ton met davan­tage l’accent sur l’accélération des négo­cia­tions pour la mise en place d’un Par­te­na­riat trans­pa­ci­fique (TPP)12. Ce der­nier, qui exclut la par­ti­ci­pa­tion de la Chine, vise à ins­tau­rer une zone de libre-échange entre les États-Unis et une dizaine de pays issus des Amé­riques (Cana­da, Chi­li, Mexique, Pérou), d’Océanie (Aus­tra­lie, Nou­velle-Zélande), d’Asie du Sud-Est (Bru­nei, Viet­nam, Malai­sie, Sin­ga­pour) et d’Asie orien­tale (Japon). Ce tour­nant que connait la poli­tique du pivot est dû essen­tiel­le­ment à deux rai­sons. La pre­mière d’entre elles est de type endo­gène et ren­voie à la néces­si­té de créer des emplois natio­naux en expor­tant davan­tage vers la région éco­no­mique la plus dyna­mique du monde. La deuxième rai­son est d’ordre exo­gène et a trait à la volon­té amé­ri­caine de ne pas exa­cer­ber les sen­si­bi­li­tés géo­po­li­tiques de la Chine qui se méfie de la pré­sence accrue des États-Unis dans une région qu’elle consi­dère de plus en plus comme sa chasse gardée.

Obama et l’Europe : la poursuite de la distanciation

Cette poli­tique du pivot vers l’Asie-Pacifique a été pré­sen­tée par cer­tains ana­lystes comme une poli­tique de désen­ga­ge­ment vis-à-vis de l’Europe. Autre­ment dit, sous l’ère Oba­ma, les États-Unis auraient recen­tré leurs inté­rêts autour de l’Asie alors qu’auparavant ils étaient tour­nés vers l’Europe13. Il est vrai que le retrait de 7.000 mili­taires amé­ri­cains sta­tion­nés en Europe s’inscrit, notam­ment, dans le cadre du ren­for­ce­ment de la pré­sence amé­ri­caine en Asie.

Tou­te­fois, si détour­ne­ment d’intérêt il y a, celui-ci a com­men­cé à s’opérer depuis une ving­taine d’années. Pour les stra­tèges amé­ri­cains, le Vieux Conti­nent a per­du son impor­tance stra­té­gique avec la fin de la guerre froide. En effet, la dis­pa­ri­tion de la confron­ta­tion Est-Ouest a fait perdre à l’Europe sa cen­tra­li­té dans les rela­tions inter­na­tio­nales. Durant l’administration Bush, les rela­tions trans­at­lan­tiques ont connu une période de ten­sions et de dis­tan­cia­tion. Avec l’arrivée d’Obama, la poli­tique de confron­ta­tion avec l’Europe a ces­sé, mais le réchauf­fe­ment entre Washing­ton et Bruxelles atten­du par les Euro­péens n’a (tou­jours) pas eu lieu. Cette situa­tion est le reflet d’une sorte de fatigue, voire d’agacement de la part des auto­ri­tés amé­ri­caines à l’égard des Euro­péens, de leurs divi­sions internes, et de leur inca­pa­ci­té à par­ler d’une seule voix et agir de manière unie sur les ques­tions diplo­ma­ti­co-stra­té­giques. Washing­ton peine tou­jours à com­prendre la dis­tri­bu­tion des rôles au sein des ins­ti­tu­tions euro­péennes et réclame depuis des décen­nies le « numéro1 de l’Europe ».

Cela étant, l’Europe repré­sente pour les États-Unis un mar­ché tout à fait essen­tiel pour l’économie amé­ri­caine. D’ailleurs, Washing­ton ambi­tionne tou­jours de conclure une zone de libre-échange trans­atlantique, pro­jet qui remonte aux années 1990. En ce qui concerne la dimen­sion sécu­ri­taire des rela­tions trans­at­lan­tiques, Oba­ma a adop­té la même posi­tion que les admi­nis­tra­tions pré­cé­dentes dans le sens où il cherche à main­te­nir les États-Unis dans le rôle de garant ultime de la sécu­ri­té euro­péenne tout en obli­geant les Euro­péens à consa­crer davan­tage de res­sources à leurs défenses.

Tou­te­fois, les auto­ri­tés amé­ri­caines estiment que les rela­tions avec l’Europe ne méritent pas plus d’attention. Elles sont en quelque sorte consi­dé­rées comme acquises. Cela déçoit les Euro­péens d’autant plus qu’ils avaient beau­coup misé sur Oba­ma pour ins­tau­rer un « nou­vel âge d’or » dans les rela­tions transatlantiques.

Quelle stratégie pour l’Amérique latine et l’Afrique ?

Le pré­sident démo­crate avait éga­le­ment sus­ci­té en Amé­rique latine et en Afrique un espoir de chan­ge­ment. Ces conti­nents avaient vu dans son ascen­sion au pou­voir le départ d’une nou­velle rela­tion avec les États-Unis. D’ailleurs, pour les capi­tales lati­no-amé­ri­caines, les rela­tions entre Oba­ma et l’Amérique latine avaient plu­tôt bien com­men­cé. Lors du sixième som­met des Amé­riques orga­ni­sé en 2009 à Tri­ni­dad-et-Toba­go, le pré­sident amé­ri­cain avait tenu un dis­cours conci­lia­teur à ses voi­sins. Il avait affir­mé sa volon­té de déve­lop­per avec l’Amérique latine « un rap­pro­che­ment sur la base d’un res­pect mutuel » et d’instaurer un « par­te­na­riat d’égal à égal ».

Mais très rapi­de­ment, le loca­taire de la Mai­son Blanche ins­cri­ra sa poli­tique lati­no-amé­ri­caine dans la lignée de l’administration pré­cé­dente. Elle pour­sui­vra les rela­tions sélec­tives avec des « pays clés » (Bré­sil, Mexique) ou idéo­lo­gi­que­ment proches (Colom­bie, Chi­li, Pérou) tout en négli­geant le reste du conti­nent. Par ailleurs, peu d’avancées seront accom­plies sur les dos­siers sur les­quels le pré­sident démo­crate était atten­du (nor­ma­li­sa­tion des rela­tions avec Cuba, réforme migratoire).

En ce qui concerne la poli­tique afri­caine d’Obama, elle a entrai­né une décep­tion à la hau­teur de l’espoir qu’elle avait sus­ci­té. En effet, les ori­gines afri­caines du pré­sident amé­ri­cain avaient sus­ci­té dans le chef des auto­ri­tés sub­sa­ha­riennes l’espoir de voir les États-Unis adop­ter une diplo­ma­tie ambi­tieuse et inno­vante vis-à-vis du conti­nent noir. Mais les axes de sa stra­té­gie pour l’Afrique vont s’avérer être les mêmes que ceux déployés par les admi­nis­tra­tions pré­cé­dentes (com­merce, sécu­ri­té, démo­cra­tie). En outre, d’aucuns consi­dèrent que sur cer­tains dos­siers l’administration Bush aura fait plus que celle d’Obama, par exemple dans le domaine du finan­ce­ment des pro­grammes de lutte contre le sida14.

Conclusions

Oba­ma et son équipe en charge des rela­tions exté­rieures ont sans aucun doute inno­vé en matière de ter­mi­no­lo­gie pour qua­li­fier leur poli­tique étran­gère (« smart power », poli­tique du « reset » ou stra­té­gie du « pivot »). Mais les chan­ge­ments opé­rés ont été plus impor­tants sur le plan de la forme que du fond. En réa­li­té, la poli­tique étran­gère de l’administration Oba­ma s’est dis­tin­guée par le pro­lon­ge­ment, voire l’accentuation des poli­tiques anté­rieures comme l’illustre la stra­té­gie de lutte contre le terrorisme.

Par ailleurs, la poli­tique du « pou­voir de l’intelligence » a été plus une sorte de stra­ta­gème pour redo­rer l’image du pays qu’une modi­fi­ca­tion pro­fonde de la poli­tique étran­gère. Les dis­cours conci­lia­teurs vis-à-vis du reste du monde et les talents d’orateur d’Obama n’ont pas vrai­ment per­mis de modi­fier l’image néga­tive que les États-Unis ont héri­tée de la période Bush comme l’attestent les mani­fes­ta­tions anti­amé­ri­caines dans le monde ara­bo-musul­man à la suite, notam­ment, de la dif­fu­sion aux États-Unis du film antiis­lam, L’innocence des musulmans.

Enfin, l’enseignement géné­ral que cette étude tire est qu’il existe une conti­nui­té iner­tielle dans la poli­tique étran­gère d’un État indé­pen­dam­ment des élec­tions. Autre­ment dit, il y aurait une sorte d’«intérêt natio­nal » qui trans­cende l’intérêt des par­tis et qui influence de manière conti­nue la poli­tique étrangère.

  1. 49% des son­dés esti­maient que les États-Unis avaient un rôle néga­tif au niveau inter­na­tio­nal alors que seuls 29% consi­dé­raient qu’ils avaient eu une action posi­tive : voir BBC World Ser­vice « View of US’s glo­bal role “worse”», http://news.bbc.co.uk/2/hi/americas/6286755.stm.
  2. Sur la notion de smart power voir Nos­sel Suzanne, « Smart Power », Forei­gn Affairs, 83, 2, mars/avril2004, p.131 – 142.
  3. Le recours à ces aéro­nefs com­man­dés à dis­tance pour effec­tuer des mis­sions de des­truc­tion a été mul­ti­plié par dix sous l’administration Oba­ma : Peter L. Ber­gen, « War­rior on Chief », The New York Times, 28avril 2012, www.nytimes.com ; « Pour­quoi il est absurde de vou­loir inter­dire les drones », Atlan­ti­co, 23novembre 2012, www.atlantico.fr.
  4. La Charte des Nations unies per­met à un pays d’utiliser la force mili­taire à l’étranger pour des rai­sons de légi­time défense à condi­tion qu’elle soit approu­vée par le Conseil de sécu­ri­té de l’ONU ou auto­ri­sée par le pays visé par l’opération.
  5. Voir l’enquête menée au Pakis­tan par le Haut com­mis­sa­riat des droits de l’homme de l’ONU : UNHR, « Ope­ning sta­te­ment by Navi Pillay, High Com­mis­sio­ner for Human Rights to the Human Rights Coun­cil 20th Spe­cial Ses­sion », Office of the High Com­mis­sion­ner for Human Rigths, 18 juin 2012.
  6. La loca­li­sa­tion de Ben Lan­den semble avoir été obte­nue par la tor­ture : « Ben Laden : une réha­bi­li­ta­tion de la tor­ture ? », Le Monde, 3 mai 2011, www.lemonde.fr.
  7. Le vote pour l’adhésion à l’Unesco a été obte­nu avec 107 voix pour, 52 abs­ten­tions et 14 voix contre. Celui pour être obser­va­teur non membre de l’ONU a été obte­nu avec 138 voix pour, 9 contre et 41 abstentions.
  8. La coti­sa­tion amé­ri­caine s’élève à 65millions de dol­lars, ce qui équi­vaut à 22% du bud­get de l’Unesco.
  9. Sebas­tian San­tan­der, « Ordre mon­dial, hégé­mo­nie et puis­sances émer­gentes » dans Sebas­tian San­tan­der, L’émergence de nou­velles puis­sances : vers un sys­tème mul­ti­po­laire ?, Ellipses, 2009, p.9 – 25.
  10. Barack Oba­ma, « Pre­sident Oba­ma Speaks on the Defense Stra­te­gic Review », The White House, 5 jan­vier 2012.
  11. Mark Manyin (dir.), « Pivot to the Paci­fic ? The Oba­ma Administration’s “Reba­lan­cing” Toward Asia », CRS Report for Congress, Washing­ton, 28 mars 2012.
  12. Brah­ma Chel­la­ney, « America’s Unhin­ged “Pivot”», Pro­ject-Syn­di­cate, 16 novembre 2012.
  13. Robert Sut­ter, « Il a joué la carte du prag­ma­tisme », Alter­na­tives inter­na­tio­nales, n°56, sep­tembre 2012.
  14. John Nor­ris, « Does Oba­ma Have a Stra­te­gy for Afri­ca ? », Forei­gn Poli­cy, 19 juin 2012 ; Adrien Hart, « Pour­quoi Oba­ma ne fait plus rêver les Afri­cains », Sla­teA­frique, 17 sep­tembre 2012.

Sebastian Santander


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