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La partition de l’accordéon

Numéro 11/12 novembre/décembre 2014 - droit jeunesse par Detry Isabelle Ravier Isabelle

novembre 2014

Les seuils d’âge dans le champ de la pro­tec­tion de la jeu­nesse se sont dépla­cés. Sont-ils encore per­ti­nents par rap­port aux exi­gences d’individuation et d’activation qui pèsent aujourd’hui sur les jeunes ?

De tout temps, les com­mu­nau­tés d’hommes se sont orga­ni­sées en attri­buant des sta­tuts dif­fé­rents à leurs membres en fonc­tion de leur degré de matu­ri­té. Avec la codi­fi­ca­tion, ces dif­fé­rences ont été tra­duites dans les lois sous forme de seuils cor­res­pon­dant à des âges légaux. Leur déter­mi­na­tion fait régu­liè­re­ment débat tant il est illu­soire de pou­voir fixer des âges chro­no­lo­giques qui cor­res­pon­draient à des réa­li­tés indi­vi­duelles et socio­lo­giques diver­si­fiées et mou­vantes. De mul­tiples sous-dis­tinc­tions appa­raissent de sorte qu’aujourd’hui on pour­rait dire qu’«il y a autant de seuils d’âge que de droits » (Youf, 2012).

L’identification du seuil de la majo­ri­té relève ain­si, au plan social, de plus en plus du leurre. L’allongement de la sco­la­ri­té, la mai­trise de la fécon­di­té, le dif­fi­cile accès à l’emploi, plus glo­ba­le­ment l’évolution de la socié­té sont, en effet, venus bou­le­ver­ser les sché­mas anciens. Dans nos socié­tés modernes1, l’accession à la majo­ri­té n’est pas (plus) le gage d’une inté­gra­tion sociale et/ou pro­fes­sion­nelle. Les par­cours se diver­si­fient et sur­tout sont réver­sibles. Les retours au foyer fami­lial en cas de coup dur font par­tie des tra­jec­toires pos­sibles. Bes­sin (2011) parle à cet égard d’une désyn­chro­ni­sa­tion entre le seuil légal de la majo­ri­té et les par­cours bio­gra­phiques avec une indi­vi­dua­li­sa­tion crois­sante des seuils de tran­si­tions à la vie adulte.

Tous les jeunes ne sont cepen­dant pas égaux face à ces bou­le­ver­se­ments, « on assiste à une déstan­dar­di­sa­tion des étapes et des temps de la vie, mais qui se mani­feste de manière très dif­fé­ren­ciée socia­le­ment » (Bes­sin, 2011). Ce sont ceux qui ont ren­con­tré le plus de dif­fi­cul­tés dans les pre­mières étapes de la vie qui auront sans doute le moins d’outils pour maxi­mi­ser l’individualisation de leur tra­jec­toire, cer­tains retours leur étant impossibles.

Les frontières des âges

Minorité et majorité civiles

En droit romain, il n’existait pas d’âge d’acquisition de la majo­ri­té civile : les enfants res­taient sous l’autorité du père de famille jusqu’à sa mort. Par contre, des seuils d’âge avaient été édic­tés rela­ti­ve­ment au mariage (qua­torze ans pour le gar­çon et douze ans pour la fille). Le mariage était en effet d’une impor­tance pri­mor­diale car il assu­rait la trans­mis­sion du patri­moine fami­lial. « On entrait dans le monde adulte par la capa­ci­té à pro­créer, à per­pé­tuer un nom, une famille, à pro­duire des héri­tiers » (Youf, 2011).

Il fal­lait cepen­dant orga­ni­ser les situa­tions fré­quentes dans les­quelles un pater­fa­mi­lias décé­dait pré­co­ce­ment. Le droit romain avait donc pré­vu dif­fé­rents seuils d’âge concer­nant la capa­ci­té juri­dique des enfants deve­nus pupilles. Avant l’âge de sept ans, il était enten­du que l’infans n’avait pas l’«intelligence » pour s’engager. Au-delà, « jusqu’à la puber­té, c’est-à-dire jusqu’à l’âge de qua­torze ans, le pupille était sous tutelle ; ensuite il était sous cura­telle jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans, âge auquel il deve­nait véri­ta­ble­ment pater » (Youf, 2011). Une fron­tière fixée à vingt-cinq ans se des­sine ici et pré­fi­gure l’idée de majorité.

Avec la Révo­lu­tion fran­çaise, une concep­tion « moderne » de la mino­ri­té est consa­crée dans laquelle l’enfant n’est plus sous l’autorité totale de ses parents, mais un être inache­vé qui, sous la res­pon­sa­bi­li­té de ses parents, doit être édu­qué à son sta­tut d’homme libre. En sep­tembre 1792, la loi éta­blit le seuil de la majo­ri­té (civile) à vingt-et-un ans. La dis­tinc­tion entre mino­ri­té et majo­ri­té est éta­blie au ser­vice du pro­jet de déve­lop­pe­ment des droits de l’homme, « ce n’est plus l’ordre des familles qui doit domi­ner, mais les droits de l’individu » (Youf, 2011).

En 1830, le jeune État belge décide de main­te­nir l’application du code napo­léo­nien sur son ter­ri­toire deve­nu frai­che­ment indé­pen­dant. La majo­ri­té reste donc fixée à vingt-et-un ans.

En 19902, en Bel­gique, à l’instar de nom­breux pays euro­péens3, la majo­ri­té civile est abais­sée et fixée à dix-huit ans. L’ambition ayant pré­si­dé à cet abais­se­ment était cette fois « d’accroitre la res­pon­sa­bi­li­té des jeunes en leur confé­rant plus de droits » (Tul­kens et Moreau, 2000).

La délinquance des jeunes : majorité pénale — minorité protectionnelle

Durant de nom­breux siècles, la délin­quance des jeunes n’était pas trai­tée de façon spé­ci­fique par le droit pénal. Le juge pou­vait prendre en consi­dé­ra­tion l’âge du délin­quant, « soit comme cause de jus­ti­fi­ca­tion, soit comme cause d’excuse ou comme cir­cons­tance atté­nuante » (Tul­kens et Moreau, 2000). Le Code pénal va pro­gres­si­ve­ment orga­ni­ser de façon dif­fé­ren­ciée la réponse à la délin­quance des enfants autour de deux notions : la notion de majo­ri­té pénale et la notion de dis­cer­ne­ment. Il est en effet admis que l’enfant a besoin de temps pour deve­nir « mora­le­ment et dès lors péna­le­ment res­pon­sable » (Tul­kens et Moreau, 2000).

La majo­ri­té pénale est pour la pre­mière fois fixée par le Code pénal de la monar­chie consti­tu­tion­nelle fran­çaise de 1791 à seize ans. Au-delà de cet âge, le jeune est consi­dé­ré comme un adulte et sou­mis au régime répres­sif appli­cable à ceux-ci. En deçà de cet âge, bien qu’il soit mineur péna­le­ment, le juge doit se poser la ques­tion du dis­cer­ne­ment de l’enfant. Ain­si, la loi (art. 2) sti­pu­lait que « si le cou­pable a com­mis le crime sans dis­cer­ne­ment il sera acquit­té et aucune peine ne pour­ra être pro­non­cée ». Mais le texte ajou­tait immé­dia­te­ment que « le tri­bu­nal pour­ra, sui­vant les cir­cons­tances, ordon­ner que le cou­pable soit ren­du à ses parents pour y être éle­vé et déte­nu pen­dant le nombre d’années que le juge­ment déter­mi­ne­ra et qui tou­te­fois ne pour­ra excé­der l’époque à laquelle il aura atteint l’âge de vingt-et-un ans » (Tul­kens et Moreau, 2000). On voit ain­si appa­raitre la logique sociale d’intervention à l’égard du mineur irres­pon­sable sur le plan pénal, mais néan­moins « dan­ge­reux ». Cette logique sociale ne ces­se­ra de croi­ser la logique pénale.

Cette dis­tinc­tion est reprise dans le pre­mier Code pénal belge en 1867 : « Au-des­sus de seize ans, l’enfant est deve­nu majeur sur le plan pénal et il est donc sou­mis au régime pénal de droit com­mun. […] en des­sous de seize ans, le mineur sera acquit­té ou condam­né selon qu’il a agi avec ou sans dis­cer­ne­ment » (Tul­kens et Moreau, 2000).

En 1912, la Bel­gique adopte sa pre­mière loi pro­tec­tion­nelle de l’enfance. À cette occa­sion, un débat s’est enga­gé entre le gou­ver­ne­ment qui sou­hai­tait rele­ver le seuil de la majo­ri­té pénale à dix-huit ans et les par­le­men­taires qui crai­gnaient une sur­pro­tec­tion qu’ils assi­mi­laient à une déres­pon­sa­bi­li­sa­tion du jeune. Fina­le­ment, le seuil de seize ans est main­te­nu rela­ti­ve­ment aux infrac­tions pénales. Il est, par contre, rele­vé à dix-huit ans pour per­mettre l’intervention du juge des enfants à l’égard des jeunes qui s’adonnent à la men­di­ci­té, au vaga­bon­dage4, ou encore font preuve d’inconduite ou d’indiscipline5.

La pro­blé­ma­tique des « jeunes adultes » est abor­dée en 1960 déjà, à l’occasion d’un congrès de défense sociale, qui pose la ques­tion de la recon­nais­sance d’une caté­go­rie inter­mé­diaire entre les majeurs et les mineurs et note l’extension de la période ado­les­cente (Tul­kens et Moreau, 2000). « Au niveau légis­la­tif, les textes pro­po­sés tra­dui­ront pro­gres­si­ve­ment la muta­tion de la pro­tec­tion de l’enfance vers la pro­tec­tion de la jeu­nesse. La majo­ri­té pénale sera por­tée de seize à dix-huit ans6 tan­dis que la majo­ri­té pro­tec­tion­nelle s’étendra tout natu­rel­le­ment jusqu’à la majo­ri­té civile7 » (Tul­kens et Moreau, 2000).

L’alignement en 1990 de l’âge de la majo­ri­té civile sur celui de la majo­ri­té pénale a posé deux pro­blèmes à l’égard des mineurs délin­quants (Tul­kens et Moreau, 2000). Une pre­mière ques­tion concer­nait la com­pé­tence du tri­bu­nal à pro­pos de jeunes ayant com­mis des faits alors qu’ils étaient mineurs, mais ren­voyés devant le juge après l’accession à leur majo­ri­té. La loi du 24 décembre 1992 a tran­ché en pre­nant comme cri­tère d’admissibilité l’âge au moment de la com­mis­sion des faits (Tul­kens et Moreau, 2000). Le second pro­blème concer­nait la qua­si-impos­si­bi­li­té pour un juge de la jeu­nesse de pro­non­cer une mesure à l’égard de jeunes com­met­tant des faits peu avant leur majo­ri­té puisque la mesure devait prendre fin à la majo­ri­té. C’est ain­si qu’un sys­tème assez com­plexe de pro­lon­ga­tion a été organisé.

Dans le même sens, la Com­mu­nau­té fran­çaise, dans le décret rela­tif à l’aide à la jeu­nesse qui orga­nise l’aide spé­cia­li­sée pour tous les mineurs pré­voit éga­le­ment que des jeunes puissent béné­fi­cier d’une pro­lon­ga­tion de cette aide, pour autant qu’elle ait été sol­li­ci­tée et obte­nue avant l’âge de la majo­ri­té. En aucun cas cette aide ne peut être pro­lon­gée au-delà de l’âge de vingt ans (Tul­kens et Moreau, 2000). La Com­mu­nau­té fla­mande a éga­le­ment adap­té sa légis­la­tion pour per­mettre une pro­lon­ga­tion de cer­taines mesures d’aide jusqu’aux âges de vingt et vingt-et-un ans.

À côté de ces méca­nismes qui cherchent à pro­lon­ger la « pro­tec­tion » des jeunes, délin­quants ou en dif­fi­cul­té, le légis­la­teur a éga­le­ment mis en place, en 1965, un méca­nisme per­met­tant, à l’inverse, au juge de la jeu­nesse de ren­voyer plus rapi­de­ment le mineur délin­quant devant la jus­tice des adultes moyen­nant cer­taines condi­tions8. La mesure de des­sai­sis­se­ment est « le moyen que le légis­la­teur a trou­vé pour faire contre­poids à l’élévation de l’âge de la majo­ri­té pénale à dix-huit ans » (Tul­kens et Moreau, 2000).

Les seuils d’âge dans le dispositif législatif actuel

Les mineurs délinquants

Comme nous l’avons vu pré­cé­dem­ment, en Bel­gique, depuis 1990, majo­ri­té pénale et majo­ri­té civile sont ali­gnées et fixées à dix-huit ans. Cepen­dant, pour tem­pé­rer une appli­ca­tion trop rigou­reuse de ces seuils, et pour ten­ter de cor­res­pondre tant aux réa­li­tés indi­vi­duelles que socio­lo­giques, des adap­ta­tions tant à la hausse qu’à la baisse sont régu­liè­re­ment édictées.

La der­nière mou­ture de la loi de pro­tec­tion de la jeu­nesse9 pré­voit ain­si une pos­si­bi­li­té de pro­lon­ga­tion des mesures cette fois jusqu’à vingt-trois ans10. Cette dis­po­si­tion n’est tou­te­fois pas encore entrée en vigueur. Elle sup­pose en effet des adap­ta­tions impor­tantes des ins­ti­tu­tions pre­nant en charge les mineurs délin­quants pour orga­ni­ser la coha­bi­ta­tion ou la coges­tion de mineurs et de jeunes adultes. À l’inverse, une forme de majo­ri­té pénale anti­ci­pée pour cer­tains jeunes11 et sous cer­taines condi­tions12 est main­te­nue via la pro­cé­dure en dessaisissement.

Très récem­ment, le groupe de tra­vail mis en place par la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles pour pré­pa­rer la com­mu­nau­ta­ri­sa­tion de la pro­tec­tion de la jeu­nesse13 s’est pen­ché sur la ques­tion du des­sai­sis­se­ment. En vue de ren­for­cer le carac­tère excep­tion­nel de cette pro­cé­dure, le groupe pré­co­nise « de mettre rapi­de­ment en vigueur la modi­fi­ca­tion […] qui per­met de pro­lon­ger les mesures jusqu’à vingt-trois ans au lieu de vingt ans » (Rans et Kel­lens, 2014). En effet, bon nombre de des­sai­sis­se­ments ont lieu alors que le jeune est très proche de la majo­ri­té. Accor­der à ce moment aux juges de la jeu­nesse la pos­si­bi­li­té de pro­lon­ger les mesures pro­tec­tion­nelles à l’égard du mineur jusqu’à ses vingt-trois ans per­met­trait sans doute d’encore trai­ter la pro­blé­ma­tique dans le cadre de la pro­tec­tion de la jeu­nesse et d’éviter ain­si le ren­voi vers le droit pénal.

La loi réfor­mée a éga­le­ment ins­ti­tué bon nombre de seuils d’âge en rap­port avec les types de mesures que le tri­bu­nal peut pro­non­cer. Ain­si les jeunes de moins de douze ans ne peuvent être pla­cés dans une ins­ti­tu­tion publique de pro­tec­tion de la jeu­nesse (IPPJ) ou un centre fédé­ral fer­mé. Seule une sur­veillance sans condi­tions peut être ordon­née. Entre douze et qua­torze ans, outre les mesures de main­tien dans le milieu de vie avec condi­tions14, en prin­cipe seul le pla­ce­ment en IPPJ à régime ouvert est pos­sible, le régime fer­mé n’est envi­sa­geable que sous cer­taines condi­tions liées à la gra­vi­té des faits, la dan­ge­ro­si­té du com­por­te­ment et la réci­dive. À par­tir de qua­torze ans, le juge peut ordon­ner un pla­ce­ment en régime fer­mé et un pla­ce­ment en centre fédé­ral fer­mé pour les jeunes garçons.

Par ailleurs, à par­tir de seize ans, en matière de rou­lage, les jeunes relèvent des juri­dic­tions de droit com­mun et du droit pénal com­mun. Cer­taines mesures pro­tec­tio­nelles comme la condi­tion du main­tien dans le milieu de vie qui consiste en un tra­vail rému­né­ré de 150 heures maxi­mum leur est acces­sible. À par­tir de dix-sept ans, le juge a la pos­si­bi­li­té de pro­non­cer direc­te­ment des mesures jusqu’à l’âge de vingt ans. À tout âge, une offre res­tau­ra­trice peut être pro­po­sée et le jeune peut dépo­ser un pro­jet écrit.

Si le légis­la­teur belge a opté pour deux balises, un âge mini­mal de douze ans en des­sous duquel le jeune doit faire l’objet de mesures exclu­si­ve­ment édu­ca­tives et un âge maxi­mal cor­res­pon­dant à la majo­ri­té pénale, le sys­tème est orga­ni­sé autour de mul­tiples autres seuils modu­lant ces prin­cipes. L’idée est de per­mettre à la fois une plus grande sévé­ri­té pour cer­tains et une meilleure pro­tec­tion pour d’autres.

Une nouvelle catégorie : les mineurs « inciviques »

Depuis 1999, une loi per­met aux com­munes de lut­ter contre les « nui­sances » défi­nies comme des com­por­te­ments gênant la popu­la­tion, mais dif­fi­ci­le­ment sanc­tion­nables car ne cor­res­pon­dant pas à des infrac­tions à la loi pénale, comme « l’abandon de déchets, le fait d’uriner n’importe où, l’affichage sau­vage, les déjec­tions canines, le bruit cau­sé par la cir­cu­la­tion, les nui­sances occa­sion­nées par les bandes de jeunes et toutes sortes de formes de van­da­lisme » (Pon­saers, Van­der Beken et Cam­maert, 2006). Cette loi a don­né aux com­munes, à tra­vers leur règle­ment de police les moyens de consta­ter, de pour­suivre et de sanc­tion­ner des infrac­tions. Jusqu’à il y a peu, seuls les mineurs de plus de seize ans pou­vaient se voir infli­ger une amende admi­nis­tra­tive com­mu­nale. La loi a, depuis, été réfor­mée, et la der­nière mou­ture de celle-ci votée en juillet 2013 dis­pose que depuis le 1er jan­vier 2014, l’âge des mineurs pou­vant faire l’objet de sanc­tions admi­nis­tra­tives com­mu­nales a été abais­sé à qua­torze ans.

À tra­vers les quelques balises que nous venons d’explorer, on observe une ten­sion entre la logique de pro­tec­tion qui cherche à rehaus­ser les seuils d’âge et la logique d’émancipation qui tend à les abais­ser. Cette seconde logique s’enracine tant dans le mou­ve­ment des droits de l’homme que la pro­gres­sion du libé­ra­lisme et la pro­mo­tion d’un État social actif. C’est ain­si qu’elle ren­contre éga­le­ment les argu­ments en faveur d’un droit plus sanc­tion­nel de la jeu­nesse au nom de la « res­pon­sa­bi­li­sa­tion » des jeunes sujets de droits. « Cette ten­sion s’inscrit dans une pro­blé­ma­tique clas­sique de l’accompagnement et du contrôle social, entre un pôle sécu­ri­taire et un pôle plus pro­tec­tion­nel. Entre “sur­veiller” et “veiller sur”, la dif­fé­rence est par­fois dif­fi­ci­le­ment pal­pable » (Bes­sin, 2011).

Plus fon­da­men­ta­le­ment, on peut éga­le­ment per­ce­voir une ten­sion entre les contraintes des seuils chro­no­lo­giques et des poli­tiques sociales plus indi­vi­dua­li­sées qui tien­draient compte de la flexi­bi­li­té et de la réver­si­bi­li­té actuelles des par­cours. Cette ten­sion est par­ti­cu­liè­re­ment vive pour les jeunes en dif­fi­cul­té et/ou « délin­quants » pour les­quels le cou­pe­ret de la majo­ri­té, à défaut d’autres filets (fami­liaux, rela­tion­nels…) signi­fie la fin de toute pro­tec­tion et le début d’une auto­no­mie for­cée. Un des défis de ces poli­tiques sociales est sans doute de pou­voir prendre en compte ces tra­jec­toires bio­gra­phiques spé­ci­fiques par l’aménagement de cette transition.

  1. Gau­chet dis­tingue les socié­tés modernes des socié­tés tra­di­tion­nelles par leur « arma­ture des liens sociaux ». Dans les socié­tés tra­di­tion­nelles « la défi­ni­tion ins­ti­tuée des âges fait par­tie de l’armature des liens sociaux, en liai­son étroite avec la paren­té. Les socié­tés modernes se dis­tinguent par le déclin des liens de paren­té et le relâ­che­ment de l’organisation en âges en tant qu’armatures expli­cites de la socié­té. Ces socié­tés tiennent les indi­vi­dus ensemble par le poli­tique, à tra­vers l’association par le droit, sur la base du contrat entre libres indi­vi­dus ; elles les conjoignent par l’organisation éco­no­mique, au tra­vers des rap­ports de pro­duc­tion et d’échange » (Gau­chet, 2004).
  2. Loi du 20 jan­vier 1990, MB, 30 jan­vier 1990.
  3. La majo­ri­té civile est abais­sée à dix-huit ans, le 5 juillet 1974 en France.
  4. Loi du 15 mai 1912 sur la pro­tec­tion de l’enfance, art. 13, al. 2 (Tul­kens et Moreau, 2000).
  5. Loi du 15 mai 1912, art. 14. Il s’agit de la plainte en cor­rec­tion pater­nelle (Tul­kens et Moreau, 2000).
  6. Dans la loi du 8avril 1965 rela­tive à la pro­tec­tion de la jeunesse.
  7. En effet, la loi rela­tive à la pro­tec­tion de la jeu­nesse de 1965 sti­pule que les mesures de pro­tec­tion prennent fin à l’âge de la majo­ri­té civile.
  8. Le des­sai­sis­se­ment, voir article 38 de la loi du 8 avril 1965 rela­tive à la pro­tec­tion de la jeunesse.
  9. Lois du 15 mai et 13 juin 2006 rela­tives à la pro­tec­tion de la jeu­nesse, à la prise en charge des mineurs ayant com­mis un fait qua­li­fié infrac­tion et à la répa­ra­tion du dom­mage cau­sé par ce fait.
  10. Comme indi­qué supra, cette pos­si­bi­li­té de pro­lon­ga­tion exis­tait déjà dans la loi de 1965, mais était fixée à maxi­mum vingt ans.
  11. Article 57 bis : le jeune doit être âgé de seize ans au moins, avoir fait l’objet d’une ou de plu­sieurs mesures pro­tec­tion­nelles ou d’une offre res­tau­ra­trice, avoir com­mis ou ten­té de com­mettre des faits graves.
  12. La condi­tion d’avoir com­mis un fait d’une cer­taine gra­vi­té : atten­tat à la pudeur avec vio­lences ou menaces, viol, meurtre, coups et bles­sures volon­taires avec inca­pa­ci­té per­ma­nente ou ayant entrai­né la mort sans inten­tion de la don­ner, tor­ture et trai­te­ment inhu­main, vol avec vio­lences ou menaces avec cir­cons­tances aggravantes.
  13. Cette com­mu­nau­ta­ri­sa­tion est pré­vue dans les accords sur la sixième réforme de l’État, octobre 2011.
  14. À l’exception de la condi­tion d’un tra­vail rému­né­ré pour laquelle il faut avoir atteint l’âge de seize ans.

Detry Isabelle


Auteur

Ravier Isabelle


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