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La panne

Numéro 1 - 2017 par Nicolas Dykmans

janvier 2017

« Salut cow­boy. »  Quand une fille t’aborde sur un site de ren­contre, l’info passe d’abord par tes yeux, des­cend à une vitesse phé­no­mé­nale jusqu’aux couilles, amorce un dur­cis­se­ment de la verge et remonte jusqu’au cer­veau en éveillant tous les sens pour les pré­pa­rer à ce qui va suivre. On cause une dizaine de minutes sur le site avant […]

Italique

« Salut cowboy. » 

Quand une fille t’aborde sur un site de ren­contre, l’info passe d’abord par tes yeux, des­cend à une vitesse phé­no­mé­nale jusqu’aux couilles, amorce un dur­cis­se­ment de la verge et remonte jusqu’au cer­veau en éveillant tous les sens pour les pré­pa­rer à ce qui va suivre. On cause une dizaine de minutes sur le site avant de décro­cher le numé­ro de la demi-abs­trac­tion-sexuelle sous pré­texte que « c’est plus facile de cau­ser sur What­sApp ». Il faut la faire rire, avoir l’air cool et spi­ri­tuel. Mais aus­si auda­cieux et un peu per­vers. Faire des allu­sions, pous­ser la conver­sa­tion dans le champ sexuel, lui faire pen­ser que ça vient d’elle et ça vien­dra d’elle. Il est impé­ra­tif de com­men­cer très tôt à par­ler de cul. Ain­si le rap­port entre elle et toi sera d’emblée pla­cé sous le patro­nage de la Sainte-Baise. Il faut se trans­for­mer en gode bla­gueur. Un gode bla­gueur téné­breux et spirituel ! 

On s’est don­né ren­dez-vous pour le sur­len­de­main. Comme dans South Park, je gerbe avant chaque ren­card. Les spasmes me prennent et après de longues minutes d’étranglement inté­rieur où la bave et les larmes se répandent, je me fous deux doigts dans la bouche et rends à la terre le fruit qu’elle m’a don­né. Je me brosse les dents deux fois et attends son arri­vée. Elle sonne, elle monte et, comme à chaque fois, je stresse à mort. J’essaie de ne pas le mon­trer. Pour­vu que ma queue fonc­tionne. Manon passe la porte. Elle est sexy. Des longues jambes de nylon, une sil­houette et une appa­rence géné­rale qui sup­pose la fille qui prend soin d’elle. Je vois tout de suite que l’heure qui va suivre ne sera qu’une sorte de pro­to­cole. On cause, je lui sers un verre de gin-tonic. Même sché­ma que sur inter­net, ame­ner dou­ce­ment, mais sur­ement, la conver­sa­tion sur le sexe, com­pli­men­ter ses jambes, prendre des liber­tés, la tou­cher, l’embrasser, l’amener à mon lit, la désa­per. Évi­dem­ment ma queue déconne. Blo­quée. Un bout de chair morte dont la pré­sence se fait res­sen­tir comme un corps étran­ger. Gagner du temps ! Je lui lèche la chatte. Je fais ça bien et elle gémit. Je la touche par­tout, sa voix a une tona­li­té por­no-mignonne, son corps a les courbes élé­gantes du desi­gn sué­dois, mais rien à faire ! Ma queue ne veut pas dur­cir. Plus de temps à perdre. Elle m’appelle : « viens », « j’ai envie de toi », je remonte et elle sent l’excuse de pénis qui lui effleure la cuisse. Je me répands en excuses écu­lées et sa sol­li­ci­tude m’énerve, je nous hais tous les deux. On s’embrasse un peu, j’essaie de me cal­mer, mais rien d’autre à décro­cher qu’une demi-molle. Occa­sion à sai­sir ! C’est par­ti, branle bas de com­bat ! Capote ! Vite, putain ! Elle va flan­cher et ce sera trop tard, je m’occupe de ma bite comme d’un mau­vais capi­taine de bateau qui voit une petite brise se lever. Avant même d’avoir ouvert l’emballage, je sens que c’est trop tard. Elle garde un sem­blant de consis­tance pen­dant que je la déroule et expire avant même que j’ai pu péné­trer mon invi­tée. Bor­del de merde ! Je fais le mec qui s’en fout. Le mec qui s’assume et qui n’est pas la somme de ses fai­blesses. « Bah ça arrive à tout le monde, peut-être que mon train de vie est un peu trop rock’n’roll pour le moment, héhé­hé. » La véri­té c’est que cette nana m’intimide. Je ne l’ai pas séduite. Elle a déci­dé de venir essayer le gode bla­gueur et je sais que, si celui-ci est défec­tueux, elle en trou­ve­ra un autre. La déco du maga­sin ou le charme du ven­deur n’y font rien. Si l’article ne marche pas la cliente quit­te­ra le lieu sans ini­mi­tié ni décep­tion. Elle aura sim­ple­ment le vague sen­ti­ment d’avoir per­du un peu de temps. 

Pauvre bite foi­reuse. Je recom­mence à lécher la fille, conscient de n’offrir qu’un prix de conso­la­tion. « La moindre des choses. » Mon membre se dur­ci­ra à inter­valles irré­gu­liers. Lors des trois ten­ta­tives que capote à la banane, à la fraise et au café me per­met­tront, je pas­se­rai peut-être vingt secondes de rela­tive consis­tance dans son vagin. Ma haine et ma méfiance par rap­port à mon pénis m’empêchent de vivre l’instant. Je suis aus­si exci­té que si un ter­ro­riste sexuel me plan­tait un flingue sur la tempe et me don­nait trente secondes pour avoir la plus fan­tas­tique des érec­tions. Elle m’encourage par ses gémis­se­ments et j’ai envie de lui crier que je ne suis pas dupe. Que ma queue flasque dans l’humidité de son vagin indi­gné — les vagins pleurent-ils ? — ne lui pro­cure qu’une gêne empreinte de dégout. 

Tout ça est bien sûr inté­rio­ri­sé. Laqué de trois couches d’insouciance et de farce, je fais le choix stra­té­gique d’avouer ma fai­blesse. Pas de « ça ne m’arrive jamais pour­tant ». Plu­tôt « navré de ne pas avoir ren­con­tré vos exi­gences madame, ma bite est comme un chat, sociable avec cer­tains, farouche avec d’autres ». Manon est douce et gen­tille, elle accepte mes expli­ca­tions. Nous nous endor­mons sur la pro­messe d’orgasmes futurs.

Nicolas Dykmans


Auteur

achève ses études en philologie romane à l’ULg