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La Palestine maintenant

Numéro 12 Décembre 2004 - Proche et Moyen-orient par Joëlle Kwaschin

décembre 2004

« C’é­tait un grand homme. Heu­reu­se­ment qu’il est mort ! » Le trait, certes, est for­cé mais à peine. En dépit d’a­na­lyses par­fois diver­gentes, les com­men­taires qui ont sui­vi la mort de Yas­ser Ara­fat semblent pou­voir être ramas­sés dans cette for­mule lapi­daire. Ara­fat a per­mis au peuple pales­ti­nien d’ac­qué­rir visi­bi­li­té et recon­nais­sance, mais il consti­tuait une entrave à la paix. […]

« C’é­tait un grand homme. Heu­reu­se­ment qu’il est mort ! » Le trait, certes, est for­cé mais à peine. En dépit d’a­na­lyses par­fois diver­gentes, les com­men­taires qui ont sui­vi la mort de Yas­ser Ara­fat semblent pou­voir être ramas­sés dans cette for­mule lapi­daire. Ara­fat a per­mis au peuple pales­ti­nien d’ac­qué­rir visi­bi­li­té et recon­nais­sance, mais il consti­tuait une entrave à la paix. Un grand guer­rier donc, mais un homme du pas­sé, un héros deve­nu encom­brant. Un révo­lu­tion­naire qui n’a­vait aucune qua­li­té de chef d’É­tat. C’est aller vite en besogne que de faire l’im­passe sur plus d’un demi-siècle d’his­toire, sur­tout quand les juges sont sou­vent ceux-là mêmes qui se sont sin­cè­re­ment bat­tus pour que cet État pales­ti­nien ne voit jamais le jour…

Pas­cal Fenaux retrace l’his­toire inex­tri­ca­ble­ment mêlée du mou­ve­ment natio­nal pales­ti­nien et de l’É­tat d’Is­raël et sur­tout la com­plexi­té d’un conflit qui, de luttes armées en négo­cia­tions poli­tiques, aura dura­ble­ment trau­ma­ti­sé les deux socié­tés, pales­ti­nienne et israélienne.

L’en­fer­me­ment des Pales­ti­niens dans les ter­ri­toires occu­pés est évo­qué par Anne Roth­schild, juive vivant à Paris, poète et gra­veur qui tisse des liens entre juifs et musul­mans, entre le Musée d’art et du judaïsme et l’Ins­ti­tut du monde arabe. Anne Roth­schild raconte une visite à des amis, qui pour­rait être ano­dine. Mais sa des­ti­na­tion, Ramal­lah, et son guide, une Pales­ti­nienne qui tra­vaille à Jéru­sa­lem, le sont moins. Les quinze kilo­mètres qui séparent les deux villes trans­forment, l’es­pace d’un après-midi, la voya­geuse en pas­sa­ger clan­des­tin dans un monde inter­dit, la fait fran­chir une fron­tière âpre­ment contrô­lée, où l’ar­bi­traire règne. Le long tra­jet de retour à Jéru­sa­lem est à l’i­mage de la vie des Pales­ti­niens de Ramal­lah, oppres­sante, erra­tique, incertaine.
Marianne Blume, coopé­rante belge en Pales­tine ana­lyse les funé­railles de Yas­ser Ara­fat. Les vraies funé­railles, celles que le peuple pales­ti­nien s’est appro­priées, qu’il a faites siennes fai­saient peut-être un peu désordre aux yeux des Occi­den­taux, mais elles ont mis en évi­dence la sagesse et l’in­tel­li­gence de la socié­té pales­ti­nienne. Dans beau­coup d’autres États sem­blable « débor­de­ment » popu­laire eût été répri­mé dans le sang. Cette socié­té qui peut tout à la fois res­pec­ter le pou­voir et le cri­ti­quer est mure pour voir naitre le pre­mier État démo­cra­tique arabe.

Cepen­dant avant que cet État ne devienne réa­li­té auront lieu les élec­tions qui devront dési­gner le suc­ces­seur d’A­ra­fat à la pré­si­dence de l’Au­to­ri­té pales­ti­nienne. Pas­cal Fenaux indique que, si les Occi­den­taux ne s’im­pliquent pas dans le pro­ces­sus élec­to­ral en obte­nant, d’une part, qu’Is­raël per­mette la libre cir­cu­la­tion en Cis­jor­da­nie et, d’autre part, que les groupes armés pales­ti­niens res­pectent les pro­cé­dures démo­cra­tiques de vote, Israé­liens et Pales­ti­niens pour­ront dénier toute légi­ti­mi­té aux futurs diri­geants et, par­tant, empê­cher tout pro­ces­sus de paix.

« Intré­pides / dans le champ du mal­heur / les grands appren­tis­sages […] plantent tou­jours leur objec­tion » (Hen­ry Bau­chau). Si le pro­ces­sus de paix ne pou­vait être relan­cé, comme Ariel Sha­ron l’a pro­mis au len­de­main de la mort de l’« objec­tion » Ara­fat, le gou­ver­ne­ment de la Mort (Nou­rit Peled-Elha­na) aurait encore de beaux jours dans les deux camps, et ni la paix ni l’É­tat pales­ti­nien ne seront pour maintenant.

Joëlle Kwaschin


Auteur

Licenciée en philosophie