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La guerre civile espagnole vue par la presse étrangère

Numéro 7 - 2015 par Florentina Rodrigo Paredes

novembre 2015

Après le suc­cès du sou­lè­ve­ment mili­taire du 18 juillet 1936, la mon­tée au pou­voir du cau­dillo est sui­vie avec inté­rêt par de nom­breux pays dont les États Unis, la Grande-Bre­tagne et la Bel­gique. Com­ment ces pays démo­cra­tiques traitent-ils la situa­tion en Espagne et quel regard portent-ils sur le géné­ral Fran­co ? Voient-ils dans l’avancée des troupes rebelles en Espagne une réelle menace de la vic­toire du fas­cisme en Europe ? Com­ment se situent-ils par rap­port au pacte de non-inter­ven­tion dans la guerre espa­gnole ? En obser­vant la guerre civile espa­gnole à tra­vers les Bul­le­tins pério­diques de presse étran­gère, outre le trai­te­ment jour­na­lis­tique de ces évè­ne­ments, c’est aus­si le fonc­tion­ne­ment poli­ti­co-diplo­ma­tique que l’on découvre. Des posi­tions qui res­tent par­ta­gées entre impar­tia­li­té, regard exté­rieur, méfiance et craintes autour d’un conflit d’envergure euro­péenne, voire internationale.

Dossier

Dans la nuit du 17 au 18 juillet 1936 se déclenche en Espagne une insur­rec­tion mili­taire qui abou­ti­ra à la chute du gou­ver­ne­ment du Front popu­laire de la Seconde Répu­blique espa­gnole. Le conflit s’enlise pen­dant trois ans et des puis­sances étran­gères viennent en aide aux deux camps : l’URSS sou­tient les répu­bli­cains, l’Italie et l’Allemagne les natio­naux. À l’issue de ces trois années, les natio­naux, diri­gés par le géné­ral Fran­co, rem­portent la vic­toire le 1er avril 1939.

Publiés par les minis­tères de la Guerre et des Affaires étran­gères fran­çais depuis 1916, les Bul­le­tins pério­diques passent en revue l’actualité, tra­duite au besoin en fran­çais1, et accordent une large place au trai­te­ment poli­tique de l’information et à sa dimen­sion inter­na­tio­nale. Ils appa­raissent ain­si comme une source de réfé­rence sur le trai­te­ment jour­na­lis­tique de la guerre civile espa­gnole et nous offrent une réelle « pho­to­gra­phie » de l’actualité inter­na­tio­nale et une syn­thèse des atti­tudes et posi­tion­ne­ment de la plu­part des pays sur ce conflit.

La presse britannique

Le Royaume-Uni ne prend aucune posi­tion sur le conflit espa­gnol dans un contexte euro­péen mar­qué par la mon­tée du fas­cisme et la fri­lo­si­té des démo­cra­ties. En effet, les Bri­tan­niques ne sou­haitent pas voir se déve­lop­per de rela­tions hos­tiles avec l’Allemagne et l’Italie. Au début de la guerre, la presse bri­tan­nique dénonce la pré­sence com­mu­niste dans les rangs répu­bli­cains et pointe son rôle néfaste en Espagne, face à un gou­ver­ne­ment qui semble avoir capitulé.

Le Dai­ly Tele­graph du 3 aout 1936 indique : « Le cours des évè­ne­ments met le gou­ver­ne­ment de plus en plus sous la coupe des élé­ments extrêmes du com­mu­nisme. Ceux-ci repré­sentent une par­tie si impor­tante de ses troupes que le pou­voir leur appar­tien­dra s’il rem­porte la vic­toire. Il est plus facile d’armer une popu­lace que de lui deman­der ensuite de désar­mer2. »

Le 5 aout, le Times s’interroge d’ailleurs sur le désordre régnant en Espagne et sur l’origine pos­sible de ce conflit, augu­rant un ave­nir bien sombre pour le pays. En effet, d’un côté, le gou­ver­ne­ment n’a plus d’autorité. De l’autre, on trouve une Église enga­gée dans une contre­ré­vo­lu­tion cultu­relle aux côtés d’une par­tie de l’armée menée par les géné­raux Fran­co et Mola. Selon le jour­nal, ces der­niers n’ont ni « flair ni de capa­ci­té poli­tique, et entre ces deux extrêmes, le mar­xisme et le mili­ta­risme, le sys­tème par­le­men­taire s’est effon­dré3 ».

Après s’être inter­ro­gée sur les ori­gines et la situa­tion au début de la guerre civile, la presse bri­tan­nique s’attache par­ti­cu­liè­re­ment au res­pect du prin­cipe de non-inter­ven­tion dans ce conflit, mais elle ne se fait guère d’illusion. Le Times du 8 sep­tembre salue la poli­tique de non-inter­ven­tion déci­dée par Léon Blum. Il pré­sente aus­si une opi­nion bri­tan­nique lar­ge­ment « oppo­sée à prendre par­ti pour l’un ou l’autre camp ». Il met éga­le­ment en garde contre une « sim­pli­fi­ca­tion trom­peuse » du conflit réduit à un affron­te­ment entre com­mu­niste et fas­ciste au niveau européen.

La presse bri­tan­nique reste cri­tique envers le camp répu­bli­cain comme le montrent le Dai­ly Tele­graph et le Times. Le Mor­ning Post du 5 octobre, fidèle à sa ligne édi­to­riale plu­tôt de droite, se féli­cite du choix de Fran­co comme chef des natio­naux et n’hésite pas à cri­ti­quer les par­tis de gauche : « Les pédants qui refusent d’admettre qu’un gou­ver­ne­ment non basé sur un Par­le­ment élu par le suf­frage popu­laire puisse être bon condam­ne­ront sans doute les pro­jets du géné­ral comme étant réac­tion­naires. Mais cette condam­na­tion ne peut guère être pro­non­cée par nos socia­listes et nos tra­vaillistes qui trouvent tant de choses, non seule­ment à tolé­rer, mais encore à louer dans la poli­tique actuelle de la Rus­sie4. »

Pour la presse bri­tan­nique, la poli­tique de non-inter­ven­tion reste fon­da­men­tale. Le York­shire Post du 9 octobre indique que l’absence de prise de posi­tion est la meilleure solu­tion : « Il nous est impos­sible de sym­pa­thi­ser poli­ti­que­ment avec l’un ou l’autre des par­tis aux prises parce que tous deux repré­sentent une néga­tion com­plète de tous les prin­cipes de gou­ver­ne­ment que nous hono­rons et défen­dons et sur­tout de l’esprit de tolé­rance qui est essen­tiel à toutes nos idées de la vie publique5. »

Cepen­dant, les titres de la presse de gauche, comme le Dai­ly Herald, le News Chro­nicle et le Dai­ly Wor­ker, sou­te­nus par­fois par des jour­naux libé­raux comme le Man­ches­ter Guar­dian, sou­haitent une inter­ven­tion : « Nos sen­ti­ments, écrit le Dai­ly Herald (6 octobre 1936) — ceux de tous ceux qui croient en la démo­cra­tie — sont pro­fon­dé­ment enga­gés. Car la lutte qui se livre en Espagne existe entre la démo­cra­tie et un type de fas­cisme par­ti­cu­liè­re­ment bru­tal et réac­tion­naire. Nous dési­rons donc ardem­ment l’intervention — et une inter­ven­tion pous­sée jusqu’au bout. »

Au fil de l’évolution de la guerre civile, la presse bri­tan­nique s’inquiète des inté­rêts éco­no­miques de la Grande-Bre­tagne. Un article du Mor­ning Post du 23 juillet 1937 s’en fait l’écho. Le constat semble sans appel : une entre­prise telle que la Socié­té des mines de Río Tin­to obtient de meilleurs résul­tats de pro­duc­tion lorsqu’elle est pla­cée sous le contrôle fran­quiste. On voit bien qu’une par­tie de la presse bri­tan­nique ne ver­rait pas d’un mau­vais œil une Espagne fran­quiste. Les mêmes pré­oc­cu­pa­tions sont obser­vées en 1938 lorsque le cor­res­pon­dant du Times fait état, dans un article en date des 21 et 22 avril, de la future orga­ni­sa­tion de l’Espagne avec un « géné­ral Fran­co [qui] concentre tous les pou­voirs entre ses mains, ce qui assure une uni­té com­plète à son gou­ver­ne­ment6. »

Au début de l’année 1939, l’armée répu­bli­caine est en passe d’être bat­tue. Le 14 février, Neville Cham­ber­lain annonce, devant la Chambre des Com­munes, que le gou­ver­ne­ment bri­tan­nique est prêt à recon­naitre le gou­ver­ne­ment du géné­ral Fran­co avec l’accord du gou­ver­ne­ment fran­çais, tan­dis que ce der­nier est encore hésitant.

Le Times du 15 février dénonce la pru­dence fran­çaise : « Offi­ciel­le­ment l’affaire en reste là. On est un peu déçu que rien de plus net ne soit par­ve­nu de Paris, mais on se rend bien compte ici que la Grande-Bre­tagne est pour beau­coup de rai­sons — poli­tiques aus­si bien que géo­gra­phiques — mieux pla­cée pour faire les pre­miers pas que ne l’est la France en ce moment7. »

Le 20 février, le Times parle d’un gou­ver­ne­ment répu­bli­cain deve­nu fan­tôme. Trois jours plus tard, il annonce : « Le gou­ver­ne­ment bri­tan­nique estime en consé­quence que la recon­nais­sance du géné­ral Fran­co est le meilleur moyen d’arrêter le mas­sacre et de per­mettre la recons­truc­tion de l’Espagne ». Dès après l’annonce de cette recon­nais­sance, le 27 février, devant la Chambre des Com­munes par Neville Cham­ber­lain, le Man­ches­ter Guar­dian du 28 février est intrai­table et titre « La recon­nais­sance d’un rebelle ». Il conti­nue d’ailleurs sa cri­tique dans son numé­ro du len­de­main : « Un gou­ver­ne­ment bri­tan­nique, com­plè­te­ment aveugle à ce qui est légi­time et légal, a lais­sé dis­pa­raitre en Europe un gou­ver­ne­ment dont les idées étaient sem­blables aux siennes8. »

La presse américaine

La presse amé­ri­caine s’intéresse tôt aux évè­ne­ments en Espagne. Mais plus encore que de la situa­tion inté­rieure espa­gnole, l’opinion amé­ri­caine se pré­oc­cupe des réper­cus­sions que la guerre civile peut avoir en Europe. Dans les Bul­le­tins pério­diques de presse amé­ri­caine, on observe sur­tout le point de vue de trois jour­naux, le Bal­ti­more Sun, le Washing­ton Post et le New York Herald Tri­bune.

Dès le début du mois d’aout 1936, la majo­ri­té des quo­ti­diens ont sou­li­gné la néces­si­té de limi­ter le conflit et ont approu­vé l’initiative de non-inter­ven­tion prise par le gou­ver­ne­ment fran­çais. Mal­gré cette neu­tra­li­té, le N. Y. Herald Tri­bune, dans son édi­tion du 5 sep­tembre, féli­cite le grand cou­rage dont fait preuve du Front popu­laire dans son com­bat contre les forces mili­taires diri­gées par le géné­ral Fran­co. Si le jour­nal recon­nait la dévas­ta­tion et les crimes per­pé­trés par les deux camps, une large empa­thie est clai­re­ment expri­mée pour le camp répu­bli­cain9. À son tour, le Bal­ti­more Sun, dans son édi­tion du 6 sep­tembre exprime déjà une grande cer­ti­tude : le peuple espa­gnol vient de perdre le libé­ra­lisme et la démo­cra­tie. Le jour­nal va plus loin dans l’analyse de la situa­tion crai­gnant l’établissement d’une dic­ta­ture quel que soit le camp qui l’emporte : « Ce qu’on peut pré­voir, avec une cer­ti­tude rai­son­nable, c’est que l’espoir de gou­ver­ne­ment libé­ral en Espagne, qui fleu­rit avec la chute de la dic­ta­ture de Pri­mo de Rive­ra et la fuite d’Alphonse XIII, appar­tient main­te­nant au pas­sé. Si le fas­cisme l’emporte sur le champ de bataille, il y aura une dic­ta­ture […] Si le socia­lisme et le com­mu­nisme mili­tants l’emportent, il y aura aus­si une dic­ta­ture […] De nou­veau, le libé­ra­lisme et la démo­cra­tie ont dis­pa­ru d’une nation euro­péenne10. »

À par­tir de 1937, la guerre civile espa­gnole com­mence à man­quer d’intérêt pour la presse amé­ri­caine. Seuls les évè­ne­ments les plus mar­quants sont relayés et com­men­tés (c’est le cas notam­ment du bom­bar­de­ment de Guer­ni­ca en avril 1937). Un peu plus tard, le 1er mai, l’administration Roo­se­velt prend des mesures et impose un embar­go sur les armes à des­ti­na­tion de l’Espagne.

Dans l’un des Bul­le­tins on peut lire : « L’intérêt que porte la presse amé­ri­caine à la guerre civile en Espagne semble se ralen­tir de plus en plus. On relève quelques articles sur l’application des mesures de contrôle inter­na­tio­nal (Washing­ton Post, 19 avril), la poli­tique de la Grande-Bre­tagne (16 avril) et le bom­bar­de­ment de Guer­ni­ca, qui a vive­ment ému l’opinion11… […]»

Le 19 juin 1938, lorsque la guerre civile est mora­le­ment per­due par le gou­ver­ne­ment répu­bli­cain, le N. Y. Times s’interroge sur les inten­tions du géné­ral Fran­co. Le jour­na­liste, M.E.L. James, exprime son scep­ti­cisme sur la nature du régime à venir en cas de vic­toire du géné­ral. Une inquié­tude qui se révè­le­ra pré­mo­ni­toire : « Quand Fran­co, si le cas se pré­sente, se retrou­ve­ra devant la tâche qui consis­te­ra à éta­blir un gou­ver­ne­ment dans un pays où un pour­cen­tage consi­dé­rable de la popu­la­tion est contre lui, peut-être accueille­ra-t-il volon­tiers avis et conseils. Il a fait peu de décla­ra­tions au sujet de son régime, sauf, de temps en temps, pour démen­tir qu’il sera fas­ciste12. »

D’autres jour­naux amé­ri­cains haussent le ton tan­dis que le conflit espa­gnol touche à sa fin. Ain­si, le 15 jan­vier 1939, le Washing­ton Post qua­li­fie de fas­ciste le géné­ral Fran­co et estime logique sa vic­toire immi­nente, vu le sou­tien des troupes ita­liennes et alle­mandes. Le jour­na­liste craint l’extension du fas­cisme en Europe et dans le monde : «[…] le géné­ral Fran­co est poli­ti­que­ment un fas­ciste. L’aide que lui ont accor­dée Mus­so­li­ni et Hit­ler est dans la logique des choses. Et une vic­toire de Fran­co ferait de la pénin­sule ibé­rique un trem­plin fas­ciste13. »

Le 28 février 1939, le Washing­ton Post prend posi­tion sur la recon­nais­sance du gou­ver­ne­ment de Fran­co. Le jour­nal se réjouit de ce qu’il consi­dère comme la fin de la guerre civile. Pour le quo­ti­dien, cette recon­nais­sance était plus qu’attendue. Il va même jusqu’à sou­li­gner que c’était une évi­dence pour tous les pays démo­cra­tiques qui, comme la France ou la Grande-Bre­tagne, avaient offi­ciel­le­ment déci­dé de ne pas inter­ve­nir dans le conflit espa­gnol. D’après le jour­nal, le camp vic­to­rieux doit être recon­nu mal­gré les craintes et les incer­ti­tudes que le gou­ver­ne­ment du géné­ral Fran­co laisse pla­ner pour l’avenir : « Beau­coup argüe­ront que la hâte à recon­naitre Fran­co n’est pas de mise ; qu’il a triom­phé grâce à l’aide étran­gère, et qu’on n’a pas encore de preuve de sa capa­ci­té à gou­ver­ner le pays. […] Les démo­cra­ties ne peuvent pas sau­ver la répu­blique espa­gnole en refu­sant de recon­naitre Fran­co14. »

Le N. Y. Times abonde dans le même sens une fois le conflit offi­ciel­le­ment ter­mi­né. Dans son numé­ro du 3 avril 1939, il note que cette recon­nais­sance était inévi­table, mais exprime aus­si un manque d’enthousiasme pour le régime de Fran­co : « La recon­nais­sance du gou­ver­ne­ment Fran­co était inévi­table. Elle n’implique ni sym­pa­thie poli­tique ni appro­ba­tion morale. C’est la simple recon­nais­sance d’un état de fait15. »

La presse belge

Pen­dant tout le conflit espa­gnol, la Bel­gique pra­tique une poli­tique non inter­ven­tion­niste. La presse belge va rapi­de­ment être par­ta­gée entre catho­li­co-libé­raux et socia­listes. Dès le début du mois d’aout 1936, elle sou­tient una­ni­me­ment l’attentisme du gou­ver­ne­ment Van Zee­land. Le quo­ti­dien socia­liste bruxel­lois, Le Peuple, en date du 2 aout 193616, est d’accord avec cette atti­tude : « Si nous sommes bien ren­sei­gnés, le gou­ver­ne­ment belge a esti­mé pru­dent d’attendre la déci­sion des gou­ver­ne­ments fran­çais et anglais. » Le jour­nal note cepen­dant que les deux bel­li­gé­rants cherchent à trou­ver des alliés et des armes : « Per­sonne ne s’étonnera du fait que la Bel­gique, qui pos­sède une indus­trie d’armes de guerre, ait déjà été sol­li­ci­tée en vue de la four­ni­ture de maté­riel aux bel­li­gé­rants. Des émis­saires des deux camps anta­go­nistes ont essayé de contrac­ter des mar­chés avec des fabri­cants belges de maté­riel de guerre17. »

Le quo­ti­dien catho­li­co-conser­va­teur, le XXe siècle, dans son édi­tion du 4 aout 1936, appelle à une non-inter­ven­tion des pays démo­cra­tiques : « Si l’on veut évi­ter que des com­pli­ca­tions inter­na­tio­nales de la plus extrême gra­vi­té naissent des évè­ne­ments d’Espagne, il faut que toutes les grandes puis­sances s’abstiennent rigou­reu­se­ment de prendre par­ti dans la guerre civile qui déchire la pénin­sule ibé­rique. » Dès l’annonce fran­çaise de non-inter­ven­tion, la presse belge va se divi­ser en deux camps : l’un socia­liste, favo­rable à l’intervention et sou­te­nant la cause répu­bli­caine, l’autre, catho­lique et libé­ral appuyant la non-inter­ven­tion, sans faire mys­tère de ses affi­ni­tés avec les natio­naux. Le gou­ver­ne­ment belge décide, à la mi-aout 1936, d’imposer des condi­tions strictes à « l’exportation d’armes et de maté­riel de guerre » vers l’Espagne. La presse catho­lique et conser­va­trice sou­tient cette mesure.

Le main­tien de la neu­tra­li­té est confir­mé par le ministre des Affaires étran­gères, Paul-Hen­ri Spaak, au congrès extra­or­di­naire du Par­ti ouvrier belge (POB): « La Bel­gique a obser­vé sa poli­tique de non-inter­ven­tion avec une loyau­té abso­lue. Elle n’a abso­lu­ment rien à se repro­cher. Mais je crois pou­voir dire que l’opinion publique belge, sur la ques­tion d’Espagne, est pro­fon­dé­ment divi­sée. S’il y a beau­coup de nos com­pa­triotes qui se déclarent par­ti­sans du gou­ver­ne­ment de Madrid, il en est tout autant qui ne cachent pas leurs sym­pa­thies pour Fran­co18. »

D’ailleurs en février 193719, la presse belge annonce que le gou­ver­ne­ment prend des mesures contre les milices étran­gères inter­ve­nant dans le conflit connues sous le nom de Bri­gades inter­na­tio­nales : « Il inter­dit le recru­te­ment, le départ ou le tran­sit de toutes per­sonnes autres que de natio­na­li­té espa­gnole à des­ti­na­tion des forces com­bat­tantes en Espagne. »

Vers la fin de l’année 1937, un nou­veau débat appa­rait dans la presse belge : celui des rela­tions qu’entretiennent l’Espagne fran­quiste et la Bel­gique. Au Sénat, Charles d’Aspremont-Lynden appelle à l’établissement de rela­tions com­mer­ciales avec les fran­quistes, pour évi­ter de perdre des parts de mar­ché face à d’autres pays euro­péens. Le 11 décembre 1937, L’Indépendance belge repro­duit son dis­cours. Il y est dit notam­ment : « Nos inté­rêts en Espagne se chiffrent par mil­liards, répar­tis dans de nom­breuses entre­prises élec­triques, minières, chi­miques et de trans­port. Elles sont toutes sau­ve­gar­dées en ter­ri­toire natio­na­liste, tan­dis que celles situées en ter­ri­toire sou­mis à Valence20 ont été saisies […].»

« Notre com­merce en Espagne lais­sait, avant la guerre civile, une balance favo­rable pour nous : 290 mil­lions d’exportations contre 150 mil­lions d’importations. Il serait absurde de sacri­fier ses avan­tages à je ne sais quel idéal poli­tique21. » La Libre Bel­gique du même jour approuve plei­ne­ment cette posi­tion : « Nous avons écrit vingt fois que le gou­ver­ne­ment de Fran­co exer­çant en fait son auto­ri­té sur plus de la moi­tié de l’Espagne, il fal­lait lui recon­naitre la qua­li­té de bel­li­gé­rant. Par iden­ti­té de motifs il est nor­mal d’établir avec lui des rela­tions consu­laires. La Grande-Bre­tagne, dont l’attitude, depuis le début de la guerre civile espa­gnole, a été d’une cor­rec­tion par­faite, vient de prendre une ini­tia­tive de ce genre22. »

Au fil du temps, on constate que la presse catho­lique et libé­rale reste très cri­tique envers son gou­ver­ne­ment concer­nant les rela­tions qu’il entre­tient avec les auto­ri­tés de Bur­gos23.

Le 2 avril 1938, le XXe siècle déclare : « La Bel­gique doit être pré­sente auprès du gou­ver­ne­ment natio­na­liste pour des rai­sons ana­logues. Elle n’a pas à pro­té­ger des voies impé­riales en Médi­ter­ra­née. Mais elle a des inté­rêts nom­breux en Espagne et le gou­ver­ne­ment doit veiller à ce qu’elle n’en soit pas dépouillée en faveur d’autres. Il est urgent de com­men­cer cette poli­tique de pré­sence24. »

En mars 1939, alors que la guerre est qua­si­ment gagnée par les fran­quistes, le gou­ver­ne­ment belge tarde à légi­ti­mer le nou­veau régime contrai­re­ment à la France et au Royaume-Uni. Retar­dée par les socia­listes belges, cette recon­nais­sance arrive enfin le 19 mars 1939. On le voit, le conflit espa­gnol est deve­nu un sym­bole des diver­gences entre la gauche et la droite : catho­liques et conser­va­teurs sou­tiennent le géné­ral Fran­co lar­ge­ment moti­vés par des rai­sons éco­no­miques, tan­dis qu’une large majo­ri­té du POB sou­tient les cama­rades répu­bli­cains espagnols.

Les Bul­le­tins res­tent ain­si des docu­ments de pre­mier ordre qui nous per­mettent d’appréhender une vision inter­na­tio­nale du conflit espa­gnol. Tan­dis que la Grande-Bre­tagne et la Bel­gique se réfu­gient der­rière le pacte de non-inter­ven­tion, les États-Unis dénoncent l’immobilisme euro­péen et per­çoivent avec une grande pré­mo­ni­tion la guerre mon­diale qui se pré­pare. On observe que les inté­rêts propres de chaque pays dépassent les prin­cipes d’aide et de soli­da­ri­té dont aurait dû béné­fi­cier un gou­ver­ne­ment démo­cra­tique. La pas­si­vi­té inter­na­tio­nale, voire la com­pli­ci­té, au béné­fice de la dic­ta­ture fran­quiste, dic­tée par des inté­rêts par­ti­cu­liers, ne demeure pas un cas iso­lé dans l’histoire. La peur de la guerre et du com­mu­nisme aura pour consé­quence cette même com­plai­sance cou­pable qui s’exprimera au cours de la même période face à la mon­tée du nazisme en Alle­magne et du fas­cisme en Ita­lie. Des poli­tiques simi­laires sont aujourd’hui pour­sui­vies en Europe. On ne peut s’empêcher de pen­ser aux dif­fi­cul­tés ren­con­trées par l’actuel gou­ver­ne­ment grec, pour­tant démo­cra­ti­que­ment élu, dans sa quête de recon­nais­sance et dans sa volon­té de défendre les inté­rêts du peuple qui l’a por­té au pouvoir.

  1. Les Bul­le­tins com­prennent des tra­duc­tions des articles ori­gi­naux. La qua­li­té de la tra­duc­tion est variable et manque par­fois de nuance.
  2. Bul­le­tin pério­dique de presse anglaise, 26 juillet au 31 aout 1936, p. 10.
  3. Ibi­dem.
  4. Bul­le­tin pério­dique de presse anglaise, 5 au 28 octobre 1936, p. 2.
  5. Ibi­dem.
  6. Bul­le­tin pério­dique de presse anglaise, 13 avril au 22 mai 1938, p. 13.
  7. Bul­le­tin pério­dique de presse anglaise, 3 février au 5 avril 1939, p. 4.
  8. Ibi­dem, p. 6.
  9. Bul­le­tin pério­dique de presse amé­ri­caine, 1er aout au 1er octobre 1936, p. 10.
  10. Ibi­dem.
  11. Bul­le­tin pério­dique de presse amé­ri­caine, 3 mars au 4 mai 1937, p. 4.
  12. Bul­le­tin pério­dique de presse amé­ri­caine, 26 mai au 22 juin 1938, p. 5.
  13. Bul­le­tin pério­dique de presse amé­ri­caine, 29 décembre 1938 au 29 jan­vier 1939, p. 7.
  14. Bul­le­tin pério­dique de presse amé­ri­caine, 24 février au 31 mars 1939, p. 14.
  15. Bul­le­tin pério­dique de presse amé­ri­caine, 1er avril au 3 mai 1939, p. 26.
  16. Bul­le­tin pério­dique de presse belge, 11 mai au 23 aout 1936, p. 14.
  17. Ibi­dem.
  18. Bul­le­tin pério­dique de presse belge, 24 aout au 28 décembre 1936, p. 10 – 11.
  19. Bul­le­tin pério­dique de presse belge, 9 décembre 1936 au 6 mars 1937, p. 10.
  20. C’est à Valence que le gou­ver­ne­ment répu­bli­cain s’était éta­bli au moment de la bataille de Madrid en 1937.
  21. Bul­le­tin pério­dique de presse belge, 14 novembre 1937 au 8 mars 1938, p. 12 – 13.
  22. Ibi­dem.
  23. Bur­gos est la ville où le géné­ral Fran­co a éta­bli son com­man­de­ment pen­dant le conflit.
  24. Bul­le­tin pério­dique de presse belge, 9 mars au 31 mai 1938, p. 8.

Florentina Rodrigo Paredes


Auteur

enseignante-chercheuse à l’Institut catholique de Lille et directrice du département Langue, Culture et Civilisation étrangère (espagnol). Elle est docteure européenne en Civilisation contemporaine espagnole