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La Grande Guerre. Paysages, mémoires et représentations

Numéro 7 – 2018 - Armistice centenaire guerre Première Guerre par Geneviève Warland

novembre 2018

Il y a cent ans que les armes se sont tues sur le front de l’Ouest. L’armistice a été signé dans un wagon de train, à Rethondes dans la forêt de Com­piègne près de cette ligne où les armées alle­mandes, d’un côté, et les armées alliées (amé­ri­caines, aus­tra­liennes, belges, bri­tan­niques, cana­diennes et fran­çaises), de l’autre, se sont affrontées […]

Dossier

Il y a cent ans que les armes se sont tues sur le front de l’Ouest. L’armistice a été signé dans un wagon de train, à Rethondes dans la forêt de Com­piègne près de cette ligne où les armées alle­mandes, d’un côté, et les armées alliées (amé­ri­caines, aus­tra­liennes, belges, bri­tan­niques, cana­diennes et fran­çaises), de l’autre, se sont affron­tées dans une inter­mi­nable guerre de tran­chées pen­dant quatre ans.

Le 11 novembre 1918, le maré­chal Foch, com­man­dant suprême des forces alliées, reçoit la capi­tu­la­tion de la délé­ga­tion alle­mande, com­po­sée de Mathias Erz­ber­ger, repré­sen­tant du gou­ver­ne­ment alle­mand, du comte Alfred von Obern­dorff, repré­sen­tant du minis­tère des Affaires étran­gères alle­mand, ain­si que d’un géné­ral de l’Armée impé­riale et d’un repré­sen­tant de la marine allemande.

L’armistice est un ces­sez-le-feu. Il tourne une page dans l’histoire de l’Europe et du monde : les sol­dats du front de l’Ouest sont démo­bi­li­sés ; les nom­breux bles­sés sont peu à peu éva­cués vers des hôpi­taux civils ; les pri­son­niers mili­taires et civils sont libé­rés ; les popu­la­tions belges et fran­çaises qui avaient fui les zones dévas­tées par les armées alle­mandes et les zones de com­bat peuvent ren­trer chez elles, sans tou­jours retrou­ver leur domi­cile intact.

Une nou­velle page s’ouvre, les négo­cia­tions sont enta­mées dès jan­vier 1919 en vue des trai­tés de paix, en par­ti­cu­lier celui de Ver­sailles signé le 28 juin 1919 qui concerne direc­te­ment les Empires du centre consi­dé­rés comme les res­pon­sables de la guerre : l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie. Ces trai­tés, qui pré­sident à de nom­breuses modi­fi­ca­tions de fron­tières et à la créa­tion de nou­veaux États au nom du droit des peuples à dis­po­ser d’eux-mêmes, portent en germe plu­sieurs conflits majeurs du XXe siècle.

Mais en novembre 1918, c’est un pay­sage de déso­la­tion qui se déploie sous les yeux des popu­la­tions belges et fran­çaises le long de cette ligne de près de neuf-cents kilo­mètres entre la côte de la Manche et la fron­tière suisse. Mai­sons incen­diées, villes et vil­lages sac­ca­gés, arbres cal­ci­nés, terres retour­nées, bois déci­més, cra­tères de bombes et d’obus par­se­mant le sol de Flandre et de la Somme, les traces des com­bats vai­ne­ment menés pour ten­ter de prendre ou de reprendre de petites por­tions de ter­ri­toire sont nom­breuses dans le nord de la Bel­gique et de la France.

Ce sont ces consé­quences à long terme qui marquent la mor­pho­lo­gie de la Flandre occi­den­tale comme du nord de la France, en par­ti­cu­lier la Somme et la région de Ver­dun, qui sont évo­qués dans le pre­mier article rédi­gé par Élise Rezsö­ha­zy et Gwen­dal Pié­gais. Si en maints endroits, la nature a repris le des­sus, la vie agri­cole et éco­no­mique a récu­pé­ré l’exploitation de ces lieux, ils n’en res­tent pas moins mar­qués par quatre années de conflits. Le sol rejette tou­jours, cent ans après la fin des com­bats, les débris de métaux et des obus qui n’ont pas explo­sé ; d’autres restes de l’occupation des tran­chées par des cen­taines de mil­liers de sol­dats affleurent presque à la sur­face actuelle. En cer­tains endroits, il ne faut pas déga­ger beau­coup plus que trente cen­ti­mètres de terre pour retrou­ver des traces de la guerre : osse­ments de sol­dats tom­bés, de che­vaux, de mules, mor­ceaux de vête­ments, bottes, médailles, mon­naie, bou­teilles de verre, pain ras­sis… La guerre se montre encore par une nou­velle végé­ta­tion ame­née par les sol­dats d’autres conti­nents, et qui a colo­ni­sé cer­tains lieux. Traces de vies pas­sées et ense­ve­lies, traces de vie nou­velle dans un pay­sage trans­for­mé, telles sont les marques de la Grande Guerre que donnent à voir aujourd’hui non pas tant les his­to­riens que les archéo­logues, les géo­graphes et les botanistes.

Le second article par Del­phine Lau­wers sur Ypres comme lieu de tou­risme de mémoire aborde lui aus­si les traces maté­rielles de la guerre. Ces traces, for­mées par les monu­ments et les cime­tières, consti­tuent des enjeux poli­tiques et mémo­riels qui ont vu s’opposer des volon­tés dif­fé­rentes au cours du XXe siècle, volon­tés qui ont fina­le­ment trou­vé un ter­rain d’entente. Pour le dire en un mot, la ville d’Ypres que les Bri­tan­niques sou­hai­taient conser­ver à l’état de ruines au titre de ves­tige per­ma­nent et de témoi­gnage de la vio­lence des com­bats, a été recons­truite. Tou­te­fois, un sym­bole bri­tan­nique en hom­mage aux sol­dats tom­bés sur les champs de bataille y a été éri­gé : la porte de Menin où résonnent chaque soir les clai­rons du Last Post.

Traces maté­rielles, d’un côté, traces men­tales, de l’autre. Le thème du troi­sième article, rédi­gé par Pierre Bou­chat et Gene­viève War­land, porte sur les repré­sen­ta­tions contem­po­raines de la Pre­mière Guerre mon­diale par­mi les jeunes euro­péens. Deux études, menées par des psy­cho­logues sociaux, portent sur des étu­diants d’Europe de l’Est et de l’Ouest. La troi­sième sur des étu­diants belges. Les résul­tats des enquêtes révèlent des conver­gences au niveau des repré­sen­ta­tions col­lec­tives. D’abord, la plu­part des jeunes euro­péens rat­tachent la res­pon­sa­bi­li­té de la guerre aux élites ; ensuite, deux classes d’associations à la guerre peuvent être dis­tin­guées, d’un côté, celles à conte­nu émo­tion­nel plus mar­qué (souf­france, vic­times, absur­di­té…) et, de l’autre, celles à conte­nu plus ration­nel (trai­tés, armes, alliances…), la pre­mière caté­go­rie étant géné­ra­le­ment liée à une atti­tude paci­fiste. En ce qui concerne la Bel­gique, c’est l’absence de réfé­rences natio­nales dans les réponses des étu­diants qui frappe ; cela ren­voie à l’enseignement de l’histoire en secon­daire ain­si qu’à une forme de glo­ba­li­sa­tion de la mémoire.

Enfin, le 11 novembre 1918 est au cœur d’une inter­view avec deux spé­cia­listes de la Pre­mière Guerre mon­diale en Bel­gique, Lau­rence van Yper­sele et Chan­tal Kes­te­loot. Elles reviennent sur les quatre années de com­mé­mo­ra­tions de 1914 – 1918 et mettent en évi­dence la spé­ci­fi­ci­té de 2018 sur 2014 tant du point de vue des acteurs que des mani­fes­ta­tions et célé­bra­tions. Elles s’interrogent éga­le­ment sur leur sens et leur por­tée pour aujourd’hui.

Ce dos­sier fait suite à celui consa­cré au cen­te­naire de la Pre­mière Guerre dans La Revue nou­velle en aout 20141 : « Pre­mière Guerre mon­diale : l’histoire au pré­sent ». Il entre en écho avec les thèmes abor­dés alors — les enjeux des com­mé­mo­ra­tions en Flandre et en Wal­lo­nie ; la mémoire des crimes com­mis par les armées alle­mandes contre les civils en aout 1914 et les ten­ta­tives de récon­ci­lia­tion — et va au-delà avec des sujets dif­fé­rents, mais qui ont éga­le­ment à voir avec 1914 – 1918 « au présent ».

Sur­tout, ce dos­sier est dédié à Benoît Lechat, membre du comi­té de rédac­tion de La Revue nou­velle et col­la­bo­ra­teur actif sur près de deux décen­nies. Benoît y écri­vit en aout 20142 sa der­nière contri­bu­tion à par­tir d’un livre qui l’avait pas­sion­né, Les atro­ci­tés alle­mandes par John Horne et Alan Kra­mer, et d’un film qui l’avait trou­blé, Trois jour­nées d’aout 1914 d’André Dar­te­velle. Reliant le pré­sent au pas­sé, Benoît insis­tait sur la néces­si­té de la récon­ci­lia­tion qui passe par l’application de la jus­tice dans la pour­suite des crimes de guerre. Hier comme aujourd’hui. Que ces pro­pos résonnent…

  1. « Pre­mière Guerre mon­diale, l’histoire au pré­sent », La Revue nou­velle, n°8, aout 2014.
  2. Lechat B., « His­toire, mémoire et récon­ci­lia­tion. Que s’est-il pas­sé en Bel­gique en aout 1914 ? », La Revue nou­velle, dos­sier « Pre­mière Guerre mon­diale, l’histoire au pré­sent », n°8, aout 2014.

Geneviève Warland


Auteur

Geneviève Warland est historienne, philosophe et philologue de formation, une combinaison un peu insolite mais porteuse quand on veut introduire des concepts en histoire et réfléchir à la manière de l’écrire. De 1991 à 2003, elle a enseigné en Allemagne sous des statuts divers, principalement à l’université : Aix-la-Chapelle, Brême, et aussi, par la suite, Francfort/Main et Paderborn. Cette vie un peu aventurière l’a tout de même ramenée en Belgique où elle a travaillé comme assistante en philosophie à l’USL-B et y a soutenu en 2011 une thèse intégrant une approche historique et une approche philosophique sur les usages publics de l’histoire dans la construction des identités nationales et européennes aux tournants des XXè et XXIè siècles. Depuis 2012, elle est professeure invitée à l’UCLouvain pour différents enseignements en relation avec ses domaines de spécialisation : historiographie, communication scientifique et épistémologie de l’histoire, médiation culturelle des savoirs en histoire. De 2014 à 2018, elle a participé à un projet de recherche Brain.be, à la fois interdisciplinaire et interuniversitaire, sur Reconnaissance et ressentiment : expériences et mémoires de la Grande Guerre en Belgique coordonné par Laurence van Ypersele. Elle en a édité les résultats scientifiques dans un livre paru chez Waxmann en 2018 : Experience and Memory of the First World War in Belgium. Comparative and Interdisciplinary Insights.