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La Grande Guerre. Paysages, mémoires et représentations
Il y a cent ans que les armes se sont tues sur le front de l’Ouest. L’armistice a été signé dans un wagon de train, à Rethondes dans la forêt de Compiègne près de cette ligne où les armées allemandes, d’un côté, et les armées alliées (américaines, australiennes, belges, britanniques, canadiennes et françaises), de l’autre, se sont affrontées […]
Il y a cent ans que les armes se sont tues sur le front de l’Ouest. L’armistice a été signé dans un wagon de train, à Rethondes dans la forêt de Compiègne près de cette ligne où les armées allemandes, d’un côté, et les armées alliées (américaines, australiennes, belges, britanniques, canadiennes et françaises), de l’autre, se sont affrontées dans une interminable guerre de tranchées pendant quatre ans.
Le 11 novembre 1918, le maréchal Foch, commandant suprême des forces alliées, reçoit la capitulation de la délégation allemande, composée de Mathias Erzberger, représentant du gouvernement allemand, du comte Alfred von Oberndorff, représentant du ministère des Affaires étrangères allemand, ainsi que d’un général de l’Armée impériale et d’un représentant de la marine allemande.
L’armistice est un cessez-le-feu. Il tourne une page dans l’histoire de l’Europe et du monde : les soldats du front de l’Ouest sont démobilisés ; les nombreux blessés sont peu à peu évacués vers des hôpitaux civils ; les prisonniers militaires et civils sont libérés ; les populations belges et françaises qui avaient fui les zones dévastées par les armées allemandes et les zones de combat peuvent rentrer chez elles, sans toujours retrouver leur domicile intact.
Une nouvelle page s’ouvre, les négociations sont entamées dès janvier 1919 en vue des traités de paix, en particulier celui de Versailles signé le 28 juin 1919 qui concerne directement les Empires du centre considérés comme les responsables de la guerre : l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie. Ces traités, qui président à de nombreuses modifications de frontières et à la création de nouveaux États au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, portent en germe plusieurs conflits majeurs du XXe siècle.
Mais en novembre 1918, c’est un paysage de désolation qui se déploie sous les yeux des populations belges et françaises le long de cette ligne de près de neuf-cents kilomètres entre la côte de la Manche et la frontière suisse. Maisons incendiées, villes et villages saccagés, arbres calcinés, terres retournées, bois décimés, cratères de bombes et d’obus parsemant le sol de Flandre et de la Somme, les traces des combats vainement menés pour tenter de prendre ou de reprendre de petites portions de territoire sont nombreuses dans le nord de la Belgique et de la France.
Ce sont ces conséquences à long terme qui marquent la morphologie de la Flandre occidentale comme du nord de la France, en particulier la Somme et la région de Verdun, qui sont évoqués dans le premier article rédigé par Élise Rezsöhazy et Gwendal Piégais. Si en maints endroits, la nature a repris le dessus, la vie agricole et économique a récupéré l’exploitation de ces lieux, ils n’en restent pas moins marqués par quatre années de conflits. Le sol rejette toujours, cent ans après la fin des combats, les débris de métaux et des obus qui n’ont pas explosé ; d’autres restes de l’occupation des tranchées par des centaines de milliers de soldats affleurent presque à la surface actuelle. En certains endroits, il ne faut pas dégager beaucoup plus que trente centimètres de terre pour retrouver des traces de la guerre : ossements de soldats tombés, de chevaux, de mules, morceaux de vêtements, bottes, médailles, monnaie, bouteilles de verre, pain rassis… La guerre se montre encore par une nouvelle végétation amenée par les soldats d’autres continents, et qui a colonisé certains lieux. Traces de vies passées et ensevelies, traces de vie nouvelle dans un paysage transformé, telles sont les marques de la Grande Guerre que donnent à voir aujourd’hui non pas tant les historiens que les archéologues, les géographes et les botanistes.
Le second article par Delphine Lauwers sur Ypres comme lieu de tourisme de mémoire aborde lui aussi les traces matérielles de la guerre. Ces traces, formées par les monuments et les cimetières, constituent des enjeux politiques et mémoriels qui ont vu s’opposer des volontés différentes au cours du XXe siècle, volontés qui ont finalement trouvé un terrain d’entente. Pour le dire en un mot, la ville d’Ypres que les Britanniques souhaitaient conserver à l’état de ruines au titre de vestige permanent et de témoignage de la violence des combats, a été reconstruite. Toutefois, un symbole britannique en hommage aux soldats tombés sur les champs de bataille y a été érigé : la porte de Menin où résonnent chaque soir les clairons du Last Post.
Traces matérielles, d’un côté, traces mentales, de l’autre. Le thème du troisième article, rédigé par Pierre Bouchat et Geneviève Warland, porte sur les représentations contemporaines de la Première Guerre mondiale parmi les jeunes européens. Deux études, menées par des psychologues sociaux, portent sur des étudiants d’Europe de l’Est et de l’Ouest. La troisième sur des étudiants belges. Les résultats des enquêtes révèlent des convergences au niveau des représentations collectives. D’abord, la plupart des jeunes européens rattachent la responsabilité de la guerre aux élites ; ensuite, deux classes d’associations à la guerre peuvent être distinguées, d’un côté, celles à contenu émotionnel plus marqué (souffrance, victimes, absurdité…) et, de l’autre, celles à contenu plus rationnel (traités, armes, alliances…), la première catégorie étant généralement liée à une attitude pacifiste. En ce qui concerne la Belgique, c’est l’absence de références nationales dans les réponses des étudiants qui frappe ; cela renvoie à l’enseignement de l’histoire en secondaire ainsi qu’à une forme de globalisation de la mémoire.
Enfin, le 11 novembre 1918 est au cœur d’une interview avec deux spécialistes de la Première Guerre mondiale en Belgique, Laurence van Ypersele et Chantal Kesteloot. Elles reviennent sur les quatre années de commémorations de 1914 – 1918 et mettent en évidence la spécificité de 2018 sur 2014 tant du point de vue des acteurs que des manifestations et célébrations. Elles s’interrogent également sur leur sens et leur portée pour aujourd’hui.
Ce dossier fait suite à celui consacré au centenaire de la Première Guerre dans La Revue nouvelle en aout 20141 : « Première Guerre mondiale : l’histoire au présent ». Il entre en écho avec les thèmes abordés alors — les enjeux des commémorations en Flandre et en Wallonie ; la mémoire des crimes commis par les armées allemandes contre les civils en aout 1914 et les tentatives de réconciliation — et va au-delà avec des sujets différents, mais qui ont également à voir avec 1914 – 1918 « au présent ».
Surtout, ce dossier est dédié à Benoît Lechat, membre du comité de rédaction de La Revue nouvelle et collaborateur actif sur près de deux décennies. Benoît y écrivit en aout 20142 sa dernière contribution à partir d’un livre qui l’avait passionné, Les atrocités allemandes par John Horne et Alan Kramer, et d’un film qui l’avait troublé, Trois journées d’aout 1914 d’André Dartevelle. Reliant le présent au passé, Benoît insistait sur la nécessité de la réconciliation qui passe par l’application de la justice dans la poursuite des crimes de guerre. Hier comme aujourd’hui. Que ces propos résonnent…
- « Première Guerre mondiale, l’histoire au présent », La Revue nouvelle, n°8, aout 2014.
- Lechat B., « Histoire, mémoire et réconciliation. Que s’est-il passé en Belgique en aout 1914 ? », La Revue nouvelle, dossier « Première Guerre mondiale, l’histoire au présent », n°8, aout 2014.