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La Grande Guerre en Belgique : expositions récentes
Inaugurée le 26 février dernier au musée royal de l’Armée et d’Histoire militaire, 14 – 18, c’est notre histoire se veut la grande exposition de référence des commémorations de la Première Guerre mondiale en Belgique et bénéficie d’importants soutiens financiers du gouvernement fédéral comme des trois Régions. Retraçant les grands moments du grand conflit, véritable « matrice du XXesiècle » […]
Inaugurée le 26 février dernier au musée royal de l’Armée et d’Histoire militaire, 14 – 18, c’est notre histoire1 se veut la grande exposition de référence des commémorations de la Première Guerre mondiale en Belgique et bénéficie d’importants soutiens financiers du gouvernement fédéral comme des trois Régions. Retraçant les grands moments du grand conflit, véritable « matrice du XXesiècle » et réalisée par la société Tempora, connue pour son expertise dans la mise en scène de grandes expositions d’histoire culturelle, 14 – 18, c’est notre histoire entend mettre en valeur les collections du musée royal de l’Armée, et transmettre aux jeunes générations l’histoire d’une période dramatique de notre histoire nationale, aujourd’hui largement méconnue du grand public. Comme le soulignent Elie Barnavi et K. Pomian, historiens du musée de l’Europe, dans leur contribution à la publication accompagnant l’exposition, la connaissance de l’histoire de la Grande Guerre est indispensable à notre compréhension de l’Europe d’aujourd’hui : c’est de 14 – 18 que surgirent la révolution bolchévique, le fascisme et le nazisme… Il est trop tôt pour s’interroger aujourd’hui sur l’efficacité pédagogique de cette exposition, dont le contenu et la scénographie s’inspirent largement d’autres expositions montées par la société Tempora, telle Chienne de guerre, excellente évocation du rôle majeur des animaux dans la Première Guerre, montrée au musée de l’Armée en 2009. Deux autres expositions récentes liées à la mémoire de la guerre 14 – 18 retiendront donc notre attention dans cette analyse sommaire de productions culturelles associées au centenaire du grand conflit dans notre pays.
Guerre et patrimoine artistique
Au M‑Museum Leuven, l’exposition Ravage : Art et culture en temps de conflit2 commémore le centième anniversaire du « sac de Louvain » en situant cet épisode marquant du martyre de la Belgique envahie en aout 2014 dans le vaste contexte historique de la destruction du patrimoine culturel par les conflits armés.
On sait comment le mythe des francs-tireurs provoqua les atrocités commises par la soldatesque allemande à Louvain, faisant deux-cents victimes civiles et incendiant une bonne partie du centre-ville dont l’église Saint-Pierre et les Halles qui abritaient la célèbre bibliothèque universitaire. Ces crimes suscitèrent une vague d’indignation dans le monde entier. Prises en photos par Pierre Alphonse et Pierre Émile Arnou, ces destructions introduisent le visiteur au thème ancien des villes détruites : pour les paysagistes flamands et hollandais, les représentations de l’incendie des villes mythiques de Troie ou de Sodome et Gomorrhe sont les métaphores des désastres de la guerre qui ravage nos contrées aux XVIeet XVIIe siècles.
Dialoguant avec ces peintures de maitres anciens représentant le spectacle à la fois fascinant et terrifiant de la destruction des villes antiques, les œuvres conceptuelles des artistes contemporains Mona Hatoum et Lamia Joreige évoquent l’histoire de leur ville natale Beyrouth, dévastée par la guerre civile à partir de 1975. Bunker, de Mona Hatoum est un imposant ensemble de treize constructions d’acier, inspirées de l’architecture moderne du centre de Beyrouth avant la guerre. Une architecture apocalyptique dont le métal noirci et percé de multiples déchirures semble témoigner de combats urbains aussi acharnés que fratricides. Les ruines de villes anéanties par la guerre et désertées par leurs habitants n’ont cessé d’inspirer les artistes qu’il s’agisse des ruines de Bruxelles bombardée par les Français en 1695 ou des ruines des villes détruites en 14 – 18 comme Ypres, Lens ou Soissons. Le Black Fireworks Project for Hiroshima (2008), de Cai Guo-Qiang, montré en vidéo dans l’exposition, est un grand feu d’artifice de 1 200 fusées noires, tirées dans le ciel bleu d’Hiroshima, pour y former une sorte d’énorme dessin au lavis. Ce feu d’artifice tiré en mémoire de l’explosion atomique d’aout 1945 est aussi évoqué dans l’exposition par un grand « dessin à l’explosif » dont une vidéo nous montre l’exécution par cet artiste chinois, « combattant le feu par le feu ».
Comme nous le rappelle Ravage, à la guerre, le patrimoine culturel est souvent délibérément détruit, en particulier lors de conflits religieux et politiques : crise iconoclaste de 1566 dans les Pays-Bas espagnols, vandalisme sous la Révolution française, autodafés de livres par les nazis, renversement des statues en Europe de l’Est à la chute du communisme… Dans cette section de l’exposition, une évocation de la furie iconoclaste par le peintre anversois Frans Francken II, ou La destruction du Temple de Jérusalem (1867) par le peintre romantique italien Francesco Hayez, se trouvent confrontées aux œuvres contemporaines de l’Afghane Lida Abdul, dont la vidéo Clapping with Stones dénonce la destruction des statues des bouddhas de Bamyan, et du Bruxellois Sven Augustijnen qui, dans son singulier travail d’archives, associe photos et revues d’époque pour documenter l’histoire de monuments à Léopold II et à Patrice Lumumba, tous deux érigés à Stanleyville (Kisangani) et successivement détruits lors des troubles qui agitent le Congo durant la période de rébellion allant de l’Indépendance à l’intervention des paras belges à « Stan » fin novembre 1964.
Autre thème abordé par l’exposition, Art et propagande revient sur le sac de Louvain pour explorer l’univers de la propagande alliée qui, alimentant la vague d’indignation internationale provoquée par l’incendie de la ville, exploita les atrocités commises par l’envahisseur pour mieux dénoncer la « barbarie teutonne ». Fernando Bryce a créé pour l’exposition une centaine d’œuvres reproduisant un ensemble de documents sélectionnés dans ses recherches d’archives à Louvain, Reims et Berlin : journaux, cartes postales et pamphlets associés à la destruction de la bibliothèque de Louvain et de la cathédrale de Reims par les Allemands. La sélection et la copie minutieuse par l’artiste péruvien de tout ou partie de ces documents qui nous transmettent le point de vue des alliés, mais aussi celui des Allemands qui cherchent à justifier les destructions montre comment nous reconstruisons en permanence l’histoire. Toujours dans cette même section thématique liée à l’indignation internationale provoquée par la destruction de la bibliothèque se trouve exposée pour la première fois en Belgique une grande tapisserie réalisée d’après un carton de Floris Jespers et offerte en 1935 à la Hoover Institution en remerciement de l’aide américaine et en particulier à Herbert Hoover, tant pour la reconstruction de la bibliothèque de Louvain que sous l’occupation dans le ravitaillement de nos populations par la Commission for Relief in Belgium.
Enfin, dernier grand thème de l’exposition, le pillage d’œuvres d’art montre l’association étroite entre guerre et spoliations du patrimoine artistique. Depuis l’Antiquité, lorsque les empereurs romains victorieux ramenaient triomphalement à Rome de précieux butins, jusqu’à Napoléon Bonaparte revenant de la campagne d’Italie et Hitler, rêvant de constituer un grand musée dans sa ville natale à Linz, où seraient exposées les œuvres d’art spoliées dans toute l’Europe par l’Allemagne nazie. Démontée avant la Première Guerre mondiale lors de fouilles archéologiques allemandes du site de la ville antique de Babylone, puis reconstruite au musée de Pergame à Berlin, la célèbre porte d’Ishtar, dont les Irakiens réalisèrent une réplique plus réduite in situ est reproduite par l’artiste new-yorkais Michael Rakowitz. Simulacre de porte monumentale réalisée par une grossière structure en bois recouverte d’emballages de produits alimentaires arabes contemporains, May the Arrogant Not Prevail (2010) tire son nom de la voie processionnelle qui partait de la porte d’Ishtar érigée pour honorer la puissante déesse babylonienne victorieuse des ennemis. L’exposition se termine sur l’installation ex libris (2010 – 2012) d’Emily Jacir : agrandissements de photographies prises par l’artiste palestinienne avec son téléphone portable et reproduisant des détails de livres provenant à l’origine de bibliothèques palestiniennes, conservés aujourd’hui à la Bibliothèque nationale d’Israël à Jérusalem sous la dénomination A. P., Abandoned Property. Une œuvre donc étroitement associée à la mémoire de l’exode palestinien pendant la guerre de 1948… La scénographie de l’exposition est ponctuée d’imposants volumes noirs destinés à évoquer les architectures incendiées d’une ville détruite par la guerre. L’exposition s’accompagne d’une imposante publication richement illustrée, éditée aussi en français par le fonds Mercator et rassemblant une trentaine d’essais d’historiens et historiens d’art autour des thèmes de l’exposition.
La maison Autrique illustre un aspect méconnu de la vie quotidienne en Belgique occupée dans l’exposition Guerre & Jouet3. Des jouets belges de 14 – 18 provenant de la collection Paul Herman et fabriqués le plus souvent en bois par des associations caritatives comme l’Œuvre belge du jouet ou l’entreprise Le Jouet liégeois qui donnent ainsi du travail aux chômeurs et invalides de guerre. Parmi ces jouets dont les sujets évoquent souvent la vie paisible d’avant-guerre (ferme, fête foraine, etc.) citons entre autres une belle reproduction du béguinage de Dixmude, totalement détruit pendant la bataille de l’Yser. Paul Herman vient par ailleurs de publier un ouvrage très richement illustré dans lequel il raconte la Première Guerre mondiale en jouets et petits soldats, le plus souvent d’époque, et produits par les principaux pays impliqués dans le grand conflit.
Présentée lors du festival Anima de Bruxelles en mars dernier une sélection de neuf courts-métrages d’animation4 réalisés de 2001 à 2013 montre à quel point la guerre des tranchées domine largement les représentations audiovisuelles de la Grande Guerre, en France comme dans les pays de l’ancien Empire britannique (Royaume-Uni, Canada, Nouvelle-Zélande). Malgré leurs différences d’inspiration comme de style, ces films d’animation ne s’intéressent qu’à la guerre sur le front de l’Ouest. L’engagement des tirailleurs sénégalais est évoqué (Lien), tout comme la fameuse trêve de Noël 1914 improvisée en différents points du front par les soldats alliés et leurs adversaires allemands (War Game), ou les traumatismes des survivants de la guerre des tranchées (Trois Petits Points, De si près). Mais, la tragédie que vécurent les civils en 14 – 18, en Belgique comme dans le nord de la France, occupés par les Allemands, reste curieusement hors-champ, seul un film néozélandais y fait allusion (Poppy). La Grande Guerre vue par les animateurs se limite-t-elle à la mémoire des combattants ?
- Exposition : 14 – 18, c’est notre histoire ; jusqu’au 26 avril 2015, www.expo14-18.be.
- Jusqu’au 1er septembre 2014, www.ravage1914.be.
- Exposition Guerre & Jouet. Les jouets belges de 14 – 18 à la maison Autrique, www.autrique.be ;
Paul Herman, Les petits soldats de la Grande Guerre. 800 jouets de la Première Guerre mondiale, Glémat, 2013. - 14 – 18 : La Grande Guerre vue par les animateurs ; coproduction Folioscope et Les Films du Nord en partenariat avec l’Historial de la Grande Guerre de Péronne ; en vente sur le site www.animafestival.be.