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La gouvernance, priorité de gauche

Numéro 07/8 Juillet-Août 2009 par Lechat Benoît

juillet 2009

Certes le mot est d’ins­pi­ra­tion mana­gé­riale et réduit trop sou­vent l’art du gou­ver­ne­ment à l’ap­pli­ca­tion de recettes de bonne ges­tion, en « bon père de famille », comme le dit une vul­gate de café du com­merce. Certes, il ignore les ten­sions, les inté­rêts diver­gents et les méca­nismes de domi­na­tion à l’œuvre dans la poli­tique comme dans la socié­té. Certes, […]

Certes le mot est d’ins­pi­ra­tion mana­gé­riale et réduit trop sou­vent l’art du gou­ver­ne­ment à l’ap­pli­ca­tion de recettes de bonne ges­tion, en « bon père de famille », comme le dit une vul­gate de café du com­merce. Certes, il ignore les ten­sions, les inté­rêts diver­gents et les méca­nismes de domi­na­tion à l’œuvre dans la poli­tique comme dans la socié­té. Certes, on sait quel put être le sort du fanion de la « goed bes­tuur » agi­té par un Yves Leterme d’a­vant ses gaffes de l’o­range-bleue. Certes, il y a des tas de bonnes rai­sons de se méfier de ce mot-là, comme d’ailleurs de l’u­sage à tort et à tra­vers de l’é­thique comme une caté­go­rie du poli­tique. Mais il faut le mar­te­ler, gou­ver­ner en fonc­tion de l’«intérêt géné­ral » ou du « bien com­mun » doit être une prio­ri­té pour tous ceux qui aujourd’­hui, d’une manière ou d’une autre, se disent de gauche, c’est-à-dire se réclament d’un mou­ve­ment his­to­rique plus que bi-cen­te­naire pour l’é­ga­li­té, la liber­té, la soli­da­ri­té et l’é­man­ci­pa­tion de l’homme par l’homme.

Resituer le débat sur l’éthique

Si la prio­ri­té poli­tique du moment est de répondre simul­ta­né­ment aux crises éco­lo­gique, éco­no­mique et sociale, cela ne sera pas pos­sible sans amé­lio­rer paral­lè­le­ment le fonc­tion­ne­ment de nos ins­ti­tu­tions démo­cra­tiques. Les solu­tions col­lec­tives qu’il fau­dra appli­quer pour en sor­tir requièrent en effet un ren­for­ce­ment de la légi­ti­mi­té et par­tant, de l’ef­fi­ca­ci­té de l’ac­tion publique. Il ne s’a­git pas de nier que la crise est aus­si la consé­quence du néo­li­bé­ra­lisme et des déré­gu­la­tions en tous genres, sans par­ler d’un modèle pro­duc­ti­viste dont nous com­men­çons seule­ment à entre­voir les ravages sur l’homme comme sur la nature. Mais il est illu­soire de pen­ser qu’on en sor­ti­ra sans revoir, ici et main­te­nant, un cer­tain nombre de règles de fonc­tion­ne­ment de nos ins­ti­tu­tions. Pour les gauches, sor­tir de la déré­gu­la­tion néo­li­bé­rale et refon­der les poli­tiques publiques sur l’in­té­rêt géné­ral, sont — devraient — être inti­me­ment liées. Sou­mettre les ser­vices publics à ses propres inté­rêts, à ceux de son entou­rage, ceux de son par­ti et/ou des orga­ni­sa­tions qui lui sont proches, c’est tout sim­ple­ment les sou­mettre à des inté­rêts par­ti­cu­liers, ce qui ne peut que faci­li­ter leur pri­va­ti­sa­tion pure et simple.

Comprendre le déclin wallon

La situa­tion éco­no­mique wal­lonne est bien sûr la consé­quence de décen­nies de dés­in­dus­tria­li­sa­tion pour laquelle l’an­cien capi­ta­lisme belge porte une grande res­pon­sa­bi­li­té. Mais il fau­dra éga­le­ment qu’à gauche, en Bel­gique fran­co­phone, on finisse par un jour faire col­lec­ti­ve­ment le constat de l’é­chec des poli­tiques de recon­ver­sion lan­cées à par­tir des années quatre-vingt et de la régio­na­li­sa­tion des com­pé­tences éco­no­miques. Cet échec s’ex­plique autant par le fait que cette régio­na­li­sa­tion a sur­tout ser­vi à pré­ser­ver ce qui res­tait d’une struc­ture indus­trielle en grande par­tie dépas­sée que par la mau­vaise ges­tion poli­tique de la recon­ver­sion dont les tra­vailleurs wal­lons ont été les pre­mières victimes.

À par­tir de ce constat, le débat sur l’é­thique en poli­tique prend une tout autre dimen­sion. Il ne s’a­git plus alors de se conten­ter de dénon­cer les déviances de quelques man­da­taires, comme autant d’er­rances morales indi­vi­duelles par rap­port à une norme col­lec­tive de fonc­tion­ne­ment qui ne serait pas à remettre en cause. Non, il nous invite à com­prendre les res­sorts sociaux, his­to­riques et fon­da­men­ta­le­ment poli­tiques qui ont fait qu’en Wal­lo­nie à par­tir des années sep­tante, l’ac­tion publique a col­lec­ti­ve­ment échoué à enrayer le déclin de son éco­no­mie. En 2010, nous fête­rons le cin­quan­tième anni­ver­saire des grèves de l’hi­ver soixante dont la régio­na­li­sa­tion éco­no­mique des années quatre-vingt a été le résul­tat. Ce sera l’oc­ca­sion d’en dres­ser le bilan et de s’in­ter­ro­ger sur les causes de l’é­chec de la recon­ver­sion pour laquelle les tra­vailleurs wal­lons s’é­taient mobi­li­sés. Même si le plan Mar­shall a ame­né un début de chan­ge­ment de logique de l’ac­tion publique, il s’a­gi­ra notam­ment de ten­ter de com­prendre pour­quoi en Wal­lo­nie celle-ci s’est enli­sée dans le sau­pou­drage, la bal­ka­ni­sa­tion de la déci­sion dans des struc­tures publiques ou para­pu­bliques lar­ge­ment inef­fi­caces, la culture de la confu­sion d’in­té­rêts pro­fon­dé­ment ancrée dans les mœurs des man­da­taires poli­tiques, la colo­ni­sa­tion par­ti­sane de l’administration.

Une ana­lyse com­pa­rable devra d’ailleurs être menée pour Bruxelles où vingt ans après la créa­tion de la Région, on attend encore avec impa­tience que se dégage davan­tage qu’au­jourd’­hui une poli­tique qui dépasse réel­le­ment la somme des inté­rêts des repré­sen­tants des dix-neuf com­munes. Car si en Wal­lo­nie, comme à Bruxelles, comme dans n’im­porte quelle région d’Eu­rope, il importe bien sûr que les par­le­men­taires soient ancrés dans leurs réa­li­tés locales, il est éga­le­ment essen­tiel que les Par­le­ments soient les lieux où se conçoivent des poli­tiques « holis­tiques » qui dépassent les mar­chan­dages entre les inté­rêts locaux de ceux qui les conçoivent. C’est la rai­son pour laquelle tant la lutte contre les cumuls que l’é­lec­tion directe d’une par­tie sub­stan­tielle des par­le­men­taires wal­lons dans une cir­cons­crip­tion unique wal­lonne consti­tuent des étapes indis­pen­sables de tout pro­jet de redé­ploie­ment régional.

Le politique comme projet

Dans l’his­toire, la méfiance des citoyens à l’é­gard des repré­sen­tants poli­tiques n’est pas un phé­no­mène nou­veau. Mais les indices sont nom­breux pour nous faire pen­ser qu’elle atteint actuel­le­ment des som­mets. Dans une période de haute incer­ti­tude, le poli­tique doit trou­ver sa légi­ti­mi­té dans sa capa­ci­té à construire un pro­jet col­lec­tif qui dépasse la défense plus ou moins adroite du sta­tu quo, voire des inté­rêts actuels d’une par­tie même majo­ri­taire de la popu­la­tion. Et pour y par­ve­nir, il a besoin d’un État effi­cace et d’une action publique impar­tiale, capable de trans­cen­der les inté­rêts par­ti­cu­liers et de court terme, sans pour autant som­brer dans le mana­ge­ment. Les 300.000 chô­meurs wal­lons et bruxel­lois sont assu­ré­ment ceux qui en ont le plus besoin.

Lechat Benoît


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