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La gauche radicale toujours en quête d’unité
La crise est sur toutes les lèvres. Elle touche de plus en plus durement et concrètement une part croissante de la population, à travers le chômage, l’insécurité sociale et les fins — voire les débuts — de mois difficiles. Le Parti socialiste et son homologue flamand, le SP.A, sont sortis affaiblis des derniers scrutins et restent en recul dans les […]
La crise est sur toutes les lèvres. Elle touche de plus en plus durement et concrètement une part croissante de la population, à travers le chômage, l’insécurité sociale et les fins — voire les débuts — de mois difficiles. Le Parti socialiste et son homologue flamand, le SP.A, sont sortis affaiblis des derniers scrutins et restent en recul dans les sondages. En France, le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) et sa figure de proue, O. Besancenot, caracolent dans les intentions de vote et font l’objet d’une attention médiatique soutenue. Cette popularité a des répercussions sur les téléspectateurs belges francophones. Enfin, après un temps de silence, les syndicats ont entrepris de réagir à la crise par une réaffirmation de leurs principes de base et, dans le cas de la FGTB wallonne, par une contre-offensive idéologique dénonçant le système capitaliste lui-même.
Les partis appartenant à ce qu’on peut appeler la gauche radicale, l’extrême-gauche, la gauche de gauche ou la gauche anticapitaliste pouvaient-ils rêver meilleur contexte pour affronter le scrutin européen, régional et communautaire du 7 juin 2009 ? Pourtant, ces formations restent marginales, peinent à se faire entendre et il n’est pas certain du tout qu’elles parviendront à profiter des circonstances pour obtenir l’élection de mandataires susceptibles de porter leurs idées dans les enceintes parlementaires.
Une des principales causes de cette marginalisation réside dans l’incapacité de ces partis à dépasser leurs divisions. Des tentatives d’unité ont bien été entreprises et des pourparlers associant plusieurs partis ont été poussés assez loin. Les logiques différentes à l’œuvre, ainsi que des inimitiés personnelles anciennes, ont cependant conduit au dépôt de quatre listes francophones distinctes1 pour le scrutin européen et d’une division plus ou moins importante au niveau régional en Wallonie, à Bruxelles et en Flandre.
Tentatives d’unité
En 2005, le gouvernement Verhofstadt II a lancé, sous l’impulsion du ministre SP.A de l’Emploi, le « Pacte de solidarité entre les générations », ayant pour effet notamment de réformer les fins de carrière, en particulier en réduisant les possibilités de prépension. Quoique soutenue par le PS, au gouvernement, cette réforme a été combattue par les syndicats, en particulier par la FGTB qui a mené deux journées de grève générale interprofessionnelle à l’automne.
Dans ce contexte, un appel a été lancé dans La Libre Belgique du 22 février 2006 par plusieurs personnes, issues de partis de gauche radicale ou politiquement indépendantes, à fonder une « autre gauche », en dehors du PS et d’Écolo, sur une base clairement anticapitaliste. L’organisation Une autre Gauche (UAG) est née dans la foulée, rassemblant des indépendants ainsi que des représentants du Parti communiste Wallonie-Bruxelles (PC), du Parti ouvrier socialiste (POS, trotskyste, devenu ensuite la Ligue communiste révolutionnaire, LCR), du Mouvement pour une alternative socialiste (MAS, trotskyste également, devenu ensuite le Parti socialiste de lutte, PSL) et du Parti humaniste (PH). Le Parti du travail de Belgique (PTB, d’origine maoïste) a assisté à certaines réunions au début, avant de revenir à sa position classique de solo. La création d’UAG a suscité enthousiasme, mais également questionnements dans les milieux de la gauche radicale ou proches de celle-ci. Les partis impliqués allaient-ils accepter de collaborer entre eux ? Ne venaient-ils pas là pour tenter de recruter de nouveaux sympathisants ? Quelle place réelle allaient-ils laisser aux indépendants ? Des tensions sont rapidement apparues. L’attitude du MAS a en particulier irrité les autres participants à UAG, provoquant assez rapidement la rupture entre ces deux groupes et suscitant le départ de personnalités académiques ou syndicales présentes au démarrage. UAG a pris la décision de ne pas participer aux élections communales et provinciales du 8 octobre 2006, puis a renoncé à déposer des listes sous son nom lors des fédérales du 10 juin 2007, laissant l’initiative à ses composantes qui le souhaitaient. Le nombre de militants participant aux réunions d’UAG s’est progressivement réduit.
En Flandre, l’opposition au Pacte de solidarité entre les générations, d’une part, et, d’autre part, la campagne lancée pour demander au Parlement flamand de mener des auditions contradictoires avant de ratifier le projet de Traité constitutionnel européen ont conduit à la création, sous les auspices de G. Debunne, ancien secrétaire général de la FGTB, et de J. Sleeckx et L. Van Outrive, anciens parlementaires SP, du Comite voor en andere Politiek (CAP), regroupant, outre des indépendants, le Kommunistische Partij (KP), ainsi que les militants flamands du POS (soit le SAP) et du MAS (soit le LSP). Des contacts ont été noués entre ce groupe et UAG et, après une série de réunions préparatoires, un meeting commun a été organisé en octobre 2006. Celui-ci a débouché sur une déclaration d’intention conjointe, annonçant une démarche collaborative, finalement peu suivie d’effets. À la différence d’UAG, CAP a déposé des listes lors du scrutin fédéral de 2007. Ses résultats ont oscillé entre 0,2 % et 0,7 % à la Chambre.
En rupture avec UAG, mais investi dans CAP en Flandre, le MAS a fondé un Comité pour une autre politique (CAP également) du côté francophone, induisant ainsi la confusion entre les différentes initiatives, CAP étant en Flandre un regroupement pluraliste, CAP francophone se réduisant quasiment aux militants du MAS, mais tentant avec un certain succès de s’ouvrir à d’autres personnes jusque-là indépendantes. Lors du scrutin de 2007, des listes CAP ont été déposées dans les circonscriptions du Hainaut et de Liège (0,2 % des voix dans chaque province). Lors de ce scrutin, le PC a également déposé des listes, sur lesquelles figuraient des candidats du PH et, dans certains cas, de la LCR et d’UAG. Ces listes ont recueilli 0,3 % à 1,4 % des voix. Le PTB (PVDA en Flandre), qui n’a participé ni à UAG du côté francophone ni à CAP en Flandre, a recueilli entre 0,3 % et 1,0 % en Wallonie, entre 0,6 % et 1,3 % en Flandre et 0,4 % des votes dans la circonscription de Bruxelles-Hal-Vilvorde.
À l’approche du scrutin du 7 juin 2009, et vu le contexte politique, social et économique a priori favorable, des pourparlers ont été entrepris pour présenter des listes unitaires regroupant les différents partis énumérés ci-dessus. Après quelques semaines, le PTB a fait savoir qu’il ne souhaitait pas s’associer à une telle démarche. Les discussions menées entre le PC, la LCR (nom adopté par le POS en décembre 2006), le PSL (nom adopté par le MAS en janvier 2009) et le PH ont échoué en ce qui concerne le niveau européen. Une liste LCR-PSL a néanmoins été déposée, tandis que des candidats du PH figurent à nouveau sur la liste du PC, étiquetée pour l’occasion PC-GE afin de marquer l’affiliation du PC francophone au Parti de la gauche européenne (PGE), qui rassemble différentes organisations telles que le PCF, Rifondazione comunista, ou Die Linke. Une liste CAP, sur laquelle nous reviendrons plus loin, est également présentée au scrutin européen.
Une liste commune PC-PSL-LCR-PH est en revanche déposée en Région de Bruxelles-Capitale pour le scrutin régional. Les principales divergences entre les partis portant sur l’Union européenne, une alliance régionale a été plus facile à mettre sur pied, d’autant plus qu’elle implique un nombre plus limité de personnes, se connaissant bien pour se côtoyer sur les différents terrains militants. L’intervention de la section bruxelloise d’UAG a contribué à ce rapprochement. Pareil regroupement ne prévaut en revanche ni en Wallonie ni en Flandre, PC, PSL et, en Flandre, LSP se présentant seuls. À Bruxelles comme ailleurs, le PTB présente ses propres listes régionales.
Logiques différentes
L’échec quasi total des tentatives de déposer des listes communes réside d’abord dans l’histoire de la gauche radicale belge. De profondes, et parfois virulentes, divergences idéologiques ont marqué les relations entre les partis de cette famille. Les priorités, les méthodes et l’investissement dans les terrains de lutte des uns et des autres ont également engendré rivalités, divisions voire indifférence réciproque. Ces différences et les tensions qu’elles suscitent n’empêchent pas pour autant tout rapprochement, fût-ce ponctuellement dans le cadre d’un cartel électoral ou sur certains terrains de lutte. L’attitude spécifique de chaque formation est aussi à examiner.
En mars 2008, le PTB-PVDA a tenu un important congrès consacrant sa mue. Longtemps considéré comme l’un des partis les plus dogmatiques d’Europe, le PTB a choisi d’afficher une réforme en profondeur de son image, inspiré par l’exemple du SP néerlandais couronné de succès lors du scrutin législatif de 2006. Alors que ses membres étaient essentiellement des militants endurcis (et ces derniers demeurent aux postes clés), cette formation accueille aujourd’hui des adhérents moins investis. Leur nombre a par conséquent augmenté, dépassant les trois mille personnes. Les campagnes du parti, considérées jusque-là comme trop abstraites, se focalisent désormais sur des thématiques très pragmatiques, voire poujadistes, jugées plus porteuses et permettant un travail de terrain plus en phase avec les préoccupations immédiates de la population. Au point que dans les autres partis de la gauche radicale, on en vient parfois à considérer cette évolution comme le passage d’un dogmatisme quasi absolu à un réformisme assez poussé. L’implantation locale du PTB a permis l’élection, en octobre 2006, de douze conseillers communaux (dont quatre en Wallonie) et trois conseillers de district (à Anvers). Parmi ces quinze élus, neuf sont médecins dans l’une des maisons médicales de Médecine pour le peuple, fondées par le parti.
Le PTB entend participer davantage qu’auparavant aux mouvements sociaux aux côtés des autres composantes de la gauche radicale. Sur le plan électoral par contre, ce parti a jusqu’ici préféré déposer des listes sous son nom, éventuellement ouvertes à des indépendants ou à des militants d’autres partis. Le PTB estime en effet avoir davantage à gagner de se présenter seul plutôt que de s’investir dans un cartel, quitte à devoir affronter des listes rivales.
Le Parti communiste (francophone) a considérablement souffert de l’effondrement de l’URSS. Sa structure a éclaté en différentes fédérations régionales, relativement autonomes les unes par rapport aux autres. Après avoir surtout présenté des candidats sur des listes PS ou Écolo, le PC a entamé un processus de reconstruction interne privilégiant le dépôt de listes propres. Largement affaibli, il a cependant conservé un noyau de militants actifs, une certaine base électorale, un patrimoine immobilier et un capital de sympathie auprès de certains électeurs. Une tension constante pèse sur ce parti, entre volonté de déposer des listes propres afin de rendre visibilité au sigle, reposant sur l’impression que le parti obtient de meilleurs résultats électoraux lorsqu’il se présente seul, et participation à des initiatives unitaires de recomposition de la gauche radicale.
Ces derniers mois, le PC a consacré une certaine énergie à s’investir dans le PGE. Sa volonté de s’inscrire dans le cadre de la plate-forme de ce groupement européen a compliqué les tractations avec la LCR et le PSL pour former une liste commune aux européennes. Les délais de réponse du PC aux appels du pied des autres formations, liés aux réflexions menées en interne sur l’évolution de son propre positionnement politique et aux démarches effectuées afin que celui-ci trouve un reflet dans les positions du PGE, ont été perçus par la LCR et le PSL comme des manœuvres dilatoires.
La LCR a depuis longtemps répété sa volonté de participer au rapprochement des partis radicaux de gauche. Cette position est à la fois cause et conséquence de l’absence de la scène électorale de listes exclusivement POS/LCR depuis la fin des années quatre-vingt, elle-même dictée en partie par la faiblesse des forces militantes. Cela explique l’investissement de ce parti dans Gauches unies au milieu des années nonante, dans UAG plus récemment et dans divers cartels ponctuels. Dans le même temps, l’adoption d’un nouveau nom en 2006 a été dictée par la volonté de bénéficier des retombées positives de la popularité d’O. Besancenot en France et de son parti, également membre de la Quatrième internationale. Ironie de l’histoire, la LCR française vient de décider sa dissolution et la fondation du NPA, ouvert à d’autres militants. Néanmoins, de nouveaux militants, en particulier des jeunes, continuent à rejoindre la LCR belge, séduits notamment par les discours d’O. Besancenot.
La LCR est donc traversée elle aussi par une double interrogation : jusqu’où mener les discussions en vue d’établir des listes communes ? N’est-il pas préférable de tenter l’expérience électorale en solitaire, en axant sa campagne sur la référence à l’organisation sœur française ?
La référence, au contexte français pour la LCR et au PGE pour le PC, interfère également sur les relations de ces deux partis en Belgique. Au niveau international en effet, le PGE, rassemblement de partis essentiellement issus de la tradition communiste, et la Quatrième internationale, trotskyste, sont davantage en situation de concurrence que de convergence. En France, la stratégie du PCF et celle du NPA ont conduit à l’échec du dépôt de listes communes pour les européennes. Ces circonstances ont probablement pesé dans les négociations belges, finalement avortées, en vue de déposer une liste regroupant au moins le PC et la LCR lors des élections européennes. Estimant avoir trop attendu la réponse du PC à ses avances, et estimant trop tièdes les positions du PGE à l’égard de l’Union européenne, la direction de la LCR a repoussé les dernières tentatives d’unité, au moment même où, semble-t-il, le PC semblait se positionner en faveur d’une alliance et d’un durcissement de l’analyse à l’égard de l’Union européenne. Cet échec a déteint sur les négociations pour les élections régionales, empêchant tout cartel entre ces deux formations, sauf à Bruxelles. En Flandre, la dynamique est différente. Aucune liste n’a été déposée, ni sous le sigle SAP ni sous celui du KP, les militants des deux organisations étant trop peu nombreux pour se lancer dans la joute électorale et le PVDA ayant finalement rompu fin 2008 des négociations pourtant assez avancées.
Les négociations en vue de former une liste commune pour les européennes ont également concerné le PSL. Privilégiant d’ordinaire le dépôt de leurs propres listes, les militants de ce parti ont proposé une alliance à la LCR. Cette démarche reflète le ralliement de leurs homologues militants français au NPA. L’offre du PSL, préalablement adressée au PTB puis au PC, pouvait par conséquent conduire à une liste plus large, tout en compliquant cependant la négociation, le nombre de protagonistes et de positions différentes augmentant. La LCR a accepté cette proposition. Lorsque les négociations ont finalement avorté avec le PC pour la liste européenne, le PSL et la LCR ont donc choisi de collecter les cinq mille signatures requises pour pouvoir déposer leur liste commune, liste présentée dans leurs organes de presse comme étant un début d’unité. En Flandre en revanche, le LSP se présente seul à tous les niveaux.
Une quatrième liste francophone radicale de gauche prendra part au scrutin européen et, dans certaines circonscriptions wallonnes, aux élections régionales. Après l’échec de CAP en 2007, le MAS a délaissé cette structure dont il avait perdu le contrôle et a abandonné cette étiquette avant de se transformer en PSL. Des indépendants qui avaient rejoint CAP ont néanmoins souhaité maintenir cette structure. Ils ont obtenu le ralliement de R. D’Orazio, ancien délégué principal des Forges de Clabecq, qui soutient la liste, conduite par son frère. En 1999, alors sous les feux de l’actualité, l’ancien délégué avait mené la liste Debout, cartel associant des indépendants, le PTB, le POS et le MAS. Les 2% récoltés avaient été considérés comme un échec par la plupart des protagonistes.
Enfin, d’autres listes de la gauche radicale devraient être déposées au niveau régional. Le parti Riposte est ainsi né de l’initiative d’un métallurgiste liégeois en rupture avec la LCR. N’ayant pu récolter les signatures requises pour déposer une liste aux européennes, Riposte ne participera que localement au scrutin régional.
Le 7 juin, de multiples listes de la gauche radicale s’affronteront. Malgré un contexte a priori favorable, cette division risque une fois de plus de peser lourdement, y compris sur le moral des citoyens et des militants syndicaux et associatifs en recherche d’une alternative anticapitaliste crédible et unie. Sans être impossible, l’élection d’un mandataire capable de porter les revendications de cette famille politique constituerait une surprise. Reste à voir si la liste PC-PSL-LCR-PH déposée à Bruxelles au niveau régional pourra constituer un embryon de rapprochement pour les échéances électorales ultérieures.
- Nous ne traiterons pas ici des listes déposées par le Mouvement socialiste (MS), dissidence du PS qui ne peut pas être qualifiée d’anticapitaliste.