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La dramatique affaire Trierweiler passionne l’Europe

Numéro 07/8 Juillet-Août 2012 par

juillet 2012

Valé­rie Trier­wei­ler est une jour­na­liste. À Paris Match. Valé­rie Trier­wei­ler a un compte Twit­ter (@valtrier). Valé­rie Trier­wei­ler est la com­pagne du nou­veau pré­sident fran­çais. Ségo­lène Royal est ex-can­­di­­date à l’Élysée, ex-com­­pagne de l’actuel pré­sident et ex-madone des socia­listes. « Fra-ter-ni-té ! » Elle a aus­si été can­di­date aux élec­tions légis­la­tives à La Rochelle. Il se fait qu’elle y a été en concur­rence — en bal­lo­tage, même — avec […]

Valé­rie Trier­wei­ler est une jour­na­liste. À Paris Match. Valé­rie Trier­wei­ler a un compte Twit­ter (@valtrier). Valé­rie Trier­wei­ler est la com­pagne du nou­veau pré­sident français.

Ségo­lène Royal est ex-can­di­date à l’Élysée, ex-com­pagne de l’actuel pré­sident et ex-madone des socia­listes. « Fra-ter-ni-té ! » Elle a aus­si été can­di­date aux élec­tions légis­la­tives à La Rochelle. Il se fait qu’elle y a été en concur­rence — en bal­lo­tage, même — avec un autre can­di­dat socia­liste, Oli­vier Falor­ni, dis­si­dent du PS et ami de Mme Trier­wei­ler. Lequel, pour la petite his­toire, finit par l’emporter.

Le décor est plan­té, le drame peut se pré­pa­rer. D’un tweet ter­rible, Mme Trier­wei­ler a encou­ra­gé le rival de son ex-rivale. Tra­hi­son : elle sou­tient un dis­si­dent du par­ti de son pré­sident de mari. Jalou­sie : elle assas­sine sym­bo­li­que­ment sa sup­po­sée rivale. Pou­voir : elle est la pre­mière dame1. Vous me direz qu’on se fiche un peu d’un mes­sage de moins de cent-qua­rante carac­tères por­tant sur une can­di­date de pro­vince. Visi­ble­ment, ce n’est pas l’avis des Fran­çais. Ou du moins de ceux qui ont déci­dé de faire mon­ter la sauce.

On a tout enten­du, sur le devoir de réserve, sur la magni­fique liber­té de cette femme intel­li­gente, sur les machistes qui, une fois de plus, appellent les femmes à la fer­mer, sur la liber­té d’expression, sur la digni­té pré­si­den­tielle, sur la mes­qui­ne­rie et, sur­tout, sur les poli­tiques qui couchent avec des jour­na­listes qui, de ce fait, ne peuvent être jour­na­listes puisqu’un jour­na­liste est quelqu’un qui rend fidè­le­ment compte de l’actualité.

Qu’on nous per­mette — et nous excuse — d’en rajou­ter une couche.

Quand on élit un pré­sident nor­mal, il ne faut pas s’étonner qu’il lui arrive des choses nor­males. Nor­males comme les débor­de­ments sur les réseaux sociaux, les­quels sont deve­nus d’une bana­li­té affli­geante, entre mails mal adres­sés, erreurs de niveau de confi­den­tia­li­té de sta­tuts Face­book et tweets mal com­pris et aus­si­tôt relayés par mille personnes.

Nor­males comme les petites jalou­sies rétros­pec­tives entre amants vain­queurs et amants dégom­més, sur le ton de « com­ment as-tu pu pas­ser tant de temps avec une femme comme ça ? » et « je ne vois pas ce que tu pou­vais bien trou­ver à ce type ».

Nor­males comme quand les indi­vi­dus, au lieu d’endosser des rôles écrits d’avance et d’être en tous points dignes et conformes aux attentes, sont idiots, mes­quins, incon­trô­lables. Ou tout sim­ple­ment libres. Ne nous hasar­dons pas à juger.

Quand on devient anor­mal — par exemple, pre­mière dame ou pre­mier homme —, il ne faut pas s’attendre à ce que la nor­ma­li­té soit consi­dé­rée comme nor­male. Vous n’avez plus vrai­ment le droit d’être humain, même si vous avez pro­cla­mé que vous le res­te­riez. Car l’humanité dont vous avez eu le droit de vous récla­mer n’est pas la mienne ni celle de votre logeuse. C’est une huma­ni­té faite d’autocontrôle, de mesure en toute chose, de sagesse, d’intelligence de chaque instant.

Bref, n’importe quoi sauf de l’humanité. Fran­çois Hol­lande en était convain­cu, à n’en pas dou­ter, lui qui bri­guait l’accession à l’anormalité et avait pro­mis à ses élec­teurs — qui l’avaient bien com­pris, n’en dou­tons pas davan­tage — de faire sem­blant d’être normal.

Enfin, quand on est pré­sident et que, comme tant de poli­tiques, on a jeté son dévo­lu sur une jour­na­liste, il ne faut pas s’étonner que ça tourne mal. Loin de moi l’idée de condam­ner cela. L’amour a ses rai­sons que les conseillers en com­mu­ni­ca­tion ne connaissent pas. Et puis, quoi de plus logique que l’endogamie, même au sein du sys­tème média­ti­co­po­li­tique ? Cha­cun sait qu’on a de fortes pro­ba­bi­li­tés de ren­con­trer sa moi­tié à l’école ou au bou­lot. Ces deux-là se sont donc ren­con­trés à l’usine. Une nor­ma­li­té de plus à mettre à leur actif.

Là n’est pas le pro­blème. Il est dans le regard des autres, comme sou­vent (quoi de plus nor­mal?). Car, il fal­lait s’y attendre, on ne man­qua pas de fus­ti­ger les col­lu­sions entre monde poli­tique et micro­cosme médiatique.

Quelle hor­reur que cette entente contre nature, cette contra­ven­tion à tous les prin­cipes démo­cra­tiques, cette contra­ven­tion à la déon­to­lo­gie journalistique !

Pour­tant, cette col­lu­sion pré­sente-t-elle un dan­ger pour notre démo­cra­tie et le jour­na­lisme, elle dont l’évidence est celle de deux adultes se tenant par la main ? Peut-on un ins­tant ima­gi­ner Madame Trier­wei­ler objec­tive ? Certes non, tout le monde sait qu’elle aime le pré­sident d’amour tendre. Et puis, pour­quoi un jour­na­liste devrait-il être neutre et objec­tif, pour autant qu’on sache d’où il parle ?

Le vrai dan­ger est ailleurs. Il est, pour nous, citoyens, bien davan­tage du côté de ceux qui jouent la comé­die de la neu­tra­li­té et bidonnent, arrangent et copinent. Ni vu ni connu. En tout bien tout hon­neur, dans les cou­lisses du spec­tacle média­tique. Ceux-là que l’on ne recon­nait pas à l’écran et qui ne se vantent pas de leurs rela­tions pri­vi­lé­giées dans les colonnes de leur publi­ca­tion, mais nous servent la soupe l’air de rien2.

Serait-ce eux qui crient au scan­dale ? Peut-être, parce que, pour eux, le dan­ger est grand que l’on se mette à inter­ro­ger les col­lu­sions média­ti­co­po­li­tiques. Celle entre Madame Trier­wei­ler et Mon­sieur le pré­sident est le nez au milieu de la figure. Ou l’arbre qui cache la forêt. Mais si quelqu’un son­geait à faire le tour de l’arbre, voi­là le dan­ger. Fus­ti­geons, jurons nos grands dieux, éle­vons la neu­tra­li­té au rang de ver­tu car­di­nale. Et cou­vrons le reste d’un voile pudique.

  1. La pre­mière concu­bine, pour être pré­cis. Et pre­mière dans tous les sens du terme puisque, pour la pre­mière fois, la pre­mière dame n’est pas mariée au pre­mier homme.
  2. Un docu­men­taire sur ce sujet est récem­ment sor­ti en salle : Les nou­veaux chiens de garde.