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La dictature fait fureur au Cameroun

Numéro 3 – 2019 - Afrique Cameroun démocratie par J.D. Wakam

avril 2019

Le Came­roun vit une période sombre de son his­toire. Ce pays est sous le joug de Paul Biya, quatre-vingt-cinq ans, au pou­voir depuis trente-six années déjà et réélu le 7 octobre der­nier pour un sep­tième man­dat au terme d’élections vive­ment contes­tées. Cette réélec­tion sur­vient dans le cadre d’une situa­tion éco­no­mique dégra­dée depuis 2011 et d’une crise […]

Le Mois

Le Came­roun vit une période sombre de son his­toire. Ce pays est sous le joug de Paul Biya, quatre-vingt-cinq ans, au pou­voir depuis trente-six années déjà et réélu le 7 octobre der­nier pour un sep­tième man­dat au terme d’élections vive­ment contes­tées. Cette réélec­tion sur­vient dans le cadre d’une situa­tion éco­no­mique dégra­dée depuis 2011 et d’une crise poli­tique qui oppose le régime et les fac­tions indé­pen­dan­tistes des régions anglo­phones. Depuis la décla­ra­tion sym­bo­lique d’indépendance des régions anglo­phones situées au sud-ouest et au nord-ouest le 1er octobre 2017, cette crise s’enlise en conflit armé dont la vio­lence s’est décu­plée à la suite des élec­tions d’octobre 2018.

Une répression sanglante

Entre 2016 et 2017, des mani­fes­ta­tions ont été orga­ni­sées dans les régions anglo­phones, exi­geant que le gou­ver­ne­ment cen­tral res­pecte les tra­di­tions d’enseignement et de jus­tice du Came­roun anglo­phone. Menées par des avo­cats et des ensei­gnants, ces mani­fes­ta­tions paci­fiques ont été vio­lem­ment répri­mées par les forces de sécu­ri­té qui menèrent une série d’attaques aléa­toires, incen­diant notam­ment les vélos-taxis de jeunes gens et des com­merces de détail. La répres­sion a ren­for­cé l’idée dans la popu­la­tion que l’indépendance des régions anglo­phones était la seule solu­tion pour garan­tir leurs droits civiques et citoyens. C’est dans ce contexte que plu­sieurs orga­ni­sa­tions ont lan­cé une « décla­ra­tion d’indépendance ». Le jour même de cette décla­ra­tion, Paul Biya dénon­ça « un coup » fomen­té par des « ter­ro­ristes » et les médias publics annon­cèrent que le pré­sident leur « décla­rait la guerre ». Et, depuis fin 2017, le régime Biya orga­nise une répres­sion san­glante des orga­ni­sa­tions citoyennes et indé­pen­dan­tistes, dont cer­taines se sont mili­ta­ri­sées en réponse aux exac­tions des forces gouvernementales.

Selon l’organisation Human Rights Watch, 180.000 per­sonnes ont été dépla­cées depuis la fin 2017, mais selon d’autres sources, il y aurait à ce jour plus de 800 morts et quelque 400.000 per­sonnes ayant fui leur domi­cile à la suite des vio­lences. Il est très dif­fi­cile à pré­sent de chif­frer le nombre de morts et de réfu­giés, étant don­né que le régime inter­dit la cou­ver­ture jour­na­lis­tique de la crise et met aux arrêts les jour­na­listes qui bravent cette inter­dic­tion. Des « indé­pen­dan­tistes » pré­su­més sont arrê­tés, tor­tu­rés et exé­cu­tés en déten­tion et les mani­fes­ta­tions sont dis­per­sées à balles réelles. Des vil­lages entiers dans les régions du nord et du sud-ouest du pays sont incen­diés, des femmes vio­lées puis assas­si­nées, des jeunes gar­çons enle­vés, des enfants en bas âge abat­tus ; de nom­breuses per­sonnes se font muti­ler, etc. Les régions anglo­phones ont connu dans le même temps des cou­pures d’accès à inter­net, durant plu­sieurs mois et la connexion reste aléa­toire aujourd’hui. Par ailleurs, le gou­ver­ne­ment a blo­qué l’accès aux médias inter­na­tio­naux aux journalistes.

Dans un repor­tage de France 24 sur l’un des nom­breux camps de réfu­giés came­rou­nais anglo­phones, le pré­sident de l’ONG huma­ni­taire Ayah Foun­da­tion au Nigé­ria affirme que « la plu­part des familles qui sont ici sont déchi­rées. On ne sait pas si le père, la mère, les frères, les sœurs… qu’on ne voit pas est, sont encore en vie. Avec toute cette vio­lence, tout le monde a fui. Ils ont per­du tout ce qu’ils avaient, et le pire dans cette tra­gé­die est que la plu­part des réfu­giés ici ont eu au mini­mum un membre de leur famille mort dans sa mai­son incen­diée. Le trau­ma­tisme subi est énorme. »1 Le nombre de réfu­giés ne cesse d’augmenter de jour en jour tant les popu­la­tions conti­nuent à être oppri­mées. « La situa­tion des droits humains au Came­roun a atteint un niveau de crise et pour­rait encore s’aggraver », affirme Mau­si Segun, direc­trice de la divi­sion Afrique de Human Rights Watch.

Évi­dem­ment, face aux exac­tions du régime, la solu­tion indé­pen­dan­tiste parait plus que jamais per­ti­nente aux orga­ni­sa­tions citoyennes. La réponse de Biya lors de son dis­cours d’investiture du 6 novembre a été claire : il a exi­gé de ces groupes qu’ils déposent les armes immé­dia­te­ment comme préa­lable à toute négo­cia­tion, annon­çant qu’il conti­nue­rait impi­toya­ble­ment à lut­ter contre eux tant qu’ils ne s’exécutaient pas. Et pour légi­ti­mer son refus du dia­logue, il a une nou­velle fois assi­mi­lé les groupes citoyens à des terroristes.

L’agonie de la liberté de la presse

La liber­té de la presse est atta­quée de plein fouet, cette attaque se tra­dui­sant notam­ment par une vague d’arrestations de jour­na­listes et de pro­fes­sion­nels de l’information. « La jour­na­liste Mimi Mefo écrouée à la pri­son de New Bell à Doua­la », indi­quait VONews le 8 novembre 2018. Mimi Mefo, rédac­trice en chef de la radio et de télé­vi­sion Equi­noxe, est accu­sée de pro­pa­ga­tion de fausses nou­velles et de cyber­cri­mi­na­li­té pour avoir relayé un tweet rela­tif au révé­rend amé­ri­cain Charles Wes­co, mis­sion­naire amé­ri­cain âgé de qua­rante-quatre ans, tué à Bamen­da2, l’une des villes où le régime Biya a envoyé son armée répri­mer les mou­ve­ments indé­pen­dan­tistes. La jour­na­liste, tout en citant sa source, a relayé l’information selon laquelle « la balle qui a tué le pas­teur amé­ri­cain était une balle pro­ve­nant de l’armée régu­lière ». Ce simple « ret­weet » lui vaut d’être tra­duite devant un tri­bu­nal mili­taire alors qu’elle est une civile. De même, Josiane Kou­gheu, jour­na­liste à Le Monde Afrique et cor­res­pon­dante de l’agence de presse anglaise Reu­ters, a été arrê­tée par la police tout comme son chauf­feur et conduite à la direc­tion de la sur­veillance du ter­ri­toire. Michel Biem Tong, pro­mo­teur du site d’information hurinews.com et cor­res­pon­dant pour le Comi­té de libé­ra­tion des pri­son­niers poli­tiques (CL2P), est aujourd’hui en pri­son sans même avoir été jugé. Son crime est d’avoir dénon­cé les exé­cu­tions som­maires, le recours sys­té­ma­tique à la tor­ture et les nom­breuses autres vio­la­tions des droits humains per­pé­trées par l’armée du régime Biya à l’endroit des popu­la­tions civiles du nord et sud-ouest du pays. Il est offi­ciel­le­ment inter­dit de visite et pri­vé de soins médi­caux, pour­tant son état de san­té est critique.

« Il y a une volon­té à tra­vers Mimi Mefo et ceux qui sont embas­tillés depuis quelques jours, d’adresser un mes­sage aux autres jour­na­listes à savoir : que nous sommes obli­gés de nous taire », affir­mait Denis Kwe­bo, pré­sident du Syn­di­cat natio­nal des jour­na­listes du Came­roun à l’occasion de l’arrestation de sa consœur.

Mais le régime ne s’arrête pas là : non content d’étouffer la liber­té de la presse, il s’en prend à la liber­té d’expression. À la suite de la contes­ta­tion des résul­tats élec­to­raux des pré­si­den­tielles du 7 octobre par le prin­ci­pal par­ti d’opposition, le Mou­ve­ment pour la renais­sance du Came­roun (MRC), toutes les mani­fes­ta­tions, même les plus paci­fiques, sont répri­mées. Par exemple, afin de reven­di­quer sa vic­toire aux élec­tions pré­si­den­tielles et de dénon­cer un hol­dup élec­to­ral du régime en place, le can­di­dat de l’opposition et pré­sident du MRC, Mau­rice Kam­to, a appe­lé à une forte mobi­li­sa­tion de ses par­ti­sans et du peuple came­rou­nais à l’occasion d’une « marche paci­fique et patrio­tique » le 6 novembre. Le régime a, en réponse, déployé l’artillerie lourde, qua­drillant la capi­tale pour empê­cher tout ras­sem­ble­ment, et c’est en usant d’une vio­lence inouïe que les forces de sécu­ri­té ont dis­per­sé la brève mani­fes­ta­tion qui s’est tenue sur un rond­point éloi­gné des ins­ti­tu­tions et du regard des médias internationaux.

Tout jour­na­liste qui essaie de cou­vrir les mani­fes­ta­tions est inter­pe­lé. Par ailleurs, d’après les infor­ma­tions relayées par Michel Biem Tong, Mau­rice Kam­to et les autres lea­deurs du MRC feraient l’objet de pres­sions et de ten­ta­tives d’intimidation notam­ment au tra­vers de menaces d’assassinat. Depuis le 6 novembre, Kam­to est pri­vé de tout mou­ve­ment et est assi­gné à rési­dence par la police et la gen­dar­me­rie, sans motif légal.

Des fraudes électorales

De nom­breuses vidéos prises dans dif­fé­rents bureaux de vote à tra­vers le pays lors des élec­tions pré­si­den­tielles qui se sont tenues le 7 octobre 2018 au Came­roun révèlent une suc­ces­sion de fraudes et de mal­ver­sa­tions. Sur une vidéo ama­teur prise au bureau A à Bata­ki dans l’Est, on peut voir com­ment les bul­le­tins de vote ont été rem­plis d’avance en faveur du pré­sident sor­tant Paul Biya. Dans une autre, on voit un asses­seur appo­ser ses empreintes sur les espaces réser­vés aux votants. Il existe aus­si de nom­breuses autres vidéos mon­trant des fraudes dans les ambas­sades came­rou­naises en Europe, et ceci tou­jours en faveur du can­di­dat pré­sident Biya.

Plus fas­ci­nant encore, comme l’a dévoi­lé TV5 Monde, la délé­ga­tion pré­sen­tée par le régime de Biya comme des membres de Trans­pa­ren­cy Inter­na­tio­nal pour assu­rer la trans­pa­rence des élec­tions n’a en réa­li­té aucun lien avec ladite ins­ti­tu­tion : « l’ONG rap­pelle n’avoir aucune équipe d’observateurs inter­na­tio­naux au Came­roun et parle d’une usur­pa­tion de titre inac­cep­table ». Une pro­cé­dure du fisc est désor­mais ouverte en France pour les soup­çons de mon­tants non décla­rés per­çus au Came­roun d’une valeur de 300.000 euros, soit 200 mil­lions de francs CFA, qui auraient été remis aux membres fran­çais de la délé­ga­tion des faux obser­va­teurs de Trans­pa­ren­cy International.

Il est impor­tant de sou­li­gner que l’organe char­gé de l’organisation des élec­tions (Ele­cam3) appar­tient au par­ti au pou­voir et que la Cour consti­tu­tion­nelle, la plus haute ins­tance du pays, qui a pour devoir d’assurer l’État de droit, se plie très volon­tiers à la volon­té du régime. En effet, la Consti­tu­tion came­rou­naise place de fait ces organes sous la tutelle pré­si­den­tielle au tra­vers des nomi­na­tions de ses membres. Durant les plai­doyers tenus à la Cour consti­tu­tion­nelle lors du conten­tieux pos­té­lec­to­ral, les avo­cats des dif­fé­rents par­tis de l’opposition ont pu démon­trer, sur la base de preuves, la fal­si­fi­ca­tion des résul­tats. Le pré­sident de la Cour a tout sim­ple­ment balayé les requêtes des par­tis d’opposition qui demandent une annu­la­tion par­tielle pour les uns et un recomp­tage des voix dans cer­tains bureaux de vote pour les autres, en jugeant ces preuves irre­ce­vables.

La situa­tion au Came­roun est plus que cri­tique. Le régime bafoue les droits fon­da­men­taux, musèle la presse, jette en pri­son les jour­na­listes, les oppo­sants poli­tiques et tous ceux et celles qui ont un avis cri­tique envers sa poli­tique meur­trière. Il refuse abso­lu­ment d’envisager le dia­logue avec les orga­ni­sa­tions citoyennes, avec l’opposition et, plus lar­ge­ment, avec le peuple came­rou­nais ! Sa réponse unique est la répres­sion et l’organisation du mas­sacre de popu­la­tions civiles. En atten­dant, le nombre de morts dans le Nord et le Sud-Ouest, mais aus­si à l’extrême Nord du pays ne cesse de s’aggraver.

  1. Consul­té le 6 novembre 2018.
  2. Ville de la région anglo­phone du nord-ouest d’où pro­viennent les sépa­ra­tistes, qui n’a pas voté aux der­nières élec­tions du 7 octobre et conteste les résultats.
  3. Ele­cam (Elec­tion Came­roun) est un organe char­gé de l’organisation, de la ges­tion, et de la super­vi­sion de l’ensemble du pro­ces­sus élec­to­ral et référendaire.

J.D. Wakam


Auteur

étudiant en communication politique et lobbying à l’université libre de Bruxelles et militant