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La défaite d’Écolo en perspective

Numéro 9/10 septembre/octobre 2014 - Ecolo élections par Jean-Marie Radoux Paul Serlon

septembre 2014

Rédigé par deux sympathisants et non-membres du parti, un texte qui prend parti dans les débats internes d’Écolo et qui fournit des clés d’analyse intéressantes.  Pour une nouvelle fois dans son histoire, le parti des écologistes francophones belges a subi une lourde défaite qui amène à se poser des questions à la fois sur sa stratégie lorsqu’il participe […]

Rédigé par deux sympathisants et non-membres du parti, un texte qui prend parti dans les débats internes d’Écolo et qui fournit des clés d’analyse intéressantes. 

Pour une nouvelle fois dans son histoire, le parti des écologistes francophones belges a subi une lourde défaite1 qui amène à se poser des questions à la fois sur sa stratégie lorsqu’il participe au pouvoir et sur la « démocratie participative » qui fonde son fonctionnement interne.

Lors de la première défaite en 2003, ce parti et ses ministres, qui n’avaient jamais été les bienvenus pour les partenaires au pouvoir, ont payé très cher leurs positions en pointe sur un certain nombre de dossiers faisant partie de son « core business » : le nucléaire, la mobilité, les vols de nuit, Francorchamps, etc. Figure de proue d’Écolo au gouvernement fédéral, Isabelle Durant, rappela, dans un témoignage qui se refusait à être un règlement de compte, que les coalisés libéraux et socialistes avaient bel et bien scellé une « union sacrée » pour affaiblir les Verts2.. Mais elle pointait tout aussitôt les « fragilités » de son parti dans ce tout premier exercice périlleux du pouvoir, exercice qui avait été accepté du bout des lèvres par une assemblée générale tumultueuse au cours de laquelle son autre figure de proue, Jacky Morael, considéré par des militants comme aimant trop le pouvoir, avait payé cher les négociations qu’il avait menées dans le cadre de la participation au gouvernement « arc-en-ciel ».

« Écolo, affichant sans concession un projet de développement durable difficile à faire valoir et exigeant, marchait de façon désordonnée, jouant tantôt la responsabilité, tantôt la particip-opposition, mais sans ligne stratégique claire, sans meneur de jeu et avec une multiplication d’arbitres […]. Comment convaincre quand on contribue ainsi, bien malgré soi, à confirmer l’image d’un parti faible, divisé dans ses appréciations, aux paroles multiples et pas très coordonnées, maniant trop souvent le préavis de crise ? » Bref, résumait-elle, « Écolo, ses ministres, ses parlementaires, ont confirmé le cliché en vigueur. Il donnait à voir de lui-même une image de famille politique faible, parfois piégée, dénigrée ». Si les Verts avaient perdu le scrutin du 18 mai 2003, ce n’était pas tant à cause de leur bilan, mais de leur image.

Plus de dix années plus tard, le contexte a certes changé : Écolo joue dans la « cour des grands » et est devenu d’une certaine manière un parti « traditionnel ». Mais sa fragilité demeure, non pas tant parce qu’il ne bénéficie pas de puissants relais sociétaux organisés à l’instar des trois autres partis traditionnels, mais d’abord parce que son message reste difficile à entendre et ensuite pour les raisons relevées par l’ancienne coprésidente du parti : absence de stratégie claire et peu coordonnée, paroles multiples, image politique faible et toujours dénigrée. À cela, il faut ajouter « la crise » qui va booster les postures radicales de gauche incarnées par le PTB-Go3.


La question du message et de la stratégie 

Sur le message peu audible, l’ancien secrétaire fédéral d’Écolo, Philippe Defeyt, qui avait démissionné de son poste après la défaite du 2003, a pu écrire très justement : « Les idées écologistes, dans leur globalité, sont très minoritaires dans la société […]. Peut-être est-ce là le nœud du problème pour Écolo. Tout le monde tape sur les cumulards, et à la fin, les gens votent pour eux. L’immense majorité des électeurs n’a pas l’air tracassée par cette question du cumul des mandats. Au contraire, ils semblent apprécier les gens qui cumulent. On est un peu démunis par rapport à ça. Ce que j’observe, c’est que les différences politiques recouvrent aussi, souvent, des différences culturelles […]. Cela m’amène à évoquer un méta-problème, qui complique encore un peu plus notre travail : sur de très nombreux sujets, la Wallonie est systématiquement à la traine. On le voit sur les thématiques liées à l’aménagement du territoire, la mobilité, les réseaux d’enseignement, l’énergie… Nous sommes toujours une longueur en retard quand il s’agit d’intégrer des innovations. Il y a en Wallonie une sorte d’incapacité à suivre la marche du monde. La Wallonie a ainsi été la dernière région d’Europe — la dernière ! — à construire une éolienne. On sera bientôt la région où le développement du vélo est le plus lent, de toute l’Europe. Il existe des tas de villes en Europe qui ont décidé d’expérimenter des centres urbains sans aucun panneau routier. Cela donne de bons résultats… Mais pas une ville wallonne ne s’est dite : peut-être qu’on pourrait essayer ça chez nous […] En Wallonie, il est devenu très difficile, pour ne pas dire impossible, de débattre d’idées nouvelles4. »

En ce qui concerne la stratégie, le parti est resté sur une ligne défensive, voir immobile à mesure que sa participation au pouvoir en Wallonie et à Bruxelles était torpillée par des partenaires à nouveau peu loyaux dans les dossiers difficiles comme le photovoltaïque, l’éolien ou le cumul des mandats. Les « mauvais » sondages, une équipe de direction fragile, la peur de déplaire, une montée en phase de militants déboussolés et parfois manipulés par des « coupeurs de tête » en mal de notoriété — une tradition chez Écolo —, une obsession de la percée de la « gauche de la gauche », une campagne électorale où le « chacun pour soi » a été la norme ont achevé de faire plonger le parti dans le marasme.

Au lendemain de la défaite, en dépit de quelques maladresses de communication, le parti parut serrer les rangs : un Conseil de fédération (CF) adopta à une large majorité le lancement « sans tabous » d’un processus d’évaluation des causes internes et externes de cette défaite : ce processus serait piloté par un quatuor composé d’une députée fédérale, d’un ancien chef de groupe de Groen !, d’une conseillère communale à Mons et d’un collaborateur du bureau d’études d’Écolo. « L’ambiance était à la déception, bien sûr, mais pas au règlement de comptes. Les gens n’ont pas tourné autour du pot. Personne n’a épargné personne, mais il n’y a pas eu de chasse aux sorcières », releva le coprésident du parti, Olivier Deleuze.

Une fracture interne du parti fut effectivement évitée. Plus d’une semaine plus tard, il y eut certes le dépôt d’une motion baptisée « Phénix 2.vert » cosignée par septante-huit membres, candidats d’ouverture, sympathisants et élus du parti : elle incluait d’une part une motion de défiance à l’égard de la direction du parti qui devait être mis sous tutelle et s’effacer dans les six mois et d’autre part un « constat » très dur sur les dysfonctionnements du parti. Mais la motion de défiance fut repoussée par 60 % des voix au Conseil de fédération, parlement interne d’Écolo, tandis que le « constat » effectué sur l’état interne du parti ne fut pas mis au vote : il aurait été un désaveu cinglant du quatuor d’évaluateurs qui venait d’être désigné. Bien que le malaise interne persiste, il y eut aussi le dépôt rapide du travail d’évaluation du quatuor, un document qui reprenait, en en gommant certaines aspérités, plusieurs constats de la motion Phénix, dont certains furent même pris à contrepied, tout en approfondissant l’analyse et surtout en formulant des pistes pour une refondation.

Baliser le champ politique pour une refondation

À l’entame de celle-ci, il n’est peut-être pas inutile de baliser le champ politique par quelques remarques.

Lorsqu’il est question de défaite, il convient en premier lieu de se demander d’où l’on vient. Depuis sa création en tant que parti politique, Écolo a connu trois percées dont deux les deux dernières l’ont mené à des participations gouvernementales : 1991, 1999 et 2009. La particularité de ces « victoires », toutefois, c’est qu’elles ont été acquises grâce à un électorat essentiellement volatil qui donne ses suffrages à Écolo pour « punir » les autres formations politiques (MR et PS essentiellement) ou « punit » Écolo en retournant à ces autres formations. L’électorat d’Écolo, qui ne repose
pas sur des piliers traditionnels comme les autres partis, est donc structurellement peu stable. Entre 1987 et 1991, certaines sources considèrent l’électorat écolo stabilisé à 70 %. Entre 2007 et 2010, cette proportion tombe à 61 %. En 2014, Pascal Delwit estime que le « taux de rétention » d’Écolo est tombé à 45,5 % de ses électeurs, soit le plus faible parmi les partis francophones (70 % pour le CDH, 74,5 % pour le PS et 86,4 % pour le MR.) « Ce qui laisse à penser, écrit Delwit, que le noyau dur est atteint, le noyau des fidèles. Donc, le parti a vrai un problème d’image, de profil, de stratégie, de positionnement. »

Nous poursuivrons avec une réflexion provocante de l’écologiste Daniel Cohn-Bendit, réflexion qui concernait aussi l’évolution de son propre parti. « Un parti, écrivait-il récemment, c’est un blindage, une structure fermée, presque génétiquement hermétique à la société. Le débat politique, en son sein, se limite pour l’essentiel à des questions d’organisation du parti, de répartition du pouvoir, de stratégie et de gestion de différents processus plus ou moins démocratiques auxquels il faut recourir. Et c’est évidemment là que se situe le problème : un parti capte une grande partie de l’énergie des militants pour régler des problèmes internes5. » Un certain nombre d’affiliés d’Écolo et en particulier les signataires de la motion Phénix 2.vert sont précisément tombés dans ce piège. Même si on peut comprendre que, dans un premier temps, les blessures (y compris personnelles) infligées par une cinglante défaite engendrent la désignation de « responsables », de dysfonctionnements internes des structures, de positionnements non appropriés, ce temps devra être dépassé par la redéfinition d’une stratégie politique autour d’un projet mobilisateur et de priorités comme l’a bien mis en exergue l’équipe d’évaluateurs. Ne pas s’y atteler, c’est attendre que tombent (vainement) du ciel de nouvelles crises de la dioxine, de nouvelles affaires Dutroux, un nouveau Fukushima ou… un nouvel « effet Javaux-Durant ».

Cela dit, il est vrai que la « démocratie participative interne », si chère au parti écologiste, n’est pas sans poser aujourd’hui un problème en matière de fonctionnement. D’un millier de membres dans les années 1980, le parti est passé aujourd’hui à plus de 6 000 membres, ce qui n’est pas sans avoir un effet sur la gestion de ce type de démocratie interne : le seuil du quorum a été en effet fixé à un niveau très peu élevé pour ce qui regarde les élections des coprésidents (20 %) et des députés européens (10 %) qui doivent toutes deux avoir lieu en assemblée générale sans aucune étape de médiation intermédiaire6. Par ailleurs — et c’est plus significatif —, la faiblesse dans l’animation du parti de la part des dernières coprésidences a entrainé, dans un contexte de crise, une montée en phase de membres et de militants quelque peu déboussolés, démotivés et/ou attirés par des postures « radicales ». La dernière élection pour la députation européenne, qui eut lieu dans un climat très « émotionnel » et sans véritable délibération, ainsi que la motion Phénix 2.vert ont illustré de ce point de vue le malaise qui règne à l’intérieur du parti des écologistes francophones qui n’a pas encore intégré le fait que la démocratie purement « participative » pouvait aussi être l’objet de manipulations tribunitiennes pas très… « démocratiques ». La primauté du vox populi, vox dei est cependant très ancrée chez Écolo : ce n’est en soi pas un mal, mais encore faut-il dans ce dessein se donner les moyens techniques (internet) et politiques (structures délibératives cohérentes7) adéquats pour départager correctement les tendances — il est question de « clans » dans le rapport du quatuor d’évaluateurs — qui composent le parti.

Il y a bien sûr les « messagers » et leurs éventuelles carences. Mais il y a aussi le message que l’on dit avoir été sans relief. Alors que les autres partis se sont antonnés et apostrophés dans des postures et des slogans qui parlent à un public largement dépolitisé (la « stabilisation » du pays, une « fiscalité juste », l’« humain au centre », « jamais avec la N‑VA », etc.), Écolo, dont le message relève essentiellement du long terme, pourrait être à nouveau tenté par une « radicalité de gauche » comme l’atteste implicitement le contenu de la motion Phénix 2.vert et les positions de certains élus et militants du parti.

Pour rappel, la question du « rapport à la gauche » et à plus de « radicalité » a depuis longtemps été une épine dans le pied chez Écolo. En 1985 déjà, des antagonismes sérieux avaient vu le jour entre la régionale de Bruxelles et les autres à propos d’une possible coalition avec des partis de droite (PRL et PSC) : ils avaient abouti à la démission fracassante du député bruxellois Olivier Deleuze. Plus tard, c’est une même radicalité qui avait déjà été (imprudemment8) poussée par l’ancien secrétaire fédéral d’Écolo, le Bruxellois Jacques Bauduin, qui avait répondu positivement à un appel lancé le 1er mai 2002 par Elio di Rupo lequel en appelait à un « pôle des gauches ». Après quelques mois de palabres internes, les « convergences de gauche » se substituèrent au « pôle », un nouvel axe sanctionné par la nouvelle secrétaire fédérale, Évelyne Huytebroeck, elle aussi bruxelloise. Peu d’écologistes accordaient cependant de crédit à cet axe : à l’époque, on entendait le plus souvent chez eux qu’Écolo n’était « ni à gauche ni à droite ». Mais en 2006, une nouvelle déflagration interne intervient dans le cadre des élections communales à Schaerbeek. Estimant les résultats beaucoup trop courts, la secrétaire fédérale du parti et conseillère communale, Isabelle Durant, rompt une alliance préélectorale avec la vice-Première ministre socialiste Laurette Onkelinx pressentie comme future bourgmestre, une alliance préparée et parrainée par le premier échevin écologiste de la ville de Bruxelles, Henri Simons, lequel réclamera la tête de Durant avant de quitter Écolo quelque mois plus tard : la nouvelle majorité sera désormais FDF-Écolo. Aujourd’hui, la « crise » aidant, le spectre gauche-droite a refait surface d’une autre manière, à nouveau chez les Bruxellois : l’appel d’air provenait cette fois de la « gauche de la gauche » auquel on prédisait une forte avancée. Le problème pour les écologistes sensibles à cet appel est que cette « gauche de la gauche » qui a effectivement « percé9 » peut se prévaloir d’une meilleure emprise sur le terrain qui est le sien, celui des luttes syndicales et sociales dans les gros bassins d’emploi menacés (Liège et Charleroi) de même que dans la capitale. En 2002 comme en 2006, il était difficile de se mesurer au clientéliste socialiste pourtant déjà embourbé dans les « affaires » ; après 2014, il ne sera guère plus aisé de se mesurer à un parti peu démocratique, le PTB-Go, qui s’est arcbouté solidement sur ses bastions ainsi qu’à une machine de guerre socialiste qui serait désormais dans l’opposition au niveau fédéral.

Une écologie qui fait toujours sens

Ces propos, qui pourraient sembler décourageants, ne rejoignent en aucun cas le bataillon de pourfendeurs d’une force politique qui n’aurait plus de perspectives. Nonobstant les querelles de pouvoir et d’égo, nonobstant les journalistes pressés et à l’affut qui affectionnent d’en remettre une couche, l’écologie politique qui a plus de trente ans d’existence comme parti continue plus que jamais à faire sens. Combattre frontalement les menaces qui pèsent lourdement sur une planète malmenée pour les générations futures, repolitiser la société et renouveler la démocratie en mettant un terme à des pratiques politiciennes surannées et de court terme peuvent difficilement être des objectifs dont peuvent s’approprier des formations politiques traditionnelles et qui justifient à eux seuls la légitimité et la nécessité du combat écologique.

Dans ce contexte, il y a lieu de se demander s’il ne serait pas opportun pour mener ce combat de se mettre en piste pour identifier et prendre langue avec de nouveaux publics et de nouveaux acteurs innovants se situant en dehors des prismes traditionnels et des machines sociétales organisées qui ont fait leur temps.

  1. Perte de la moitié de son électorat auquel il faut encore ajouter le glissement du groupe des Verts européens de la quatrième à la sixième place. La défaite des Verts francophones fut toutefois tempérée par les bons résultats du côté des Verts flamands.
  2. Isabelle Durant, À ciel ouvert, Luc Pire, 2003
  3. La crainte d’un glissement d’un électorat Écolo vers le PTB-Go se révéla toutefois non fondée puisque, selon plusieurs calculs effectués, le transfert du vote Écolo vers ce parti se révéla dérisoire.
  4. Le Vif, 4 juin 2014.
  5. Daniel Cohn-Bendit, Pour supprimer les partis politiques ? Réflexions d’un apatride sans parti, Indigène éditions, 2013, p. 20.
  6. Assez curieusement, certains considèrent qu’avec une participation de l’ordre 40 %, comme ce fut le cas aux élections européennes, la « démocratie représentative » n’est pas convenablement assurée.
  7. Les évaluateurs de la « défaite » ont souligné que, de ce point de vue, la participation interne a trop fonctionné « en archipel ».
  8. L’intéressé fut par la suite contraint de démissionner, principalement du fait de l’hostilité des écologistes wallons à une « alliance » avec le PS.
  9. Sans qu’il n’y ait toutefois un contingent significatif d’électeurs écologistes ayant transféré leurs suffrages vers ce parti.

Jean-Marie Radoux


Auteur

Journaliste

Paul Serlon


Auteur

Journaliste