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La Chine : une puissance (in-)certaine

Numéro 4 Avril 2013 par Michaël Maira Matthieu Burnay

avril 2013

En sep­tembre 2003, La Revue nou­velle publiait un dos­sier consa­cré à la Chine. Dix ans plus tard, le « dés­in­té­rêt inte­nable » que sou­li­gnaient ses auteurs semble avoir fait place à un inté­rêt incom­men­su­rable pour l’Empire du milieu. Depuis quelques années, la crois­sance du nombre de publi­ca­tions et com­men­taires en la matière n’a rien à envier à celle du PIB de […]

En sep­tembre 2003, La Revue nou­velle publiait un dos­sier consa­cré à la Chine. Dix ans plus tard, le « dés­in­té­rêt inte­nable » que sou­li­gnaient ses auteurs semble avoir fait place à un inté­rêt incom­men­su­rable pour l’Empire du milieu. Depuis quelques années, la crois­sance du nombre de publi­ca­tions et com­men­taires en la matière n’a rien à envier à celle du PIB de la Répu­blique popu­laire. Qu’elles soient poli­tiques, éco­no­miques, voire cultu­relles, rares sont les ana­lyses qui n’interrogent pas l’émergence chi­noise — la (ré-)émergence, pré­fé­rons-nous —, afin de sou­li­gner que la Chine a déjà revê­tu le sta­tut de puis­sance au cours de son his­toire mil­lé­naire. Ce (re-)gain d’intérêt pour la Chine jus­ti­fie de s’y inté­res­ser une nou­velle fois, compte tenu des évo­lu­tions obser­vées depuis la pré­cé­dente publication.

Cette der­nière s’ouvrait sur une inter­ro­ga­tion : « La Chine s’imposera-t-elle comme la grande puis­sance du XXIe siècle ? » Les diverses contri­bu­tions pro­po­sées aujourd’hui répondent à cette ques­tion d’une manière plus franche que celles rédi­gées il y a dix ans, compte tenu des évo­lu­tions nettes inter­ve­nues en une décen­nie. Issus d’horizons géo­gra­phiques et intel­lec­tuels variés, leurs auteurs argüent que la Chine de 2013 s’est impo­sée comme une puis­sance incon­tour­nable dans l’arène inter­na­tio­nale. Ils s’attèlent dès lors moins à démon­trer ce qui peut être consi­dé­ré comme un état de fait qu’à en ana­ly­ser les implications.

Si cer­tains s’émerveillent, admirent et vantent cette (ré-)émergence chi­noise, d’autres sont plus cri­tiques et cir­cons­pects. Voire craignent cette puis­sance chi­noise désor­mais éta­blie dans le pay­sage inter­na­tio­nal. Ain­si, si les diag­nos­tics se rejoignent quant au poids acquis par Pékin sur la scène inter­na­tio­nale, les réponses se font moins una­nimes lorsqu’il s’agit d’en évo­quer les consé­quences. Pour­quoi peut-on par­ler de puis­sance de la Chine dans les rela­tions inter­na­tio­nales et quelles en sont les consé­quences ? Dans quelle mesure cette puis­sance chi­noise offre-t-elle des oppor­tu­ni­tés et/ou consti­tue-t-elle une menace ? Quelles pers­pec­tives d’avenir se dégagent de cette dyna­mique d’émergence ? Ce dos­sier pro­pose d’interroger les cer­ti­tudes et incer­ti­tudes que sus­cite la (ré-)émergence chinoise.

La Chine : géant poli­tique, éco­no­mique, voire cultu­rel ! La Chine : puis­sance (in-)certaine. (In-)certaine dans ses dimen­sions externes, tant son influence indé­niable sur les dyna­miques mon­diales se double d’un flou quant à ses réels objec­tifs de poli­tique étran­gère. Flou qui force à s’interroger sur la manière de s’ajuster au mieux à cette nou­velle donne inter­na­tio­nale et à trou­ver un mode d’interaction adé­quat avec Pékin. (In-)certaine dans ses dimen­sions internes, puisque la Chine s’est à la fois enga­gée dans des réformes domes­tiques visant à tirer le meilleur par­ti de sa (ré-)émergence inter­na­tio­nale, mais demeure confron­tée à des défis majeurs qui accom­pagnent cette der­nière et menacent la sta­bi­li­té sociale du pays. (In-)certaine aux yeux des obser­va­teurs, mal­gré un tra­vail crois­sant de com­pré­hen­sion mutuelle entre­pris par la Chine et ses par­te­naires, mais qui butte encore sou­vent sur les contrastes sai­sis­sants entre les réa­li­tés chi­noises et occi­den­tales ain­si que les mal­en­ten­dus qu’elles engendrent.

Loin d’ambitionner de lever toutes les incer­ti­tudes, ce dos­sier entend les éclai­rer afin de four­nir au lec­teur quelques clés per­met­tant de mieux les iden­ti­fier et les com­prendre. Il vise aus­si à sti­mu­ler la réflexion autour de quelques pistes per­met­tant de sur­mon­ter les défis intel­lec­tuels et pra­tiques que pose cette Chine (in-)certaine.

Mieux com­prendre la Chine néces­site, tout d’abord, de se pen­cher sur ceux qui y exercent le pou­voir. C’est pré­ci­sé­ment ce que nous pro­pose Jérôme Doyon, au tra­vers d’une contri­bu­tion qui se centre sur les dyna­miques d’accession au pou­voir au sein du Par­ti com­mu­niste chi­nois. Il y détaille l’institutionnalisation pro­gres­sive de la pas­sa­tion de pou­voir au sein du par­ti-État et la ten­dance à la diver­si­fi­ca­tion des élites qui l’accompagne. Tout en sou­li­gnant les limites de ces pro­ces­sus, il revient sur les cli­vages qui carac­té­risent le som­met de l’État.

Ben­ja­min Bar­ton inter­roge les objec­tifs pla­cés au cœur de la poli­tique étran­gère chi­noise. Il démontre que, contrai­re­ment à une intui­tion lar­ge­ment répan­due, cette der­nière n’est pas mue par une volon­té de remettre en ques­tion les fon­de­ments du sys­tème inter­na­tio­nal contem­po­rain. Au contraire, Pékin se satis­fait d’un sta­tu quo qui nour­rit ses ambi­tions éco­no­miques et la sta­bi­li­té de son régime poli­tique. La mon­tée en puis­sance de la Répu­blique popu­laire de Chine (RPC) pré­sen­te­rait dès lors une sin­gu­la­ri­té his­to­rique, au regard de l’émergence des puis­sances anglaise ou amé­ri­caine, dans la mesure où les auto­ri­tés chi­noises ne visent pas à mener le jeu inter­na­tio­nal, mais à exploi­ter les dyna­miques qui favo­risent la réa­li­sa­tion de leurs objec­tifs de poli­tique intérieure.

Aux confins de la science poli­tique et de l’économie inter­na­tio­nale, Sophie Wint­gens décode les inter­ac­tions entre la Chine et l’Union euro­péenne afin de déter­mi­ner dans quelle mesure Pékin consti­tue une oppor­tu­ni­té et/ou une menace éco­no­miques pour Bruxelles. Mal­gré des modèles éco­no­miques sen­si­ble­ment dif­fé­rents, les deux par­te­naires sont conscients d’avoir acquis un poids et une posi­tion stra­té­giques dans l’économie mon­diale qui plaident pour le ren­for­ce­ment de leur coopé­ra­tion. Éclai­rant la dia­lec­tique oppor­tu­ni­té-menace, Sophie Wint­gens met en lumière les défis qui carac­té­risent leurs inter­ac­tions et les dyna­miques d’ajustements réci­proques aux­quelles ces der­niers président.

Li Bin, quant à lui, nous offre une pers­pec­tive chi­noise sur les objec­tifs variés du pro­gramme spa­tial de la RPC. Il décrypte les objec­tifs assi­gnés à ce der­nier dans le dis­po­si­tif natio­nal de défense et sou­ligne, par ailleurs, ses enjeux civils. Les pro­grammes de concep­tion de satel­lites et le déve­lop­pe­ment d’alternatives au GPS amé­ri­cain illus­trent notam­ment les objec­tifs com­mer­ciaux que Pékin assigne à la conquête spatiale.

Enfin, le dos­sier se conclut par un épi­logue qui retrace les ensei­gne­ments géné­raux à tirer des diverses contri­bu­tions qui le consti­tuent. Il s’arrête sur l’influence des défis internes sur la poli­tique étran­gère chi­noise. Afin de sou­li­gner que l’écartèlement de Pékin entre une volon­té de se ras­su­rer et de ras­su­rer ses par­te­naires inter­na­tio­naux nour­rit l’ambivalence de nos cer­ti­tudes eu égard à la (ré-)émergence chi­noise. Ce qui n’empêche tou­te­fois pas d’émettre quelques hypo­thèses quant aux défis majeurs que la Répu­blique popu­laire aura à rele­ver et à leur influence poten­tielle sur ses posi­tion­ne­ments inter­na­tio­naux à venir.

Comme cette brève pré­sen­ta­tion le laisse trans­pa­raitre, ce dos­sier — contrai­re­ment à celui de 2003 — est for­te­ment orien­té sur les plans thé­ma­tique et dis­ci­pli­naire. En effet, les contri­bu­tions pro­po­sées abordent prin­ci­pa­le­ment la (ré-)émergence chi­noise par le prisme de la science poli­tique et plus par­ti­cu­liè­re­ment par celui des rela­tions inter­na­tio­nales. Ce biais congé­ni­tal offre l’opportunité d’éclairer de nou­veaux ques­tion­ne­ments et enjeux, moins pré­gnants dans les débats d’antan. Cette défi­ni­tion d’un péri­mètre de réflexion plus res­treint nous a tou­te­fois contraints à abor­der de manière inci­dente des ques­tions qui pour­raient faire l’objet d’une atten­tion plus sou­te­nue — des droits de l’homme, aux bases phi­lo­so­phiques du sys­tème socio­po­li­tique chi­nois, en pas­sant par les enjeux envi­ron­ne­men­taux du déve­lop­pe­ment chi­nois. Il s’agit mal­heu­reu­se­ment du prix à payer pour ques­tion­ner la (ré-)émergence chi­noise sous un angle qui se veut com­plé­men­taire aux réflexions pla­cées au cœur du dos­sier de 2003 et qui demeurent, pour une majo­ri­té d’entre elles, d’actualité.

Michaël Maira


Auteur

Membre du comité de rédaction de La Revue nouvelle

Matthieu Burnay


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