Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.
La boite de Pandore est ouverte
Au Burundi, l’issue de la bataille n’est pas évidente. D’un côté, une présidence qui entend s’accrocher une fois de plus au pouvoir. En face, une minorité active et déterminée qui pourrait bien faire l’histoire à la longue, justement parce qu’elle est encore minoritaire.
Au Burundi, pays pauvre parmi de nombreux autres, l’issue de la bataille n’est pas évidente. D’un côté, une présidence qui, jouant sur les (possibles) ambigüités juridiques de textes fondateurs après avoir échoué à modifier la Constitution, entend s’accrocher une fois de plus au pouvoir. Le président est d’autant plus motivé qu’il peut compter sur un entourage d’un quarteron de clients qui, eux, ont tout à perdre. Son gage de succès est double. D’une part, un amour pour le football qu’il pratique volontiers devant une périphérie de pauvres ; d’autre part, un recours incessant à l’œuvre divine qui fonderait son action, une tactique qui « fonctionne » auprès d’un monde paysan qui n’a plus guère de repères que la peur.
En face, une minorité active et déterminée qui pourrait bien faire l’histoire à la longue, justement parce qu’elle est encore minoritaire. Au-delà d’une fracture ethnique susceptible d’être réactivée politiquement par le régime en place, elle refuse d’être associée à un système de pouvoir somme toute médiocre, y compris dans ses prédations. Elle fait partie de cette nouvelle génération qui veut croire à un printemps africain et renvoie donc, non pas à des dynamiques de « sociétés civiles sages » comme les aiment les coopérations étrangères, mais à des prises de conscience politique plus radicales contre les « despotes » qui s’incrustent en n’apportant que du pain et des jeux.
Une nouvelle génération
Rappeurs, musiciens, artistes, défenseurs des droits humains, ils sont apparus récemment un peu partout avec la montée en phase de mouvements citoyens aux noms évocateurs, menés par des personnalités populaires qui sont en contact les unes avec les autres. Au Burkina-Faso, c’est le « Balai citoyen », qui a été le fer de lance de la chute de l’ancien président Blaise Compaoré qui voulait changer la Constitution pour briguer un troisième mandat. Au Sénégal, c’est un autre mouvement au nom tout aussi parlant, « Y’en a marre », qu’on a vu battre le pavé pendant plusieurs semaines contre un troisième mandat pour le vieillissant Abdoulaye Wade, finalement battu aux urnes par un candidat de l’opposition. Au Gabon, on évoquera le rassemblement associatif contre la durée excessive du mandat présidentiel et qui s’est baptisé « Ça suffit comme ça ». En RDC, c’est le collectif « Filimbi » (coup de sifflet en swahili) qui s’est aussi élevé contre un nouveau mandat pour le président Kabila et dont deux des membres sont toujours détenus sans charges précises à Kinshasa.
Au Burundi, ce sont surtout les femmes qui ont été à la pointe de la lutte contre le troisième mandat présidentiel. Ce sont elles qui ont été les premières à porter la contestation au centre même de la capitale. Appartenant plutôt à la classe moyenne de Bujumbura, elles sont journalistes, poètes, juristes… Un certain nombre d’entre elles se cache aujourd’hui.
Mais au-delà de ces militantes, il y a cette foule de jeunes urbanisés pour qui le refus du troisième mandat est l’expression de frustrations à l’égard d’un régime qui les ignore, comme l’a constaté un chercheur belge, Tomas Van Acker, rentré d’une mission au Burundi. « Ce sont surtout de jeunes hommes, de classe inférieure, diplômés, chômeurs bien éduqués, étudiants, hutu et tutsi ; il n’y a pas de différenciation ethnique, même si les quartiers contestataires sont plutôt tutsi. Leur point commun, c’est l’absence de perspectives d’avenir, le désespoir. Le “non” au troisième mandat les galvanise, mais leurs revendications sont plutôt dictées par la frustration1. » Un autre connaisseur de la région, André Guichaoua renchérit : « La crise burundaise renvoie à des frustrations économiques, sociales et politiques bien plus profondes que l’opposition à la décision présidentielle […]. Les protestataires sont justement les jeunes de cet âge qui n’ont plus de passé commun avec les générations de la guerre ou de la résistance aux régimes militaires, et plus largement tous ceux qui veulent s’émanciper de ce passé pour se projeter dans leur propre avenir. Plus précisément, les jeunes qui ont fourni l’essentiel des contingents de manifestants sont les jeunes chômeurs, les travailleurs précaires, les jeunes ruraux désœuvrés en quête d’espoir en ville, mais aussi la majorité des étudiants qui rejettent tous un ordre politique et social qui les condamne durablement à la misère et au chômage, à un avenir sans perspective. Ils dénoncent un pouvoir incapable de répondre à leurs aspirations économiques et sociales. »
Les armes du pouvoir
Face à ces « protestataires », en plus d’une police qui n’a pas hésité à tirer sur eux à balles réelles et d’une armée désormais divisée depuis l’échec de la tentative de coup d’État du 14 mai dernier, le régime dispose d’une arme redoutable et susceptible de faire tout basculer : les jeunesses du parti au pouvoir (« Imbonerakure », littéralement « ceux qui voient loin ») dont le noyau dur est composé de « maquisards » d’avant 2008 qui ont été entrainés de façon militaire et possèdent armes et uniformes. Selon Tomas Van Acker, « ils sèment la peur dans les collines et menacent tous ceux qui osent contester le parti au pouvoir. Il y a un risque que ce groupe affilié au cercle du président s’implique dans la répression ».
Le constat du haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme est quant à lui encore plus inquiétant. À partir de récits détaillés d’une cinquantaine de réfugiés burundais au Rwanda et en RDC, le commissaire a fait état d’«exécutions sommaires, d’enlèvements, de tortures, de coups, de menaces de mort et d’autres formes d’intimidation ». « Chaque jour, nous recevons quarante à cinquante appels de tout le pays lancés par des gens terrifiés, à la recherche d’une protection ou souhaitant rapporter des abus […] Ces rapports sont vraiment effrayants, en particulier dans un pays avec une histoire comme celle du Burundi […]. Nous avons reçu des témoignages concordants indiquant que les membres des Imbonerakure agissent en suivant les instructions du parti au pouvoir et avec le soutien de la police nationale et des services de renseignement, qui leur fournissent des armes, des véhicules et parfois des uniformes2. »
Les réactions de la communauté internationle
Les réactions de la « communauté internationale » ont été comme souvent à géométrie variable. Si les États-Unis et la Belgique ont adopté des positions de pointe en faisant connaitre explicitement leur opposition à un troisième mandat pour le président burundais — le député européen et ancien ministre belge des Affaires étrangères, Louis Michel, parla d’un président qui s’était « disqualifié » et avait « perdu tout crédit » —, d’autres partenaires concernés (Pays-Bas, Suisse, Union européenne) ont suspendu leur appui au processus électoral en faisant valoir que les conditions n’étaient pas réunies pour des « élections apaisées ». La France est restée relativement silencieuse, se contentant de geler sa coopération sécuritaire, tandis que l’Allemagne menaçait le Burundi de sanctions tout en déclarant craindre que « les sanctions n’amènent pas le président à reconsidérer sa position ».
L’ONU a, quant à elle, jeté l’éponge avec le départ de son émissaire spécial critiqué par l’opposition et la société civile pour sa « partialité ». De son côté, l’OIF (Organisation internationale de la francophonie) évoquait la nécessité d’un respect de la souveraineté nationale, d’une reprise du « dialogue » pour arriver à un « consensus ». Du côté africain, si la présidente de l’Union africaine appelait le Burundi à respecter le prescrit constitutionnel et ne voyait pas comment des élections pourraient se tenir dans un contexte de violences, le Conseil paix et sécurité de l’UA en appelait lui aussi à une « reprise rapide du dialogue politique et l’adoption d’une date consensuelle pour les élections ». Quant aux chefs d’État de l’Afrique de l’est, ils ne souhaitaient pas dans un premier temps « imposer » une solution à ce pays pour finir par se ranger, en l’absence remarquée des présidents rwandais et burundais au sommet de Dar-es-Salaam du 31 mai, derrière l’idée d’un report de six semaines (?) des élections : un rapport des procureurs généraux de la communauté est-africaine, qui concluait en l’inéligibilité d’un troisième mandat du président, ne fut pas repris dans les conclusions du sommet. La seule unanimité entre tous ces acteurs résidait finalement dans la condamnation de la tentative du coup d’État de la mi-mai.
La reprise du « dialogue », le report (ridiculement limité dans le temps) des élections, la suspension des aides, etc. n’empêcheront pas le président Nkurunziza de se représenter une troisième fois devant un électorat qui, sur les collines, a peur d’une nouvelle guerre civile et peut s’accommoder de ses frasques qui, en gros, ne touchent que « ceux de la capitale ». N’était la menace possible que constitue un de ses plus importants challengeurs, l’ancien chef de la rébellion FNL, Agathon Rwasa, il va sans doute remporter une nouvelle fois l’élection à la présidence par le poids d’une majorité du peuple des collines.
Nous voici une fois encore interpelés à un double titre. D’une part, les potentats ont pris les diplomates au mot lorsque ces derniers leur ont signifié qu’il n’y avait « pas de démocratie sans élections ». Alors que chez nous, la démocratie représentative commence à être contestée par son manque d’authentiques délibérations préalables, là-bas on se satisfait de savoir qui peut prétendre au titre de « boss » en dénombrant le poids numérique de sa clientèle, tout en précisant que le processus électif doit se produire dans un contexte « apaisé », « transparent » et « sans tricheries ». Au Burundi, le football et la religion auront été le moteur d’une pantomime qui, occultant une démocratie au rabais, va plus ou moins satisfaire des diplomates sans beaucoup d’audace et d’imagination.
L’alternance au pouvoir, une panacée ?
D’autre part, la mesure de l’État de droit peut parfois être bien relative chez ces mêmes diplomates. Tandis que des critiques implicites ou explicites s’élèvent dans les chancelleries occidentales comme africaines contre le troisième mandat de Pierre Nkurunziza, un silence de plomb pèse sur le pas, inconstitutionnel lui aussi, que son voisin, Paul Kagame, s’apprête à franchir en appelant « à la voix du peuple rwandais ». Un silence qu’a récemment rompu l’ambassadeur d’Allemagne à Kigali par une curieuse déclaration qui relaie non seulement les propos du président rwandais, mais aussi sans doute l’opinion de la majorité de ses collègues. « Il ne m’appartient pas de dire qui doit être le prochain président de ce pays ni si la Constitution doit être amendée. Cela ne m’appartient pas du tout. Tout dépend de ce que veut le peuple rwandais et de ce qui est le mieux pour le pays. Le Rwanda a connu d’énormes succès pendant ces vingt-et-une dernières années. Il a su réaliser une grande sécurité, stabilité, paix et progrès, la vie de tout le monde s’améliore et tel devrait être l’avenir. Politiquement, tout dépend de ce que veut la majorité du peuple. Si la majorité ou tous veulent la même chose, qu’est-ce qui peut tourner mal ? Voilà le plus important dont tous les pays ont besoin. Le problème c’est la divergence quand une partie de la population veut ceci et une autre partie veut cela ou certains leadeurs politiques veulent ceci tandis que la population veut cela. Au Burundi, par exemple, où est le consensus de la population3 ? ». L’ambassadeur omet soigneusement de dire que le principal intéressé a, comme son « faux jumeau » burundais, fait le vide autour de lui et réussi à éradiquer (plus silencieusement) toute contestation à son pouvoir et ce dans un pays où le « contrôle social » est paralysant.
Il n’est pas exclu de penser que l’homologue congolais, qui se trouve dans une position constitutionnelle plus difficile4, mais qui fait face à une opposition divisée et peu charismatique, veuille franchir lui aussi le pas. Après avoir tenté de retarder le processus électoral en le faisant dépendre d’un recensement qui aurait demandé plusieurs années, il peut aujourd’hui se prévaloir — et faire prévaloir par son entourage — de bons chiffres macroéconomiques formels, d’une volonté de se mouvoir dans le champ de « concertations » et de « dialogues », voire d’une diminution des violences sexuelles et d’un assainissement de l’armée. Veut-il démontrer qu’il a bien la carrure d’un homme d’État avant de s’effacer ou qu’il reste indispensable au pouvoir ? Il se tait en tout cas dans toutes les langues, sauf à attaquer frontalement son principal rival potentiel, le gouverneur de la riche province minière du Katanga, qu’il a placé en ordre utile dans la liste des personnalités contre lesquelles il porte plainte pour corruption. À voir et à suivre.
Il est vrai toutefois que l’alternance au pouvoir, qui fait partie du « politiquement correct » de la communauté internationale, n’est pas non plus la panacée démocratique dans des régimes politiques patrimoniaux toujours marqués par le poids du patronage et du clientélisme (ethnique ou autre). Quoi qu’il en soit, dans les trois cas considérés (RDC, Rwanda et Burundi), on ne se trouve pas devant des « big boss » ayant intégré les prémisses fondamentales du respect des droits humains et d’une gouvernance correcte qui vont de pair avec une démocratie aussi imparfaite soit-elle dans son essence.
- Citation extraite d’une rencontre à l’ULB.
- Agence France-Presse, 9 mai 2015.
- The New Times, Kigali, 18 mai 2015.
- L’article 220 de la Constitution de 2005 précise en effet que la durée des mandats du président de la République ne peut faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle.