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La Belgique en 2013 : combien de droits fondamentaux SACrifiés ?

Numéro 2 février 2014 par Alexis Deswaef

février 2014

Cette année aura sou­li­gné, une fois de plus, que le com­bat pour les droits humains n’est pas seule­ment un enjeu des contrées loin­taines. Cer­taines réformes déci­dées par notre gou­ver­ne­ment rap­pellent que, en matière de droits fon­da­men­taux, rien n’est jamais acquis. La vigi­lance et l’action de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) auront une nouvelle […]

Cette année aura sou­li­gné, une fois de plus, que le com­bat pour les droits humains n’est pas seule­ment un enjeu des contrées loin­taines. Cer­taines réformes déci­dées par notre gou­ver­ne­ment rap­pellent que, en matière de droits fon­da­men­taux, rien n’est jamais acquis. La vigi­lance et l’action de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) auront une nou­velle fois démon­tré leur per­ti­nence et leur uti­li­té tout au long de l’année 2013.

Pour le gou­ver­ne­ment papillon, l’heure du bilan a déjà son­né. Certes, il n’est aux com­mandes que depuis deux ans ; il a mis 541 jours à se for­mer, mais si for­mer ce gou­ver­ne­ment est un exploit en soi vu le contexte poli­tique, pas­sé l’euphorie de son décol­lage, cette seconde année de vie laisse éga­le­ment un gout amer en matière des droits fon­da­men­taux. D’ici le 25 mai 2014 et la « reine des élec­tions », les poids lourds du gou­ver­ne­ment ne feront plus grand-chose d’autre que de se posi­tion­ner, moins sur les idées ou les pro­jets qu’en termes de place et d’ordre utiles sur les listes. Puisque les spins doc­tors de la poli­tique ont décré­té qu’une élec­tion se gagne avec un pro­gramme allé­chant davan­tage qu’avec un bilan pas­sé, les pro­messes vont fleu­rir au prin­temps. Reste à espé­rer qu’elles ne fanent pas avant l’été. C’est dans cette optique que la LDH a éla­bo­ré un mémo­ran­dum en vue des élec­tions durant l’été 2013 afin de pou­voir le trans­mettre aux par­tis poli­tiques à l’automne, au moment où les états-majors confec­tion­naient leurs pro­grammes. Elle espère que les poli­tiques y pico­re­ront des idées et des reven­di­ca­tions. Durant la cam­pagne à venir, nous serons dou­ble­ment vigilants.

Justice mise à SAC

Alors, quel est le bilan de notre gou­ver­ne­ment en matière de droits fon­da­men­taux ? N’ayons pas peur de le dire : il est mai­gri­chon, voire négatif.

La réforme de la libé­ra­tion condi­tion­nelle en est un triste exemple. La ministre de la Jus­tice, appuyée par le gou­ver­ne­ment, a eu la convic­tion qu’elle avait rai­son seule contre tous. En effet, tous les acteurs de la jus­tice (avo­cats, magis­trats, ser­vices sociaux des pri­sons, pro­fes­seurs d’universités, ONG) se sont regrou­pés dans un « front peu com­mun » pour dénon­cer cette réforme inepte et contre­pro­duc­tive dur­cis­sant les condi­tions d’accès à la libé­ra­tion condi­tion­nelle alors que le Conseil de l’Europe la pointe comme une des mesures les plus effi­caces pour pré­ve­nir la réci­dive et pour favo­ri­ser la réin­ser­tion sociale des déte­nus. Une ministre cou­ra­geuse, avec une vraie vision de la poli­tique car­cé­rale à mener, aurait expli­qué à la popu­la­tion l’intérêt de ce méca­nisme pour la socié­té dans son ensemble et aurait ren­for­cé la libé­ra­tion condi­tion­nelle en lui accor­dant plus de moyens humains et finan­ciers. Mais le déman­tè­le­ment semble être sa spé­cia­li­té, comme le rap­pellent éga­le­ment les mesures envi­sa­gées dans le cadre de sa réforme de l’aide juri­dique. L’accès à la jus­tice est un droit fon­da­men­tal et l’instauration de la TVA sur les hono­raires d’avocats va encore le fragiliser.

L’élargissement des sanc­tions admi­nis­tra­tives com­mu­nales (SAC) est un autre exemple à dénon­cer. La LDH a mon­tré les risques de voir s’instaurer une jus­tice de shé­rifs, des com­munes juges et par­ties ou encore un abus de SAC pour cri­mi­na­li­ser la contes­ta­tion sociale. Sans même évo­quer les com­munes qui se couvrent de ridi­cule avec des SAC lou­foques, la LDH remer­cie les villes d’Anvers, de Ver­viers et de Bruxelles d’avoir si clai­re­ment démon­tré que ses craintes n’étaient pas des élu­cu­bra­tions de « droit-de‑l’hommistes » en chambre. Le bourg­mestre d’Anvers, inter­ro­gé à la sor­tie d’une réunion des bourg­mestres fla­mands pour exa­mi­ner les pertes finan­cières que subissent les com­munes à la suite de la débâcle du Hol­ding Dexia, a annon­cé sans rou­gir que pour ren­flouer leurs caisses, les com­munes allaient devoir trou­ver d’autres pistes de finan­ce­ment et que l’augmentation du nombre de SAC en fai­sait par­tie. Comme juge et par­tie, on a rare­ment fait mieux. Le bourg­mestre de Ver­viers a infli­gé, pour manque de res­pect, une SAC à des citoyens qui se sont moqués de la police sur les forums d’un jour­nal en ligne. Quand la police manque de res­pect envers des citoyens, inflige-t-il aus­si des SAC aux poli­ciers ? Et la liber­té d’expression dans tout ça ? À Bruxelles, ce sont des mani­fes­tants qui ramassent les SAC à la pelle, comme ces citoyens qui ont osé sou­te­nir les Afghans du Bégui­nage lors d’une marche aux flam­beaux trou­blant sans doute les « Plai­sirs d’hiver » et le mar­ché de Noël.

Appels aux communes

En per­met­tant l’application de la nou­velle loi sur les SAC aux mineurs à par­tir de qua­torze ans, le gou­ver­ne­ment fran­chit la ligne rouge en les sor­tant de la logique pro­tec­tion­nelle ou édu­ca­tive pour les trai­ter comme des mini-adultes qu’ils ne sont pour­tant pas et ce, mal­gré les pro­tes­ta­tions de l’ensemble des mou­ve­ments repré­sen­ta­tifs de la jeu­nesse, du délé­gué aux droits de l’enfant et des asso­cia­tions de défense des droits humains. Dans ce contexte, la LDH lance un appel à toutes les com­munes du Royaume de ne pas faire usage de cette facul­té d’abaisser à qua­torze ans l’application de la loi sur les SAC.

Pour ce qui est des villes et com­munes, le bilan est miti­gé. Saluons ces bourg­mestres qui se sont levés contre la sur­po­pu­la­tion car­cé­rale. L’exemple est venu de Forest où le nou­veau bourg­mestre a pour­sui­vi sur la lan­cée de sa pré­dé­ces­seuse afin d’éviter que des déte­nus soient obli­gés de dor­mir à même le sol dans leur cel­lule de 9m² parce qu’on les y enferme à trois alors qu’il n’y a que deux lits. En mai, le Conseil d’État a vali­dé l’arrêté de police de la bourg­mestre et la ministre de la Jus­tice a plié en aban­don­nant la pro­cé­dure. D’autres bourg­mestres, comme celui de Nivelles, ont sui­vi cette voie. La LDH appelle tous les bourg­mestres du Royaume ayant une pri­son sur leur ter­ri­toire à adop­ter des arrê­tés com­mu­naux inter­di­sant ces situa­tions hal­lu­ci­nantes de sur­po­pu­la­tion car­cé­rale afin que le gou­ver­ne­ment soit obli­gé de solu­tion­ner vrai­ment ce pro­blème qui ne semble l’intéresser que lorsqu’il s’agit d’annoncer urbi et orbi la construc­tion de nou­velles prisons.

Ingéniosité discriminatoire

Si en matière de droits humains, Forest mérite la palme d’or, c’est Anvers qui rem­porte le bon­net d’âne. Ce n’est pas vrai­ment une sur­prise : le nou­veau bourg­mestre et son aco­lyte qui sévit à la pré­si­dence du CPAS avaient annon­cé qu’on allait voir ce qu’on allait voir. Ils se sont sur­pas­sés : inter­dic­tion pour les fonc­tion­naires de por­ter des t‑shirts arc-en-ciel, volon­té de mul­ti­plier par quinze la taxe d’inscription pour l’étranger qui vient s’installer sur la com­mune par rap­port à ce que paye un Belge, rabo­tage de l’aide médi­cale urgente aux pauvres sous pré­texte qu’ils sont en séjour illé­gal et condi­tion­na­li­sa­tion de cette aide à un retour volon­taire dans leur pays. Où s’arrêtera cette ingé­nio­si­té dis­cri­mi­na­toire ? Ce qui est inquié­tant, c’est que le Par­quet d’Anvers s’y met éga­le­ment avec un pro­cu­reur du Roi local qui appelle à la déla­tion entre citoyens et un pro­cu­reur géné­ral qui veut pré­le­ver l’ADN de tous les nou­veaux-nés du pays et de tous les nou­veaux arri­vants en Bel­gique, tous des cri­mi­nels en puis­sance. Le Vlaams Belang doit être par­ta­gé entre la réjouis­sance de voir son pro­gramme faire tache d’huile et le déses­poir de consta­ter qu’on lui pique ses idées. Pauvre Anvers, réveille-toi !

Dans cette gri­saille, la bonne nou­velle de l’année est venue du Comi­té euro­péen des droits sociaux. Les asso­cia­tions de parents de per­sonnes han­di­ca­pées de grande dépen­dance ont, avec la LDH, obte­nu la condam­na­tion de la Bel­gique en rai­son du manque de solu­tions d’accueil pour leurs enfants deve­nus adultes. Leur cri de détresse a été enten­du. Main­te­nant, il faut se retrous­ser les manches et éla­bo­rer de vraies poli­tiques d’aide en leur faveur.

Durant cette année d’obsession sécu­ri­taire et de crise, la pré­ca­ri­sa­tion a pro­gres­sé, la pau­vre­té a fait des ravages et de nom­breux droits fon­da­men­taux ont été mis sous pres­sion. Le bruit des droits qui craquent devient assourdissant.

Alexis Deswaef


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