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La BCE peut-elle mener une politique « industrielle » à la place des États ?
Depuis juin 2016, la Banque centrale européenne (BCE) a étendu ses programmes de rachat de titres financiers sur les marchés secondaires en incluant les obligations des entreprises privées dans ses listes d’achats (Corporate Sector Purchase Programme ou CSPP). Comment les stratégies mises en œuvre par la BCE pour minimiser les conséquences distributives du CSPP mènent-elles à des effets secondaires indésirables ?
La crise financière commencée en 2007 a eu comme conséquence directe d’augmenter l’importance relative de la politique monétaire par rapport aux autres instruments macroéconomiques. En effet, les banques centrales ont d’abord joué un rôle décisif dans la stabilisation des systèmes financiers fragiles et hypertrophiés, puis elles ont suppléé les autorités gouvernementales qui n’ont pas su mobiliser suffisamment leurs leviers fiscaux pour lutter contre les tendances déflationnistes. En assumant ce nouveau rôle, les banques centrales se sont éloignées de leur mission traditionnelle de stabilité de prix et elles ont intensifié et étendu leurs interventions sur les marchés financiers (Goodhart, 2011). En ne régulant plus l’économie à distance et en agissant directement et massivement sur la valeur des actifs financiers, les banques centrales ont aussi endossé un rôle plus associé au domaine politique, car leurs décisions engendrent des conséquences distributives plus prononcées (Erturk, 2014).
Les mesures non conventionnelles mises en œuvre par la Banque centrale européenne (BCE) depuis juin 2010 symbolisent l’élargissement persistant et problématique de l’éventail des politiques monétaires. Ainsi, après avoir procédé au rachat des dettes souveraines de la zone euro et accordé des prêts très avantageux aux banques commerciales, la BCE a mis en œuvre, depuis juin 2016, un programme de rachat d’obligations d’entreprises (CSPP) sur les marchés secondaires1. Ce programme suscite de fortes controverses car il peut être assimilé à des subventions publiques décidées de manière arbitraire par des experts indépendants sans contrôle des autorités élues2. Les stratégies mises en œuvre par les banquiers centraux pour minimiser ces controverses ont rendu le CSPP peu transparent et inattentif aux conséquences économiques à moyen et long terme de ces achats.
La première partie de cet article expose d’abord comment l’évolution du rôle joué par la BCE pendant la crise a mis sous tension sa légitimité démocratique. Puis, les effets problématiques du CSPP sont analysés dans une seconde partie et un éventail d’alternatives à ce programme est présenté en conclusion.
Le modèle originel de la BCE
La création de la BCE s’inscrit dans un mouvement global de délégation des compétences monétaires à des banques centrales indépendantes qui se déroule depuis les années 1980. Selon les défenseurs de ce mouvement, octroyer un statut d’indépendance élevé aux banques centrales permet d’atteindre des objectifs sociétaux cruciaux tels que le contrôle de l’inflation. La mise à distance des pressions politiques permettrait ainsi de renforcer la crédibilité des banques centrales, car les banquiers centraux n’ont pas d’incitations, telles que celle de remporter des élections qui provoqueraient des surprises inflationnistes. Par la suite, cette crédibilité permettrait la stabilité des prix, et, par-là, une croissance soutenable et le plein-emploi, car les opérateurs financiers font confiance aux annonces des banquiers centraux et ne vont pas anticiper une hausse des prix (Kydland et Prescott, 1977).
De plus, la BCE a été pensée à partir d’un modèle de banque centrale particulier, la Bundesbank, qui était alors la plus puissante en Europe. Afin d’obtenir l’accord des banquiers centraux et des négociateurs allemands sur la création de la monnaie unique, la BCE a profité d’un haut niveau d’indépendance corrélé avec une focalisation de ses responsabilités sur l’objectif de stabilité de prix. La combinaison de ces deux éléments se comprend ainsi : en échange d’un très faible contrôle exercé par les autorités politiques, la BCE se voit confier des responsabilités restreintes, focalisées sur le contrôle de l’inflation, au détriment d’autres missions traditionnelles des banques centrales comme le soutien à la croissance ou la supervision bancaire (Issing, 2001).
Précisons que le degré d’indépendance des banques centrales devrait être fixé en fonction de l’étendue des missions qui leur sont déléguées. En effet, quand les banques centrales exercent un rôle étendu dans l’économie, leurs décisions engendrent des effets secondaires plus marqués sur des domaines qui se situent au-delà de leur champ de compétences monétaires. Il faut alors que les autorités politiques puissent les contrôler (Heritier and Lehmkuhl, 2011, 138). Suivant la logique de l’équilibre de pouvoir entre les institutions politiques au sein des systèmes démocratiques libéraux, il est également nécessaire que, plus les pouvoirs délégués à une agence indépendante sont étendus, plus le contrôle démocratique sur celle-ci doit être élevé (Elgie, 2002). Par exemple, le mandat de la Federal Reserve des États-Unis est plus large que celui de la BCE car il inclut l’objectif de plein-emploi ; en échange le contrôle exercé par le Congrès américain sur les activités de la Fed est plus fort qu’en Europe3.
En matière de mise en œuvre de la politique monétaire, la BCE effectuait principalement des opérations d’open-market qui consistent à prêter pour un temps restreint (généralement une semaine) un certain montant de liquidités aux banques commerciales, à un certain taux d’intérêt en échange d’une mise en pension d’actifs financiers de bonne qualité détenus par les banques commerciales. En guise d’analogie, il faut donc imaginer la BCE comme un préteur à gage occasionnel des banques qui éprouvent des besoins de liquidité temporaire. En jouant sur les taux d’intérêt de ces opérations, elle influençait l’économie à distance dans le but de remplir sa mission de stabilité des prix : elle augmentait les taux d’intérêt quand elle craignait des tensions inflationnistes et les baissait quand elle estimait que l’activité économique pouvait être stimulée. L’aspect technique et le faible impact distributif apparent de ces opérations renforçaient aussi la perception que la politique monétaire était apolitique et pouvait ainsi être confiée à des experts isolés des pressions politiques (Marcussen, 2009).
En résumé, la légitimité politique des institutions publiques dans un système démocratique repose sur deux principes, de représentativité et d’efficacité. Les contraintes exercées par le Parlement européen sur la BCE dans son exercice de reddition de compte étant trop faibles (principe de représentativité), la légitimité de la BCE repose principalement sur sa capacité à atteindre les objectifs qui lui ont été confiés, au sein du périmètre d’action défini par les termes des traités (principe d’efficacité) (Jabko, 2009).
Conséquences distributives des programmes de rachat de titres de la BCE
La panique financière commencée à l’été 2007 et ses conséquences négatives sur l’économie mondiale ont mis sous tension le modèle originel de la BCE. Afin d’éviter un effondrement du système financier et de l’activité économique, la BCE a radicalement modifié ses instruments monétaires. En plus de réduire ses taux d’intérêt autour de zéro et d’étendre ses opérations d’open-market, la BCE a progressivement mis en œuvre de vastes programmes de rachat de titres financiers sur les marchés secondaires.
Les programmes de rachat de titres sont les mesures non conventionnelles qui s’éloignent le plus du modèle initial de la BCE. Par ces opérations d’achats, la BCE joue sur le mécanisme de l’offre et de la demande en augmentant la valeur des titres détenus par les acteurs financiers. La BCE espère par-là que la richesse accrue des porteurs de titres ruissèlera jusqu’à l’économie réelle pour augmenter les investissements, l’activité économique et l’emploi. Confrontée à une fragilité financière et à une stagnation économique persistante, la BCE a progressivement augmenté les montants de ses achats. Les causes de l’absence de reprise économique dans la zone euro sont trop nombreuses pour être citées, mais, parmi celles-ci, retenons la combinaison problématique entre des politiques fiscales restrictives et des politiques monétaires expansionnistes dont l’impact sur l’économie réelle est mitigé. Quoi qu’il en soit, les titres financiers visés par la BCE se raréfiant sur les marchés secondaires, elle a aussi élargi la palette des titres rachetés.
Le groupe des trente, un think tank regroupant les dirigeants principaux des banques centrales et privées, souligne que, par leur impact direct sur la formation des prix financiers, les programmes de rachat de titres ont une dimension distributive indéniable (Group of thirty, 2015 : 42). Or, en l’absence d’un réel contrôle des activités de la BCE par le Parlement européen, la seule source de légitimité politique des banquiers centraux tient en leur capacité de remplir les objectifs qui leur ont été fixés au sein de leurs mandats définis par les autorités politiques ; leur statut d’indépendance ne leur permet pas de choisir directement les gagnants et les perdants de leurs politiques monétaires (cf. supra). Les programmes de rachat de titres engendrent deux types de conséquences distributives : des inégalités de richesse « verticales » entre les ménages qui possèdent des titres financiers et ceux qui n’en possèdent pas et des inégalités « horizontales » entre les participants aux marchés financiers.
D’abord, les agents de la BCE ont justifié les conséquences distributives verticales inhérentes à tout programme de rachat de titres par l’impératif de la stabilité financière. Ainsi, Yves Mersch, un membre du directoire de la BCE, a déclaré que les inégalités de richesse provoquées par les rachats de titres devaient être tolérées, car, en l’absence de ceux-ci, les conséquences du krach financier auraient pu être plus accentuées pour les populations les plus défavorisées4. Les premiers achats de la BCE ont effectivement porté sur les titres financiers qui étaient les plus fragilisés par la crise (produits titrisés de type subprime5).
Ensuite, la BCE a racheté les titres de dette des pays de la zone euro, en se concentrant d’abord sur les pays les plus fragilisés (Securities Market Programme) et en s’étendant ensuite à l’ensemble de la zone monétaire (Public sector purchase programme). Les cercles conservateurs allemands ont souligné que ces programmes engendraient des effets distributifs horizontaux dans la mesure où ils accordent un avantage trop important aux pays en difficulté financière (Högenauer et Howarth, 2016). Cette critique n’est cependant pas fondée car ces effets distributifs ne prendraient forme que dans l’hypothèse d’un éclatement de la zone euro et d’un règlement des comptes entre les différents pays qui la composent6. De plus, étant donné que les titres de dettes souveraines sont dispersés parmi l’ensemble des acteurs du marché et que le prix des autres actifs financiers est adossé à ceux-ci, leur rachat profite au marché dans son ensemble plutôt qu’à certains de ses participants (Gabor et Ban, 2016). Finalement, si les programmes de rachat de dette publique engendrent des effets distributifs verticaux problématiques, ils ne génèrent pas d’effets distributifs horizontaux entre les participants aux marchés.
Les effets problématiques du CSPP
Les obligations d’entreprises ne possèdent pas les mêmes caractéristiques que les produits de titrisation ou les dettes publiques. Alors que ces derniers servent à fluidifier les échanges marchands en augmentant la liquidité globale des marchés ou en servant de référence pour la fixation des prix financiers, la fonction principale des obligations d’entreprises est de permettre leur financement sur les marchés. En d’autres mots, les rachats d’obligations d’entreprises bénéficient exclusivement aux porteurs actuels de ces titres et aux entreprises elles-mêmes qui voient leur taux d’intérêt baisser et leur évaluation boursière augmenter. Cependant, la BCE justifie son programme CSPP en soulignant qu’il exerce un impact « neutre » sur le marché et qu’il profitera à tous grâce aux investissements accrus des entreprises qui provoqueront la relance de l’activité économique7. Comme toute organisation régulatrice indépendante et à l’instar de ses mesures antérieures (Fontan, 2014), la BCE a paramétré le CSPP de manière à protéger son modèle originel et son statut d’indépendance. J’expose d’abord ces stratégies, puis je critique la neutralité de son impact et ses effets secondaires problématiques sur l’activité économique.
D’abord, la BCE a annoncé que les obligations d’entreprises rachetées sont de « haute qualité8 » et sont mises en œuvre par six des banques centrales nationales qui forment l’Eurosystème, en fonction de leur expertise sur les marchés obligataires nationaux. Les achats sont principalement effectués sur les marchés secondaires, et de manière plus marginale, sur les marchés primaires à une hauteur maximum de 70% de chaque émission de titres9. La BCE publie les codes d’identification des entreprises dont les titres sont rachetés de manière hebdomadaire sans pour autant dévoiler le montant de ses achats. La BCE soutient que ces achats sont neutres, dans la mesure où ils se basent de manière stricte sur un panier de référence censé refléter l’ensemble des titres éligibles.] En d’autres termes, la BCE soutient que son programme n’a pas d’impact distributif et ne favorise aucun acteur en particulier, car elle achète un panier de titres qui représente l’ensemble du marché.
Cependant, le manque de transparence de la BCE sur son programme ne permet cependant pas d’évaluer la neutralité annoncée du programme, car le montant des achats de la BCE, et pas seulement leur composition, doit être connu. De plus, la majorité des entreprises ne se financent pas par l’émission d’obligations, car le coût et la technicité de cette opération sont prohibitifs pour les petites et moyennes entreprises. Enfin, les opérations d’achat génèrent des effets autorenforçants : l’inclusion d’une entreprise dans la liste d’achats de la BCE renforce la probabilité que celle-ci bénéficie d’une notation élevée et, par-là, se maintienne au sein de cette liste. En d’autres termes, le CSPP engendre deux effets distributifs principaux : il favorise les entreprises de grande taille qui se financent sur les marchés par rapport à leurs concurrents d’envergure plus modeste et il offre un avantage compétitif aux acteurs des marchés qui sont dominants à l’heure actuelle en leur permettant de bénéficier de conditions de financements plus favorables que leurs concurrents. Pour ces raisons, les parlementaires européens estiment que le CSPP représente une forme de subvention publique pour les entreprises10, ce qui fausse ainsi le principe de concurrence libre, un des points primordiaux des Traités et de l’intégration européenne.
Par ailleurs, quand la BCE construit un indicateur représentatif de l’ensemble du marché pour tenter de neutraliser les effets distributifs du CSPP, ses achats peuvent nuire aux objectifs environnementaux et sociaux de la zone euro. Alors que l’UE s’est engagée à réduire l’empreinte carbone de son économie, à la suite des accords de Paris sur le climat, l’examen de la liste d’achats actuels de la BCE montre une forte présence des entreprises productrices d’énergies fossiles et également des constructeurs de voitures, dont Shell, INI, Total, Repsol, BMW et Volkswagen11. De même, l’inclusion de groupes agroalimentaires tels que Nestlé, Unilever Danone et Coca-Cola ainsi que des compagnies d’alcool Pernod-Ricard, Heineken et Anheuser-Busch pose question, au regard des objectifs de santé publique de l’UE. Les achats des obligations de Ryanair, compagnie aérienne régulièrement condamnée pour travail dissimulé, Thalès, fabricant d’armes français et du groupe de produits de luxe LVMH qui est l’entreprise française détenant le plus de filiales dans les paradis fiscaux ne correspondent pas aux objectifs de cohésion sociale affichés par l’UE.
En outre, les banquiers centraux peuvent être sujets à des conflits d’intérêts lors de leurs opérations d’achat. Ainsi, dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions, ils ont pu nouer des connaissances interpersonnelles avec des dirigeants d’entreprises dont les obligations sont rachetées. Par exemple, le chief financial officer du groupe Orange inclus dans la liste d’achats du CSPP est Ramon Fernandez, ancien directeur du Trésor français de 2009 à 2014 qui a participé aux multiples réunions de gestion de la crise de la zone euro aux côtés des dirigeants actuels de la BCE. Le flou entretenu par la BCE sur la construction de son panier de référence et l’absence de publicité des montants d’obligations rachetés ne permettent pas de bénéficier du degré de transparence nécessaire pour contrôler ces risques de conflits d’intérêts.
Enfin, la baisse du temps d’emprunt obligataire12 incite les entreprises à émettre davantage d’obligations et, par-là, à approfondir le processus de financiarisation de l’économie. Dans une économie financiarisée, les entreprises entrent en compétition pour offrir aux investisseurs les meilleurs retours sur investissement et les dividendes les plus élevés au détriment de l’investissement productif et des versements de salaires plus élevés (Erturk et al., 2008). Cette dynamique, qui a été un des facteurs de la crise des subprimes, affaiblit aussi les liens établis par la BCE entre le financement plus aisé des entreprises et leur soutien à l’activité économique réelle, liens qui forment une des justifications du CSPP.
Conclusion
En fin de compte, l’extension du rôle joué par la BCE pendant la crise et son impact sur la formation des prix de marché a mis sous tension la légitimité de ses politiques monétaires et les fondements théoriques de son indépendance. En effet, l’ensemble de ses programmes de titres engendre des conséquences distributives « verticales » qui avantagent de manière prioritaire les ménages les plus aisés. De surcroit, l’extension des rachats aux obligations d’entreprises par la mise en œuvre du CSPP a engendré des effets distributifs horizontaux qui favorisent certaines entreprises, au détriment d’autres. La fronde inédite menée par les parlementaires européens pour demander plus de transparence sur le CSPP symbolise bien l’accentuation des tensions engendrées par ce programme13. Les stratégies mises en œuvre par la BCE pour neutraliser les conséquences distributives inhérentes à un programme de rachat de titres privés entrainent des effets problématiques. Ainsi, la construction d’un indicateur qui reflète l’intégralité du marché conduit les banquiers centraux à encourager le financement d’activités non désirables au regard des objectifs sociaux et environnementaux de l’UE, le manque de transparence des procédures d’achat limite la surveillance nécessaire des conflits d’intérêts potentiels et l’approfondissement de la financiarisation de l’économie européenne risque de limiter les soutiens des entreprises à l’activité économique réelle.
Les limites du CSPP n’impliquent pas que le soutien public à la relance économique n’est plus nécessaire, mais plutôt que la BCE n’est pas l’institution la plus appropriée, car elle ne dispose pas de la légitimité politique nécessaire pour assumer des choix distributifs inhérents aux rachats d’obligations d’entreprises. De ce point de vue, les enceintes parlementaires dont les membres sont directement élus par les citoyens bénéficient de la légitimité politique formelle nécessaire pour assumer les choix distributifs inhérents aux programmes de rachats de titres. La BCE pourrait ainsi renforcer de manière minimale la légitimité du CSPP en suivant les demandes des parlementaires européens et en publiant les montants de chaque titre acheté. Cette transparence accrue permettrait un meilleur débat parlementaire, à défaut d’un contrôle, sur les titres achetés par la BCE.
Il existe aussi une solution plus radicale pour renforcer le CSPP. Plutôt que de tenter de racheter un échantillon de titres représentatifs de la composition du marché, les parlementaires pourraient définir une liste de critères que les entreprises devraient respecter pour voir leurs titres rachetés. Les membres des commissions parlementaires Econ, emploi (EMPL) et environnement (ENVI) du Parlement européen pourraient définir cette liste de critères qui seraient ensuite validés en plénière. Cette proposition est aussi compatible avec le projet de parlement de la zone euro proposé par Thomas Piketty et Yannis Varoufakis.
Par exemple, les parlementaires pourraient exiger que les activités entrepreneuriales soient alignées avec les objectifs sociaux et environnementaux de l’UE et que le financement de leurs activités soit conditionné à des investissements en capital productif, à des embauches supplémentaires ou à des hausses de salaire. Les opérations d’achats de la BCE seraient ensuite guidées et évaluées en fonction de ces critères14.
Cette configuration aurait aussi pour mérite de contourner le Conseil des ministres des Finances, l’organe décisionnel principal de la zone euro où la prise de décisions est trop souvent bloquée par la défense restrictive des intérêts particuliers de chaque pays. La politisation et la publication de la définition des critères permettraient aussi un meilleur contrôle public des éventuels conflits d’intérêt tout en renforçant la place du Parlement européen au sein de la gouvernance de la zone euro.
- Ce programme est désigné Corporate Sector Purchase Programm (CSPP). Les obligations sont les titres financiers désignant les parts d’emprunt des entreprises sur les marchés des capitaux. Les marchés secondaires sont les marchés d’échange de ces titres.
- Lettre de M. Ramon Tremosa à Mario Draghi, 9 juin 2017 (Ref. QZ ‑046).
- Pour une comparaison des mandats et du contrôle démocratique de la Fed, la BCE et la Banque d’Angleterre : Goodhart et Meade (2004).
- Pour une critique de cette justification et des programmes d’achat de dettes souveraines en général, voir Fontan et al. (2016).
- La titrisation est une technique financière consistant à rassembler un ensemble de créances (par exemple, des prêts immobiliers) pour les transformer en un produit financier émis et échangé sur les marchés financiers.
- L’absence de débat de cette nature en Angleterre, aux États-Unis ou au Japon qui ont vu leurs titres rachetés par leurs banques centrales, souligne que ce débat est davantage causé par les divisions politiques au sein de la zone euro que par ses effets propres.
- Lettres L/MD/17/11 et L/MD/17/159 du président Draghi au Parlement européen.
- Correspond à la notation d’«investissement » par les agences de notation.
- En d’autres mots, la BCE ne peut pas acheter plus de 70 % des obligations émises par une entreprise.
- Lettre de M. Ramon Tremosa à Mario Dragi, 9 juin 2017 (Ref. QZ ‑046).
- Volskwagen qui ne pouvait plus se refinancer sur les marchés à la suite de la révélation du scandale industriel lié aux émissions diesels de ses véhicules en septembre 2015 a profité de son inclusion sur la liste de la BCE en juin 2016 pour émettre de nouvelles obligations. Le biais des achats de la BCE en faveur des activités ayant une forte empreinte carbone ont été étudié par Matikainen et al. (2017).
- Le taux d’emprunt obligataire représente le taux d’intérêt demandé par les investisseurs pour financer une entreprise.
- Cl. Jones, « ECB to shed more light on corporate bond purchases », 21 juin 2017.
- À l’heure actuelle, il est difficile de dire si cette réforme serait compatible avec les Traités. Dans la mesure où la BCE accepte les critères des agences de notation pour définir son panier de titres, la définition de critères par le Parlement pourrait être légale. La BCE continuerait à décider de manière autonome du montant et de l’identité des titres achetés respectant ces critères.