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La bataille des Daerden ou « le message du président »
Le jeudi 16 juillet, les opinions publiques flamande et francophone se réveillaient en découvrant que l’inoxydable (même dans l’alcool) Michel Daerden ne figurait plus au casting du gouvernement wallon PS-Écolo-CDH. Au passage, Flamands et francophones découvraient qu’Elio Di Rupo, président à vie du Parti socialiste, cirage sur les joues et cartouchière sur le torse, était capable […]
Le jeudi 16 juillet, les opinions publiques flamande et francophone se réveillaient en découvrant que l’inoxydable (même dans l’alcool) Michel Daerden ne figurait plus au casting du gouvernement wallon PS-Écolo-CDH. Au passage, Flamands et francophones découvraient qu’Elio Di Rupo, président à vie du Parti socialiste, cirage sur les joues et cartouchière sur le torse, était capable de prouesses aussi improbables que celles de John Rambo (celui de Stallone). Ne venait-il pas de mener de main de maître une opération commando destinée à « exfiltrer » un Daerden définitivement trop en porte-à-faux avec le credo de la bonne gouvernance scandé non seulement par Écolo et le CDH, mais désormais aussi par un PS engagé dans un processus de rénovation décidément éternel ? Et quelle exfiltration… Éjecté du nouveau gouvernement Demotte, Michel Daerden a prêté serment comme ministre fédéral des Pensions et de la Politique des grandes villes d’un gouvernement Van Rompuy qui ressemble de plus en plus à la Nef des Fous.
Officiellement, bien qu’apparemment déchu, Michel Daerden n’aurait aucunement déçu… « La preuve », expliquaient, en chœur et la bouche en cœur, le président du PS Elio Di Rupo et le ministre-président de la Région wallonne Rudy Demotte, « ni Écolo ni le CDH n’ont demandé la tête de Monsieur Daerden ». Certes, sauf qu’en Wallonie, ce sont les présidents de parti qui nomment leurs ministres et qu’on voyait mal Écolo (ravi de peser à nouveau quelque peu sur les affaires wallonnes) et le CDH (meilleur allié du PS de tous les temps) marcher sur les plates-bandes du président du PS.
Tous les internautes connaissent par cœur les « j’aî comprrris le messââge du Prsident Di Rupô » lâchés à longueur de meetings arrosés ou d’interviews complaisantes (en voilà un bon client, coco) par le José Happart de cette première décennie du XXIe siècle wallon (on parle ici du champion en voix de préférence, pas de l’expert ès bastons antiflamandes) et repassés en boucle sur YouTube® et DailyMotion®. Mais nous, pauvres manants réduits à observer le fonctionnement souvent imperméable du meccano belge, quel message devons-nous comprendre ?
Certes, il ne s’agit pas dans cet article de s’appesantir sur la réaction de l’opinion publique flamande et du « message compris » par la Flandre politique. Il n’empêche que, si nous nous mettions dans la peau de responsables politiques flamands, nous aurions sans doute nous aussi la furieuse impression de ne pas être pris au sérieux par la Wallonie. Les Wallons seraient-ils inconscients ou méprisants au point de confier l’un des postes les plus symboliquement sensibles du gouvernement fédéral (les Pensions) à un homme politique davantage connu op de Vlaamse kant van de taalgrens (en op de Waalse ook…) pour ses performances éthyliques et clientélistes que pour sa probité budgétaire ?
Allez comprendre ces Wallons… Voici deux ans, leur personnel politique, atteint de rechute belgicaine, battait le rappel du ban et de l’arrière-ban des médias francophones nationaux et internationaux pour dénoncer, unanimement et dans une atmosphère de fin du monde, une Flandre malade de son nationalisme et prête à faire imploser cet édifice institutionnel belge que la planète tout entière nous envie, à l’heure où les « gens » étaient pourtant confrontés à des problèmes bien plus graves, les « vrais problèmes ». Pour preuve de son sérieux et de son sens des responsabilités, la Wallonie politique s’enorgueillissait et se gargarisait du boulot abattu par un certain… Rudy Demotte lorsqu’il détenait le portefeuille de la Santé publique et des Affaires sociales dans le gouvernement Verhofstadt II.
Oui mais alors, en cette période que l’on dit cruciale pour l’avenir de la Belgique (con)fédérale et pour celui de la sacro-sainte Sécurité sociale, quel message envoie le PS en « exilant » Michel Daerden au gouvernement fédéral ? A‑t-il sciemment décidé de prendre à rebrousse-poil des partenaires politiques flamands avec lesquels il faudra pourtant bientôt négocier un rude volet de régionalisation, sans parler du casse-tête de la scission de l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde ? Pourquoi entretenir ainsi une image aussi apocalyptiquement désastreuse auprès de ceux qui font l’opinion en Flandre et auprès de ceux (les politiques) qui doivent bien en tenir compte ?
Pourquoi ? Tout simplement parce que le « messââge du Prsident Di Rupô » ne s’adresse aucunement à la Flandre (pour ce faire, il faudrait davantage que baragouiner le néerlandais…), mais à la Wallonie. Pas à ses décideurs, oh non. Encore moins à ses secteurs d’opinion avides de nouvelle gouvernance. Mais à cette frange tout sauf négligeable de l’électorat wallon qui, élection après élection, plébiscite (en parfaite connaissance de cause) un homme politique qui assume, on-the-record et sans le moindre complexe, un mode de gouvernement basé sur le conflit d’intérêts et le sous-localisme le plus clientéliste, le plus féodal et le plus infantilisant, autrement dit, le plus abouti à l’aune du cynisme et de l’irresponsabilité.
Que penser d’une société dont toute une frange de l’électorat répond comme un seul homme au slogan « Tout le monde aime Papa » ? Et qui, en outre, vient de plébisciter au Parlement européen « Frédéric », le fiston à papa ? Une enquête sociologique sérieuse reste à faire sur les motivations du vote « Daerden & Fils ». À ce stade, on ne peut que se rabattre sur des hypothèses. Le vote Daerden serait la preuve que la démocratie wallonne respire la santé et s’avère l’une des plus représentatives au monde. En d’autres termes, Daerden représenterait parfaitement le repli spatial, social et « tribal » (tripal?) de microsociétés wallonnes qui oscillent entre le quatrième degré ostentatoire, le folklore éthylique surjoué et, surtout, un mépris de soi d’autant plus morbide qu’il se drape des oripeaux susmentionnés. Une autre hypothèse reposerait évidemment sur les angoisses de nombreux Wallons quant à l’avenir d’une sécurité sociale fédérale déstabilisée par les ravages de la crise financière de 2008, le retour du spectre du chômage et les ambitions régionalisatrices d’une majorité du monde politique flamand.
Lors des régionales du 7 juin 2009, le PS n’a‑t-il pas évité une raclée électorale en prophétisant la terreur d’un « bain de sang social » en cas d’arrivée du Mouvement réformateur (MR) au pouvoir en Wallonie1 ? Oui mais, diront les esprits chagrins (ou trop cartésiens), en quoi l’envoi de Michel Daerden au gouvernement fédéral est-il une panacée contre le démantèlement du modèle social belge ? Réponse ? En rien ! Car là n’est sans doute pas l’essentiel pour la direction du PS.
L’«empereur du Boulevard » a plus que probablement les yeux rivés sur les prochaines élections législatives (fédérales). Lors de ce scrutin, chaque voix comptera et le champion wallon des voix de préférence ne sera pas de trop pour qu’un PS en manque de locomotives électorales (qui plus est, « fédéralisables », c’est-à-dire vaguement bilingues) conserve son statut de premier parti en Belgique francophone via le réservoir électoral liégeois. En clair, pendant que son pâle (électoralement parlant) « payis » Jean-Claude Marcourt sera au charbon au gouvernement wallon, « Papa » n’aura qu’à récolter les dividendes de sa déconcertante popularité, étant donné que, bien qu’«exilé » au gouvernement fédéral, il se surpassera plus que certainement pour faire parler de lui en principauté de Liège (et au-delà, s’il se présente au Sénat).
Oui mais, insisteront les mêmes esprits chagrins (et sans doute toujours trop cartésiens), ce « gourou des chiffres et des budgets » que le PS nous vend, n’est-ce pas celui-là même qui, en bon génie de la calculette et de l’artifice comptable, est parvenu à faire campagne aux régionales 2009 sur la base d’un budget wallon quasi maquillé ? Réponse : l’important est sans doute que « les p’tits qu’on spotche » continuent de croire que « Papa » est un sorcier des chiffres, un expert « excessivement compétent ». Et que, comme à l’époque du rénovateur Philippe Busquin (c’était en 1994, en pleine tempête Agusta), Daerden fera office de « bouclier de la sécurité sociale » face aux assauts sournois des factieux de « l’Anti-Wallonie2 » : la Flandre et la « crise libérale»… Vous avez dit « cynisme » ?
- Tablant sur l’illisibilité du labyrinthe institutionnel belge, Elio Di Rupo aura décidément fait fort en menant le dernier round de la campagne des élections régionales sur un thème qui, jusqu’à présent, reste éminemment et exclusivement fédéral : la sécurité sociale…
- Dans les années septante, Marcel Gotlib, Jean Solé et Jacques Lob avaient imaginé le personnage de Superdupont, une caricature de Superman franchouillard affrontant les agents… polyglottes d’une nébuleuse hostile, l’Anti-France.