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La bataille des Daerden ou « le message du président »

Numéro 9 Septembre 2009 - Agusta BHV (Belgique) CDH Ecolo Elio Di Rupo Gouvernement fédéral Gouvernement wallon Herman Van Rompuy Jean-Claude Marcourt José Happart Michel Daerden Philippe Busquin PS Rudy Demotte Wallonie par Delagrange

septembre 2009

Le jeu­di 16 juillet, les opi­nions publiques fla­mande et fran­co­phone se réveillaient en décou­vrant que l’inoxydable (même dans l’alcool) Michel Daer­den ne figu­rait plus au cas­ting du gou­ver­ne­ment wal­lon PS-Éco­­lo-CDH. Au pas­sage, Fla­mands et fran­co­phones décou­vraient qu’Elio Di Rupo, pré­sident à vie du Par­ti socia­liste, cirage sur les joues et car­tou­chière sur le torse, était capable […]

Le jeu­di 16 juillet, les opi­nions publiques fla­mande et fran­co­phone se réveillaient en décou­vrant que l’inoxydable (même dans l’alcool) Michel Daer­den ne figu­rait plus au cas­ting du gou­ver­ne­ment wal­lon PS-Éco­lo-CDH. Au pas­sage, Fla­mands et fran­co­phones décou­vraient qu’Elio Di Rupo, pré­sident à vie du Par­ti socia­liste, cirage sur les joues et car­tou­chière sur le torse, était capable de prouesses aus­si impro­bables que celles de John Ram­bo (celui de Stal­lone). Ne venait-il pas de mener de main de maître une opé­ra­tion com­man­do des­ti­née à « exfil­trer » un Daer­den défi­ni­ti­ve­ment trop en porte-à-faux avec le cre­do de la bonne gou­ver­nance scan­dé non seule­ment par Éco­lo et le CDH, mais désor­mais aus­si par un PS enga­gé dans un pro­ces­sus de réno­va­tion déci­dé­ment éter­nel ? Et quelle exfil­tra­tion… Éjec­té du nou­veau gou­ver­ne­ment Demotte, Michel Daer­den a prê­té ser­ment comme ministre fédé­ral des Pen­sions et de la Poli­tique des grandes villes d’un gou­ver­ne­ment Van Rom­puy qui res­semble de plus en plus à la Nef des Fous.

Offi­ciel­le­ment, bien qu’apparemment déchu, Michel Daer­den n’aurait aucu­ne­ment déçu… « La preuve », expli­quaient, en chœur et la bouche en cœur, le pré­sident du PS Elio Di Rupo et le ministre-pré­sident de la Région wal­lonne Rudy Demotte, « ni Éco­lo ni le CDH n’ont deman­dé la tête de Mon­sieur Daer­den ». Certes, sauf qu’en Wal­lo­nie, ce sont les pré­si­dents de par­ti qui nomment leurs ministres et qu’on voyait mal Éco­lo (ravi de peser à nou­veau quelque peu sur les affaires wal­lonnes) et le CDH (meilleur allié du PS de tous les temps) mar­cher sur les plates-bandes du pré­sident du PS.

Tous les inter­nautes connaissent par cœur les « j’aî com­prr­ris le mes­sââge du Prsident Di Rupô » lâchés à lon­gueur de mee­tings arro­sés ou d’interviews com­plai­santes (en voi­là un bon client, coco) par le José Hap­part de cette pre­mière décen­nie du XXIe siècle wal­lon (on parle ici du cham­pion en voix de pré­fé­rence, pas de l’expert ès bas­tons anti­fla­mandes) et repas­sés en boucle sur You­Tube® et Dai­ly­Mo­tion®. Mais nous, pauvres manants réduits à obser­ver le fonc­tion­ne­ment sou­vent imper­méable du mec­ca­no belge, quel mes­sage devons-nous comprendre ?

Certes, il ne s’agit pas dans cet article de s’appesantir sur la réac­tion de l’opinion publique fla­mande et du « mes­sage com­pris » par la Flandre poli­tique. Il n’empêche que, si nous nous met­tions dans la peau de res­pon­sables poli­tiques fla­mands, nous aurions sans doute nous aus­si la furieuse impres­sion de ne pas être pris au sérieux par la Wal­lo­nie. Les Wal­lons seraient-ils incons­cients ou mépri­sants au point de confier l’un des postes les plus sym­bo­li­que­ment sen­sibles du gou­ver­ne­ment fédé­ral (les Pen­sions) à un homme poli­tique davan­tage connu op de Vlaamse kant van de taal­grens (en op de Waalse ook…) pour ses per­for­mances éthy­liques et clien­té­listes que pour sa pro­bi­té budgétaire ?

Allez com­prendre ces Wal­lons… Voi­ci deux ans, leur per­son­nel poli­tique, atteint de rechute bel­gi­caine, bat­tait le rap­pel du ban et de l’arrière-ban des médias fran­co­phones natio­naux et inter­na­tio­naux pour dénon­cer, una­ni­me­ment et dans une atmo­sphère de fin du monde, une Flandre malade de son natio­na­lisme et prête à faire implo­ser cet édi­fice ins­ti­tu­tion­nel belge que la pla­nète tout entière nous envie, à l’heure où les « gens » étaient pour­tant confron­tés à des pro­blèmes bien plus graves, les « vrais pro­blèmes ». Pour preuve de son sérieux et de son sens des res­pon­sa­bi­li­tés, la Wal­lo­nie poli­tique s’enorgueillissait et se gar­ga­ri­sait du bou­lot abat­tu par un cer­tain… Rudy Demotte lorsqu’il déte­nait le por­te­feuille de la San­té publique et des Affaires sociales dans le gou­ver­ne­ment Verhof­stadt II.

Oui mais alors, en cette période que l’on dit cru­ciale pour l’avenir de la Bel­gique (con)fédérale et pour celui de la sacro-sainte Sécu­ri­té sociale, quel mes­sage envoie le PS en « exi­lant » Michel Daer­den au gou­ver­ne­ment fédé­ral ? A‑t-il sciem­ment déci­dé de prendre à rebrousse-poil des par­te­naires poli­tiques fla­mands avec les­quels il fau­dra pour­tant bien­tôt négo­cier un rude volet de régio­na­li­sa­tion, sans par­ler du casse-tête de la scis­sion de l’arrondissement élec­to­ral de Bruxelles-Hal-Vil­vorde ? Pour­quoi entre­te­nir ain­si une image aus­si apo­ca­lyp­ti­que­ment désas­treuse auprès de ceux qui font l’opinion en Flandre et auprès de ceux (les poli­tiques) qui doivent bien en tenir compte ?

Pour­quoi ? Tout sim­ple­ment parce que le « mes­sââge du Prsident Di Rupô » ne s’adresse aucu­ne­ment à la Flandre (pour ce faire, il fau­drait davan­tage que bara­goui­ner le néer­lan­dais…), mais à la Wal­lo­nie. Pas à ses déci­deurs, oh non. Encore moins à ses sec­teurs d’opinion avides de nou­velle gou­ver­nance. Mais à cette frange tout sauf négli­geable de l’électorat wal­lon qui, élec­tion après élec­tion, plé­bis­cite (en par­faite connais­sance de cause) un homme poli­tique qui assume, on-the-record et sans le moindre com­plexe, un mode de gou­ver­ne­ment basé sur le conflit d’intérêts et le sous-loca­lisme le plus clien­té­liste, le plus féo­dal et le plus infan­ti­li­sant, autre­ment dit, le plus abou­ti à l’aune du cynisme et de l’irresponsabilité.

Que pen­ser d’une socié­té dont toute une frange de l’électorat répond comme un seul homme au slo­gan « Tout le monde aime Papa » ? Et qui, en outre, vient de plé­bis­ci­ter au Par­le­ment euro­péen « Fré­dé­ric », le fis­ton à papa ? Une enquête socio­lo­gique sérieuse reste à faire sur les moti­va­tions du vote « Daer­den & Fils ». À ce stade, on ne peut que se rabattre sur des hypo­thèses. Le vote Daer­den serait la preuve que la démo­cra­tie wal­lonne res­pire la san­té et s’avère l’une des plus repré­sen­ta­tives au monde. En d’autres termes, Daer­den repré­sen­te­rait par­fai­te­ment le repli spa­tial, social et « tri­bal » (tri­pal?) de micro­so­cié­tés wal­lonnes qui oscil­lent entre le qua­trième degré osten­ta­toire, le folk­lore éthy­lique sur­joué et, sur­tout, un mépris de soi d’autant plus mor­bide qu’il se drape des ori­peaux sus­men­tion­nés. Une autre hypo­thèse repo­se­rait évi­dem­ment sur les angoisses de nom­breux Wal­lons quant à l’avenir d’une sécu­ri­té sociale fédé­rale désta­bi­li­sée par les ravages de la crise finan­cière de 2008, le retour du spectre du chô­mage et les ambi­tions régio­na­li­sa­trices d’une majo­ri­té du monde poli­tique flamand.

Lors des régio­nales du 7 juin 2009, le PS n’a‑t-il pas évi­té une raclée élec­to­rale en pro­phé­ti­sant la ter­reur d’un « bain de sang social » en cas d’arrivée du Mou­ve­ment réfor­ma­teur (MR) au pou­voir en Wal­lo­nie1 ? Oui mais, diront les esprits cha­grins (ou trop car­té­siens), en quoi l’envoi de Michel Daer­den au gou­ver­ne­ment fédé­ral est-il une pana­cée contre le déman­tè­le­ment du modèle social belge ? Réponse ? En rien ! Car là n’est sans doute pas l’essentiel pour la direc­tion du PS.

L’«empereur du Bou­le­vard » a plus que pro­ba­ble­ment les yeux rivés sur les pro­chaines élec­tions légis­la­tives (fédé­rales). Lors de ce scru­tin, chaque voix comp­te­ra et le cham­pion wal­lon des voix de pré­fé­rence ne sera pas de trop pour qu’un PS en manque de loco­mo­tives élec­to­rales (qui plus est, « fédé­ra­li­sables », c’est-à-dire vague­ment bilingues) conserve son sta­tut de pre­mier par­ti en Bel­gique fran­co­phone via le réser­voir élec­to­ral lié­geois. En clair, pen­dant que son pâle (élec­to­ra­le­ment par­lant) « payis » Jean-Claude Mar­court sera au char­bon au gou­ver­ne­ment wal­lon, « Papa » n’aura qu’à récol­ter les divi­dendes de sa décon­cer­tante popu­la­ri­té, étant don­né que, bien qu’«exilé » au gou­ver­ne­ment fédé­ral, il se sur­pas­se­ra plus que cer­tai­ne­ment pour faire par­ler de lui en prin­ci­pau­té de Liège (et au-delà, s’il se pré­sente au Sénat).

Oui mais, insis­te­ront les mêmes esprits cha­grins (et sans doute tou­jours trop car­té­siens), ce « gou­rou des chiffres et des bud­gets » que le PS nous vend, n’est-ce pas celui-là même qui, en bon génie de la cal­cu­lette et de l’artifice comp­table, est par­ve­nu à faire cam­pagne aux régio­nales 2009 sur la base d’un bud­get wal­lon qua­si maquillé ? Réponse : l’important est sans doute que « les p’tits qu’on spotche » conti­nuent de croire que « Papa » est un sor­cier des chiffres, un expert « exces­si­ve­ment com­pé­tent ». Et que, comme à l’époque du réno­va­teur Phi­lippe Bus­quin (c’était en 1994, en pleine tem­pête Agus­ta), Daer­den fera office de « bou­clier de la sécu­ri­té sociale » face aux assauts sour­nois des fac­tieux de « l’Anti-Wallonie2 » : la Flandre et la « crise libé­rale»… Vous avez dit « cynisme » ?

  1. Tablant sur l’illisibilité du laby­rinthe ins­ti­tu­tion­nel belge, Elio Di Rupo aura déci­dé­ment fait fort en menant le der­nier round de la cam­pagne des élec­tions régio­nales sur un thème qui, jusqu’à pré­sent, reste émi­nem­ment et exclu­si­ve­ment fédé­ral : la sécu­ri­té sociale…
  2. Dans les années sep­tante, Mar­cel Got­lib, Jean Solé et Jacques Lob avaient ima­gi­né le per­son­nage de Super­du­pont, une cari­ca­ture de Super­man fran­chouillard affron­tant les agents… poly­glottes d’une nébu­leuse hos­tile, l’Anti-France.

Delagrange


Auteur

Pierre Delagrange est historien, politologue et traducteur néerlandais-français et afrikaans-français. Spécialiste de l'Histoire politique et sociale des {Pays-Bas/Belgiques} (Benelux actuel), il travaille particulièrement sur la {Question belge} et les dynamiques identitaires et politiques flamandes, wallonnes et bruxelloises.