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L’intégration européenne, ce presque souvenir

Numéro 4 – 2018 - Brexit Europe UE (Union européenne) par Olivier Derruine

juillet 2018

Même au plus fort de la crise des dettes sou­ve­raines, je n’ai jamais dou­té que la zone euro sur­vi­vrait, là où beau­coup d’observateurs consi­dé­raient sérieu­se­ment qu’il pour­rait en être autre­ment. Quelques années plus tard, cette cer­ti­tude s’est dis­si­pée. C’est que depuis le Brexit, l’éventail des pos­sibles s’est élar­gi et l’équilibre du monde a bas­cu­lé. La parole […]

Éditorial

Même au plus fort de la crise des dettes sou­ve­raines, je n’ai jamais dou­té que la zone euro sur­vi­vrait, là où beau­coup d’observateurs consi­dé­raient sérieu­se­ment qu’il pour­rait en être autre­ment. Quelques années plus tard, cette cer­ti­tude s’est dis­si­pée. C’est que depuis le Brexit, l’éventail des pos­sibles s’est élar­gi et l’équilibre du monde a bas­cu­lé. La parole s’est « décom­plexée » comme on dit désor­mais et, dans un contexte de cri­sette1 migra­toire, les par­tis natio­naux popu­listes sont deve­nus une option poli­tique cré­dible. En effet, de plus en plus d’électeurs constatent les ravages des poli­tiques de la droite et déplorent que la gauche n’ait d’alternative à pro­po­ser que dans ses slo­gans, mais pas lorsqu’elle gouverne.

Avec le Brexit, la zone euro est plus que jamais le cœur et le futur de l’Union euro­péenne, car seuls deux pays ne sont pas tenus d’adopter la mon­naie unique le moment venu. En dépit de l’agitation légis­la­tive (le dur­cis­se­ment du Pacte de sta­bi­li­té et de crois­sance, la re-régu­la­tion du sec­teur finan­cier avant que cer­taines de ces dis­po­si­tions soient sciem­ment affai­blies) et de la créa­ti­vi­té ins­ti­tu­tion­nelle (pen­sons ici aux accords inter­gou­ver­ne­men­taux qui ont pré­si­dé à la créa­tion du Méca­nisme euro­péen de sta­bi­li­té, le bras finan­cier de la troï­ka ou au Pacte bud­gé­taire euro­péen ou aux idées cir­cu­lant actuel­le­ment concer­nant la créa­tion d’un fonds de sta­bi­li­sa­tion ou à un super ministre des Finances euro­péen), la zone euro demeure fra­gile. Pire, elle donne l’impression de se dis­lo­quer en rai­son des diver­gences socioé­co­no­miques en son sein.

Un cer­tain nombre de réformes ont pour­tant été pro­po­sées et dis­cu­tées, mais elles ont géné­ra­le­ment été mises au fri­go, les diri­geants euro­péens crai­gnant qu’elles viennent pol­luer les élec­tions alle­mandes de l’automne 2017. Il fal­lait taire le fait que ces réformes devaient aller dans le sens d’une plus grande soli­da­ri­té entre pays, ce qui se tra­dui­rait inévi­ta­ble­ment par un effort finan­cier accru des contri­buables alle­mands (notam­ment). Mal­heu­reu­se­ment, les popu­listes de l’AfD tirèrent les mar­rons du feu en exploi­tant ce mythe d’Allemands payant pour les autres (et en par­ti­cu­lier pour les fai­néants du Sud) et en capi­ta­li­sant sur les erre­ments de Mer­kel à la suite de l’accueil mas­sif et uni­la­té­ral (non concer­té avec les par­te­naires euro­péens) de réfu­giés. Après des négo­cia­tions par­ti­cu­liè­re­ment longues, un nou­veau gou­ver­ne­ment dit « de grande coa­li­tion » (ou, n’y voyez aucun jeu de mots, « gro­ko » en alle­mand) vit le jour. Il se dis­tingue du pré­cé­dent par ses ambi­tions par­ti­cu­liè­re­ment timides concer­nant les réformes euro­péennes. Si le moteur fran­co-alle­mand tour­nait au ralen­ti jusqu’ici, il se pour­rait qu’aujourd’hui il n’y ait tout sim­ple­ment plus de moteur en dépit des bal­lons d’essai de l’europhile Macron.

Mal­gré le sta­tu­quo, l’économie euro­péenne semble plu­tôt bien tour­ner. Comme s’en flat­tait le pré­sident de la Com­mis­sion, Jean-Claude Jun­cker, qui ouvrait le « Brus­sels Eco­no­mic Forum »] c’est-à-dire la grand-messe annuelle des dépar­te­ments éco­no­miques de la Com­mis­sion : « La crois­sance éco­no­mique de la zone euro en 2017 a atteint son plus haut niveau depuis 2007, dépas­sant pour la deuxième année consé­cu­tive celles des États-Unis et du Japon. Depuis le som­met de la crise en 2013, 13 mil­lions d’emplois ont été créés dans l’UE et 8 mil­lions dans la zone euro. Il en résulte un taux d’emploi his­to­ri­que­ment éle­vé tan­dis que le chô­mage a reflué à son plus bas depuis 2008. […] Les inves­tis­se­ments sont repar­tis à la hausse ce qui a per­mis de sou­te­nir 635000 PME. Les finances publiques se trouvent éga­le­ment dans un meilleur état ; le défi­cit public dans la zone euro a été rame­né de 6 % en 2009 à 0,7 % en 2018. Et la dette publique devrait tom­ber à 86,5 % cette année ; nous par­tions de 94 % en 2014 ».

Tou­te­fois, ce tableau pour­rait vite se ter­nir en rai­son des déve­lop­pe­ments dans plu­sieurs pays, en par­ti­cu­lier dans la pre­mière et la troi­sième éco­no­mies de la zone euro (l’Allemagne et l’Italie).

L’Italie en pleine tourmente politique

Com­men­çons par l’Italie où la for­ma­tion du nou­veau gou­ver­ne­ment à la suite des élec­tions anti­ci­pées a pris des airs de vau­de­ville en mai. Les popu­listes du Mou­ve­ment des 5 Étoiles et les xéno­phobes de la Lega sont sor­tis vic­to­rieux des urnes. Ce qui res­semble à un grand écart poli­tique est en fait une coa­li­tion cimen­tée par le rejet des migra­tions et des « dik­tats » de Bruxelles. La future rela­tion avec l’UE a don­né lieu à une crise pré­gou­ver­ne­men­tale lorsque les deux lea­deurs pro­po­sèrent au pré­sident Mat­ta­rel­la le nom d’un éco­no­miste octo­gé­naire euros­cep­tique comme ministre des Finances et qui ne rêve que d’une sor­tie de l’euro. Il par­tage d’ailleurs ce rêve avec d’autres par­tis en Europe, mais le fait qu’un cer­tain nombre de cadres de la Banque cen­trale ita­lienne ne semblent pas prêts à s’opposer fer­me­ment à ce scé­na­rio et ne jouent pas le rôle de garde-fou — comme cela aurait été le cas en France si Le Pen avait sup­plan­té Macron lors de la pré­si­den­tielle — rend la menace plus cré­dible et pré­oc­cu­pante. Fina­le­ment, Pao­lo Savo­na, puisque c’est de lui dont il s’agit, héri­te­ra d’un maro­quin aux Affaires euro­péennes où il aura davan­tage le loi­sir de se consa­crer à la sor­tie de l’euro, même si Sal­vi­ni et Di Maio, lea­deurs des deux par­tis, démentent ce projet.

Au menu de cette alliance inédite et désta­bi­li­sante, la mise en place d’un reve­nu incon­di­tion­nel, la fin de la pro­gres­si­vi­té de l’impôt en le rame­nant à deux taux (15 et 20 %), l’annulation de la réforme des pen­sions. Les éco­no­mistes estiment que, en vitesse de croi­sière, ces mesures cou­te­raient à l’Italie 100 mil­liards d’euros, soit 6 % du PIB. Or, l’Italie est le pays le plus endet­té d’Europe juste après la Grèce2. Mais là où la Grèce a fait trem­bler les mar­chés finan­ciers du monde entier des années durant alors qu’elle n’est qu’un fétu de paille (sa dette publique ne repré­sente que 3 % de la dette de la zone euro), les affaires se corsent lorsque l’on s’intéresse à l’Italie. À la fin de 2017, sa dette publique qui dépasse les 131 % du PIB (la Grèce 178 % et la Bel­gique 103 %) est de 2300 mil­liards d’euros, soit sept fois plus que le stock de dette publique grecque repré­sen­tait. Il ne s’agit de rien de moins que d’un quart du total de la dette publique de la zone euro. Ces chiffres sont pré­oc­cu­pants au regard de la fai­blesse de la crois­sance éco­no­mique (la moi­tié de celle de l’UE depuis vingt ans), laquelle est insuf­fi­sante pour évi­ter une esca­lade de la dette. Or on a vu dans le cas de la Grèce à quel point le risque d’une sor­tie de la zone euro sur fond de non-sou­te­na­bi­li­té des finances publiques pou­vait engen­drer des consé­quences pour l’ensemble des États membres et même de l’économie mon­diale. C’est dire si les prio­ri­tés éco­no­miques du nou­veau gou­ver­ne­ment sont d’une impor­tance qui dépasse lar­ge­ment les fron­tières italiennes.

L’Allemagne, future victime de ses succès commerciaux

Dans le même temps, l’Allemagne est tiraillée entre les États-Unis, la Rus­sie et l’Iran. Elle fait d’abord les frais de la déci­sion uni­la­té­rale de Donald Trump de lever une taxe addi­tion­nelle sur les impor­ta­tions d’acier et d’aluminium, et ceci au motif, quelque peu tiré par les che­veux, de la sécu­ri­té natio­nale. Dans la fou­lée, il annon­çait qu’il met­trait à exé­cu­tion son vieux rêve remon­tant aux moins aux années 1990 de « taxer chaque BMW dans ce pays [les États-Unis]». Les pro­duc­teurs alle­mands exportent près d’un demi-mil­lion de véhi­cules aux États-Unis pour une valeur de 20 mil­liards d’euros. Les autres pays euro­péens sont immu­ni­sés contre cette déci­sion car ils n’exportent pas ou peu de voi­tures ou ils pro­duisent direc­te­ment les voi­tures outre-Atlan­tique (comme Fiat qui rache­ta Chrys­ler en 2009). La Corée du Sud et, plus que tout autre, le Japon seront les autres grands per­dants si le pro­jet de décret arrive à son terme d’ici le début 2019.

Mais cela n’est pas tout, car Trump menace de sanc­tions les entre­prises euro­péennes qui font du busi­ness avec l’Iran, qui n’auraient pas accès au sys­tème ban­caire et finan­cier amé­ri­cain. Autant dire que Trump veut leur cou­per les vivres. C’est une consé­quence du retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire ira­nien de 2015. Ce sont sur­tout les entre­prises alle­mandes et fran­çaises qui sont dans le col­li­ma­teur : Voks­wa­gen, l’ex-symbole de la puis­sance indus­trielle ger­ma­nique (avant sa déchéance à la suite du die­sel­gate), Total ou encore Air­bus. Les Euro­péens ont expor­té en 2017 pour plus de 10 mil­liards d’euros de mar­chan­dises (prin­ci­pa­le­ment des machines, des équi­pe­ments de trans­port, des pro­duits chi­miques et manufacturiers).

Enfin, Trump veut non seule­ment péna­li­ser des entre­prises diri­gées par des oli­garques proches du Krem­lin, mais aus­si sanc­tion­ner les entre­prises en rela­tion com­mer­ciale avec la Rus­sie (dans les domaines stra­té­giques que sont l’énergie ou la défense). Cela affecte les entre­prises euro­péennes direc­te­ment et indi­rec­te­ment dans la mesure où elles s’approvisionnent en matières pre­mières en Rus­sie, notam­ment auprès des mas­to­dontes gérés par les oli­garques. Elles redoutent une flam­bée des prix qui met­tra à mal la com­pé­ti­ti­vi­té de nombre de branches manu­fac­tu­rières. L’aluminium, den­rée cri­tique pour beau­coup de sec­teurs allant de l’automobile à l’aérospatial, a ain­si gagné 30 % sur deux semaines en mai. Pour cou­ron­ner le tout, le Par­le­ment russe envi­sage sérieu­se­ment de sanc­tion­ner à son tour les entre­prises occi­den­tales (y com­pris par des peines de pri­son fermes pour les diri­geants) qui obtem­pè­re­raient aux injonc­tions de Trump.

Les entre­prises alle­mandes se retrouvent coin­cées entre le mar­teau (la fau­cille?) et l’enclume. La conquête de mar­chés exté­rieurs qui fut ces quinze der­nières années la prio­ri­té numé­ro 1 de l’Allemagne pour assoir son lea­deur­ship en Europe, au risque que cela ne déclenche une défla­tion com­pé­ti­tive (forte modé­ra­tion sala­riale, ato­nie de la demande) dété­rio­rant les finances publiques (moindres ren­trées fis­cales), risque de deve­nir en l’espace de quelques mois son talon d’Achille. Et parce que le sort de beau­coup de pays, dont la Bel­gique, et fina­le­ment de l’ensemble de l’Europe, est lié au sien, sa poli­tique com­mer­ciale se retour­ne­ra contre elle et contre tout le monde. On peut rai­son­na­ble­ment craindre qu’un tel scé­na­rio souf­fle­rait dans les voiles du popu­lisme un peu par­tout. En effet, le cas échéant, ses adeptes ne man­que­ront pas de poin­ter (à juste titre) que la nou­velle crise est la consé­quence d’une Europe ger­ma­ni­sée. Et tout porte à croire qu’ils n’hésiteront pas à jeter le bébé avec l’eau du bain. Autre­ment dit, il est vain de vou­loir réfor­mer la zone euro ou l’Europe : autant en sor­tir complètement.

Sur le plan géo­po­li­tique, l’échec du G7 de début juin au Cana­da où Trump s’en est pris à chaque « par­te­naire » autour de la table, l’arrivée d’un nou­veau gou­ver­ne­ment ita­lien qui sou­hai­te­rait lever les sanc­tions euro­péennes et la néces­si­té pour l’Allemagne de trou­ver hors d’Europe d’autres inter­lo­cu­teurs et mar­chés pour­raient mener à consi­dé­rer à trai­ter la Rus­sie avec plus d’égards. Quelle vic­toire cela serait pour Vla­di­mir Pou­tine qui n’a jamais cédé face aux Occi­den­taux ! Mais quel désa­veu en même temps pour les Euro­péens, qui en seraient réduits à faire pro­fil bas sur les valeurs qu’ils pré­tendent défendre, au nom d’intérêts éco­no­miques supé­rieurs. Et enfin quelle défaite pour les démo­crates, en par­ti­cu­lier pour l’opposition russe, qui peine suf­fi­sam­ment sans cela pour sim­ple­ment exister.

Le budget européen à l’épreuve des replis nationaux

C’est dans ce contexte de repli sur soi et de ten­sions crois­santes entre États membres, qu’illustrent bien les déve­lop­pe­ments en Ita­lie et en Alle­magne et que l’on observe dans d’autres pays, au fil des scru­tins, que se négo­cie­ra le pro­chain cadre finan­cier plu­ri­an­nuel de l’UE ou, pour sor­tir du jar­gon, le bud­get euro­péen pour les années 2021 à 2027 pour les Vingt-huit… par­don, Vingt-sept. La Com­mis­sion euro­péenne a pré­sen­té ses pro­po­si­tions en mai. Ce bud­get d’environ 150 mil­liards d’euros par an pour 500 mil­lions d’Européens (à com­pa­rer avec les 229 mil­liards de l’État fédé­ral pour 11 mil­lions de rési­dents en Bel­gique) finance la poli­tique agri­cole com­mune et les fonds struc­tu­rels (dont le Fonds social euro­péen) par­mi d’autres choses. Et même si les mon­tants sont déri­soires en termes rela­tifs (1 % du PIB euro­péen), ils res­tent colos­saux en termes abso­lus (1100 mil­liards d’euros pour la période).

Cette négo­cia­tion va une nou­velle fois oppo­ser les contri­bu­teurs nets aux béné­fi­ciaires nets. Les pre­miers sont les pays riches, au pre­mier rang des­quels les Alle­mands. Ils sont des par­ti­sans du « Aide-toi et le ciel t’aidera ». Cer­tains n’auraient pas vu d’un mau­vais œil un Grexit. Ils vont renâ­cler à mettre la main à la poche pour aider les seconds, qui reçoivent plus qu’ils ne contri­buent au bud­get euro­péen et qui pour­raient d’ailleurs s’entredéchirer parce que les nou­velles pro­po­si­tions pri­vi­lé­gient les pays les plus tou­chés par la crise éco­no­mique. Concrè­te­ment, une série de pays d’Europe cen­trale et orien­tale y per­dront tan­dis que les pays du Sud y gagneront.

Les arbi­trages seront plus déli­cats que jamais, d’autant que les diri­geants poli­tiques échauffent leurs opi­nions publiques à coups d’archétypes déni­grants et que les États membres pren­dront pré­texte des conso­li­da­tions bud­gé­taires exi­gées par le Pacte de Sta­bi­li­té pour rabo­ter le bud­get euro­péen qui, insis­tons sur ce point, est le prin­ci­pal ins­tru­ment de soli­da­ri­té entre eux. Par consé­quent, l’issue des négo­cia­tions qui croisent des inté­rêts oppo­sés et s’écartant tou­jours un peu plus les uns des autres reflè­te­ra le pro­jet que les Euro­péens veulent pour­suivre ensemble. Un non-accord serait inen­vi­sa­geable, car cela cou­pe­rait le dyna­misme de beau­coup de régions et pri­ve­rait de sub­ven­tions ou d’aides des mil­lions de PME, de tra­vailleurs en requa­li­fi­ca­tion, d’hôpitaux, d’écoles, de cher­cheurs, etc. Dans le pas­sé, on savait que les négo­cia­tions seraient dures, mais on savait aus­si qu’on abou­ti­rait à quelque chose. Aujourd’hui, ce n’est plus aus­si clair.

Dernière étape : la neutralisation du lieu de la prise de décision démocratique

Enfin, ter­mi­nons ce rapide pano­ra­ma peu réjouis­sant par un petit tour du côté du Par­le­ment euro­péen. Les popu­listes repré­sentent une force d’environ 10 % des euro­dé­pu­tés [incluant l’EFDD (essen­tiel­le­ment le UKIP et le Mou­ve­ment des 5 étoiles) et l’ENF (prin­ci­pa­le­ment le Front natio­nal)]. Ce chiffre est une sous-esti­ma­tion car il n’inclut pas le Fidesz d’Orban, Fico, le PiS ou SDS affi­liés au Par­ti popu­laire euro­péen ou le SMER de Robert Fico, membre du Par­ti socia­liste euro­péen, ni même quelques non-ins­crits (comme cer­tains Vlaams Belang ou Front natio­nal). Leur capa­ci­té de nui­sance est donc aujourd’hui limi­tée. Mais ils pour­raient deve­nir les grands gagnants du scru­tin des élec­tions euro­péennes de 2019 et être en mesure de jouer un rôle d’arbitre (et de conta­mi­ner les autres grandes forces poli­tiques) ou de grip­per la machine. C’est à ce moment que beau­coup pren­dront plei­ne­ment conscience que l’hémicycle stras­bour­geois n’est pas un par­le­ment crou­pion. Les dégâts ne tar­de­ront pas à ruis­se­ler sur tous les États membres et les régions puisque 70 – 80 % des lois natio­nales sont issues du niveau euro­péen. Certes, il y a de bonnes rai­sons pour cri­ti­quer les légis­la­tions euro­péennes exis­tante, mais, recon­nais­sons-le, rares sont celles qui méri­te­raient sim­ple­ment de dis­pa­raitre plu­tôt que d’être améliorées.

Le risque est alors que la f®ange popu­liste sus­men­tion­née du PPE se ral­lie aux popu­listes consti­tués en groupe poli­tique. Cela for­ce­rait les proeu­ro­péens de droite, du centre et de gauche à se ser­rer les coudes. Le risque est alors que les dif­fé­rences idéo­lo­giques soient mises de côté, l’intérêt supé­rieur de l’Europe pré­va­lant. Cela ne ferait à terme que don­ner des muni­tions aux popu­listes qui auraient beau jeu de se pré­sen­ter en vic­time de l’establishment.

Là où cer­tains espé­raient que sans le Royaume-Uni, le pro­jet euro­péen repar­ti­rait sur une base plus saine, faute d’obstruction majeure et qua­si-sys­té­ma­tique, et se réjouis­saient de l’échec de Marine Le Pen, on s’aperçoit désor­mais qu’il prend l’eau de toutes parts parce qu’il a échoué à sécu­ri­ser les popu­la­tions. Les pro­chains mois seront déci­sifs et per­met­tront d’y voir plus clair quant à la sur­vie de l’Europe, plon­gée dans un coma arti­fi­ciel depuis (au moins) le trau­ma­tisme des « non » au pro­jet de Trai­té consti­tu­tion­nel en France et aux Pays-Bas.

  1. Il convient de rela­ti­vi­ser les arri­vées de réfu­giés et de migrants sur le sol euro­péen tant les embuches (géo­gra­phiques, logis­tiques) sont grandes et qu’une faible pro­por­tion de gens fuyant leurs pays d’origine prend l’Europe comme des­ti­na­tion. On est donc loin de l’arrivée mas­sive d’étrangers redou­tée par une grande par­tie de la population.
  2. Avez-vous remar­qué qu’en dépit de la thé­ra­pie de choc infli­gée au pays par la troï­ka et les créan­ciers, la dette publique grecque a conti­nué à augmenter ?

Olivier Derruine


Auteur

économiste, conseiller au Parlement européen