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L’illusion de la transparence des corps. Voir, concevoir et dire le VIH

Numéro 12 Décembre 2011 par Charlotte Pezeril

novembre 2011

La trans­pa­rence des corps peut s’en­vi­sa­ger à tra­vers l’é­mer­gence d’un para­digme médi­cal et scien­ti­fique, où l’en­jeu est d’ac­cé­der à la réa­li­té de l’autre et du monde, puis à sa trans­for­ma­tion morale et poli­tique, où l’ac­cent est mis sur la recherche de la véri­té. Le virus du sida/VIH, même s’il s’ins­crit dans une his­toire courte (la fin des années sep­tante), est symp­to­ma­tique des évo­lu­tions du para­digme de la trans­pa­rence et per­met d’in­ter­ro­ger sa por­tée et son ambigüité.

La trans­pa­rence est de ces notions labiles et ambigües, capables de tout absor­ber et d’être emprun­tées par la méde­cine, l’esthétique, la phi­lo­so­phie ou encore la poli­tique. Si elle ren­voie, dans son sens pre­mier, à la vision et à la tra­ver­sée des objets et des corps par la lumière, elle peut dési­gner aujourd’hui la volon­té de voir, de savoir et de publi­ci­ser son être et ses actes. La trans­pa­rence semble deve­nue un devoir moral et une néces­si­té poli­tique dans les démo­cra­ties « modernes », tan­dis qu’a pro­gres­sé la pro­tec­tion de la vie pri­vée par un secret esti­mé légi­time. Georg Sim­mel avait déjà sou­li­gné cette appa­rente contra­dic­tion et le pas­sage his­to­rique d’une tra­di­tion du secret à sa contes­ta­tion par les Lumières, puis l’émergence d’une injonc­tion de véri­té et de trans­pa­rence ; alors que le secret reste « l’une des plus grandes conquêtes de l’humanité » (1908). Le secret est indis­so­ciable de la trans­pa­rence, il en est peut-être même la condi­tion de pos­si­bi­li­té. Le para­digme médi­cal de la trans­pa­rence ne s’est-il pas construit à par­tir du ser­ment d’Hippocrate et du sacro­saint secret médi­cal, comme la jus­tice et son secret de l’instruction, ou l’information et le secret des sources ? La trans­pa­rence n’est donc peut-être pas aus­si trans­pa­rente qu’il n’y paraît et il s’agit, en tous les cas, de mesu­rer cette ambigüité.

Le regard clinique et la transparence du corps : voir la maladie, dire le diagnostic

Si l’on suit Michel Fou­cault, la concep­tion de la trans­pa­rence des corps émerge au XVIIIe siècle avec la « nais­sance de la cli­nique » (1963), dont la par­ti­cu­la­ri­té est de vou­loir rendre visible l’invisible. Avec l’affirmation de l’auto­psie dans un but scien­ti­fique, la cli­nique oriente son regard vers l’intérieur des corps, le dis­sèque et le désa­cra­lise dans le même geste. Le corps doit désor­mais être trans­pa­rent à la méde­cine, l’enjeu étant d’en com­prendre tous les recoins, pour iden­ti­fier, gué­rir puis pré­ve­nir les affec­tions ou mala­dies. Cette « révo­lu­tion » modi­fie en pro­fon­deur la méde­cine qui devient la « science de la mala­die » et non plus de la vie, la patho­lo­gie pre­nant le pas sur la phy­sio­lo­gie. Comme le sou­ligne Alexandre Klein (2011), « il ne s’agissait plus de voir pour vali­der ce qui était dit, mais bien d’inventer de nou­velles manières de dire fai­sant écho à une nou­velle manière de voir. […] En d’autres termes, par le tru­che­ment du dire, le voir deve­nait savoir, ouvrant la voie à l’instauration concrète du para­digme de la transparence ».

Avec le déve­lop­pe­ment des tech­no­lo­gies d’imagerie médi­cale au cours du XXe siècle, le regard se trans­forme à nou­veau. Selon Klein, le savoir devient cir­cu­laire dans la mesure où l’image ne repré­sente plus seule­ment l’intérieur du corps, mais devient le corps lui-même, le pré­sente tel un objet objec­ti­vable et immé­dia­te­ment compréhensible.

Nous pour­rions ajou­ter un troi­sième temps à cette évo­lu­tion du regard médi­cal : la consti­tu­tion des « mala­dies asymp­to­ma­tiques » (sans par­ler des anti­ci­pa­tions des mala­dies par les tests géné­tiques) où la détec­tion de la mala­die ne dépend que du regard médi­cal, alors qu’elle était prin­ci­pa­le­ment basée sur la per­cep­tion du malade. Désor­mais, ce n’est pas tant la figure du malade ima­gi­naire que celle du malade igno­rant qui pré­vaut. Un indi­vi­du s’estimant bien por­tant peut se voir clas­sé dans la caté­go­rie « malade » sans avoir aucun symp­tôme, uni­que­ment parce que son corps est suf­fi­sam­ment trans­pa­rent à la méde­cine pour qu’il en soit ain­si. Le regard médi­cal signi­fie la mala­die, le diag­nos­tic la matérialise.

De la complexité du VIH : du virus à la maladie, le virus sans maladie

Dans le cas du VIH/sida, l’on connait les incer­ti­tudes médi­cales qui entourent les pre­miers malades et décès au tour­nant de la décen­nie sep­tante-quatre-vingt, avant l’accord (qua­si) una­nime autour de la qua­li­fi­ca­tion de sida, syn­drome d’immunodéficience acquise, et de l’identification du VIH, virus de l’immunodéficience humaine, comme en étant le res­pon­sable. La défi­ni­tion cli­nique du sida, modi­fiée à plu­sieurs reprises pour inclure de nou­velles patho­lo­gies, se base alors sur trois « stades », le der­nier étant celui de la « mala­die plei­ne­ment développée ».

La dis­tinc­tion entre sida et VIH reste tou­te­fois floue dans les repré­sen­ta­tions col­lec­tives et l’on en vient à oublier la base, à savoir que le VIH n’est pas en soi une mala­die. Sa pré­sence dans l’organisme signi­fie le risque de mala­die, c’est-à-dire la plus grande pro­ba­bi­li­té de déve­lop­per des infec­tions oppor­tu­nistes. Susan Son­tag est la pre­mière à sou­li­gner et ana­ly­ser ce point : «“Infec­té mais non malade”, cette notion si pré­cieuse de la méde­cine cli­nique est en train d’être rem­pla­cée par des concepts bio­mé­di­caux qui, indé­pen­dam­ment de leurs jus­ti­fi­ca­tions scien­ti­fiques, reviennent à réins­tau­rer la logique anti­scien­ti­fique de la souillure » (1989). Elle montre que les qua­li­fi­ca­tions médi­cales (« infil­tra­tion, attaque, défense immu­ni­taire », etc.) ne sont pas sans effet sur la stig­ma­ti­sa­tion des por­teurs du virus, déjà très forte à l’époque.

À par­tir de 1996, le contexte médi­cal change radi­ca­le­ment : les anti­ré­tro­vi­raux actifs (ARV) com­mencent à être dis­po­nibles dans la plu­part des pays occi­den­taux. Le sida n’est plus la consé­quence inévi­table du VIH, le nombre de décès dimi­nue dras­ti­que­ment, l’espérance et la « qua­li­té de vie » s’améliorent, bien que cer­tains « échappent » au trai­te­ment (n’y sont pas récep­tifs) et que d’autres souffrent d’effets secon­daires lourds. Le sida et sa ges­tion poli­tique se « nor­ma­lisent » (à l’image de sa trans­for­ma­tion d’acronyme en nom). Il n’empêche que la très grande majo­ri­té des per­sonnes détec­tées séro­po­si­tives au VIH et sui­vies médi­ca­le­ment sont aujourd’hui sous trai­te­ment ARV. La mas­si­fi­ca­tion de cette consom­ma­tion de médi­ca­ments et l’abandon des « trois stades » du sida peuvent être com­pris à l’aune d’une autre « décou­verte » médi­cale : la mesure de la charge virale détec­tant le taux de pré­sence du virus dans le sang.

La tech­no­lo­gie d’identification et de mesure de la charge virale date du milieu des années nonante et les recherches effec­tuées à par­tir du sui­vi de « cohortes » de por­teurs per­mettent pro­gres­si­ve­ment d’établir un lien avec l’infectiosité. D’une part, les trai­te­ments entrainent une dimi­nu­tion de la charge virale, voire la rendent « indé­tec­table» ; d’autre part, plus la charge virale est faible, plus les risques de trans­mettre le VIH sont faibles. En 2008, le Bul­le­tin des méde­cins suisses publie une véri­table « bombe » dans le monde du sida : « Une per­sonne séro­po­si­tive ne souf­frant d’aucune autre mst et sui­vant un trai­te­ment anti­ré­tro­vi­ral avec une viré­mie entiè­re­ment sup­pri­mée ne trans­met pas le VIH par voie sexuelle. » Si les réac­tions publiques sont plu­tôt timides et contras­tées, une nou­velle enquête esti­mant la réduc­tion du risque de trans­mis­sion en cas de charge virale indé­tec­table à 96%, va ame­ner l’OMS et l’Onusida à prendre offi­ciel­le­ment posi­tion en juin 2011, cré­di­tant le « nou­veau para­digme de pré­ven­tion ». Désor­mais le trai­te­ment indi­vi­duel devient une pré­ven­tion col­lec­tive, au grand bon­heur des labo­ra­toires phar­ma­ceu­tiques1, qui financent aujourd’hui des pro­jets éva­luant l’opportunité de mettre sous trai­te­ment « pré-expo­si­tion », c’est-à-dire pré­ven­ti­ve­ment, des per­sonnes esti­mées à haut risque de VIH (en pre­mier les « hommes ayant des rap­ports sexuels avec des hommes »).

L’évolution des tech­no­lo­gies médi­cales et les « décou­vertes » semblent donc per­mettre une meilleure trans­pa­rence des corps, une visi­bi­li­té plus nette du virus. Dans le même temps, la reven­di­ca­tion publique de cette trans­pa­rence, qui masque les incer­ti­tudes, les négo­cia­tions et les conflits en jeu autour des « décou­vertes », légi­time la médi­ca­tion pré­ven­tive d’une par­tie de la popu­la­tion, afin de lui évi­ter le risque de devoir prendre à vie cette même médication.

Transparence de la chair, opacité de l’information ?

Les enjeux de cette nou­velle « trans­pa­rence du corps » ne sont pas encore mesu­rés à leur juste valeur. Mar­sha Rosen­gar­ten (2009) s’y est inté­res­sée à par­tir des tra­vaux des fémi­nistes maté­ria­listes ayant remis en cause l’existence d’un objet scien­ti­fique trans­pa­rent, externe aux tech­no­lo­gies de pro­duc­tion per­met­tant de le sai­sir. Elle ana­lyse com­ment les diag­nos­tics et les trai­te­ments sont mis en place, négo­ciés et sai­sis par les per­sonnes séro­po­si­tives et leurs méde­cins et com­ment ils n’agissent pas seule­ment pour réduire le virus, mais trans­forment éga­le­ment les corps et leurs repré­sen­ta­tions ; pro­dui­sant une indis­so­cia­bi­li­té entre la chair (flesh) et l’information. L’impact du test de charge virale est à repla­cer dans ce cadre. Elle cite notam­ment une femme séro­po­si­tive : « Je ne l’ai pas, sinon com­ment ma charge virale serait indé­tec­table ? » En effet, l’indé­tec­ta­bi­li­té mesure ce que l’on ne peut pas détec­ter. La trans­pa­rence de la chair ne doit pas se confondre avec la trans­lu­ci­di­té et passe inva­ria­ble­ment par le filtre de l’information. Le corps ne se donne jamais à voir dans toute sa nudi­té : il néces­site une qua­li­fi­ca­tion, qui sera trans­mise comme infor­ma­tion si elle est par­ta­gée et légi­time, soit géné­ra­le­ment issue du corps « scientifique ».

Par ailleurs, les per­sonnes séro­po­si­tives sont res­pon­sa­bi­li­sées face à l’«adhérence » au trai­te­ment (quo­ti­dien), com­por­te­ment décrit comme l’unique condi­tion de « réus­site », tan­dis que le test de charge virale impose un impé­ra­tif de sur­veillance médi­cale régu­lier et fré­quent (tous les trois ou six mois). La vie avec le VIH aujourd’hui est donc, pour la plu­part des séro­po­si­tifs en Bel­gique, sin­gu­liè­re­ment dif­fé­rente de celle des années pré-ARV. Pour Rosen­gar­ten, « la maté­ria­li­sa­tion de la varia­bi­li­té illustre la capa­ci­té durable et trans­for­ma­tive de ce qui est concep­tuel­le­ment fixé comme étant le VIH. […] L’impossibilité d’une repré­sen­ta­tion trans­pa­rente des objets du VIH, du sys­tème immu­ni­taire, des trai­te­ments thé­ra­peu­tiques et autres pose un sérieux défi à la science » (2004). La trans­pa­rence des corps ne serait-elle qu’une illu­sion, quoiqu’une illu­sion pro­dui­sant des effets bien réels ?

Des stigmates du VIH : volonté de savoir versus droit au secret

Mal­gré les évo­lu­tions médi­cales, la stig­ma­ti­sa­tion des per­sonnes vivant avec le VIH reste très pré­gnante et les dis­cri­mi­na­tions fré­quentes (Peze­ril, 2010, 2011a, 2011b). Si peu d’enquêtes sont dis­po­nibles en Bel­gique, l’enquête de san­té par inter­view de l’Institut scien­ti­fique de la san­té publique de 2004 a mis en avant que, si plus de 78% des répon­dants estiment qu’un « patron ne doit pas pou­voir licen­cier une per­sonne atteinte du sida », 54% déclarent qu’ils devraient être aver­tis de la séro­po­si­ti­vi­té d’un de leurs col­lègues, même sans son consen­te­ment2. La volon­té de savoir contre­ba­lance donc sérieu­se­ment celle de pro­té­ger la vie privée.

Au-delà de repré­sen­ta­tions tou­jours dif­fi­ciles à sai­sir fine­ment au moyen d’enquêtes quan­ti­ta­tives, le droit au secret s’est indé­nia­ble­ment (quoique dis­crè­te­ment) étio­lé. En pre­mier lieu, le secret médi­cal, encore consi­dé­ré comme invio­lable par le Conseil natio­nal de l’Ordre des méde­cins belges en 2000, est remis en cause sept ans plus tard au nom de l’«état de néces­si­té » de pro­tec­tion du « par­te­naire stable », même si le méde­cin doit suivre un ensemble d’étapes avant de pou­voir trans­gres­ser ce secret (pré­ve­nir le patient, l’inciter à révé­ler, deman­der l’avis des col­lègues, etc.). En 2009, le Conseil est à nou­veau sai­si de cette ques­tion et pré­cise alors que la déci­sion relève de la res­pon­sa­bi­li­té per­son­nelle, tant morale que juri­dique, du méde­cin et « qu’en aucun cas il n’est fait obli­ga­tion au méde­cin de parler ».

Sans pou­voir déve­lop­per plus avant les argu­ments et les ter­gi­ver­sa­tions du Conseil, ses prises de posi­tion publiques légi­ti­ment la levée du secret et auto­risent les méde­cins, dans cer­tains cas, à « faire pres­sion » — pour reprendre l’expression de l’un d’entre eux lors d’une dis­cus­sion — sur leur patient pour qu’il dise sa séro­po­si­ti­vi­té. Cette injonc­tion à la trans­pa­rence se déploie désor­mais dans la sphère pénale.

La pénalisation : vers un devoir de transparence

La péna­li­sa­tion3 de la trans­mis­sion du VIH s’affirme en Europe à par­tir du milieu des années 2000, soit bien après la décou­verte des ARV et leur acces­si­bi­li­té, quand le diag­nos­tic ne signi­fie plus sys­té­ma­ti­que­ment le sida et la mort. Après la Grande-Bre­tagne en 2002, la France en 2005, la Bel­gique, long­temps épar­gnée, condamne pour la pre­mière fois en juin 2011 un homme séro­po­si­tif pour avoir « cau­sé à autrui une mala­die ou une inca­pa­ci­té de tra­vail per­son­nelle, en lui admi­nis­trant des sub­stances qui sont de nature à don­ner la mort ou à alté­rer gra­ve­ment la san­té » (article 421 du Code pénal). Accu­sé par son ex-femme de trans­mis­sion du VIH et par une ex-com­pagne d’exposition au risque de VIH (sans trans­mis­sion), à la suite d’une fel­la­tion non pro­té­gée, il a été condam­né à trois ans de déten­tion, dont deux avec sur­sis. La déci­sion fait désor­mais juris­pru­dence et plu­sieurs autres plaintes ont été dépo­sées depuis.

Dans les autres pays, les condam­na­tions se sont mul­ti­pliées et diver­si­fiées, sanc­tion­nant même la trans­mis­sion mater­no-fœtale (Cana­da). Au Cana­da jus­te­ment, où l’arrêt Cuer­rier de la Cour suprême a sta­tué en 1998 que, s’il y a un « risque impor­tant de lésions cor­po­relles graves », la per­sonne séro­po­si­tive a l’obligation de divul­guer son état. Une bro­chure d’une asso­cia­tion gay d’Ontario conseillait en 2010 aux séro­po­si­tifs de dire leur sta­tut avant toute rela­tion sexuelle et d’en avoir la preuve (enre­gis­tre­ment, témoin, contrat écrit). La contrac­tua­li­sa­tion de la rela­tion sexuelle s’instaure par le para­digme de la trans­pa­rence, du récit de soi et de sa chair.

Si les argu­ments des orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales et des asso­cia­tions de lutte contre le sida4 poin­tant les méfaits de la péna­li­sa­tion, tant en termes de droits humains que d’efficacité de san­té publique, sont peu mobi­li­sés par les tri­bu­naux, c’est l’argument de la charge virale qui va être pris en compte. Des acquit­te­ments sont pro­non­cés en Suisse en 2009, au Cana­da en 2010 sur la base de l’indétectabilité qui per­met d’estimer le risque de trans­mis­sion comme très faible ou nul. La ques­tion de la mesure de la charge virale devient donc encore plus cen­trale pour les séro­po­si­tifs. L’un d’entre eux me confiait sa volon­té de com­men­cer un trai­te­ment pour être indé­tec­table et « enfin [se] sen­tir à l’aise et moins angois­sé » avec ses par­te­naires. Les tra­vaux de sciences sociales ont déjà lar­ge­ment docu­men­té la dif­fi­cul­té à dire sa séro­po­si­ti­vi­té et cette ques­tion com­mence même à être prise en compte dans les cam­pagnes de pré­ven­tion5. Si la sanc­tion pénale, et sa publi­ci­sa­tion, modi­fie inévi­ta­ble­ment le regard por­té sur la patho­lo­gie et ses « malades », il fau­drait pou­voir ana­ly­ser plus fine­ment son impact sur la dici­bi­li­té et, plus lar­ge­ment, l’information en jeu autour du VIH.

De la nécessité du secret ?

Dans un contexte de péna­li­sa­tion, la dia­lec­tique du secret et de la trans­pa­rence prend donc toute son acui­té et sa gra­vi­té. Elle nous pousse en tous les cas à nous inter­ro­ger sur cette trans­pa­rence qui, sous cou­vert de véri­té et de res­pon­sa­bi­li­té, semble uti­li­sée tel un mot d’ordre et qui peut arri­ver in fine à légi­ti­mer le retour de tech­niques dis­ci­pli­naires. La péna­li­sa­tion, tout autant que l’autorisation de la levée du secret médi­cal, par­ti­cipent d’une même dyna­mique exhor­tant les séro­po­si­tifs à se dire, à par­ti­ci­per à ce « gou­ver­ne­ment de la parole » (Mem­mi, 2003) qui n’agit plus seule­ment à tra­vers des tech­niques douces de per­sua­sion, mais uti­lise l’arme de la jus­tice et de l’enfermement. Elle met en tous les cas l’accent sur la res­pon­sa­bi­li­sa­tion des seuls séro­po­si­tifs (du moins ceux qui le savent), après des décen­nies de pré­ven­tion axée sur la cores­pon­sa­bi­li­té des par­te­naires sexuels et les droits des per­sonnes séropositives.

Est-il néces­saire de sou­li­gner que l’épanouissement de ce para­digme de la trans­pa­rence des corps, à tra­vers l’exposition et le récit de soi, nous semble devoir être mai­tri­sé si l’on veut encore res­pec­ter les liber­tés indi­vi­duelles ? Comme le note jus­te­ment Mas­sis (2001), « le secret est le dis­cret ciment d’une démo­cra­tie qui prône la trans­pa­rence sans pou­voir l’assumer entiè­re­ment ». Il est donc peut-être temps de réac­ti­ver l’analyse de Sim­mel en termes de néces­si­té du secret et de prê­ter atten­tion à cette trans­pa­rence qui « ne tolère quelques ves­tiges de secrets que sous la condi­tion de n’être pas déran­gée par eux » (Bre­din, 2001).

  1. Un trai­te­ment anti­ré­tro­vi­ral coute aujourd’hui envi­ron mille euros par mois.
  2. Voir le Rap­port 2004 consul­table en ligne : . Les résul­tats par ques­tion ont été obte­nus à la suite de la demande par l’Observatoire du sida et des sexua­li­tés d’un rap­port d’analyses complémentaires.
  3. Sur cette ques­tion, voir Gais­sad & Peze­ril (2011) pour plus de précisions.
  4. Les dizaines de publi­ca­tions sur le sujet ne peuvent être citées ici, voir la biblio­gra­phie publiée récem­ment sur le site www.observatoire-sidasexualites.be/.
  5. Voir la cam­pagne de l’asbl Ex Aequo char­gée de la pré­ven­tion sida/IST chez les gays/HSH en Bel­gique en 2009 : « Si tu es prêt à l’entendre, je suis prêt à te le dire. Séro­po­si­ti­vi­té : n’en fai­sons plus un tabou. »

Charlotte Pezeril


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