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L’heure violette

Numéro 6 - 2016 par Naulin

octobre 2016

Ce matin dans la main de Fran­çoise, le frois­se­ment du sachet trans­pa­rent annon­çait, déjà, le plai­sir de la gour­man­dise. Mon regard avide plon­gea, len­te­ment, dans l’ouverture du pochon pré­cieux du confi­seur et je recon­nus, tout de suite, les frian­dises vio­lettes. Après avoir obser­vé les fleurs aux cinq minus­cules pétales vio­line, cris­tal­li­sées dans le sucre, je […]

Ce matin dans la main de Fran­çoise, le frois­se­ment du sachet trans­pa­rent annon­çait, déjà, le plai­sir de la gour­man­dise. Mon regard avide plon­gea, len­te­ment, dans l’ouverture du pochon pré­cieux du confi­seur et je recon­nus, tout de suite, les frian­dises vio­lettes. Après avoir obser­vé les fleurs aux cinq minus­cules pétales vio­line, cris­tal­li­sées dans le sucre, je ne pus m’empêcher de res­pi­rer, pro­fon­dé­ment, un par­fum vert de sous-bois humide légè­re­ment adou­ci d’une note pou­drée et irisée.

J’ai revu le regard rieur, com­plice et gour­mand de ma grand-mère. Ses doigts fuse­lés, par­se­més de taches brunes dont l’annulaire était orné de cette petite bague d’améthyste que je porte aujourd’hui. D’une main déli­cate, elle sou­le­vait le cou­vercle fis­su­ré de la bon­bon­nière en faïence de Quim­per, que mon père avait déjà recol­lé deux fois.

Après avoir agi­té, pres­te­ment, les doigts de l’autre main, comme le ferait un pres­ti­di­gi­ta­teur, elle plon­geait, le pouce et l’index, dans la ron­deur secrète du bibe­lot pour extraire la fleur mauve, suave, conso­la­trice, qu’elle me pas­sait un ins­tant sous le nez en plis­sant les yeux et hochant la tête d’un air enten­du. Recueillie, j’ouvrais la bouche, fer­mais les yeux. La vio­lette de Tou­louse, que je res­pi­rais entre les draps blancs, ali­gnés au cor­deau dans l’armoire de meri­sier, que je cher­chais dans la dou­ceur de son cou ridé, m’emplissait tout entière. Elle m’apprenait à suço­ter len­te­ment le bon­bon jusqu’à ce qu’il devienne trans­lu­cide, nacré, opalescent.

La vio­lette offerte géné­ra­le­ment pour dévoi­ler son amour secret, sous sa fra­gi­li­té, est une vivace. Quel régal de retrou­ver intacts, ce matin, dans ce mor­ceau de quartz lavande, le raf­fi­ne­ment et la saveur aci­du­lée de mon enfance.

Naulin


Auteur

Retraitée, elle travaillait au bureau d'aide sociale de l'université Saint-Louis.